Réparation du préjudice lié aux conditions de vie dégradantes en milieu carcéral

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 09LY02918 – 08 avril 2010 – C

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 09LY02918

Numéro Légifrance : CETATEXT000022486193

Date de la décision : 08 avril 2010

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Référé-provision, Responsabilité de l’Etat, Administration pénitentiaire, D 350 et D 351 du code de procédure pénale, Obligation non sérieusement contestable

Rubriques

Responsabilité

Résumé

Responsabilité de l'Etat engagée - Est admise, dans le cadre du référé-provision, l’indemnisation du préjudice moral subi par un requérant lié à ses conditions d’incarcération.

La Cour retient le principe selon lequel l’insalubrité des cellules, aggravée par la promiscuité résultant de leur sur-occupation, suffit à caractériser la méconnaissance des articles D 350 et D 351 du code de procédure pénale et, partant, à engager la responsabilité de l’Etat dont les services de l’administration pénitentiaire doivent assurer le respect des normes d’hygiène et de dignité prescrites en milieu carcéral.

Les conditions de vie dégradantes infligées au requérant au cours de son séjour d’une année à la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand lui ont causé un préjudice moral dont le montant doit, selon la Cour, être regardé comme non sérieusement contestable à hauteur de 1 200 €.

Conclusions du rapporteur public

Geneviève Gondouin

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5760

MM. R., B. et C. ont été placés en détention provisoire à la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand où ils ont partagé pendant quelques mois la même cellule, ou le même type de cellule, et décidé de dénoncer leurs conditions d’incarcération.

Le 7 juillet 2008, ils sollicitent du juge des référés du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand la désignation d’un expert sur le fondement de l’article R.531-1 du CJA. Il est fait droit à leur demande par une ordonnance du 11 juillet 2008.

L’expert a pour mission de se rendre à la maison d’arrêt, de se faire communiquer tous documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission, d’entendre le requérant ainsi que toute personne dont le témoignage est nécessaire à l’accomplissement de sa mission, de décrire l’état de la cellule occupée par le requérant en précisant notamment la composition du mobilier, du sanitaire, leur état ainsi que le nombre d’occupants et leur âge, de déterminer la superficie et le volume de la cellule, décrire son système de ventilation, l’état des parties communes utilisées quotidiennement par les détenus de la maison d’arrêt, notamment les sanitaires, l’infirmerie et la ou les salle (s) de bains.

L’expert se rend à la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand le 25 juillet 2008, et remet son rapport au début du mois d’août, rapport qui est essentiellement un état des lieux établi contradictoirement. Etaient en effet présents lors de la visite : l’adjoint de direction de l’établissement, le représentant de la direction interrégionale des services pénitentiaires, des surveillants, outre les avocats de MM. R., B. et C.

A la suite de ce rapport, ces derniers déposent auprès du Garde des Sceaux une demande préalable d’indemnisation en juin-juillet 2009. Leur demande est rejetée en août suivant.

Aussi, dès la fin septembre 2009, saisissent-ils, chacun, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’une demande de condamnation de l’Etat à leur verser au titre de leur préjudice une somme totale de 15 000 €.

Ils saisissent aussi le Tribunal administratif d’une demande sur le fondement de l’article R.541-1 du CJA : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ».

Par trois ordonnances du 16 décembre 2009, le juge des référés du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand rejette leurs demandes, estimant que l’existence de l’obligation dont se prévalent les requérants est sérieusement contestable, après avoir relevé, notamment, que le juge administratif n’a jamais encore reconnu le caractère fautif des conditions de détention à la prison de Clermont-Ferrand. Sans doute le juge des référés a-t-il voulu faire ici application de la jurisprudence du CE du 29 janvier 2003, Ministre de l’économie et des finances c/ SAA Générale Electric Capital Fleet Services, req. 250345 – 22 octobre 2008, Cne de Plestin-les-Grèves, req. 309956. Jurisprudence dans laquelle le Conseil estime qu’est sérieusement contestable l’obligation posant une question de droit qui soulève une difficulté sérieuse.

MM. R., B. et C. relèvent donc appel, chacun en ce qui leur concerne, de cette ordonnance.

Tout le débat tourne autour de la question de savoir si l’obligation de l’administration pénitentiaire était ou non sérieusement contestable et vous amène à vous pencher sur la responsabilité de l’Etat, plus précisément ici de l’administration pénitentiaire.

Les requérants soutiennent que leurs conditions de détention méconnaissent la dignité inhérente à la personne humaine principe qui, vous le savez, est reconnu par les textes les plus importants de notre hiérarchie des normes (Constitution et traités internationaux dont la Convention européenne des droits de l’homme) et repris par les lois et règlements.

MM. R., B. et C. invoquent, par ex., l’article 16 du code civil en vertu duquel la loi assure la primauté de la personne et interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain.

Parmi toutes les dispositions législatives et réglementaires qu’ils invoquent, il nous semble que les plus pertinentes, dans le contentieux qui vous intéresse aujourd’hui, sont celles issues du code de procédure pénale. Notez déjà qu’aux termes de l’article D 189 de ce code, « à l’égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale ».

La dignité de la personne humaine dans les établissements pénitentiaires doit ou devrait être prise en compte, et c’est un minimum, dans les conditions matérielles de détention.

L’article D 350 du code de procédure pénale mentionne que « les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération ». L’article D 351 ajoute que « dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L’agencement de ces fenêtres doit permettre l’entrée d’air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. / Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d’une façon convenable et leur nombre proportionné à l’effectif des détenus ».

Il résulte des rapports d’expert que la capacité théorique de l’établissement est fixée à 86 détenus, qu’il est admis un dépassement de cette capacité jusqu’à 116 détenus et qu’il faut alors réorganiser les cellules notamment en ajoutant des lits ou matelas supplémentaires. L’établissement a même accueilli jusqu’à 130 détenus. Ces rapports montrent que les insuffisances touchent moins les parties communes (bibliothèque, douches, infirmerie…) que les cellules.

Ce qui correspond d’ailleurs à ce que dit le ministre en défense qui souligne les efforts réalisés au cours de ces dernières années pour améliorer les lieux. Mais les requérants ne se plaignent pas vraiment des équipements collectifs, ils déplorent les conditions de détention dans les cellules.

Ils ont occupé plusieurs cellules au cours de leur incarcération. La superficie par détenu ne dépasse pas 4 m². L’aération n’est qu’imparfaitement assurée par des fenêtres trop hautes et de faibles dimensions, les lieux d’aisance sont situés à proximité immédiate des lieux de vie, lieux d’aisance non totalement fermés ni, dès lors, séparés du reste de la cellule.

Ce constat n’est pas nouveau, tout ceci est connu, et il vous appartient d’en tirer les conséquences dans le contentieux d’aujourd’hui. Nous n’ignorons pas les contraintes budgétaires pesant sur l’administration pénitentiaire, ni les efforts qui sont faits dans l’amélioration des conditions matérielles de détention, d’ailleurs le ministre n’oublie pas de le rappeler. Mais il n’est pas censé non plus oublier les engagements internationaux de la France ni la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Notamment : « L’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention… » K. c/ Pologne, 26 octobre 2000 –Grande Chambre) .

Vous n’allez pas innover puisque la CAA de Douai dans son arrêt du 12 novembre 2009 (09DA00782) a estimé que de telles conditions de détention (voisines de celles existant dans notre dossier) n’assurent pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine en méconnaissance de l’article D 189 du code de procédure pénale, qu’une telle atteinte entraîne par elle-même un préjudice moral par nature et à ce titre indemnisable.

MM R., B. et C. demandent réparation pour leur préjudice physique et moral. S’agissant de ce dernier, il n’est guère contestable, les conditions de détention nous semblent soumettre les intéressés à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

Le préjudice physique est moins évident puisque les requérants ne le décrivent pas ou, si vous préférez, l’obligation de l’Etat est plus sérieusement contestable s’agissant de ce préjudice (voyez par ex. pour l’absence de lien de causalité entre les conditions de détention et le décès d’un détenu, CE 1er juillet 2009, Garde des Sceaux, ministre de la justice c/ Mme M., req. 308925).

Chacun demande réparation de son préjudice moral à hauteur de 3000 €. C’est d’ailleurs le montant retenu par le TA de Rouen que n’a pas censuré la CAA de Douai dans l’arrêt précité. Mais la détention des intéressés avait duré un peu plus longtemps que dans nos dossiers (entre 2 et 3 ans).

Vous pourriez retenir comme base de calcul, comme minimum, la somme de 1 200 € par an, ce qui nous en avons bien conscience, est artificiel mais présente au moins le mérite d’être divisible par 12.

M. R. a été détenu 8 mois, M. B. 10 mois et M. C. environ un an.

Dès lors, vous annulerez les ordonnances attaquées en tant qu’elles rejettent totalement les demandes des requérants, et vous condamnerez l’Etat à verser à M. R. une provision de 800 €, de 1 000 € à M. B., et de 1 200 € à M. C..

Telles sont nos conclusions dans cette affaire.

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