Par une ordonnance du 1er février 2021, le tribunal administratif de Grenoble a donné acte du désistement des requérants sur le fondement de l’article R. 612-5-2 du code de justice administrative. Mais, insatisfaits, les justiciables ont saisi la cour administrative d’appel qui a annulé cette ordonnance aux motifs que la mention de l’article ne figurait pas dans la première notification, et qu’une seconde notification de l’ordonnance était inopposable car de nature à susciter un doute dans l’esprit du requérant.
Si, depuis la loi du 30 juin 2000 et la création du référé-suspension, il appartient au juge d’arrêter le bras de l’administration au moment où elle exécute (J. Rivero, «Le Huron au Palais royal », D. 1962.37), il lui incombe aussi, depuis trois ans, de refermer la porte du prétoire au requérant qui, inerte pendant plus d’un mois, n’aura pas réussi à susciter un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée lors de ce même référé (CJA, art. R. 612-5-2) .
Malgré un accueil réservé de la doctrine et glacial des avocats, l’article R.612-5-2 du CJA a su résister aux griefs qui ont été formulés à son encontre (CE, 3 juil. 2020, n° 0424293, Conseil national des Barreaux et autres, Lebon T. p. 886) . Soutenue par l’argument-fleuve de la « bonne administration de la justice », la « rationalisation » sans cesse plus poussée du contentieux administratif n’a fait que croître depuis une dizaine d’années (M.-C. de Montecler, « Le désistement involontaire, une chausse-trape pour les requérants ? », AJDA 2019, p. 312) . De nombreux modes de désistements d’office jalonnent désormais le procès administratif (en matière d’OQTF en l’absence de mémoire complémentaire annoncé : art. R. 776-12 CJA ; en matière d’action de groupe : art. R. 77-10-3 CJA ; en l’absence de mémoire récapitulatif lorsqu’il est exigé art. R. 611-8-1 CJA ; en l’absence de mémoire complémentaire annoncé devant les TA et CAA : art. R. 612-5 CJA et R. 611-22 CJA devant le Conseil d’Etat) . Bien qu’il pût paraître disproportionné de sanctionner l’atonie du requérant par la fermeture du prétoire, la Cour européenne des Droits de l’Homme a depuis longtemps admis la validité du mécanisme de désistement d’office prononcé par le juge (CEDH 15 janv. 2009, X. c/ France, n° 024488/04, AJDA 2009, p. 547, note B. Pacteau) . C’est dans ce contexte que l’article R. 612-5-2 du CJA, dernier né de cette logique de désengorgement des tribunaux, trouve sa place en droit administratif.
Cette nouvelle disposition, issue de l’article 2 du décret n° 02018-617 du 17 juillet 2018, est au cœur même de l’arrêt de la cour d’administrative d’appel de Lyon du 12 octobre 2021. Celle-ci se trouve saisie d’un recours formé contre une ordonnance de désistement d’office du tribunal administratif de Grenoble, ordonnance notifiée une première fois au requérant en omettant la mention de l’article R. 612-5-2 puis une seconde fois, quelques minutes après, en mentionnant cet article. La question était donc de savoir si le Tribunal pouvait prononcer le désistement d’office d’une partie pour absence de confirmation de la requête au fond, quand bien même la première notification de l’ordonnance des référés ne mentionnait par l’article R. 612-5-2 du CJA. Ainsi, par cet arrêt, la cour a entendu encadrer le champ d’application de ce nouvel article. Pour prononcer l’irrégularité de l’ordonnance elle a retenu le moyen tiré de ce que « la seconde notification d’une décision rendue par une juridiction administrative n’a pas de valeur probante ».
Par cet arrêt, la cour administrative d’appel de Lyon a défini le régime juridique des secondes notifications (I), avant de préciser les contours du nouvel article clivant du CJA (II)
I. Le nouveau régime des doubles notifications
Alors que le juge administratif sait qu’il lui est défendu de faire de son arrêt une loi ou un règlement (M. M., concl. sur CE, 7 déc. 1883, Lebon p. 904 ; art. 5 C. civ) la cour administrative d’appel de Lyon a, par son arrêt, créé une règle générale d’interdiction des secondes notifications (A), règle assortie d’exceptions en cas de signalisation de la dernière (B)
A. Le principe : la prohibition des secondes notifications
La notification des actes de procédure est un point fondamental du droit. Grâce à elle, le principe du contradictoire prend vie sur la scène juridiques (Y. Lobin, « La notification des jugements et ses sanctions », in Mélanges Pierre Raynaud, Dalloz & Sirey, 1985, p. 381) . Partant, son importance se trouve décuplée en matière de désistement d’office, car adressée par la juridiction, cette ordonnance rappelle aux justiciables le caractère obligatoire d'un certain nombre de formalités, ici la confirmation du maintien de la requête, et les conséquences attachées à leur non-respect, ici le désistement d’office. Ainsi, pour être régulière, elle doit être claire, précise et prévenir toute confusion pour son destinataire. Dès lors, une seconde notification, qui intervient après qu’une première ordonnance a été régulièrement notifiée, est par elle-même de nature à jeter le trouble dans l’esprit du requérant. De fait, la cour administrative d’appel a jugé qu’il était préférable d’en supprimer l’efficacité.
Si la maxime bien connue lex posterior derogat priori a imprégné le droit, la cour administrative d’appel en a pris le contrepied en matière de notifications. Pour elle, la notification postérieure n’abroge pas la précédente. Pourtant, on pouvait aisément comprendre les vertus d’un tel adage : « la dernière volonté d'un organe est la plus juste » ; pour cette raison elle doit écraser « la sagesse de la volonté la plus ancienne » (J. Bonnet, A. Roblot-Troizier, « Les adages et le temps », RFDA 2014. 29) . Certes, ici, la seconde notification n’avait pas la prétention d’être plus juste, mais de corriger une omission involontaire, celle de n’avoir pas fait mention de l’article R.612-5-2 du CJA ; oubli qui, au regard de l’alinéa 2 dudit article, fait obstacle à son application. Quand bien même, la cour est formelle, elle ne laisse pas le tribunal se rectifier car « ni le code de justice administrative, ni aucune règle générale de procédure ne prévoient la possibilité pour la juridiction de procéder à une seconde notification à une partie d'une ordonnance qui lui a déjà été notifiée régulièrement ».
On aurait pu croire que la quasi-simultanéité de ces deux notifications – la seconde étant intervenu seulement sept minutes après que la première avait été envoyée – aurait justifié qu’on prît en compte la correction. On pouvait arguer que la vie résiduelle de cette première notification n’était pas de nature à créer une situation juridique stable, immuable et pérenne. Pour la cour, c’est le contraire. Selon elle, comme « ces deux notifications ont été faites de façon quasi simultanée, cette opération [est] de nature [à] induire en erreur le destinataire ».
C’est ainsi que, par cet arrêt, naît une prohibition générale des secondes notifications. Fort heureusement, la dureté de la règle trouve, comme tout axiome juridique, quelques exceptions.
B. L’exception : la signalisation des secondes notifications
Quoi que l’on en pense, la règle est posée : une seconde notification est inopposable au requérant et ne remplace pas la première lorsqu’elle était régulière. Mais la prescription ne pouvait être absolue ; il fallait qu’il y eût au moins une exception. En effet, la cour administrative d’appel a admis l’opposabilité d’une seconde notification si celle-ci se singularisait. Le Conseil d’État avait déjà eu à se prononcer, en fait de délais, sur cette question. Il en avait conclu que l’envoi ultérieur d’une seconde notification est sans incidence sur l’écoulement du délai de recours contentieux (CE, 26 mars 2003, n° 0234593, Sté Elyo, inédit), sauf si cette seconde notification précise qu’elle « annule et remplace » la précédente (CE, 27 oct. 2008, n° 0294914, Communauté de communes de la Tinée) . Au vrai, il semble qu’il y ait parfois un consensus au sein des deux ordres juridictionnels, car cette condition de distinction est aussi exigée par le juge judiciaire (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 019-17.360, au Bull.) . Ainsi, pour les juges judiciaires comme pour les juges administratifs, il est nécessaire de signaler distinctement toute décision juridictionnelle secondaire intervenant postérieurement à une première régulièrement notifiée.
Aussi, prenant le lecteur par la main, la cour administrative d’appel, armée de son style direct, nous explique comment doit se comporter le juge s’il souhaite opposer son ordonnance corrective aux requérants. Pour cela, il doit « mentionner dans l'application Télérecours que la seconde notification comportait une modification dans son contenu et constituait une notification qui annulait et remplaçait la première notification ». Le mode d’emploi des secondes notifications est dressé : si le juge souhaite se corriger, il doit l’annoncer dans le titre. À en croire les juges, les requérants n’ont pas l’idée de prendre connaissance consciencieusement des actes qui leurs sont notifiés. Il faut que le juge passe par le vecteur d’un titre « accrocheur ».
Dès lors que cette règle générale a été posée, il fallait bien que la cour nous renseignât sur son application au regard de l’article R.612-5-2 du CJA.
II. La mise à la connaissance de l’article R. 612-5-2 du CJA
Une fois le régime général de la double notification posé in abstracto, la cour s’attaque à l’encadrement de l’article R.612-5-2 du CJA. Pour être applicable, l’article doit être clairement mis en œuvre par une notification régulière (A) . Mais cette protection avancée peut à certains égards apparaître paradoxale (B).
A. La mise à la connaissance par la notification régulière
L’article R.612-5-2 du CJA, comme toute nouveauté, emporte avec lui son lot d’interrogations, d’inconnues et finalement d’insécurité juridique que les juges lyonnais se sont chargés de réduire. Alors que le pouvoir réglementaire avait fait l’usage de l’impératif « il appartient au requérant de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. À défaut, le requérant est réputé s'être désisté », la cour a considéré que les dispositions de l’article R. 612-5-2 ne définissaient pas une obligation. Cette position tranchée se comprend à la lecture du second alinéa dudit article qui impose aux juges d’informer le requérant du risque de désistement qu’il encourt s’il ne confirme pas le maintien de sa requête au fond dans un délai d’un mois. C’est donc à juste titre que cette protection nichée au sein de cet article peu favorable au requérant a pu être qualifiée par la doctrine de « garde-fou » du contentieux (O. Gohin, F. Poulet, Contentieux administratif, 10e éd., LexisNexis, 2020, p. 417, note 197).
Aussi, la cour précise qu’en « ne comportant aucune mention des dispositions de l'article R.612-5-2 du Code de justice administrative, l'ordonnance en litige ne pouvait être fondée sur ces dispositions. » Cette position était attendue des juges, d’une part en référence à la lettre du texte, mais aussi par analogie aux régimes juridiques d’autres dispositions qui prévoient un désistement d’office. En effet, le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de juger en matière de confirmation que la « notification qui se borne à donner la référence de l’article R.152 [ CJA, art. 612-5] sans citer cet article ni préciser la demande ne peut justifier la mise en œuvre du désistement » (CE, 30 déc. 1998, n° 0165372, Dpt. de l’Aisne, Dpt. de l’Aisne, au Lebon T.) et, en matière de régularisations, que « la seule reproduction des termes de l’article R. 811-7 n’est pas suffisante pour admettre que le requérant a été informé d’une demande de régularisation » (CE, 27 fév. 2006, n° 0269589, Lebon T. p. 1004) . Mutatis mutandis, pour les juges lyonnais, l’article R.612-5-2 du CJA n’étant pas obligatoire, il doit être mentionné afin que le désistement d’office soit régulier. Néanmoins, il convient de se demander si la mention visée par la cour s’apparente à une simple reproduction de ces termes, ou s’il faut entendre par « mention » l’explication en termes clairs et précis du risque de désistement. L’incertitude plane pour les tribunaux, mais au risque de voir son ordonnance irrecevable, il lui est conseillé de ne pas se satisfaire d’une simple mention de l’article ; au contraire, il est préférable d’en préciser le régime et les conséquences qui lui sont attachées.
Ainsi, après avoir protégé le requérant contre l’incertitude des secondes notifications, la cour a accru la protection en prescrivant au juge de mentionner l’article R.612-5-2 du CJA pour prononcer un désistement d’office. Mais cette protection apparaît paradoxale au regard de la finalité de cette nouvelle disposition.
B. Le paradoxe de la protection
Finalement, de cet arrêt ressort la volonté juridictionnelle de protéger le requérant contre une disposition neuve qui lui est de surcroît défavorable. Pour le justiciable, la dangerosité de l’article émerge dès l’instant où il est valablement notifié. Il devient fatal à quiconque le néglige pendant un mois. Dès lors, les juges du fond, pour pallier cette logique de rationalisation du contentieux, tentent d’en fixer strictement les contours. Peut-être si strictement que le régime juridique qui en découle devient excessif.
Exiger la mention d’un article pour s’en prévaloir est la nouvelle conception du savoir juridique. En doctrine, on a pu évoquer la « connaissance-flash » du droit, une connaissance faite de rappels (J. Carbonnier, « La maxime "Nul n'est censé ignorer la loi" en droit français », Journées de la société de législation comparée, 1984, p. 326) . Aujourd’hui, on n’exige plus du requérant, ni même de son conseil, une connaissance encyclopédique du droit : il faut qu’on le lui rappelle pour qu’on puisse le lui appliquer. À bien des égards, ces exigences nous éloignent du caractère classiquement fictionnel de l’adage nemo censetur, pour arriver à une interprétation réaliste de cette maxime. En l’espèce, le juge des référés doit mettre à la connaissance du requérant, en des termes clairs, l’article R.612-5-2 du CJA avant de le lui imposer. Cela devient une question de loyauté : avant de constater le désistement du requérant, il convient de l’en informer. Les juges lyonnais, imbibés de cette nouvelle idée de la connaissance du droit, ont posé une règle attendue et juste par rapport à la ligne juridique actuelle.
Mais la cour est peut-être allée trop loin dans sa logique protectrice. Par cet arrêt, les juges nous informent qu’il n’est plus seulement nécessaire pour le professionnel du droit d’avoir été informé d’une disposition désavantageuse : encore faut-il qu’il l’ait été par une notification unique ou à défaut par le truchement d’un titre accrocheur. Si cette seconde condition n’est pas remplie, l’ignorance demeure « légitime ». En l’espèce, le requérant avait eu connaissance de l’article R.612-5-2 du CJA, mais par une seconde notification : notification qui, pour la Cour, était de nature à faire naître un doute dans l’esprit de son destinataire. On peut se demander si les magistrats lyonnais, en allant si loin dans cette logique protectrice, ne déresponsabiliseraient pas le professionnel du droit négligent. Car le conseil juridique du requérant, bien qu’informé de cette seconde notification par sa réception sur Télérecours, n’était pas obligé d’en tenir compte. On aurait pu pourtant espérer d’une personne raisonnable qu’elle prît connaissance de manière effective de cette seconde notification, fût-elle intitulée de façon identique à la précédente. Mais, la cour, investie de cette volonté de protéger le requérant contre le droit, en vient à libérer l’avocat de son devoir professionnel. Par cet arrêt on prend conscience de la ténuité qu’il y a entre protection et déresponsabilisation.
En 2019, dans une autre affaire, le rapporteur public du Tribunal administratif de Paris avait, dans ses conclusions, proposé « d’écarter l’application de l’article R.612-5-2 en prenant en compte le caractère récent de la procédure » (concl. J.-S. Laval sur CAA Lyon, 3 décembre 2019, n° 019LY01765, AJDA 2020, p. 461) . On peut se demander si en 2021 la cour n’a pas été tentée d’en écarter l’application pour les mêmes raisons, mais en camouflant sa velléité.