Désistement d'office et condition pour revenir sur une notification irrégulière

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 21LY00577 – 12 octobre 2021 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 21LY00577

Date de la décision : 12 octobre 2021

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Désistement d’office, Notification

Rubriques

Procédure

Résumé

Il ne peut être donné acte du désistement d'office du requérant que si la notification de l'ordonnance de référé qui lui a été adressée, comporte la mention prévue au second alinéa de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative.

Le premier courrier daté du 24 décembre 2020 adressé à l’avocate de M.X. et accompagnant la notification de l’ordonnance mentionnée au point 1, en application de l’article 6 du décret n° 02020-1406 du 18 novembre 2020, ne contient aucune référence aux dispositions précitées de l’article R. 612-5-2 du code de justice administrative et il a été indiqué dans l’application Télérecours « notification d’une ordonnance de référé ».Il ressort des pièces du dossier et notamment d’une copie d’écran issue de cette même application que l’avocate a accusé réception le jour même de cette notification à 10h48. 

Un second courrier, en date du même jour, portant mention des dispositions de l’article R. 612-5-2 du code de justice administrative a alors été notifié avec le même intitulé soit « notification d’une ordonnance de référé » et l’avocate en a accusé réception à 10h55. Il est constant qu’aucune suite n’a été donnée à cette seconde notification et, par l’ordonnance attaquée, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Grenoble a, sur le fondement des dispositions de l’article R. 612-5-2 du code de justice administrative, donné acte aux requérants du désistement de la requête introduite le 23 avril 2020.

Si en application des dispositions de l’article 6 du décret n° 02020-1406 du 18 novembre 2020, applicables à la date de la notification de l’ordonnance du juge des référés, cette notification est valablement accomplie par l’expédition de cette décision au conseil des requérants, ni le code de justice administrative, ni aucune règle générale de procédure ne prévoient la possibilité pour la juridiction de procéder à une seconde notification à une partie d’une ordonnance qui lui a déjà été notifiée régulièrement. En l’espèce, et en l’absence de mise en œuvre des dispositions de l’article R. 612-5-2, laquelle ne constitue pas une obligation, la première notification de l’ordonnance est régulière. Ainsi faute de mentionner dans l’application Télérecours que la seconde notification comportait une modification dans son contenu et constituait une notification qui annulait et remplaçait la première notification et alors que ces deux notifications ont été faites de façon quasi simultanée, cette opération étant de nature en induire en erreur le destinataire, seule cette première notification de l’ordonnance a été régulièrement accomplie. Cette première notification ne comportant aucune mention des dispositions de l’article R. 612-5-2 du code de justice administrative, l’ordonnance en litige ne pouvait être fondée sur ces dispositions.

54-05-04-03, Procédure, Désistement d'office, R. 612-5-2 du code de justice administrative, R. 431-1 du code de justice administrative, Article 6 du décret n° 02020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, Notification régulière, Effet de la première notification

Conclusions du rapporteur public

Jean-Simon Laval

rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6719

L’affaire dont vous êtes saisis vous amènera à revenir sur les dispositions portées par le décret n° 02018-617 du 17 juillet 2018 relatives au désistement d’office poursuivant l’œuvre du décret JADE de 2 novembre 2016. Ici il s’agit de la mesure prise à la suite de l’absence de confirmation de la requête au fond présentée en parallèle d’un référé suspension. Selon l’article R 612-5-2 du code de justice administrative. En cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s'être désisté Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l'ordonnance de rejet mentionne qu'à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d'un mois, le requérant est réputé s'être désisté. Ces dispositions interviennent dans le cadre d’une série de réforme mise en œuvre dans un souci d’efficacité pour la JA de demain. La sévérité qu’elles autorisent a été très largement critiquée, commentée et les réponses qu’ont apportées les jurisprudences des Cour administrative d'appel et du CE aux questions qui se posent ont contribué à un corpus d’analyse assez fourni auquel votre chambre a elle même participé par une publication sous Alyoda de votre arrêt du 17 décembre 2019 ( également AJDA n° 08 du 2 mars 2020) Cette sévérité est cependant selon nous heureusement compensée par les exigences imposées au juge par la jurisprudence du CE voyez CE n° 0423177 du 24 juillet 2019. Le CE juge ainsi sur les dispositions voisines de l’article R. 612-5-1 Si les motifs pour lesquels le signataire de l'ordonnance, auquel il incombe de veiller à une bonne administration de la justice, estime que l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur ne peuvent en principe être utilement discutés devant le juge supérieur, il appartient néanmoins à ce dernier de censurer l'ordonnance qui lui est déférée dans le cas où il juge, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par l'article R. 612-5-1 du CJA. La jurisprudence, d’ailleurs, invite désormais à une analyse des éléments de l’instance permettant de vérifier la juste application de cette mesure à l’instar de ce que contrôle le juge supérieur pour les dispositions voisines de l’article R. 612-5-1 ainsi que l’a établi le CE dans une décision CE n° 0421219 du 12 février 2020 voyez pour l’article R.  612-5-2 CAA de Paris n° 019PA01878 du 10 novembre 2020 .

Ce sont ces exigences au nom d’une conduite efficace mais équitable du procès administratif qui vous conduiront a rejeter la requête dirigée contre l’ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Grenoble qui a constaté le désistement d’office de la demande présentée par M X, B…. contre le PC délivré par le maire de Grenoble à la société Y….. Nous comprendrions cependant que vous refusiez de nous suivre et nous exposerons les motifs qui pourraient vous amener à le faire car l’analyse suppose de passer outre une véritable difficulté dans la conduite pratique de la procédure, et nous y reviendrons « last but not least » à la fin de nos propos.

Alors même que par erreur il était indiqué dans la notification de l’ordonnance en cause qu’elle était justiciable d’un pourvoi en cassation, vous êtes bien entendus compétents et vous ne relèverez pas cette première scorie, qui n’est mobilisée au soutien d’aucun moyen et n’a aucunement fait obstacle au déroulement d’un procès équitable qui se poursuit devant vous.

L’affaire est cependant intervenue dans des procédures contraintes en raison de l’intervention du décret n° 02020-1406 du 18 novembre 2020 qui a permis de ne notifier l’ordonnance de rejet du référé qu’au conseil des requérants. Ces derniers engagent un moyen de droit presque uniquement processuel dont on comprend que l’ordonnance postérieure portant désistement d’office est illégale dès lors que la notification de l’ordonnance de référé a fait l’objet d’une notification à l’avocat plutôt qu’aux requérants en application des procédures relatives à l’état d’urgence. Ce moyen ne vous convaincra pas mais il est délicat à écarter et vous pouvez très largement hésiter.

Certes, il ne s’agit aucunement de privilégier une procédure sur une autre, ce qui compte est que les requérant soient avertis du risque de désistement d’office. Comme l’indiquait le CE dans son avis du 12 avril 2018 si le principe du droit au recours n’est pas méconnu c’est que le requérant devrait en tout état de cause, à l’occasion de la notification de la décision du juge des référés, être informé des conséquences d’une absence de confirmation de sa requête aux fins d’annulation. Or ici l’ordonnance a été notifiée au seul conseil. Aux termes du code de justice administrative seul le courrier envoyé aux parties doit être regardé comme le courrier de notification de l’ordonnance. Il est logique que la décision définitive soit communiquée aux partie qui doivent décider ou non de poursuivre l’affaire devant les juridictions supérieures ce qui n’est pas le rôle de leurs conseils. Aussi, selon les articles R. 431-1 et R. 751-3 du code de justice administrative, à la différence de la communication des actes de procédure qui ne sont accomplis qu'à l'égard du mandataire constitué les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause et adressées à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sans préjudice du droit des parties de faire signifier ces décisions par acte d'huissier de justice. Les mandataires ne reçoivent qu’une copie. Ainsi, le point de départ du délai de recours est celui de la notification à la partie et non à son mandataire voyez CE n° 0165164 du 19 janvier 1998, SARL Armement frigorifique Martiniquais. C ’est bien ainsi qu’il est pratiqué en ce qui concerne l’article R.612-5-2 par les différentes Cour administrative d'appel pour les ordonnances de référé voyez CAA de Versailles n° 019VE01941 du 03 octobre 2019 ou encore cité par la requête CAA de Bordeaux n° 020BX00487 du 22 décembre 2020. De fait les dispositions de l’article R. 612-5-2 qui évoquent l’incidence des recours en cassation contre les ordonnance de référé sur la demande de maintien de la requête en annulation devant les premiers juges plaident pour que coïncident le délai de recours contre le référé et le délai de confirmation de la demande.

Si vous entendiez interroger la procédure elle-même vous seriez confrontés à une véritable difficulté juridique. L’ordonnance de référé qui statue au rejet sur les prétentions des requérants est également dans le même temps le point de départ d’un acte de procédure, l’engagement du délai à l’issu duquel interviendra le désistement d’office. Or en application des dispositions voisines relatives au désistement d’office prévu en application de l’article R. 612-5-1 du code de justice administrative il est jugé que les actes de procédure pouvant être accomplis à l’égard des seuls mandataires la lettre adressé au requérant tendant à confirmer que la demande conservait pour lui un intérêt peut et même doit être notifiée au mandataire sans qu'ait d'incidence la circonstance que le tribunal administratif ne se serait pas assuré directement auprès du requérant de l'identité de son nouveau mandataire. Le CE juge ainsi que le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'ordonnance qu'il attaque serait, faute que le courrier lui ait également été personnellement adressé, entachée d'irrégularité voyez CE n° 0417855 du 13 novembre 2019. La communication de l’ordonnance de référé a donc une double qualité et conduirait à ce qu’il existe deux régimes de notification différents sur les désistement d’office, ce qui ne contribue pas à la clarté des procédures. Si en toute rigueur vous devriez emboiter le pas de vos collègues, il vous faudrait assumer cette situation relevant presque d’une logique deux poids, deux mesures.

Mais dans votre affaire les dispositions relatives à la pandémie avaient vocation à s’appliquer à toutes les décisions de justice. Le texte du décret précité du 18 novembre 2020 précité entend déroger largement quoique temporairement aux règles du code de justice administrative en particulier pour la notification des décisions de justice, il ne s’agissait donc pas ici de déroger spécifiquement comme on le prétend à l’application de l’article R. 612-5-2 mais d’appliquer à une situation générale des mesures générales. Le tribunal administratif de Grenoble en faisant application pour notifier les ordonnances en application de l’article R. 12-5-2 des dispositions elles aussi réglementaires applicables à la pandémie et dont l’acception est plus large, n’a donc pas diminué les garanties des requérants au regard des procédures de droit commun qui toutes choses égales par ailleurs se voyaient appliquer le même régime.

S’agissant du moyen tiré de l’inconventionnalité des dispositions relatives au désistement d’office on invoque devant vous la violation de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Vous êtes dans le cadre de procédures qui, en droit interne, relèvent du droit public et dont l’issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé ou la protection de «droits patrimoniaux». Le Conseil d’Etat a déjà jugé que d’autres procédures plus anciennes de désistement d’office ne méconnaissent pas l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales voyez cité par M Dieu, rapporteur public dans ses conclusions sous CE n° 0424293 et 427249 du 3 juillet 2020, CE n° 0136605 du 10 octobre 1997 Comité de sauvegarde de l’environnement de S.

Lorsque dans ces cas, l’accès au juge est restreint par la loi ou dans les faits, la jurisprudence de la Cedh se concentre sur le point de savoir si la restriction touche à la substance du droit et, en particulier, si elle poursuit un but légitime pour examiner s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé voyez par exemple CEDH n° 01398/03 du 14 décembre 2006, M.et autres c. Italie. De la même manière il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un justiciable ne peut être regardé comme ayant renoncé à son droit dans une instance où il n’a pas eu connaissance de l’existence du droit ou de la procédure en question voyez CEDH n° 022493/05 du 27 avril 2017 S c.Lettonie. La CEDH a a déjà eu l’occasion de se prononcer sur les procédures de désistement d’office notamment, mis en œuvre en vertu de l’article R.611-22 du code de justice administrative dans une rédaction antérieure en cas d’absence de production de mémoire complémentaire voyez CEDH, n° 024488/04 du 15 janvier 2009, G. c. France. Elle y indique, même si elle juge que la procédure en l’espèce a violé l’article 6 de la convention, que, selon une jurisprudence constante le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu. Il se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. En l’espèce nous estimons que le principe d’une obligation de maintenir la requête tel qu’il figure à l’article R. 612-5-2 ne méconnait pas l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s’agit simplement d’une demande de confirmation. Si vous vous référez à l’arrêt de la Cour du 15 janvier 2009 vous notez, du reste, que l’acte confirmant le maintien de la requête en annulation après le rejet de la requête en référé ne nécessite aucune formalité particulière et même pas si le requérant ne le souhaite pas quoiqu’il en ait la possibilité d’amplifier ses mémoires initiaux. A fortiori ici où il n’est exigé que la confirmation d’une requête déjà enregistrée puisque cette requête en annulation est une condition de la recevabilité de la procédure de référé. L’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n’est pas davantage méconnu par la prescription d’un délai d’un mois pour confirmer le maintien de la requête en annulation qui n’a rien en lui-même de disproportionné. Vous écarterez donc le moyen.

Nous l’avons vu plus haut, les procédures de désistement d’office sont sévères mais s’attachent non pas à une stratégie processuelle mais au subtil équilibre entre efficacité et équité dans l’accès au juge. Il ne s’agit aucunement ici de stratégie juridictionnelle de la part du juge mais de la simple faculté pour ce dernier de maintenir active l’instruction qu’il dirige seul en procédure administrative. Il est donc seul comptable de son équité et c’est bien pour cela qu’il ne saurait abuser de la procédure de désistement d’office. Il est fait grief ici au tribunal administratif de Grenoble d’avoir rétabli l’information du requérant en assurant une seconde notification de l’ordonnance de référé le 24 décembre 2020 à 10h55 en l’assortissant des mentions régulières concernant les conséquences d’une absence de confirmation dans les délais de la requête au fond. En effet la première notification 7 minutes auparavant n’en portait pas trace. La jurisprudence dont est un exemple est pertinemment citée par la requête semble faire prévaloir la première notification puisqu’une seconde notification qui mentionne explicitement qu’elle ne fait pas courir les délais est sans incidence quoiqu’elle ait entendu corriger l’adresse de notification sur ces derniers liés à une première notification voyez CAA de Versailles n° 012VE00082 du 18 décembre 2012. Mais les requérants ne nous paraissent pas pouvoir se prévaloir d’une décision violant leur droit que la juridiction a rectifié et qui seule nous parait de nature à ouvrir les délais puisqu’elle entend précisément les opposer, ce qui différencie votre cas de celui jugé par la Cour administrative d'appel de Versailles. En effet on ne saurait bénéficier devant vous d’une décision défavorable ne fixant pas de délais ni choisir non plus dans des décisions successives celles qui fait le plus grief.

Quant à la nécessité d’informer que la décision postérieure de même portée remplacerait la décision antérieure implicitement et nécessairement rapportée, elle ne nous parait pas totalement indispensable ; après tout, même dans l’administration une telle pratique est d’usage courant et validé par la juridiction en particulier pour les décisions implicites voyez CE n° 0320950 du 21 mai 2010 Ste Idl. Eu égard à la sévérité du désistement d’office, ce traitement de la procédure par la juridiction de premier ressort est un peu contrariant, mais force est de constater que l’erreur a été rectifiée en quelque minutes, ce qui en tout état de cause témoigne plutôt de la réactivité de vos collègues. Vous écarterez donc le moyen .

Il est vrai que vous pourriez prendre une solution contraire. Après tout, il reste possible d’imaginer même s’ils ne construisent pas clairement leur argumentation sur ce point que les requérants ont été privé de la possibilité de se prévaloir de l’absence de fixation des délais de confirmation par la notification dans le cadre de la transmission de l’ordonnance de référé du risque de désistement d’office. Or l’absence de ces mentions fait obstacle à la mise en œuvre de l’article R. 612-5-2 du code de justice administrative voyez CE n° 0429741 du 4 juillet 2019. Faute de mentionner qu’elle remplaçait la première en y rajoutant des délais, la seconde notification aurait donc porté atteinte au droit des requérants dans cette mesure. Elle aurait troublé le cours de l’instruction dont la conduite nous le rappelons est entre les mains de la juridiction. Or vous avez jugé qu’il appartenait à la juridiction de rectifier des erreurs d’adressage matériel. Tel est le cas même lorsqu’elles sont commises par un requérant lors de l’enregistrement du maintien de sa requête sous le numéro d’une précédente requête en cours de désistement voyez commenté à l’AJDA n° 01/2019 du 14 janvier 2019 p 42 votre arrêt 17LY04255 du 26 novembre 2018. Vous pourriez donc être tentés de juger que lorsque la juridiction à l’inverse induit en erreur le requérant quant à ces obligations elle doit se voir censurée.

Si vous adoptiez cette position, vous ne pourriez que renvoyer au tribunal administratif de Grenoble le jugement de l’affaire après avoir annulé l’ordonnance en question afin qu’il soit prononcé sur le fond de l’affaire. Mais ce n’est pas ce que nous proposons et par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête d’appel.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Notification sur notification ne vaut

Marion Ferrière

Doctorante contractuelle à l'université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.6720

Par une ordonnance du 1er février 2021, le tribunal administratif de Grenoble a donné acte du désistement des requérants sur le fondement de l’article R. 612-5-2 du code de justice administrative. Mais, insatisfaits, les justiciables ont saisi la cour administrative d’appel qui a annulé cette ordonnance aux motifs que la mention de l’article ne figurait pas dans la première notification, et qu’une seconde notification de l’ordonnance était inopposable car de nature à susciter un doute dans l’esprit du requérant.

Si, depuis la loi du 30 juin 2000 et la création du référé-suspension, il appartient au juge d’arrêter le bras de l’administration au moment où elle exécute (J. Rivero, «Le Huron au Palais royal », D. 1962.37), il lui incombe aussi, depuis trois ans, de refermer la porte du prétoire au requérant qui, inerte pendant plus d’un mois, n’aura pas réussi à susciter un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée lors de ce même référé (CJA, art. R. 612-5-2) .

Malgré un accueil réservé de la doctrine et glacial des avocats, l’article R.612-5-2 du CJA a su résister aux griefs qui ont été formulés à son encontre (CE, 3 juil. 2020, n° 0424293, Conseil national des Barreaux et autres, Lebon T. p. 886) . Soutenue par l’argument-fleuve de la « bonne administration de la justice », la « rationalisation » sans cesse plus poussée du contentieux administratif n’a fait que croître depuis une dizaine d’années (M.-C. de Montecler, « Le désistement involontaire, une chausse-trape pour les requérants ? », AJDA 2019, p. 312) . De nombreux modes de désistements d’office jalonnent désormais le procès administratif (en matière d’OQTF en l’absence de mémoire complémentaire annoncé : art. R. 776-12 CJA ; en matière d’action de groupe : art. R. 77-10-3 CJA ; en l’absence de mémoire récapitulatif lorsqu’il est exigé art. R. 611-8-1 CJA ; en l’absence de mémoire complémentaire annoncé devant les TA et CAA : art. R. 612-5 CJA et R. 611-22 CJA devant le Conseil d’Etat) . Bien qu’il pût paraître disproportionné de sanctionner l’atonie du requérant par la fermeture du prétoire, la Cour européenne des Droits de l’Homme a depuis longtemps admis la validité du mécanisme de désistement d’office prononcé par le juge (CEDH 15 janv. 2009, X. c/ France, n° 024488/04, AJDA 2009, p. 547, note B. Pacteau) . C’est dans ce contexte que l’article R. 612-5-2 du CJA, dernier né de cette logique de désengorgement des tribunaux, trouve sa place en droit administratif.

Cette nouvelle disposition, issue de l’article 2 du décret n° 02018-617 du 17 juillet 2018, est au cœur même de l’arrêt de la cour d’administrative d’appel de Lyon du 12 octobre 2021. Celle-ci se trouve saisie d’un recours formé contre une ordonnance de désistement d’office du tribunal administratif de Grenoble, ordonnance notifiée une première fois au requérant en omettant la mention de l’article R. 612-5-2 puis une seconde fois, quelques minutes après, en mentionnant cet article. La question était donc de savoir si le Tribunal pouvait prononcer le désistement d’office d’une partie pour absence de confirmation de la requête au fond, quand bien même la première notification de l’ordonnance des référés ne mentionnait par l’article R. 612-5-2 du CJA. Ainsi, par cet arrêt, la cour a entendu encadrer le champ d’application de ce nouvel article. Pour prononcer l’irrégularité de l’ordonnance elle a retenu le moyen tiré de ce que « la seconde notification d’une décision rendue par une juridiction administrative n’a pas de valeur probante ».

Par cet arrêt, la cour administrative d’appel de Lyon a défini le régime juridique des secondes notifications (I), avant de préciser les contours du nouvel article clivant du CJA (II)

I. Le nouveau régime des doubles notifications

Alors que le juge administratif sait qu’il lui est défendu de faire de son arrêt une loi ou un règlement (M. M., concl. sur CE, 7 déc. 1883, Lebon p. 904 ; art. 5 C. civ) la cour administrative d’appel de Lyon a, par son arrêt, créé une règle générale d’interdiction des secondes notifications (A), règle assortie d’exceptions en cas de signalisation de la dernière (B)

A. Le principe : la prohibition des secondes notifications

La notification des actes de procédure est un point fondamental du droit. Grâce à elle, le principe du contradictoire prend vie sur la scène juridiques (Y. Lobin, « La notification des jugements et ses sanctions », in Mélanges Pierre Raynaud, Dalloz & Sirey, 1985, p. 381) . Partant, son importance se trouve décuplée en matière de désistement d’office, car adressée par la juridiction, cette ordonnance rappelle aux justiciables le caractère obligatoire d'un certain nombre de formalités, ici la confirmation du maintien de la requête, et les conséquences attachées à leur non-respect, ici le désistement d’office. Ainsi, pour être régulière, elle doit être claire, précise et prévenir toute confusion pour son destinataire. Dès lors, une seconde notification, qui intervient après qu’une première ordonnance a été régulièrement notifiée, est par elle-même de nature à jeter le trouble dans l’esprit du requérant. De fait, la cour administrative d’appel a jugé qu’il était préférable d’en supprimer l’efficacité.

Si la maxime bien connue lex posterior derogat priori a imprégné le droit, la cour administrative d’appel en a pris le contrepied en matière de notifications. Pour elle, la notification postérieure n’abroge pas la précédente. Pourtant, on pouvait aisément comprendre les vertus d’un tel adage : « la dernière volonté d'un organe est la plus juste » ; pour cette raison elle doit écraser « la sagesse de la volonté la plus ancienne » (J. Bonnet, A. Roblot-Troizier, « Les adages et le temps », RFDA 2014. 29) . Certes, ici, la seconde notification n’avait pas la prétention d’être plus juste, mais de corriger une omission involontaire, celle de n’avoir pas fait mention de l’article R.612-5-2 du CJA ; oubli qui, au regard de l’alinéa 2 dudit article, fait obstacle à son application. Quand bien même, la cour est formelle, elle ne laisse pas le tribunal se rectifier car « ni le code de justice administrative, ni aucune règle générale de procédure ne prévoient la possibilité pour la juridiction de procéder à une seconde notification à une partie d'une ordonnance qui lui a déjà été notifiée régulièrement ».

On aurait pu croire que la quasi-simultanéité de ces deux notifications – la seconde étant intervenu seulement sept minutes après que la première avait été envoyée – aurait justifié qu’on prît en compte la correction. On pouvait arguer que la vie résiduelle de cette première notification n’était pas de nature à créer une situation juridique stable, immuable et pérenne. Pour la cour, c’est le contraire. Selon elle, comme « ces deux notifications ont été faites de façon quasi simultanée, cette opération [est] de nature [à] induire en erreur le destinataire ».

C’est ainsi que, par cet arrêt, naît une prohibition générale des secondes notifications. Fort heureusement, la dureté de la règle trouve, comme tout axiome juridique, quelques exceptions.

B. L’exception : la signalisation des secondes notifications

Quoi que l’on en pense, la règle est posée : une seconde notification est inopposable au requérant et ne remplace pas la première lorsqu’elle était régulière. Mais la prescription ne pouvait être absolue ; il fallait qu’il y eût au moins une exception. En effet, la cour administrative d’appel a admis l’opposabilité d’une seconde notification si celle-ci se singularisait. Le Conseil d’État avait déjà eu à se prononcer, en fait de délais, sur cette question. Il en avait conclu que l’envoi ultérieur d’une seconde notification est sans incidence sur l’écoulement du délai de recours contentieux (CE, 26 mars 2003, n° 0234593, Sté Elyo, inédit), sauf si cette seconde notification précise qu’elle « annule et remplace » la précédente (CE, 27 oct. 2008, n° 0294914, Communauté de communes de la Tinée) . Au vrai, il semble qu’il y ait parfois un consensus au sein des deux ordres juridictionnels, car cette condition de distinction est aussi exigée par le juge judiciaire (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 019-17.360, au Bull.) . Ainsi, pour les juges judiciaires comme pour les juges administratifs, il est nécessaire de signaler distinctement toute décision juridictionnelle secondaire intervenant postérieurement à une première régulièrement notifiée.

Aussi, prenant le lecteur par la main, la cour administrative d’appel, armée de son style direct, nous explique comment doit se comporter le juge s’il souhaite opposer son ordonnance corrective aux requérants. Pour cela, il doit « mentionner dans l'application Télérecours que la seconde notification comportait une modification dans son contenu et constituait une notification qui annulait et remplaçait la première notification ». Le mode d’emploi des secondes notifications est dressé : si le juge souhaite se corriger, il doit l’annoncer dans le titre. À en croire les juges, les requérants n’ont pas l’idée de prendre connaissance consciencieusement des actes qui leurs sont notifiés. Il faut que le juge passe par le vecteur d’un titre « accrocheur ».

Dès lors que cette règle générale a été posée, il fallait bien que la cour nous renseignât sur son application au regard de l’article R.612-5-2 du CJA.

II. La mise à la connaissance de l’article R. 612-5-2 du CJA

Une fois le régime général de la double notification posé in abstracto, la cour s’attaque à l’encadrement de l’article R.612-5-2 du CJA. Pour être applicable, l’article doit être clairement mis en œuvre par une notification régulière (A) . Mais cette protection avancée peut à certains égards apparaître paradoxale (B).

A. La mise à la connaissance par la notification régulière

L’article R.612-5-2 du CJA, comme toute nouveauté, emporte avec lui son lot d’interrogations, d’inconnues et finalement d’insécurité juridique que les juges lyonnais se sont chargés de réduire. Alors que le pouvoir réglementaire avait fait l’usage de l’impératif « il appartient au requérant de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. À défaut, le requérant est réputé s'être désisté », la cour a considéré que les dispositions de l’article R. 612-5-2 ne définissaient pas une obligation. Cette position tranchée se comprend à la lecture du second alinéa dudit article qui impose aux juges d’informer le requérant du risque de désistement qu’il encourt s’il ne confirme pas le maintien de sa requête au fond dans un délai d’un mois. C’est donc à juste titre que cette protection nichée au sein de cet article peu favorable au requérant a pu être qualifiée par la doctrine de « garde-fou » du contentieux (O. Gohin, F. Poulet, Contentieux administratif, 10e éd., LexisNexis, 2020, p. 417, note 197).

Aussi, la cour précise qu’en « ne comportant aucune mention des dispositions de l'article R.612-5-2 du Code de justice administrative, l'ordonnance en litige ne pouvait être fondée sur ces dispositions. » Cette position était attendue des juges, d’une part en référence à la lettre du texte, mais aussi par analogie aux régimes juridiques d’autres dispositions qui prévoient un désistement d’office. En effet, le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de juger en matière de confirmation que la « notification qui se borne à donner la référence de l’article R.152 [ CJA, art. 612-5] sans citer cet article ni préciser la demande ne peut justifier la mise en œuvre du désistement » (CE, 30 déc. 1998, n° 0165372, Dpt. de l’Aisne, Dpt. de l’Aisne, au Lebon T.) et, en matière de régularisations, que « la seule reproduction des termes de l’article R. 811-7 n’est pas suffisante pour admettre que le requérant a été informé d’une demande de régularisation » (CE, 27 fév. 2006, n° 0269589, Lebon T. p. 1004) . Mutatis mutandis, pour les juges lyonnais, l’article R.612-5-2 du CJA n’étant pas obligatoire, il doit être mentionné afin que le désistement d’office soit régulier. Néanmoins, il convient de se demander si la mention visée par la cour s’apparente à une simple reproduction de ces termes, ou s’il faut entendre par « mention » l’explication en termes clairs et précis du risque de désistement. L’incertitude plane pour les tribunaux, mais au risque de voir son ordonnance irrecevable, il lui est conseillé de ne pas se satisfaire d’une simple mention de l’article ; au contraire, il est préférable d’en préciser le régime et les conséquences qui lui sont attachées.

Ainsi, après avoir protégé le requérant contre l’incertitude des secondes notifications, la cour a accru la protection en prescrivant au juge de mentionner l’article R.612-5-2 du CJA pour prononcer un désistement d’office. Mais cette protection apparaît paradoxale au regard de la finalité de cette nouvelle disposition.

B. Le paradoxe de la protection

Finalement, de cet arrêt ressort la volonté juridictionnelle de protéger le requérant contre une disposition neuve qui lui est de surcroît défavorable. Pour le justiciable, la dangerosité de l’article émerge dès l’instant où il est valablement notifié. Il devient fatal à quiconque le néglige pendant un mois. Dès lors, les juges du fond, pour pallier cette logique de rationalisation du contentieux, tentent d’en fixer strictement les contours. Peut-être si strictement que le régime juridique qui en découle devient excessif.

Exiger la mention d’un article pour s’en prévaloir est la nouvelle conception du savoir juridique. En doctrine, on a pu évoquer la « connaissance-flash » du droit, une connaissance faite de rappels (J. Carbonnier, « La maxime "Nul n'est censé ignorer la loi" en droit français », Journées de la société de législation comparée, 1984, p. 326) . Aujourd’hui, on n’exige plus du requérant, ni même de son conseil, une connaissance encyclopédique du droit : il faut qu’on le lui rappelle pour qu’on puisse le lui appliquer. À bien des égards, ces exigences nous éloignent du caractère classiquement fictionnel de l’adage nemo censetur, pour arriver à une interprétation réaliste de cette maxime. En l’espèce, le juge des référés doit mettre à la connaissance du requérant, en des termes clairs, l’article R.612-5-2 du CJA avant de le lui imposer. Cela devient une question de loyauté : avant de constater le désistement du requérant, il convient de l’en informer. Les juges lyonnais, imbibés de cette nouvelle idée de la connaissance du droit, ont posé une règle attendue et juste par rapport à la ligne juridique actuelle.

Mais la cour est peut-être allée trop loin dans sa logique protectrice. Par cet arrêt, les juges nous informent qu’il n’est plus seulement nécessaire pour le professionnel du droit d’avoir été informé d’une disposition désavantageuse : encore faut-il qu’il l’ait été par une notification unique ou à défaut par le truchement d’un titre accrocheur. Si cette seconde condition n’est pas remplie, l’ignorance demeure « légitime ». En l’espèce, le requérant avait eu connaissance de l’article R.612-5-2 du CJA, mais par une seconde notification : notification qui, pour la Cour, était de nature à faire naître un doute dans l’esprit de son destinataire. On peut se demander si les magistrats lyonnais, en allant si loin dans cette logique protectrice, ne déresponsabiliseraient pas le professionnel du droit négligent. Car le conseil juridique du requérant, bien qu’informé de cette seconde notification par sa réception sur Télérecours, n’était pas obligé d’en tenir compte. On aurait pu pourtant espérer d’une personne raisonnable qu’elle prît connaissance de manière effective de cette seconde notification, fût-elle intitulée de façon identique à la précédente. Mais, la cour, investie de cette volonté de protéger le requérant contre le droit, en vient à libérer l’avocat de son devoir professionnel. Par cet arrêt on prend conscience de la ténuité qu’il y a entre protection et déresponsabilisation.

En 2019, dans une autre affaire, le rapporteur public du Tribunal administratif de Paris avait, dans ses conclusions, proposé « d’écarter l’application de l’article R.612-5-2 en prenant en compte le caractère récent de la procédure » (concl. J.-S. Laval sur CAA Lyon, 3 décembre 2019, n° 019LY01765, AJDA 2020, p. 461) . On peut se demander si en 2021 la cour n’a pas été tentée d’en écarter l’application pour les mêmes raisons, mais en camouflant sa velléité.

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