Une société qui exploitait une maison de retraite médicalisée a fait l’objet d’une vérification de comptabilité. Par la suite, l’administration fiscale a exercé un contrôle sur pièces à l’égard de la requérante, celle-ci ayant occupé la fonction de directrice salariée de cet établissement. Ayant établi que cette dernière avait détourné des sommes au préjudice de son employeur, l’administration fiscale a évalué leur montant d’office conformément au 2° de l’article L. 73 du Livre des procédures fiscales (LPF), les a soumises à l’impôt sur les revenus dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement du 1 de l’article 92 du Code général des impôts (CGI) et a appliqué une majoration de 80 % aux compléments d’impôt sur le revenu et de contributions sociales qui en ont résulté, comme le lui permettent les dispositions du c du 1 de l’article 1728 du CGI. L’intéressée a contesté ces compléments d’imposition ainsi que les pénalités correspondantes devant le Tribunal administratif de Dijon, lequel a refusé d’en prononcer la décharge (T.A. Dijon, 2ème ch., 29 janv. 2019, n° 01702338, C+) . Il convient de préciser que la requérante a par ailleurs fait l’objet d’une procédure pénale et que le juge pénal l’a reconnue coupable des faits d’abus de confiance et d’escroquerie en 2017 (T.G.I. Dijon, 12 janvier 2017) .
La requête présentée à la cour reposait sur trois moyens principaux, dont un ne soulevait pas de réelle difficulté. En premier lieu, la requérante reprochait à l’administration fiscale d’avoir insuffisamment motivé l’acte l’informant des redressements dont elle a fait l’objet, et d’avoir ainsi méconnu les dispositions de l’article L. 57 du LPF, qui garantissent au contribuable que la proposition de rectification soit suffisamment motivée afin qu’il puisse accepter celle-ci en parfaite connaissance de cause ou formuler ses observations. Ces dispositions sont toutefois réservées à la procédure de rectification contradictoire : la requérante, en situation d’évaluation d’office, ne pouvait donc clairement pas en bénéficier. L’évaluation d’office étant en effet une procédure plus sévère à l’égard du contribuable, les garanties bénéficiant à celui-ci sont moindres. Moindres mais pas inexistantes, l’article L. 76 du LPF imposant que ce dernier soit informé, au moins trente jours avant la mise en recouvrement des impositions établies d’office, des bases ou éléments ayant servi à leur calcul ainsi que des modalités de leur détermination, ces exigences ayant été respectées en l’espèce. En second lieu, la requérante reprochait au service, qui avait utilisé son droit de communication auprès d’une banque, du procureur de la République et du juge d’instruction, d’avoir méconnu ses obligations d’information du contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements et documents qu’elle avait ainsi obtenus et sur lesquels elle s’était fondée pour établir l’imposition ayant fait l’objet de la notification prévue par l’article L. 76 du LPF, ainsi que son obligation relative à leur communication. Cette double obligation a d’abord été consacrée par la jurisprudence (V. : C.E., 8 déc. 1968, n° 074520, Dupont 1969 p. 66 ; C.E., 29 juill. 1998, n° 0171541, Lebon T. p. 1089 ; V., en matière d’imposition d’office : C.E., 3 déc. 1990, n° 0103101, S.A. Antipolia, Lebon p. 350) puis a été, à compter du 8 décembre 2005, codifiée sous l’article L. 76 B du LPF (ord. n° 02005-1512 du 7 déc. 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités, J.O. 8 déc. 2005, texte n° 010, art. 25) . La requérante entendait ainsi remettre en cause la procédure d’imposition dans son ensemble, car la violation de l’une ou l’autre de ces garanties, lesquelles sont attachées au respect des droits de la défense (et au-delà, à la loyauté du débat fiscal ; É Mignon, concl. sur C.E., 29 décembre 2000, n° 0209523, Droit fiscal 6 février 2002, n° 06, comm. 110), constitue en principe une erreur substantielle entachant d’irrégularité la procédure suivie ou est susceptible, selon la nouvelle formulation, d’avoir eu une « incidence sur la décision de redressement » en ayant « privé le contribuable d’une garantie » (C.E., Sect., 16 avril 2012, n° 0320912, Lebon p. 149) . La requérante souhaitait ainsi, par voie de conséquence, obtenir la décharge des impositions établies au moyen de l’utilisation des renseignements et des documents obtenus, et bénéficier des dispositions du second alinéa de l’article L. 80 CA du LPF, selon lesquelles le juge doit prononcer la décharge des impositions complémentaires, majorations de droits et intérêts de retard qui ont été établis, lorsque l’erreur commise par le service a eu pour effet de porter atteinte aux droits de la défense. Une telle décharge n’est toutefois pas systématique, la portée d’un défaut de communication, par exemple, dépendant « des effets concrets que celui-ci a pu avoir sur les droits de la défense et sur le caractère contradictoire de la procédure » (C.E., 16 oct. 2013, n° 0339035 , Lebon T. p. 536) .
S’inscrivant globalement dans la jurisprudence traditionnelle en la matière, la cour administrative d’appel de Lyon considéra que le service n’avait pas commis d’erreur (ce qui rendait inopérant le moyen tiré du bénéfice des dispositions de l’article L. 80 CA du LPF), les obligations d’information et de communication n’ayant pas été méconnues en l’espèce. La solution, qui avait été également retenue par les premiers juges, paraît à première vue relativement favorable à l’administration fiscale au regard des exigences classiques en la matière, qu’il s’agisse de l’obligation d’informer (I) ou de communiquer les documents (II) . Il faut néanmoins rendre compte du fait que les données de l’espèce étaient particulières, l’administration fiscale ayant réagi, en situation d’imposition d’office, presque comme elle doit le faire lors de la procédure de rectification contradictoire et l’intéressée, aidée par son conseil, ayant tenté d’en tirer profit de façon abusive.
I. Le service doit informer précisément le contribuable de l’origine et de la teneur des informations obtenues de tiers
Le service ne peut utiliser, pour fonder des impositions complémentaires et des pénalités, des renseignements et des documents qu’il a obtenus de tiers que si leur contenu peut être confirmé par des constatations propres au contribuable, à sa situation, et / ou à ses activités (C.E., 25 nov. 1994, n° 0122656, Lebon T. p. 877 ; V., pour un exemple de décharge de compléments d’impôts fondée sur ce motif : C.A.A. Lyon, 14 oct. 2014, n° 012LY23410) . Par ailleurs, le contribuable doit avoir été préalablement informé de l’origine et de la teneur de ceux-ci, afin de pouvoir en demander le cas échéant la communication pour en vérifier l’authenticité, organiser sa défense et produire ses observations, et cela quelle que soit la procédure qui a été utilisée pour les obtenir (droit de communication, procédure de visite et de saisie de documents, audition menée sur le fondement de l’article L. 10-0 AB du LPF, etc. ; V. : C.E., Avis, 21 déc. 2006, n° 0293749, Lebon T. p. 810) .
Cette obligation est particulièrement étendue, puisqu’elle s’impose à l’administration fiscale quel que soit le contrôle qui a été exercé, et est conservée même, comme c’est le cas en l’espèce, dans le cadre d’une procédure d’imposition d’office. Elle n’est écartée que dans quelques hypothèses, notamment en cas d’opposition à contrôle fiscal (C.E., 6 oct. 2008, n° 0299933, Lebon p. 34 5 ) ou encore lorsque les informations litigieuses sont celles fournies annuellement par des tiers à l’administration fiscale et au contribuable conformément aux dispositions du Code général des impôts (C.E., Avis, 21 déc. 2006, n° 0293749, préc.), ce dernier les ayant donc en principe déjà à sa disposition. L’information et la communication éventuelle doivent impérativement intervenir au plus tard avant la mise en recouvrement des impositions, et ne concernent que les documents et informations que le service a « effectivement utilisés » (C.E., 23 avril 2008, n° 0271853, SA Kraft Foods France, Lebon T. p. 674) .
En pratique, l’administration fiscale satisfait à son obligation d’information lors de la proposition de rectification, dans l’exposé des faits motivant les rehaussements (BOI-CF-PGR-30-10, §270), sans que cela ne constitue toutefois une obligation pour elle. En cas d’imposition d’office, elle y procède en principe au moment de la notification des bases d’imposition évaluées d’office.
En tout état de cause, il lui incombe de préciser soigneusement non seulement l’origine (la procédure qui lui a permis de les obtenir, l’identité du tiers auprès duquel celle-ci a été diligentée, la nature du document supportant l’information ; V. : BOI-CF-PGR-30-10, §280) mais encore la teneur (le contenu des renseignements et documents utilisés ; V. ibidem) des éléments obtenus de tiers, même si ceux-ci ne font que consolider sa position (C.E., 7 nov. 2008, n° 0300662, Lebon T. p. 672) . En revanche, la méconnaissance de l’obligation d’information relative à l’origine de renseignements qui sont nécessairement connus du contribuable ne vicie pas la procédure d’imposition lorsque le service parvient à établir qu’eu égard à leur teneur, ce dernier n’a pas été privé de la garantie à laquelle il a droit (C.E., 21 nov. 2018, n° 0410741, inédit) .
L’exigence de précision est constamment rappelée par le Conseil d’État (V. : C.E., 20 juill. 2017, n° 0288145, Lebon p. 282 ; C.E., 27 nov. 2020, n° 0421409, S.A. Le Dôme, Lebon T. p. 810) . En l’espèce, ainsi que le révèlent les conclusions du rapporteur public qui nous ont aimablement été communiquées, la difficulté ne provenait pas du manque de précision sur l’origine des informations – la proposition de rectification mentionnant bien que l’administration fiscale avait exercé son droit de communication auprès du Procureur de la République, du juge d’instruction ainsi qu’auprès de l’établissement bancaire de la requérante – mais sur leur teneur. S’il n’appartient évidemment pas à l’administration « d’identifier et[de] lister chaque pièce utilisée pour fonder ou corroborer les impositions (C. Vinet,, concl.), l’imprécision des termes utilisés par l’administration fiscale dans la proposition de rectification ainsi que dans un échange écrit ultérieur impliquait, aux yeux du rapporteur public, qu’il y avait matière à douter quant au respect de l’obligation d’information.
En effet, d’une part, la proposition de rectification ne mentionnait que le fait que « la consultation de l’instance correctionnelle avait conforté les éléments recueillis comptabilisés lors de la vérification de comptabilité en pertes exceptionnelles (Confirmation fausses factures fournisseurs détectées par appréhension directe ou indirecte pour vous-même des flux financiers constitués par les montants des factures à régler) » (concl. préc.) ainsi que les éléments recueillis (copie des chèques établis par la requérante) dans l’exercice du droit de communication auprès de l’établissement bancaire de l’intéressée (décision commentée) .
D’autre part, par une correspondance ultérieure datée du 27 mai 2014, le service avait répondu à la lettre du 28 avril de la même année, par laquelle le conseil du contribuable contestait les redressements dans leur principe. Il y rappelait certes que la preuve des comportements sanctionnés avait été établie par la conjonction des résultats de la vérification de comptabilité et du droit de communication, mais la lettre ne mentionnait toutefois explicitement que le fait que « les réquisitions effectuées auprès de l’établissement bancaire] lors de l’enquête préliminaire de la gendarmerie nationale avaient été des éléments recueillis lors de la consultation du dossier pénal, qui avaient permis de confirmer l’encaissement d’un certain nombre de chèques servant à régler de fausses factures » (décision commentée), et que « le droit de communication exercé auprès du juge d’instruction (…) avait permis de recueillir des éléments complémentaires [permettant de corroborer les éléments recueillis lors] des investigations comptables » (concl. préc.).
Le rapporteur public proposa toutefois à la cour, qui l’a suivi, de considérer que la requérante avait été suffisamment informée pour apprécier l’utilité pour elle de demander la communication du dossier pénal avant la mise en recouvrement, et qu’elle n’avait donc pas été privée de la possibilité de discuter les impositions mises à sa charge. La solution apportée au cas d’espèce sur ce premier point ne peut qu’être louée (même si elle paraît à première vue être très favorable au service) dans la mesure où la requérante, aidée de son conseil, a incontestablement fait preuve d’une mauvaise foi qui se poursuit jusqu’au stade contentieux (V. égal. infra) . Elle montre néanmoins que l’administration fiscale doit constamment prendre garde à informer le plus soigneusement et le plus précisément possible le contribuable lorsqu’elle a utilisé des documents et renseignements qu’elle a obtenus de tiers, faute de mettre le recouvrement des impositions en péril.
II. Le contribuable doit formuler explicitement sa demande de communication des informations obtenues de tiers
Pourtant, on ne peut pas vraiment reprocher à l’administration fiscale de s’être contentée, en l’espèce, du strict minimum. Le 1er juillet suivant, le service recevait une nouvelle lettre du conseil de la requérante lui indiquant que les impositions restaient contestées dans leur intégralité pour les motifs développés d’une part dans la lettre du 28 avril et, d’autre part, dans un courrier du 5 juin de la même année écrit de la main du contribuable – courrier présenté par son conseil comme une lettre « d’observations de l’intéressée, en réponse à la proposition de rectification du 31 mars 2014 et en réplique à la réponse aux observations du contribuable du 27 mai 2014 ». On relèvera encore qu’en l’espèce, le contribuable et son conseil tentent de duper le service, et que ce dernier est allé bien au-delà de ce que le Livre des procédures fiscales lui impose en situation d’imposition d’office en répondant, le 27 mai 2014, au contribuable alors qu’il n’y était pas tenu, celui-ci ne bénéficiant pas de la procédure de rectification contradictoire. Ainsi, et d’une part, en aucun cas le courrier du 5 juin ne pouvait être valablement considéré comme des observations à la proposition de rectification au sens des articles L. 48 et L. 57 du LPF. D’autre part, la réponse de l’administration ne pouvait pas davantage être assimilée à une réponse aux observations du contribuable prévue par le 5ème alinéa de ce dernier article. Par ailleurs et pour les mêmes raisons, le service n’avait pas non plus à répondre au courrier du 1er juillet, qui n’avait pour objet que de l’informer du maintien de la contestation des impositions complémentaires.
Le contentieux de l’obligation de communiquer porte traditionnellement sur la nature des documents et renseignements que le service doit transmettre, ainsi que sur les modalités de la communication (V. sur ces questions : A. Barbet, « Droit de communication. – Exercice du droit. – Information du contribuable », JurisClasseur Procédures fiscales, Fasc. 318, 2019, nos 71 et s.) . Point de tout cela en l’espèce : pour espérer remettre en cause les impositions, la requérante faisait valoir que le service n’avait ni pris en compte ni honoré sa demande de communication des informations qu’il avait obtenues de tiers et utilisées, et qu’il avait ainsi méconnu les exigences de l’article L. 76 B du LPF. Deux difficultés se présentaient ici : 1/ la demande pouvait-elle émaner de la requérante, et non de son conseil ? ; 2/ dans l’affirmative, était-elle formulée de façon suffisamment explicite pour que le service se considère comme étant valablement saisi d’une demande de communication, et donc strictement obligé par celle-ci ? En tout état de cause, il convient de préciser qu’il n’appartenait pas au service de communiquer les informations spontanément (art. L. 76 B LPF ; C.E., 3 déc. 1990, n° 0103101, S.A. Antipolia, préc.) .
Sur le premier point, ainsi que l’a relevé le rapporteur public, le courrier de l’avocat que la lettre manuscrite datée du 5 juin accompagnait ne faisait aucunement référence à une quelconque demande de communication, et ne présentait l’écrit de la requérante que comme une lettre d’accompagnement ne contenant que des observations sur les rectifications envisagées. Par ailleurs, le conseil y informait le service qu’il serait son interlocuteur, représentant la requérante souffrant d’importants problèmes psychologiques. Toutefois, l’administration fiscale précise, dans ses commentaires, que « la demande doit être formulée par le contribuable par écrit (y compris par courriel) », et qu’ « elle peut être effectuée sur quelque support que ce soit (sur la réponse à la proposition de rectification, notamment, mais également sur toute lettre séparée » (BOI-CF-PGR-30-10, §310) . Il était donc délicat de considérer que ces éléments relatifs au support et à l’auteur de la demande de communication étaient constitutifs d’une cause d’irrégularité de la demande de communication, et ce d’autant plus que les dispositions du Livre des procédures fiscales ne posent aucune exigence à cet égard.
Sur le second point, le Livre des procédures fiscales n’exige pas davantage que la demande de communication soit expresse et explicite. Ces caractéristiques, parfaitement justifiées au demeurant, apparaissent (uniquement) dans le plan des commentaires administratifs qui y sont consacrés (3 du A du III du BOI-CF-PGR-30-10) . La jurisprudence sur ce point est d’ailleurs loin d’être abondante, et porte la plupart du temps sur le fait que le contribuable reproche à l’administration fiscale de ne pas lui avoir communiqué les documents spontanément (V. p. ex. : C.A.A. Lyon, 26 mars 2015, n° 014LY02869) . On relèvera toutefois un autre arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon, rendu il y a un peu moins d’une dizaine d’années, considérant qu’en n’ayant pas communiqué les factures qu’elle avait utilisées pour fonder les impositions litigieuses, l’administration fiscale n’avait pas méconnu l’obligation de communication posée par l’article L. 76 B du LPF, au motif que le contribuable n’avait pas apporté la preuve de l’envoi de la lettre contenant sa demande de communication, laquelle était rédigée « en des termes au demeurant non explicites » (C.A.A. Lyon, 20 déc. 2012, n° 012LY01391) . Ou encore un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille, considérant que ne saurait constituer une demande explicite de communication, dans les observations produites suite à la notification d’un redressement, la phrase suivante : « nous ne pouvons que regretter n’avoir pas été invité par vos soins en vue de nous exposer vos propositions de redressements au regard des informations que vous semblez détenir sans toutefois nous en faire tenir copie » (C.A.A. Marseille, 3 fév. 2009, n° 006MA00271, S.A. E.A.S. Europe Airlines) . On peut également rapprocher ces décisions d’exigences comparables, lorsque des demandes de communication d’actes administratifs sont faites par des administrés (art. L. 300-1 et s. du Code des relations entre le public et l’administration ; V. not., sous l’empire du Titre 1er de la loi n° 078-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, J.O. 18 juillet 1978, p. 2851 : C.E., 23 déc. 1994, n° 0119083, Cne de Juvignac, inédit) .
Dans la décision commentée, la cour administrative d’appel de Lyon adopte une solution qui peut paraître quelque peu rigoureuse du point de vue du contribuable, en considérant que « dans les circonstances particulières de l’espèce », l’administration fiscale ne pouvait être regardée comme ayant été valablement saisie d’une demande, au sens de l’article L. 76 B du LPF, de transmission des éléments ayant fait l’objet du droit de communication. Les « circonstances particulières » dont il est question tiennent à la forme ainsi qu’au contenu du document contenant la demande de communication. Car effectivement, la requérante avait formulé une telle demande. Seulement, celle-ci était noyée, comme l’a rappelé la cour en reprenant presque mot pour mot la décision rendue en première instance, au beau milieu d’un document quasiment illisible : celui-ci, notamment, comportait de nombreuses pages, supportant elles-mêmes de très nombreuses lignes non aérées, parfois enchevêtrées, et l’écriture, manuscrite, était tantôt heurtée, tantôt indéchiffrable. Ces considérations semblent avoir été retenues par la cour afin de consolider sa motivation, et ne semblent pas pouvoir, à elles seules, justifier un refus de communication, tant elles sont circonstancielles. On peut d’ailleurs établir un parallèle avec l’exigence de précision et d’intelligibilité des recours juridictionnels, qui n’entraîne pas systématiquement l’irrecevabilité des moyens ou des conclusions, le juge s’autorisant à interpréter les écritures des parties lorsque celles-ci sont formulées de façon maladroite ou imprécise (V. sur cette question : C. Meurant, L’interprétation des écritures des parties par le juge administratif français, Paris, L.G.D.J., coll. « Bibliothèque de droit public », tome 309, 2019, nos 160 et s., pp. 98 et s.) .
C’est davantage la présentation du document en question qui, à titre principal, semble avoir emporté la conviction de la cour pour considérer que le moyen n’était pas fondé. En premier lieu, le conseil du contribuable avait présenté, ainsi que cela a été écrit plus haut, la lettre de ce dernier comme ne contenant que des observations sur les redressements, alors même qu’y figurait également la demande de communication. Le service n’ayant ni l’obligation d’en prendre connaissance, ni a fortiori l’obligation d’y répondre, il paraît a priori inconcevable d’exiger de lui qu’il le lise tout de même afin de voir si l’écrit contient d’autres éléments, distincts, susceptibles de l’obliger. Toutefois, en sens contraire, les commentaires administratifs précisent que si, en cas d’imposition d’office, le service n’est pas tenu de répondre aux observations tout de même produites par le contribuable en réponse à la notification prévue par l’article L. 76 du LPF, celles-ci doivent « bien entendu […] être examinées avec attention » et il [doit en être ] tenu compte s'il y a lieu » (BOI-CF-IOR-50-20, §130) . On remarquera par ailleurs qu’il est fort probable que le conseil n’ait lui-même pas lu cette lettre (ou pas dans son intégralité), ce qui pourrait expliquer qu’il l’ait présentée ainsi – à moins qu’il n’ait tenté une stratégie de dissimulation de la demande de communication, afin d’obtenir ultérieurement la décharge des impositions. Cette seconde hypothèse avait été retenue par le tribunal administratif, qui, par une formulation de principe non reprise par la cour, jugea qu’ « un contribuable qui présente une demande dissimulée au sein d’un document sans rapport avec son objet, dans des conditions de nature à égarer la vigilance de l’administration fiscale, ne saurait se prévaloir de la garantie instituée par l’ article L. 76 B du livre des procédures fiscales » (T.A. Dijon, 29 janv. 2019, n° 01702338, préc.) .
En deuxième lieu, cette première considération aurait pu être contredite par l’objet de l’écrit comportant la demande, ou encore par un énoncé apparaissant clairement en son sein. Or, l’écrit de la requérante n’avait aucun objet, n’était pas organisé sous forme de plan et la demande était intercalée entre des « considérations sur le sentiment de toute-puissance et d’autres sur une pathologie médicale ».
En troisième et dernier lieu, les deux premières considérations n’étaient pas contredites par les premières lignes du document, le contribuable indiquant vouloir y « raconter [sa] vie, [son] parcours, [ses] soucis personnels et professionnels » et non pas y développer des considérations de procédure fiscale. Si la solution rendue par la cour administrative d’appel de Lyon peut paraître justifiée, en effet, par les « circonstances de l’espèce », il n’est toutefois pas inconcevable que le Conseil d’État, éventuellement saisi de cette question, adopte une position contraire en considérant que l’administration fiscale est tenue de prendre connaissance des documents qui lui sont transmis et de faire l’effort de les analyser avec soin, quand bien-même le contribuable ne bénéficie pas de la procédure contradictoire, et quand bien même ces documents, notamment lorsqu’ils sont écrits par des personnes souffrant de troubles psychologiques, ne présentent pas la forme souhaitée.