Règlement financier d'un marché public et principe de sécurité juridique

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 21LY00022 – Société Majolane de Construction – 07 octobre 2021 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 21LY00022

Numéro Légifrance : CETATEXT000044178324

Date de la décision : 07 octobre 2021

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Règlement financier d’un marché, Délai de recours contentieux, Délai raisonnable

Rubriques

Marchés et contrats, Actes administratifs

Résumé

Il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d’une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s’il entend obtenir l’annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s’appliquer aux litiges relatifs au règlement financier d’un marché.

La prise en compte de l’objectif de sécurité juridique, qui implique notamment que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée, à défaut de stipulation contractuelle invocable, par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.1 2

01-04-03-07, Actes législatifs et administratifs, Validité des actes administratifs, Violation directe de la règle de droit, Principes généraux du droit, Principes intéressant l'action administrative, Principe de sécurité juridique,

39-05-01, Marchés et contrats administratifs, Règles de procédure spéciales, Recevabilité, Notion de délai raisonnable, Impossibilité d'exercer un recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable (1), Application au règlement financier d’un marché public, Absence en l’absence de stipulations contractuelles sur ce point. (2) (3)

Notes

1 cf CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 0387763  - CE, 17 juin 2019, Centre hospitalier de Vichy, n° 0413097 Retour au texte

2 et comp. CAA Paris, 9 avril 2021, Commune de Dumbea, n° 019PA01935 Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Bertrand Savouré

rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6716

Par un bon de commande signé le 31 mai 2017, la commune de Montluel a confié à la société Majolane de Construction (SOMACO) les travaux de reprise des pavés de la place Carnot, de la rue Neuve et de la rue Notre-Dame-des-Marais, pour un montant de 13 275, 60 euros TTC.

Reprochant à la SOMACO d’avoir eu recours à un sous-traitant sans l’en informer, la commune de Montuel a refusé de procéder au paiement de la facture adressée le 20 juillet 2017.

La SOMACO a alors saisi le tribunal administratif de Lyon qui a rejeté sa requête par un jugement du 5 novembre 2020, au motif, en substance, qu’elle avait été présentée seulement le 29 avril 2019 alors qu’elle admettait connaître la position de la commune au moins depuis le 3 octobre 2017 et qu’elle avait ainsi été introduite au-delà du délai raisonnable d’un an prévu par la jurisprudence CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 0387763 .

Toutefois, le raisonnement suivi par les premiers juges devra d’après nous être censuré.

Rappelons que la jurisprudence CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 0387763  prévoit en substance que dans le cas où est contestée une décision administrative qui ne mentionne pas les voies et délais de recours, le délai de recours n’est certes pas opposable mais en application du principe de sécurité juridique, le recours ne peut néanmoins pas être déposé au-delà d’un délai raisonnable qui est en principe d’un an.

La jurisprudence CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 0387763  ne s’applique certes pas seulement en matière de REP, mais aussi en plein contentieux, notamment aux titres exécutoires (CE, 28 mars 2018, n° 0410552, B).

Néanmoins, il a été jugé que cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi n° 068-1250 du 31 décembre 1968 ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique (CSP) . (CE 17 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy n° 0413097 A).

Nous n’avons aucune hésitation à appliquer cette jurisprudence en matière de responsabilité contractuelle dès lors qu’elle ne prévoit pas d’exception.

Comme le rappelle la rapporteurs publique, Mme Barrois de Sarigny, dans ses conclusions sur cet arrêt : « Lorsque les dispositions du code de justice administrative sur les délais de recours trouvent également à jouer, et peuvent valablement être opposées, une règle de forclusion s’ajoute donc, laquelle peut même remplacer le délai prescription, une fois la décision de l’administration intervenue en mettant fin à toute possibilité d’indemnisation, notamment du fait de votre jurisprudence relative aux décisions confirmatives

Deux bornes sont ainsi posées au droit à réparation d’un préjudice imputable à l’administration. Lorsque celle de ces deux bornes qui repose sur les dispositions du code de justice administrative cède, à défaut pour l’administration d’établir qu’elle a respecté des conditions de notification lui permettant de la faire jouer, nous ne croyons pas fondé que vous ajoutiez de manière prétorienne à la règle de prescription qui elle demeure nouveau délai tel que celui issu de votre jurisprudence CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 0387763 .

La motivation fondamentale de la solution dégagée par votre décision d’assemblée repose sur l’exigence du principe de sécurité juridique et de la stabilité des situations qu’il implique.

(…)

Il n’en est rien lorsqu’il est question de droit à réparation où des règles de prescription trouvent en principe toujours à jouer. La limitation des possibilités de remise en cause de l’acte liant le contentieux apporte seulement une nouvelle garantie à l’administration qui a l’assurance que sa prise de position ne sera pas contestée passé un certain délai. Cette finalité protectrice des deniers publics est louable mais elle ne paraît pas indispensable s’il s’agit d’éviter que l’administration reste sous la menace de demande perpétuelle de réparation. La sécurité juridique n’apparaît dans ces conditions pas menacée au point d’autoriser que vous dégagiez une règle de forclusion applicable sans texte. »

D’ailleurs, l’article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa version applicable à la date à laquelle le tribunal administratif a été saisi, précise : « Les mesures prises pour l'exécution d'un contrat ne constituent pas des décisions au sens du présent article »

En matière de responsabilité contractuelle, dès lors qu’aucune règle issue du CCAG n’est applicable, il convient alors d’appliquer le simple droit commun de la responsabilité, étant précisé que depuis le décret JADE, il faut néanmoins que le contentieux soit lié alors même que nous nous situons en contentieux des travaux publics.

Dès lors que le code de justice administrative ne prévoit aucune règle particulière pour la responsabilité en matière de travaux publics et alors qu’il n’y avait même pas de liaison du contentieux de prévue auparavant, nous ne voyons pas ce qui justifierait une sévérité accrue du juge en cette matière.

Certes, il a été jugé que la jurisprudence CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 0387763  s’applique aux décisions purement pécuniaires (CE 9 mars 2018 Communauté de communes du pays roussillonnais n° 0405355 B) mais, comme l’a rappelé le rapporteur public M. Daumas dans ses conclusions, il s’agissait là de combiner les jurisprudences CE, sect., 2 mai 1959, Ministre des Finances, Lebon, p. 282 et CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 0387763 : « La première de ces jurisprudences repose sur l’idée qu’il n’est pas possible de contourner, en recourant à la voie du contentieux indemnitaire, l’expiration du délai de recours contentieux contre une décision administrative explicite dont l’objet est seulement pécuniaire, lorsque les conclusions indemnitaires n’ont pas d’autre portée que de contester cette décision. Cette forme dégradée d’exception de recours parallèle revient à priver d’objet les délais de prescription en principe applicables aux actions indemnitaires dirigées à l’encontre de l’administration, en faisant jouer, en amont, les délais de forclusion beaucoup plus brefs applicables à la contestation de ses décisions. Mais cette priorité donnée aux délais de recours contentieux apparaît justifiée dès lors qu’il s’agit seulement d’y soumettre des recours qui, en dépit de leur nature indemnitaire, ne peuvent être regardés comme rien d’autre que la contestation d’une décision administrative. (…) peu importe les raisons pour lesquelles une décision administrative explicite dont l’objet est purement pécuniaire est devenue définitive ; si tel est le cas, est irrecevable la demande indemnitaire qui n’a pas d’autre objet que de prétendre remettre en cause ses conséquences. ».

Dans notre espèce, nous ne sommes pas dans le cas d’une décision purement pécuniaire au sens de la jurisprudence précitée mais dans le cas le plus courant qu’il soit de liaison du contentieux dans un contentieux indemnitaire. Il ne s’agit pas d’attaquer un acte administratif unilatéral ayant un objet pécuniaire mais bien de résoudre un plein contentieux indemnitaire. Aucun recours pour excès de pouvoir ne serait d’ailleurs possible contre le refus de régler la somme réclamée par la SOMACO. Il n’est pas contesté qu’il y a eu une décision non formalisée de rejet de la demande de règlement de la somme contractuellement prévue. Nous sommes en présence d’un litige de contentieux indemnitaire en matière contractuelle tout ce qu’il y a de plus basique. Voyez aussi en ce sens CAA Marseille, 21 décembre 2020, n° 018MA00274 – pourvoi en cours n° 0449989.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation pour irrégularité du jugement, au renvoi de l’affaire au tribunal administratif et à ce que la somme de 1000 euros soit accordée à la société au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Czabaj : le siège de la responsabilité contractuelle n’aura pas lieu

Valentin Lamy

Docteur en droit, Chercheur postdoctoral à la Chaire de droit des contrats publics - Équipe de droit public de Lyon (EDPL ; EA 666)

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DOI : 10.35562/alyoda.6717

Après avoir connu une fulgurante propagation, s’être immiscée dans de nombreux contentieux, la règle du délai raisonnable d’un an issue de la jurisprudence Czabaj se heurte à une forteresse qui lui sera difficile de prendre : le plein contentieux indemnitaire. Alors que le Conseil d’État avait déjà écarté l’application de cette jurisprudence aux recours indemnitaires introduits plus d’un an après la notification irrégulière de la décision préalable, estimant que dans cette configuration, la sécurité juridique était assurée par la règle de prescription quadriennale des créances sur les personnes publiques, la cour administrative d’appel de Lyon étend cette solution au plein contentieux indemnitaire de la responsabilité contractuelle.

C’est une expérience éternelle que toute épopée conquérante trouve un jour sur son chemin une forteresse qui lui résiste et la fasse battre en retraite. D’Alexandre à Napoléon, en passant par Hannibal, tous se sont heurtés à cet horizon indépassable qui semble constituer l’apanage de toute conquête. Transposé au contentieux administratif, cette permanence historique trouve une vive actualité dans l’arrêt ici commenté, rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 7 octobre dernier, en tant que celui-ci refuse d’appliquer la jurisprudence Czabaj (CE, Ass., 13 juill. 2016, n° 0387763, Czabaj, Lebon p. 340) au contentieux de la responsabilité contractuelle. Pourtant, rien n’était acquis, le Conseil d’État ne s’étant pas encore prononcé sur la question et le tribunal administratif de Lyon ayant, en première instance, jugé la requête irrecevable pour tardiveté sur le fondement du délai raisonnable Czabaj (TA Lyon, 5 nov. 2020, n° 01903307, SOMACO).

Pour en venir aux faits de l’espèce, la commune de Montluel avait, le 31 mai 2017, passé un marché de travaux avec la SOMACO portant sur la reprise du pavage d’une place pour un montant de 13 275, 60 euros TTC. Au cours de l’exécution des travaux, qui a duré de juin à juillet 2017, la commune a été informée de la participation au chantier d’ouvriers ne dépendant pas de la société. N’ayant agréé aucun sous-traitant, la commune a adressé un courrier à la SOMACO pour contester les conditions d’exécution du marché et contester la demande de paiement qui lui serait formulée. La société a justifié la présence de ces ouvriers par une convention qu’elle avait conclue avec une autre société, emportant mise à disposition de ceux-ci à titre gratuit, ce qui n’a pas emporté la conviction de la commune, laquelle a refusé de régler la facture émise par la SOMACO le 19 juillet 2017. Après une nouvelle demande de paiement, une réunion s’est tenue à la mairie de Montluel le 22 septembre 2017, au cours de laquelle le maire a oralement refusé de payer ladite facture. Par courrier du 3 octobre suivant, la société regrettait la position de la commune et réitérait sa demande de paiement, sans que la commune n’y réponde. D’autres courriers postérieurs sont intervenus, jusqu’à ce que, finalement, la SOMACO n’introduise un recours contentieux devant le tribunal administratif de Lyon que le 29 avril 2019 demandant la condamnation de la commune de Montluel à lui verser la somme due.

Reprenant, quasiment in extenso, le principe posé par la jurisprudence Czabaj – selon lequel le principe de sécurité juridique implique que les décisions individuelles notifiées en méconnaissance des dispositions de l’article R.421-5 du Code de justice administrative qui, en règle générale et sauf circonstances particulières, est d’un an à compter de la notification ou de la connaissance par le destinataire de la décision – le tribunal administratif de Lyon a estimé dans un jugement du 5 novembre 2020 que la requête était tardive car déposée au greffe plus d’un an après la réunion du 22 septembre 2017 au cours de laquelle la décision de rejet avait été formulée par le maire. Il est ici intéressant de noter que le tribunal a appliqué la jurisprudence Czabaj à une décision orale, dont la preuve de la connaissance résidait dans le courrier que la société avait elle-même adressé à la commune quelques jours plus tard et où elle prenait acte de cette décision. Particulièrement rare – du fait de la rareté des décisions orales – cette situation avait déjà donné lieu à un traitement analogue par le même tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 27 sept. 2018, n° 01704087, M. A., Revue ALYODA 2019, n° 02, note X. Mignot).

Mais l’autre intérêt de ce jugement réside dans le fait que le tribunal a appliqué la jurisprudence Czabaj au contentieux de la responsabilité contractuelle, dans un raisonnement contestable. Dans ses conclusions, le rapporteur public (que nous remercions pour l’aimable transmission de ses conclusions) semblait estimer que la décision orale de rejet de la demande indemnitaire était assimilable à une décision purement pécuniaire que contestait la SOMACO et rejetait de ce fait l’application de la jurisprudence Centre hospitalier de Vichy (CE, 17 juin 2019, n° 0413097, Centre hospitalier de Vichy, Lebon p. 214) qui, pour rappel, exclut du plein contentieux indemnitaire le délai raisonnable de l’arrêt Czabaj, la sécurité juridique étant dans cette configuration assurée par la prescription quadriennale des créances sur les personnes publiques. Il prescrivait donc, dans la lignée de la décision du Conseil d’État Communauté de communes du pays roussillonnais (CE, 9 mars 2018,, n° 0405355, Lebon p. 532), le rejet de la requête pour irrecevabilité, le délai raisonnable d’un an étant échu au moment de l’introduction de la requête. Mais curieusement, le tribunal va dans un premier temps estimer – à juste titre – que la requête ne devait pas s’analyser comme une demande en annulation de la décision du maire mais bien comme « tendant uniquement à la condamnation indemnitaire » de la commune, soit un recours de plein contentieux indemnitaire, avant, dans un second temps, de juger la requête irrecevable pour tardiveté, en dépit de la jurisprudence Centre hospitalier de Vichy. Il réussissait ainsi le tour de force de contredire justement son rapporteur public sur la nature du recours dont il était saisi, mais de ne pas appliquer le régime contentieux qui aurait dû en découler.

Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Lyon annulait ce jugement et renvoyait l’affaire au tribunal, une affaire qui a le double mérite de questionner l’application de Czabaj au contentieux de la responsabilité contractuelle (I) pour, finalement, l’écarter (II).

I – Czabaj conquérant : une application à la responsabilité contractuelle questionnée

Le champ d’application de la jurisprudence Czabaj ne cesse de s’étendre, à tel point que la doctrine se pose régulièrement la question : « jusqu’où ira Czabaj ? » (H. Pauliat, « Jusqu’où ira Czabaj ? », JCP A, 2020, n° 049, 2319) . Alors que dans ses conclusions, O. Henrard invitait le Conseil d’État à en limiter son périmètre aux « décisions individuelles » ( « Le délai raisonnable de recours contre une décision individuelle irrégulièrement notifiée », RFDA, 2016, p. 927) et que dans un premier temps, elle n’a été appliquée qu’aux décisions expresses, force est de constater qu’en plus de cinq ans, le délai raisonnable a largement débordé de ce cadre. Il est naturellement inutile ici de dresser un exposé exhaustif du champ d’application en mouvement constant de Czabaj, mais on rappellera tout de même qu’il concerne désormais les décisions implicites (CE, 12 oct. 2020, n° 0429185, Min. de l’agriculture et de l’alimentation, Lebon T. p. 576), les décisions d’espèce devant être notifiées (CE, 25 sept. 2020, n° 0430945, SCI La Chaumière, Lebon T. p. 576), mais encore les titres exécutoires (CE, 16 avril 2019, n° 0422004, Cté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, Lebon T. p. 544) ou bien les conclusions indemnitaires ayant une portée similaire à un recours en annulation d’une décision purement pécuniaire (CE, 9 mars 2018, n° 0405355, Cté de communes du pays roussillonnais, préc.).

La plasticité de ce champ d’application est permise par la nature particulière du délai raisonnable institué par l’arrêt Czabaj, laquelle n’est que peu questionnée par la doctrine (v. toutefois D. Connil, « Czabaj, encore et toujours… ou presque », AJDA 2018, p. 1790), qui considère généralement qu’il s’agit d’un délai de forclusion (S. Hourson, « Czabaj : le délai a ses raisons… », Dr. adm., 2019, n° 01, alerte 1 ; C. Lantero et Y. Livenais, « 2018 : l’année Czabaj », RGD 2018, n° 029955) . Il est vrai que le délai d’un an en porte tous les habits : notamment, il est une règle de recevabilité de la requête, d’ordre public. Mais, si l’on se réfère une nouvelle fois aux conclusions d’O. Henrard sur Czabaj, on constate que celui-ci déniait catégoriquement une telle qualification au délai raisonnable, arguant qu’il serait paradoxal d’opposer une forclusion « dans une configuration où le délai de recours contentieux n’a pas été déclenché » (O. Henrard, op. cit.) et que, par ailleurs, cela aboutirait à la situation unique de deux délais de forclusion superposés. Bien entendu, il ne s’agit ni d’une déchéance, qui ne peut en principe être suspendue contrairement à notre délai Czabaj, ni d’une prescription, qui n’est pas d’ordre public. Il s’agirait donc, toujours selon O. Henrard, d’un « délai raisonnable de procédure », une espèce d’hybride qui, pour le juge, présente tous les avantages de la forclusion – en particulier, comme règle de recevabilité, le non-respect du délai Czabaj peut justifier un rejet de la requête par ordonnance de tri sur le fondement de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative, ce qui a pu être fortement (quoique justement) critiqué par la doctrine (C. Lantero, « Czabaj par ordonnance », JCP-A, 2020, n° 09, 2063 ; O. Mamoudy, « Czabaj : une tardiveté pas comme les autres ! », AJDA, 2020, p. 649) – tout en lui permettant de le moduler en fonction des circonstances et de l’appliquer aux contentieux pour lesquels il l’estimera opportun, l’opportunité se jaugeant en la matière à l’aune de la finalité du délai : la garantie du principe de sécurité juridique, dont on peut estimer qu’elle va ici beaucoup trop loin (V. Haïm, « Délai raisonnable ou déni de justice ? Réflexion sur cinq ans de jurisprudence Czabaj », AJDA, 2021, p. 2143) .

C’est précisément cette incertitude quant au périmètre du délai raisonnable, sa tendance furieusement conquérante, qui a interrogé dans notre affaire l’inclusion dans ce périmètre du contentieux de la responsabilité contractuelle. Il faut dire que le contrat est presque une terra incognita pour Czabaj, qui ne trouve guère de prise pour s’y accrocher. En effet, en ce qui concerne le contentieux des référés, si une juridiction du fond avait admis que le délai raisonnable d’un an pouvait s’appliquer en matière de référé-précontractuel (TA Réunion, 10 mai 2017, n° 01700293, Sté Études Créations et Informatique), le Conseil d’État a catégoriquement refusé pareille application, estimant que l’impossibilité de former un tel recours une fois le contrat signé suffisait à garantir la sécurité juridique, en particulier la stabilité des contrats (CE, 12 juill. 2017, n° 0410832, Sté Études Créations et Informatique, inédit) . Pour ce qui est du contentieux de la validité des contrats administratifs, il convient de distinguer. Concernant les parties, ce recours est ouvert durant toute la durée du contrat (CE, Sect., 1er juil. 2019, n° 0412243, Assoc. pour le musée des îles Saint-Pierre-et-Miquelon, Lebon p. 269) et le délai raisonnable d’un an n’a évidemment pas de prise ici. Ce n’est que concernant les tiers que le recours est enfermé dans un délai de deux mois suivant les mesures de publicités (CE, Ass., 4 avril 2014, n° 0358994, Dpt. de Tarn-et-Garonne, n° 0358994, Lebon p. 70 ; GAJA n° 0110) . Ici, bien que le Conseil d’État ne se soit pas encore prononcé sur la question, on pressent que la jurisprudence Czabaj pourrait s’immiscer, ce qu’elle a déjà fait devant certaines juridictions du fond (TA Lille, 15 oct. 2019, n° 01706673, Sté Berobe) . Enfin, se pose la question de l’applicabilité du délai raisonnable d’un an au contentieux de l’exécution. Sur les multiples possibilités existantes (recours « Béziers II », recours Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche…), le contentieux de la responsabilité contractuelle est, à notre connaissance, le seul pour lequel la question se soit posée, dans notre affaire et dans une autre, récemment jugée par la cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 17 mai 2021, n° 019MA03353, Sté Suez Eau France) . Et il est vrai que – sans aller jusqu’à dire que « rien ne semblait donc exclure de ce régime un litige né d’une décision préalable » (J. Dietenhoeffer, « Inapplicabilité de la jurisprudence Czabaj au contentieux de l’exécution contractuelle », CMP, 2021, n° 012, n° 0358) rejetant la demande d’indemnisation du cocontractant – des arguments pouvaient être avancés pour l’application de Czabaj à ce contentieux particulier. Mais aucun ne nous semble résister à l’analyse et c’est, à notre avis, à raison que les juges d’appel lyonnais ont censuré le jugement de première instance et endigué la déferlante Czabaj s’agissant du contentieux de la responsabilité contractuelle.

II – Czabaj subsidiaire : une application à la responsabilité contractuelle écartée

Après avoir, à son tour, rappelé la règle issue de la jurisprudence Czabaj, la cour administrative de Lyon juge que « cette règle ne trouve pas à s’appliquer aux litiges relatifs au règlement financier d'un marché. La prise en compte de l’objectif de sécurité juridique, qui implique notamment que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps, est alors assurée, à défaut de stipulation contractuelle invoquée par les parties, par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics ». Ce faisant, elle censure le jugement du tribunal administratif et abonde dans le sens de la cour administrative d’appel de Marseille, qui quelques mois plus tôt avait jugé dans le même sens dans l’arrêt précité.

En réalité, pour envisager l’application de Czabaj au contentieux de la responsabilité contractuelle, il faudrait estimer que la décision de rejet d’une demande de paiement formulée dans le cadre de l’exécution d’un marché public fût une décision purement pécuniaire et que le cocontractant saisissant le juge n’eût d’autre prétention que l’annulation de cette décision. Une telle qualification permettrait alors d’appliquer à la requête les règles de recevabilité prévalant en contentieux objectif, ceci afin d’éviter que le requérant ne surmonte une éventuelle irrecevabilité en plaçant le débat sur le terrain du contentieux indemnitaire, dans la logique de la jurisprudence Lafon (CE, Sect., 2 mai 1959, Lebon p. 282) . Tel est le raisonnement suivi par le rapporteur public en première instance, mais qui doit être rejeté. On le sait, la distinction entre le recours en annulation d’une décision pécuniaire et le recours en responsabilité est particulièrement délicate et suppose bien souvent de la part du juge un effort supplémentaire d’interprétation des écritures des parties, à plus forte raison depuis l’arrêt Lafage (CE, 8 mars 1912, Lafage, Lebon p. 348 ; GAJA n° 021) . Et M. Hauriou ne s’y trompait pas lorsqu’il écrivait dans sa note sous cet arrêt : « c’est une difficulté qui n’est pas nouvelle, et qui, sans doute, ne recevra jamais une solution logique tout à fait satisfaisante » ( « La distinction du recours pour excès de pouvoir et du recours contentieux ordinaire selon les points de vue de la décision exécutoire et de l’opération d’exécution », S. 1913, 3, p. 7) . Mais en l’espèce – et rien ne nous semble faire obstacle à ce que l’on puisse étendre la remarque à l’ensemble des demandes indemnitaires fondées sur un manquement contractuel – et comme le souligne le rapporteur public « il ne s’agit pas d’attaquer un acte administratif unilatéral ayant un objet pécuniaire mais bien de résoudre un plein contentieux indemnitaire » (B. Savouré, concl. sur cet arrêt) . Il faut ajouter que la logique de la jurisprudence Lafon, qui est la même à l’œuvre dans l’arrêt Communautés de communes du pays roussillonnais, est très largement inspirée de l’exception du recours parallèle. Or, aucun recours pour excès de pouvoir ne pourrait être recevable contre la décision ici contestée qui n’est que la réponse de l’administration à une demande de paiement liant le contentieux.

Du reste, la nature même de la responsabilité contractuelle nous semble faire obstacle à la réception d’une logique Czabaj en la matière. Il convient de rappeler qu’au fond, l’action en responsabilité contractuelle n’a vocation qu’à conférer au cocontractant victime d’une inexécution une somme d’argent dont la nature n’est finalement qu’une exécution par compensation du contrat et donc la restitution à un créancier de son dû contractuel. Dès lors, le contenu pécuniaire de la décision de rejet de la demande de paiement n’est finalement que l’ombre portée de la créance contractuelle et ne saurait être considéré dans son autonomie.

Par conséquent, le recours tendant à l’octroi d’une indemnité du fait d’une inexécution du contrat administratif par une personne publique, quand bien même il se fonde, comme tout recours contentieux indemnitaire depuis le décret JADE, sur une décision préalable, ne peut pas être qualifié de recours contre une décision purement pécuniaire. Il ne peut être qu’un recours visant à l’obtention d’une somme d’argent sur le fondement d’une créance contractuelle. En ce sens, il entre naturellement dans le champ d’application du délai de prescription quadriennale des créances sur les personnes publiques, lequel, pour le Conseil d’État, est suffisant à assurer le respect du principe de sécurité juridique (CE, 17 juin 2019, n° 0413097, Centre hospitalier de Vichy, préc.), ce qui confirme encore le caractère profondément subsidiaire de la jurisprudence Czabaj.

Une observation, pour terminer : en ce qui concerne, comme en l’espèce, les marchés publics de travaux, cette solution ne trouvera qu’une application limitée car rares sont de tels marchés qui ne soient pas soumis aux stipulations des CCAG, lesquelles prévoient des règles particulières de règlement des différends (art. 55 du CCAG travaux) .

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