OQTF juge compétent pour examiner la contestation, par un étranger placé en détention, d’une décision de remise

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Décision de justice

CAA Lyon, 7ème chambre – N° 20LY02914 – préfet de l’Ain c/ M. X. – 03 juin 2021 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 20LY02914

Numéro Légifrance : CETATEXT000043639610

Date de la décision : 03 juin 2021

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

OQTF, Décision de remise, Substitution de base légale

Rubriques

Etrangers, Procédure

Résumé

Cet arrêt rappelle à l’administration que, pour faire une substitution de base légale, et appliquer la jurisprudence du CE Section, n° 240560 du 6 février 2004, le texte de substitution ne doit pas aboutir à modifier la décision en litige notamment quant à son objet et à ses effets.

Tel est le cas de l’éloignement d’un ressortissant de l’UE fondé, à tort, sur les dispositions de l’article L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile organisant l’éloignement d’un ressortissant étranger à l’UE mais porteur d’un titre délivré par un Etat de l’UE. Cette disposition impose son renvoi à destination de l’Etat membre ou de l’Etat associé qui a délivré le titre (c’est une décision de « remise aux autorités » comparable aux décisions de remise dans le cadre du règlement Dublin), alors que la disposition qu’il était demandé au  tribunal administratif d’appliquer par voie de substitution n’impose aucune destination puisque  les dispositions visées de l’article L. 511-3-1 du même code permettent d’obliger à quitter le territoire français un ressortissant d’un Etat de l’Union européenne, sans destination déterminée (comme toute obligation de quitter le territoire français) .

Le tribunal administratif avait refusé la substitution en appliquant la jurisprudence CE, Section N° 240560 - 6 février 2004 (non équivalence des garanties, sans s’en expliquer) . La Cour ordonne le rejet au motif que la substitution demandée par le préfet de l’Ain aurait nécessairement pour effet de modifier, non pas la base légale de l’arrêté de remise litigieux, mais l’objet même de l’arrêté et ses effets.

Si le juge de l’excès de pouvoir, lorsqu’il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d’appréciation, sur le fondement d’un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l’intéressé ait disposé des garanties dont est  assortie l’application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée, c’est à la condition qu’une fois assise sur la disposition légalement applicable, la décision en litige ne s’en trouve pas modifiée, notamment quant à son objet et à ses effets.

Les dispositions précitées de l’article L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et   du droit d’asile, au visa duquel le préfet de l’Ain a pris l’arrêté litigieux du 31 juillet 2020, permettent de remettre  le  ressortissant  d’un  Etat  non  membre  de  l’Union  européenne, ou  de la Confédération suisse, à  destination  de  l’Etat  de  l’Union  qui  a  admis  ce  ressortissant  au séjour (ou de la Suisse, si elle a délivré le titre de séjour valant autorisation de circuler), tandis que l’article L. 511-3-1 du même code, que le préfet demande de substituer comme fondement de son arrêté, permet d’obliger à quitter le territoire français le ressortissant d’un Etat de l’Union européenne (ou de la Confédération suisse) sans assignation de destination, celui-ci demeurant libre de séjourner ailleurs qu’en France en vertu du principe de libre circulation prévalant dans les limites du territoire de l’Union et des Etats qui lui sont associés. Par suite, la substitution demandée par le préfet de l’Ain aurait nécessairement pour effet de modifier, non pas la base légale de l’arrêté de remise litigieux, mais l’objet même de l’arrêté et ses effets, en substituant à la décision de remise de M. X. aux autorités suisses prise initialement une décision l’obligeant à quitter le territoire français sans destination déterminée. Dans ces conditions, la substitution de base légale sollicitée par le préfet ne saurait être effectuée.

La procédure prévue au III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) est applicable, à l'égard des décisions mentionnées par ce III, quelle que soit la mesure d'éloignement, autre qu'un arrêté d'expulsion, en cas de placement en détention. 1. Cf., CE, section, 13 décembre 2013, n° 367533, p. 364.

Cet arrêt tranche également la question du juge compétent pour examiner la contestation, par un étranger alors placé en détention, d’une décision de remise prise sur le fondement de l’article L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Le préfet de l’Ain contestait, en effet, la compétence du magistrat désigné. Le Conseil d’Etat avait jugé, par la décision de section du 13 décembre 2013, n° 0367533, p. 364, que dans le cas où un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne est placé en rétention en vue de sa remise, en  application de l'article L. 531-1 du CESEDA, aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, il appartient au président du tribunal administratif ou au magistrat qu'il délègue de statuer, selon les dispositions du III de l'article L. 512-1 du même code, sur les conclusions dirigées contre la décision aux fins de remise, notifiée à l'intéressé en même temps que la mesure de placement en rétention. Toutefois, cette solution, qui paraissait limiter la compétence du magistrat désigné aux seuls cas de rétention ou d’assignation à résidence, reposait notamment sur les dispositions de l’article R. 776-1 du code de justice administrative qui, dans leur rédaction alors applicable, ne renvoyaient à l’article L. 512-1 du code  de  l’entrée  et  du  séjour  des  étrangers  et  du  droit  d’asile  qu’en  cas  de  rétention  ou d’assignation à résidence, alors que, dans sa rédaction actuelle, le renvoi est fait également en cas de détention.

L’article R. 776-1 du code de justice administrative énumère les décisions susceptibles d’être contestées selon les dispositions de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En vertu de cet article cette liste comprend les décisions portant obligation de quitter le territoire français ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les précédentes, celles relatives au délai de départ volontaire, les interdictions de retour sur le territoire français, les décisions fixant le pays de renvoi, les décisions d’assignation à résidence, ainsi que les autres mesures d’éloignement prévues au livre V du code, y compris la décision par laquelle l’étranger non ressortissant de l’Union européenne est remis aux autorités compétentes de l’Etat membre qui l’a admis à séjourner sur son territoire, à l’exception des arrêtés d’expulsion, lorsqu’elles sont présentées en cas de placement en rétention administrative, en cas de détention (depuis la version de cet article applicable à compter du 1er novembre 2016) ou dans le cadre d'une requête dirigée contre la décision d'assignation à résidence prise au titre de cette mesure.

Ainsi, dans le cas où un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne est placé en détention lors de sa remise, en application de l'article L. 531-1 du CESEDA, aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, il appartient au président du tribunal administratif ou au magistrat qu'il délègue de statuer, selon les dispositions du III de l'article L. 512-1 du même code, sur les conclusions dirigées contre la décision aux fins de remise, notifiée à l'intéressé alors qu’il se trouvait en détention.

M. X. a contesté devant le tribunal administratif de Lyon, l’arrêté du 31 juillet 2020 par lequel le préfet de l’Ain a décidé sa remise aux autorités suisses et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée d’un an, la décision de remise à ces autorités ayant été prise sur le fondement de l’article L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, alors qu’il se trouvait placé en détention. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient le préfet de l’Ain, la demande de ce dernier relevait de la procédure spéciale de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et que le jugement, rendu par le magistrat que le président du tribunal administratif de Lyon avait délégué pour statuer sur les demandes relevant de cette procédure, n’était pas irrégulier.

335-01-01, Séjour des étrangers, Communautés européennes et Union européenne. Règles applicables, Contrôle aux frontières, asile et immigration, Circulation et séjour des ressortissants de pays tiers à l’intérieur de l’Union, Procédure de remise aux Etats membres de l'Union européenne (UE) ou parties à la convention de Schengen, Article L. 531-1 et suivants du CESEDA, Étrangers, Obligation de quitter le territoire français, OQTF, Règles de procédure contentieuse spéciales, Faculté de procéder à substitution de base légale

17-05-01, Compétence. Compétence à l'intérieur de la juridiction administrative. Compétence en premier ressort des tribunaux administratifs. Compétence du magistrat statuant seul en vertu du III de l'article L. 512-1 du CESEDA - 1) Champ d'application - Placement en détention d’un étranger faisant l’objet d'une décision de réadmission dans un autre Etat membre de l'Union européenne - Inclusion (1)

Quand l’erreur de l’administration profite exceptionnellement à l’étranger détenu soumis à OQTF

Leana Clerc

étudiante en Master 1 Droit public fondamental à l’Université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.8481

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 3 juin 2021 donne au juge de l’excès de pouvoir la compétence de statuer, en urgence et en formation de juge unique, sur la contestation d’une décision de remise d’un étranger placé en détention, tout en rappelant qu’une substitution de base légale ne doit pas avoir pour conséquence de modifier l’objet même de la mesure d’éloignement et ses effets.

« Alors même qu’il représente un nombre de litiges relativement limité, le contentieux de l’éloignement des étrangers détenus illustre les différentes difficultés que pose l’état actuel du droit et de la pratique administrative du contentieux des étrangers. » (Conseil d’État, « Vingt propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous », Étude à la demande du Premier ministre, 9 octobre 2020, p. 34). Précisément, l’édification progressive de ce contentieux peut contrarier l’action de l’administration préfectorale en la matière. Cette instabilité se révèle à double tranchant pour les étrangers détenus, comme en témoigne l’arrêt commenté, rendu le 3 juin 2021 par la cour administrative d’appel de Lyon. En l’occurrence, si une confusion faite par la préfecture peut être favorable, la détermination du juge compétent s’inscrit toutefois dans la lignée d’un phénomène de rationalisation de la procédure contentieuse.

Le 31 juillet 2020, le préfet de l’Ain ordonna, dans le cadre d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai, la remise de M. X., ressortissant portugais, aux autorités suisses et lui interdit également de circuler sur le territoire français pour une durée d’un an. Se trouvant alors en détention, M. X demanda l’annulation de cet arrêté préfectoral, ce à quoi le tribunal administratif de Lyon fit droit par un jugement du 18 septembre 2020. Ce faisant, le préfet de l’Ain saisit la cour administrative d’appel de Lyon d’une demande de sursis à exécution du jugement et d’une demande aux fins d’annulation de ce même jugement. D’une part, il estimait que le tribunal administratif n’était pas compétent pour statuer en formation de juge unique sur la décision de remise, notifiée à M. X en même temps que sa mesure de placement en détention. D’autre part, il contestait le refus de substitution de base légale que le magistrat n’aurait pas assez motivé. Les moyens soulevés amenaient donc la cour à se prononcer sur les effets de la substitution sollicitée par le préfet ainsi que sur la régularité du jugement au regard de la procédure spéciale suivie par le magistrat.

Cette décision est empreinte d’enjeux contentieux aussi bien concernant les limites des prérogatives du juge de l’excès de pouvoir que l’étendue de sa compétence. Partant, elle permet à la juridiction lyonnaise, non seulement d’appliquer les nouvelles dispositions du code de justice administrative relatives au juge compétent pour statuer sur la légalité d’une décision de remise d’un étranger placé en détention (1), mais également de rappeler les conditions du recours à la substitution de base légale définies par une jurisprudence établie (2).

1. La contestation de la décision de remise : ni collégialité, ni « JLD » pour l’étranger placé en détention

De manière originale, la cour administrative d’appel de Lyon profite de la confusion juridique de l’administration, raison de sa demande de substitution de base légale, pour transposer une jurisprudence du Conseil d’État au cas d’un ressortissant étranger placé en détention. En l’espèce, le préfet de l’Ain estime que le jugement par lequel le tribunal administratif a annulé la mesure d’éloignement est irrégulier dans la mesure où il n’a pas respecté le principe de collégialité consacré à l’article L. 3 du code de justice administrative. Cependant, en reprenant le raisonnement en deux temps d’un arrêt du Conseil d’État (CE, Sect., 13 décembre 2013, M. B., n° 367533, au Lebon), la juridiction administrative lyonnaise rejette la requête de l’administration.

Tout d’abord, la cour relève qu’à l’étude des dispositions du III de l’ancien article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « le législateur a entendu organiser une procédure spéciale afin que le juge administratif statue rapidement sur la légalité des mesures relatives à l’éloignement des étrangers [...] lorsque ces derniers sont placés en [...] en détention [...] ». Sur ce point, le Conseil d’État avait déjà estimé, dans son arrêt de 2013, que « cette procédure spéciale [...] correspond au souhait du législateur d'assurer, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen dans de brefs délais de la légalité de ces mesures par le juge administratif avant la saisine du juge judiciaire en cas de prolongation de la rétention administrative. » Cet objectif de célérité se révèle donc transposable à la situation d’un étranger détenu. Par cette « procédure spéciale », il semble que le législateur veuille améliorer l’échange d’informations entre le juge judiciaire et le juge administratif. En effet, si le juge de l’excès de pouvoir est compétent pour examiner la contestation d’une décision de remise par un étranger placé en détention, le juge des libertés et de la détention (JLD) demeure compétent pour apprécier la légalité dudit placement en vertu de l’article 66 de la Constitution. Toutefois, comme le souligne Élise Untermaier-Kerléo, « en droit des étrangers, la compétence du juge judiciaire est marginale, les compétences des deux ordres de juridictions s'en trouvent enchevêtrées et, au final, aucun des deux juges n'est à même d'exercer un contrôle efficace. » (Untermaier-Kerléo (E.), « Le juge judiciaire : quel gardien de la liberté individuelle ? », in Le juge judiciaire, Dalloz, 2016, p. 24).

En outre, la cour affirme que cette procédure « est applicable quelle que soit la mesure d’éloignement, autre qu’un arrêté d'expulsion », non plus uniquement « en vue de l’exécution de laquelle le placement en rétention ou l’assignation à résidence ont été pris (...) », comme l’a jugé le Conseil d’État, mais aussi « en cas de placement en détention ». La solution du Conseil d’État limitait la compétence du magistrat désigné aux seuls cas de rétention ou d’assignation à résidence. Néanmoins, celle-ci reposait sur l’article R. 776-1 du code de justice administrative qui énumère les décisions pouvant être contestées, par l’étranger soumis à une OQTF, selon les dispositions de l’ancien article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Dans son ancienne rédaction, alors applicable, il ne renvoyait à ce dernier article qu’en cas de rétention ou d’assignation à résidence. Désormais, le renvoi est également fait en cas de détention. La juridiction lyonnaise conclut donc que, « dans le cas où un étranger est placé en détention à la date de sa remise aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire en application de l’article L. 531-1, il appartient au président du tribunal administratif ou au magistrat qu’il délègue de statuer, selon les dispositions du III de l’article L. 512-1, sur les conclusions dirigées contre la décision aux fins de réadmission, notifiée à l’intéressé alors qu’il se trouvait en détention » et justifie ainsi l’absence de collégialité reprochée par le préfet de l’Ain.

En somme, la procédure d’urgence, par laquelle le juge de l’excès de pouvoir statue seul sur la contestation d’une OQTF sans délai, est étendue au cas où le ressortissant étranger concerné est placé en détention. Cela n’a rien d’étonnant au regard des principes habituellement appliqués en droit des étrangers. De fait, comme le relève la Professeure Danièle Lochak, « le contentieux des étrangers est devenu un contentieux de masse : l’objectif est donc de trouver des recettes pour éviter au juge administratif de succomber sous le flux des requêtes. [...] On assiste en effet à la multiplication de règles dérogatoires, moins protectrices que celles du « droit commun » : délais de saisine raccourcis, procédures accélérées, abandon de la collégialité, appel non suspensif... » (Lochak (D.), « Qualité de la justice administrative et contentieux des étrangers », Revue française d'administration publique, vol. 159, no. 3, 2016, p. 701). Si cette procédure spéciale et dérogatoire au droit commun s’est avérée, en l’occurrence, profitable au ressortissant étranger à la faveur de l’erreur de droit commise par le préfet, il est difficile d’admettre que tel sera le cas de manière générale.

Pourtant, dans avis contentieux du 6 novembre 2019 (CE, 6ème - 5ème chambres réunies, 6 novembre 2019, n° 431585, au Lebon T.), le Conseil d’État s’était prononcé différemment sur la question de savoir quelle formation de jugement est compétente lorsque le préfet fonde son OQTF sur une base légale relevant de la formation collégiale et que doit lui être substituée une base légale relevant du juge unique. Ainsi, la juridiction administrative avait répondu que lorsque ladite substitution est possible, la formation collégiale peut y procéder directement mais que si elle ne l’est pas, le juge unique doit renvoyer l’affaire à une formation collégiale. La CAA de Lyon n’applique donc pas cet avis, contrairement à ce qu’elle avait fait dans un arrêt récent (CAA Lyon, 1ère chambre, 11 février 2020, Mme G., n° 19LY02215, inédit) et semble faire fi de l’appel du Conseil d’État « au respect du principe de la collégialité en matière de contentieux des étrangers, particulièrement important au regard de la complexité des affaires entendues et de leurs enjeux » (Mesnard de (A.), « Recours contre une OQTF en cas de substitution de base légale : compétence du juge unique ? », Alyoda 2020, n° 3).

Cet élargissement de la compétence du juge de l’excès de pouvoir par la cour a dès lors été rendue possible grâce à l’utilisation erronée, par le préfet, de l’ancien article L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, par lequel devait s’appliquer la décision de remise aux autorités suisses. L’erreur de l’administration permet également à la cour de rappeler les conditions de recours à la substitution de base légale.

2. La disparition de la mention du pays de destination, obstacle à la substitution de base légale

Dans le présent arrêt, le préfet de l’Ain a pris la mesure d’éloignement sur le fondement de l’ancien article L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, portant sur les étrangers qui, bien que non-ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, sont titulaires d’un titre de séjour délivré par l’un de ses États membres. Or, M. X est de nationalité portugaise, et, par suite, ressortissant d’un État de l’Union européenne. Ce faisant, le préfet souhaitait substituer à cette disposition l’ancien article L. 511-3-1 du même code (nouveaux articles L. 251-1, L. 251-3, L. 251-7 et L. 261-1), applicable aux ressortissants communautaires.

En effet, le recours à la substitution de base légale, consacré par une jurisprudence bien établie du Conseil d’État (CE, Sect., 3 décembre 2003, Préfet de Seine-Maritime c/ M. El Bahi, n° 240267, au Lebon), permet à l’administration de proposer au juge de l’excès de pouvoir d’appliquer un autre texte que celui sur lequel elle s’est initialement fondée pour motiver la décision contestée. Pour ce faire, le juge doit vérifier que cette disposition de substitution est de nature à fonder légalement la décision et que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce texte. De surcroît, il ne peut y procéder que si le requérant a disposé des garanties dont est assortie l’application de la disposition de substitution.

Toutefois, la cour administrative d’appel de Lyon rappelle également que, pour faire l’objet d’une telle substitution de base légale, la décision en litige ne doit pas s’en trouver modifiée, notamment quant à son objet et à ses effets. En l’occurrence, alors que la première disposition utilisée par le préfet impose le renvoi du ressortissant étranger à destination de l’État membre qui a délivré le titre, celle que le préfet souhaitait que le tribunal applique par substitution oblige le ressortissant à quitter le territoire français, sans destination déterminée. Le ressortissant demeure ainsi libre de circuler et de séjourner ailleurs qu’en France, mais dans les limites du territoire de l’Union européenne, conformément au principe de libre circulation des personnes. Par conséquent, aussi bien le tribunal administratif que la cour administrative d’appel ont refusé cette substitution qui « aurait nécessairement pour effet de modifier, non pas la base légale de l’arrêté de remise litigieux, mais l’objet même de l’arrêté et ses effets ». D’ailleurs, ces éléments avaient déjà été précisés dans l’ordonnance rendue le 20 novembre 2020 par la même juridiction (CAA Lyon, ord., 7e chambre, 20 novembre 2020, n° 20LY02913) sur la demande de sursis à exécution déposée par le préfet de l’Ain. La CAA de Lyon indiquait alors, pour rejeter le sursis, que « la substitution demandée par le préfet de l'Ain aurait nécessairement pour effet de modifier, non pas la base légale de l'arrêté litigieux mais les prescriptions mêmes de l'arrêté et [...] le tribunal ne pouvait que refuser d'y faire droit quand bien même s'est-il référé, sans motivation, à la privation d'une garantie ouverte à M. X. » Précisément, la mesure d’éloignement prise par le préfet ne serait alors plus la même.

Par ailleurs, et malgré une similitude avec l’arrêt étudié, la juridiction lyonnaise ne fait aucune allusion à sa jurisprudence récente par laquelle elle a appliqué l’avis contentieux du Conseil d’État précité (CE, 6ème - 5ème chambres réunies, 6 novembre 2019, n° 431585, au Lebon T.) en imposant de renvoyer l’examen de la substitution de base légale à la formation collégiale lorsque le tribunal administratif est saisi, en formation de juge unique, d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’une OQTF (CAA Lyon, 1ère chambre, 11 février 2020, Mme G., n° 19LY02215, inédit). En l’espèce, la requérante, de nationalité arménienne, fit l’objet d’une OQTF sans délai avec mention du pays de destination et interdiction de retourner en France pendant six mois. La requérante saisit alors la CAA de Lyon pour contester le jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon avait rejeté sa demande d’annulation de l’OQTF. Elle estimait que ce jugement était irrégulier notamment car il n’avait pas été rendu en formation collégiale. Or, contrairement à l’arrêt commenté, la substitution de base légale pouvait ici être opérée car les conditions posées par la jurisprudence El Bahi étaient remplies. De fait, l’OQTF adressée à la requérante aurait pu être prise sur le fondement d’un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, à savoir uniquement l’une des deux dispositions utilisées par le préfet de l’Yonne. La juridiction d’appel conclut finalement à l’irrégularité du jugement tout en renvoyant l’affaire devant le tribunal administratif statuant en formation collégiale sur le bien-fondé de la demande d’annulation de l’OQTF. Partant, l’application du principe de collégialité, recommandée par l’avis du Conseil d’État en cas de contestation d’une OQTF, semble subordonnée à la possibilité de procéder à la substitution de base légale.

Pour René Chapus, le juge de l’excès de pouvoir refuse d’utiliser la substitution de base légale « lorsque le comportement de l’administration lui paraît avoir eu un caractère trop répréhensible pour qu’il convienne de passer l'éponge » (Chapus, (R.), Droit du contentieux administratif, 9ème éd., Montchrestien, 2001, Précis Domat, p. 1128). Ainsi le refus du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel de Lyon de procéder à la substitution de base légale, proposée par le préfet de l’Ain, confirme-t-il que l’illégalité dont est entachée sa mesure d’éloignement justifie son annulation.

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