L’absence de notification préalable de la décision de transfert n’empêche pas le préfet de déclarer en fuite un demandeur d’asile et d’effectuer sa remise plus de six mois après l’acceptation de prise en charge par l’État responsable.
Le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dit « Dublin III », fixe les critères de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers. La 7ème chambre de la cour administrative d’appel de Lyon a eu à se prononcer sur son interprétation dans un arrêt du 27 mai 2021.
M. A. a sollicité l’asile en France. Il s’était vu délivrer par les autorités espagnoles un visa valable jusqu’au 9 juillet 2019 selon le fichier Visabio. Or, l’État membre qui a délivré un visa en cours de validité est responsable de l’examen de la demande d’asile (art. 12 §. 2). En juillet 2019, ces autorités espagnoles ont été saisies d’une demande de prise en charge de M. A., qu’elles ont acceptée. Il semblerait que, pendant la phase de détermination de l’État responsable, le demandeur ait été assigné à résidence et soumis à une obligation de pointage. Le 8 octobre 2019, suite à deux absences aux convocations, le demandeur a été déclaré en fuite, portant le délai de transfert à dix‑huit mois au lieu de six mois. Ce n’est que le 2 octobre 2020 que le préfet du Rhône a ordonné son transfert en Espagne. M. A. a demandé au tribunal administratif d’annuler cet arrêté. Les magistrats ont fait droit à cette demande au motif qu’en l’absence de décision préalable de transfert, M. A. ne pouvait être considéré comme ayant pris la fuite. Le préfet a demandé l’annulation de ce jugement. La cour administrative d’appel a infirmé ce jugement. La question qui se posait à la cour était la suivante : le préfet peut-il déclarer un individu en fuite et effectuer sa remise plus de six mois après l’acceptation de prise en charge alors même qu’aucune décision préalable de transfert n’a été prise à son encontre ?
Le juge rappelle classiquement que les autorités saisies d’une demande d’asile disposent, pour transférer le demandeur d’asile vers l’État membre responsable, d’un délai d’une durée initiale de six mois pouvant être porté à dix‑huit mois si le demandeur prend la fuite (art. 29 §. 1 et 2). L’absence du demandeur doit avoir été constatée après la date de l’acceptation de l’État responsable, comme c’est le cas en l’espèce.
Ce délai court dès l’acceptation de l’État responsable de prise en charge du demandeur (art. 29 §. 1), et non pas dès la notification de la décision de transfert au demandeur d’asile. La cour administrative d’appel livre cette interprétation en considérant que le règlement ne fixe aucun délai distinct, à partir de l’acceptation, pour prendre une décision de transfert. Cette interprétation semble discutable. Certes, l’article 26 du règlement n’impose pas de délai précis, mais le ministère de l’Intérieur explique que « la notification de la décision de transfert doit intervenir dans les plus brefs délais à compter de la réception de la décision d’accord […] ». (Ministère de l’Intérieur, Instruction n° NORINTV1618837 relative à l’application du règlement (UE) n° 604/2013 dit Dublin III du 19 juil. 2016, p. 3). Plus récemment, il a confirmé cette analyse en expliquant qu’en cas de réponse positive de l’État responsable, « un arrêté de transfert devra être aussitôt pris » (Ministère de l’Intérieur, information n° NORINTV1808045N relative à l’application de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018, 23 mars 2018, p. 3).
Le préfet a attendu plus d’un an en l’espèce. Au regard des droits du demandeur d’asile, notamment celui à l’information (art. 4) et au recours, le juge aurait pu rappeler qu’il existe une nécessité de prendre cette décision de transfert dans un délai raisonnable. En ce sens, plusieurs juridictions administratives françaises ont considéré que cette notification constituait « une garantie essentielle donnée au demandeur d’asile pour lui permettre de connaître ses droits » (CAA Bordeaux, 4ème chambre, 12 mars 2009, n° 08BX00063 ; CAA Nantes, 4ème chambre, 2 octobre 2009, n° 08NT02355).
Toutefois, le cœur du litige porte sur l’absence de notification de transfert préalable à la déclaration de fuite. Cette dernière notion n’est pas définie par le règlement mais par le Conseil d’État comme la soustraction « intentionnelle et systématique » au contrôle de l’autorité administrative (CE, ord., 18 oct. 2006, n° 298101, publiée au recueil Lebon) et par la Cour de Justice de l’Union comme une « soustraction délibérée » (CJUE, 19 mars 2019, C‑163/17).
Ici, le demandeur semble avoir été assigné à résidence pendant la recherche de l’État responsable (art. ancien L. 561-2, nouvel art. L. 751-2 CESEDA) et a été soumis à une obligation de pointage. L’information du demandeur est primordiale (art. 4) et les juges indiquent que M. A. avait signé un document comportant la mention selon laquelle il pourrait être déclaré en fuite « en cas d’absences répétées aux convocations ». Or, en raison de deux absences au pointage, sa fuite a été reconnue. Il n’a pas démontré qu’il était dans « l’impossibilité » de s’y rendre, ce qui vient établir l’élément « intentionnel ». Parfois la fuite n’est caractérisée qu’après trois absences au pointage (TA Melun, 28 mars 2019, n° 1808870). On peut donc relever le caractère sévère de cette décision, alors même qu’à la date de la première convocation manquée, l’Espagne n’avait pas encore été saisie d’une demande de prise en charge.
Une décision préalable de transfert n’est donc pas un prérequis pour prononcer une déclaration de fuite. Elle peut être reconnue si « l’intéressé ne se présente pas à plusieurs reprises au pointage […] » pendant la détermination de l’État responsable (Ministère de l’Intérieur, instruction n° INTV1618837 relative à l’application du règlement (UE) n° 604/2013, 19 juil. 2016, p. 3). Ainsi, comme le soulève justement le juge administratif d’appel, le préfet pouvait-il, à bon droit, déclarer en fuite le demandeur et le remettre dans un délai prolongé de dix-huit mois, sans notification préalable de transfert.