Décision de justice

TA Grenoble – N° 2001860 – Elections municipales et communautaires d'Annemasse – 31 décembre 2020 – C

Pourvoi en cassation jugé par le CE, 30 décembre 2021 - N° 449172 - C

Juridiction : TA Grenoble

Numéro de la décision : 2001860

Date de la décision : 31 décembre 2020

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Elections municipales, Premier tour de scrutin, L.71 du code électoral, Taux de participation, Ecart de voix, Sincérité du scrutin, Covid-19

Rubriques

Actes administratifs

Résumé

Annulation des opérations électorales de la commune d’Annemasse compte tenu d’un taux d’abstention particulièrement élevé de 72,21 % lié à l’épidémie de covid-19 et d’une majorité absolue obtenue au premier tour avec une seule voix.

28-04-05, Elections municipales, Premier tour de scrutin, L. 71 du code électoral, Second tour de scrutin, Ecart de voix, Loi n° 02020-290 du 23 mars 2020, Décret n° 02020-242 du 13 mars 2020, Décret n° 02020-1406 du 18 novembre 2020, Arrêté du 13 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, L. 262 du code électoral, R. 119 du code électoral, Réclamation sur les opérations électorales, Procuration, Sincérité du scrutin, Covid-19

Annulation des élections municipales d’Annemasse par le TA de Grenoble : le seul niveau exceptionnel de l’abstention permet-il d’annuler une élection ? Vers un arrêt de principe du Conseil d’Etat

Thi-Ha Bui

Elève-avocate

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Romain Rambaud

Professeur des universités - Université de Grenoble-Alpes (CRJ)

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DOI : 10.35562/alyoda.6675

Le tribunal administratif de Grenoble a annulé les élections municipales d’Annemasse en raison de circonstances locales liées à un niveau exceptionnel d’abstention (72, 21 %) associé à un écart de voix extrêmement faible, sans invoquer cependant d’autres circonstances tenant à l’altération de la libre expression du vote ou de l’égalité entre les candidats. Une telle solution n’ayant pas encore été examinée par le Conseil d’Etat, tout porte à croire qu’un arrêt de principe interviendra pour trancher les cas spécifiques où coexistent un niveau exceptionnel d’abstention et un écart de voix insignifiant, dans un contexte où en pratique pour l’instant le juge ne retient pas l’abstention liée à la Covid pour annuler des élections.

Lors de son intervention sur France Bleu concernant la protestation électorale dirigée contre les élections municipales d’Annemasse (Haute-Savoie), le maire en exercice de la commune Christian DUPESSEY estimait que : « Si on annule les élections d’Annemasse, il faut alors annuler les élections au premier tour partout en France » (R. VIVION, « L’élection municipale d’Annemasse annulée par le Tribunal administratif », Francebleu Haute-Savoie, 31 déc. 2020) . Si la problématique était posée de façon assez caricaturale, la question de fond mérite d’être débattue : quelle est (ou sera, puisque le Conseil d’État va se prononcer en appel), la portée exacte du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 2020 ayant annulé, au demeurant sur conclusions contraires, les élections municipales d’Annemasse ?

En l’espèce, à l’issue des opérations électorales organisées le 15 mars 2020 afin de désigner les membres du conseil municipal et du conseil communautaire, la liste « Annemasse ville d’Avenirs » a obtenu 2 087 voix, soit 50, 02 % des suffrages. Quant à la liste « Générations Annemasse » (demanderesse), elle a obtenu 1 682 voix, soit 40, 31% des suffrages exprimés. Une troisième liste « Annemasse renouveau » obtint 9, 66 % des voix soit 403 voix. L’abstention fut de 72, 21%. Les candidats de la liste « Annemasse ville d’Avenirs » demandèrent au tribunal administratif de Grenoble, à titre principal, d’annuler les résultats des élections municipales au premier tour, et, à titre subsidiaire, de rectifier les résultats obtenus.

Protestation à laquelle le TA de Grenoble donna satisfaction : « Il résulte de l’instruction que le taux d’abstention dans la commune d’Annemasse, lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020, s’est élevé à 72, 21 %. Ce taux d’abstention est nettement supérieur à la moyenne nationale de 55, 34 % enregistrée pour ce scrutin, ainsi qu’à celui des élections municipales de l’année 2014 qui était de 56, 21 %. Ainsi, sur 15 527 habitants inscrits sur les listes électorales, 4 315 électeurs se sont déplacés pour participer au vote. Par ailleurs, la liste « Annemasse Ville d’Avenirs », conduite par M. BC..., n’a obtenu la majorité absolue qu’avec une seule voix. Ainsi, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’importance de l’abstention constatée ne peut pas être regardée comme ayant été sans incidence sur la sincérité du scrutin compte tenu du très faible écart de voix ayant permis l’obtention de la majorité absolue. Par suite, elle est de nature à justifier l’annulation des élections qui se sont tenues le 15 mars 2020 dans la commune d’Annemasse, quel qu’ait pu être par ailleurs l’écart ayant séparé les listes en présence à l’issue du premier tour ».

Cette protestation se place dans la lignée des difficultés contentieuses que rencontrent les juges électoraux dans le contexte exceptionnel de la pandémie de la covid-19. Toutefois, elle rouvre le débat sur l’interprétation de la notion de « circonstances de l’espèce », de « circonstances locales particulières » pour reprendre les termes du rapporteur public (N. VILLARD, concl. sur ce jugement), après l’arrêt du Conseil d’Etat relatif aux élections municipales et communautaires de Saint-Sulpice-sur-Risle du 15 juillet 2020 (CE, 15 juill. 2020, n° 440055, au Lebon T.) . Il résulte du raisonnement du tribunal administratif de Grenoble la question de droit suivante : le seul niveau de l’abstention peut-il justifier, s’il est exceptionnel et en cas d’écart de voix faible, l’annulation d’une élection ?

Compte tenu du contexte et de sa solution, le jugement du tribunal administratif de Grenoble constitue, indiscutablement, une solution remarquable (I.) à l’issue incertaine (II.).

I. Une solution remarquable

Le tribunal administratif de Grenoble, contrairement à la position du rapporteur public concluant au rejet au fond de la requête, a annulé l’élection municipale d’Annemasse du 15 mars 2020, compte tenu donc du fort taux d’abstention et d’un écart d’une seule voix par rapport à la majorité absolue. Un tel jugement est audacieux car il est intervenu postérieurement à la décision du Conseil d’État Saint-Sulpice-sur-Risle du 15 juillet 2020, lequel demande (ou semble demander) aux protestataires d’invoquer une « autre circonstance » que l’abstention « relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats ».

Le contentieux relatif au premier tour des élections municipales 2020 a fait l’objet d’une longue série jurisprudentielle. Tout a commencé avec la décision QPC n° 2020-849 du Conseil constitutionnel du 17 juin 2020. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel considéra que « les dispositions contestées ne favorisent pas par elles-mêmes l'abstention » et « qu’il appartiendra, le cas échéant, au juge de l'élection, saisi d'un tel grief, d'apprécier si le niveau de l'abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l'espèce, la sincérité du scrutin ». Deux éléments sont à retenir de cette décision. Le fait d’écarter l’abstention comme problème d’une manière générale en matière d’appréciation de la sincérité du scrutin s’inscrit dans la solution classique du droit français. En revanche, le Conseil constitutionnel retenait ici la possibilité pour le juge électoral de considérer, au cas par cas, si le niveau de l’abstention porte atteinte à la sincérité du scrutin. L'abstention liée à la covid-19 étant d'une nature particulière, le Conseil constitutionnel adoptait une formulation plus large s'ouvrant vers l'office du juge électoral, en acceptant une appréciation du seul niveau de l’abstention. Pour le dire autrement, il semblait ouvrir davantage la porte (Romain RAMBAUD, « Elections municipales : le Conseil constitutionnel valide la loi du 23 mars 2020 », AJDA 2020, p. 1673).

Suite à cette décision, la jurisprudence des tribunaux administratifs resta hétérogène. Le 26 mai 2020, le tribunal administratif de Rennes rejeta une demande d’annulation des élections au premier tour de la commune de Vezin-le-Coquet par une ordonnance de tri, compte tenu de l’absence de toute circonstance particulière (26 mai 2020, n° 2002084) . Cependant le TA de Nantes rendit un jugement le 9 juillet (n° 2004764) dont on parla beaucoup plus : à propos des élections de Malville, il considéra que la faible participation pouvait être attribuée, au moins en partie, au contexte sanitaire et aux messages diffusés par le Gouvernement dans les jours précédant le scrutin, ayant dissuadé une partie significative des électeurs de se rendre au bureau de vote le 15 mars 2020. Compte tenu de l’écart de trois voix de la liste en tête par rapport à la majorité absolue, la requérante se trouvait fondée à soutenir que les circonstances particulières dans lesquelles s’est tenu le scrutin du 15 mars 2020 à l’origine d’une abstention inhabituelle avaient été de nature à altérer la sincérité du scrutin et, eu égard au très faible écart de voix par rapport à la majorité absolue, à fausser les résultats de l’élection.

Immédiatement après ce jugement du TA de Nantes, un autre contentieux a permis du Conseil d’État de préciser la portée du contrôle du juge électoral lorsque les tribunaux administratifs examinent un taux fort d’abstention pour fonder leur décision (Patrick LINGIBE, « Le Conseil d'État et l'abstention : juger la moralité de l'élection ou celle des électeurs ? », Dalloz Actualité, 21 juillet 2020). Au cas présent qui concernant la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle, le Conseil d’État avait été saisi d’une question de recevabilité, le TA ayant à l’origine déclaré la requête irrecevable pour tardiveté. Déclarant au contraire la requête recevable, la haute juridiction administrative a profité de l’occasion pour statuer au fond. Il jugea que le législateur n’a pas entendu subordonner à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l’issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité : « En l'espèce, M. B... D... fait seulement valoir que le taux d'abstention s'est élevé à 56, 07 % dans la commune, sans invoquer aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constatée ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin » (CE, 15 juill. 2020, n° 440055, préc.). En application de ce considérant de principe, le requérant ne doit donc pas se contenter du niveau de l’abstention mais doit démontrer qu’il y a une autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu’il aurait porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l’égalité entre les candidats. La solution du Conseil d’État avait certainement pour finalité de sécuriser un bon nombre d’élections acquises dès le premier tour. C’était aussi (et peut-être surtout) l’occasion pour la Haute juridiction d’affirmer une position jurisprudentielle face aux différents jugements des tribunaux administratifs, empêchant des solutions trop hétérogènes (Anne-Sophie JUILLES, « Les élections municipales de 2020 à l'épreuve de l'abstention », AJCT 2020, 581).

La solution du jugement du tribunal administratif de Grenoble fait donc débat car elle ne fait pas une application stricte de la jurisprudence du Conseil d’État citée ci-dessus. Le rapporteur public avait estimé dans ses conclusions que « le maintien du premier tour était justifié par un motif d’intérêt général, qu’il s’est déroulé dans des conditions satisfaisantes et que l’abstention a impacté de la même manière toutes les listes en présence ». Il est remarquable de souligner que s’inscrivant dans la ligne du Conseil d’État, le rapporteur public avait écarté très rapidement la question de l’abstention, concentrant ses conclusions sur d’autres problèmes, écartés eux aussi À l’inverse, le tribunal a jugé que « l’importance de l’abstention constatée ne peut pas être regardée comme ayant été sans incidence sur la sincérité du scrutin compte tenu du très faible écart de voix ayant permis l’obtention de la majorité absolue ». Un tel raisonnement est comparable à celui du tribunal administratif de Nantes dans l’affaire de Malville, et semble s’écarter, au moins sur le plan rédactionnel, de la solution du Conseil d’État, puisqu’il n’est pas fait référence, dans les motifs du jugement, ni au déroulement de la campagne électorale et du scrutin, ni à l’égalité entre les candidats, ni expressément à la liberté du suffrage.

Le juge électoral grenoblois, en procédant par l’économie de moyen, ne constate qu’un fort taux d’abstention et une voix d’écart par rapport à la majorité absolue. Il ne mentionne aucune autre circonstance particulière locale, de nature à porter atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l’égalité entre les candidats. Cette motivation fait du jugement du tribunal administratif de Grenoble une solution à l’issue incertaine appelant un arrêt de principe du Conseil d’État.

II.  Une solution à l’issue incertaine

L’élection à Annemasse, ville de plus de 30 000 habitants, a enregistré un taux d’abstention de 72, 21%. Le rapporteur public qualifie l’écart de voix d’inexistant par rapport au seuil de la majorité absolue mais conclut au rejet de la protestation électorale en l’absence d’irrégularités. Certes, l’écart de voix, à une voix pour la majorité absolue, ne fait pas débat ici (R. Rambaud, « Les “lois” de l’écart de voix », AJDA 2020, p. 1596). Mais en principe dans un tel cas, l’élection ne doit pas être annulée en l’absence d’autres irrégularités (v. en ce sens les conclusions de N. VILLARD précitées) ou de circonstances particulières tenant à la libre expression du suffrage et à l’égalité entre les candidats, si on suit l’arrêt Saint-Sulpice-sur-Risle.

  Dès lors, la solution du TA de Grenoble permet de poser la question dans les termes suivants : le seul niveau de l’abstention, dans l’hypothèse où il est très supérieur à la moyenne nationale (on le qualifiera d’exceptionnel) ainsi qu’aux précédents scrutins, permet-il d’annuler une élection en cas d’écart de voix faible ?

Dans la jurisprudence classique, une forte abstention ne constitue pas un motif suffisant d’annulation d’une élection (v. R. Rambaud, « Droit électoral et circonstances exceptionnelles » AJDA, 2020, 824 ; J.-P. Camby, « Des « circonstances exceptionnelles » aux « circonstances de l’espèce » : l’abstention, facteur d’annulation ? Le report, facteur de participation ? », LPA, 2021, n° 038, p. 4 ; R. Medard Inghilterra, « L'abstention électorale en droit public français », RDP, 2021, 237). En témoignent par exemple la décision du Conseil constitutionnel du 9 mars 1999 (Cons. const., n° 98-2571 AN, Alpes-Maritimes  [2e circ.] ou encore les décisions du Conseil d'Etat du 17 décembre 2014 et du 22 juillet 2015 (CE 17 déc. 2014, n° 0381500, Elections municipales de Saint-Rémy-Sur-Avre, inédit ; CE, 22 juill.2015, n° 0385989, Elections municipales de Montmagny, inédit) . Dans les deux premiers cas, le taux élevé d’abstention est invoqué abstraitement, sans aucun pourcentage exact. Quant à la troisième décision, le protestataire fait valoir un taux d’abstention plus élevé que la moyenne nationale. Toutefois, cette circonstance ne suffit pas à établir que la sincérité du résultat en ait été altérée. Dans l’arrêt relatif aux élections municipales de Saint-Sulpice-sur-Risle, le taux d’abstention est de 56, 07%, soit plus qu’un électeur sur deux qui n’a pas voté, mais ce chiffre est en rapport avec la moyenne nationale. Quant aux jugements des tribunaux administratifs, le taux est très variable d’un cas à l’autre. Dans certains litiges, un taux d’abstention de 49, 80% (TA Nantes, 9 juill. 2020, n° 2003258, Élections municipales et communautaires d’Herbignac) ou de 54, 70 % (TA Rennes, 26 mai 2020, n° 02002084, préc.) n’empêche pas le juge électoral de rejeter la protestation. Pour ce qui concerne l’annulation de Malville, le taux était de 55, 37 %, mais on peut penser que la solution du TA de Nantes a été contrecarrée par l’arrêt Saint-Sulpice-sur-Risle (TA Nantes, 9 juillet 2020, n° 2004764, préc.). La solution pourrait-elle être différente en cas de taux d’abstention beaucoup plus élevé ?

Le TA de Grenoble avait eu à juger une affaire dans laquelle le taux d’abstention était important, à 60, 37% et où existaient d’ autres circonstances d’espèce (V. précédemment dans  ce sens sur le plan des principes : CC, 19 janv. 1981 n° 80-892/893/894 AN ; CC, 1er juill. 1993, n° 93-1279 AN) . Dans un jugement du 15 septembre 2020 relatif à l’élection de la commune de Balme-de-Sillingy, l’un des premiers clusters de France, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé l’annulation de l’élection mais en raison des circonstances très particulières de l’espèce (n°2001840), liées à l’impossibilité au niveau local d’établir dans des conditions normales des procurations. Il convient d’ajouter, même si le jugement du tribunal ne le retient pas par économie de moyen, que le maire sortant, représentant de la liste battue, avait été testé positif à la covid-19 dès le 1er mars et avait été confiné jusqu’au 14 mars, soit la veille du premier tour de l’élection. Par ailleurs beaucoup de ses colistiers avaient également été confinés. (R. RAMBAUD, « La Balme-de-Sillingy (74) : laboratoire du contentieux du 1er tour des élections municipales, », Leblogdudroitelectoral 8 avril 2020) . On pouvait donc penser que le cas de figure de La Balme-de-Sillingy correspondait aux hypothèses prévues par l’arrêt Saint-Sulpice-sur-Risle (v. pour la référence aux « clusters » les conclusions de Vincent VILLETTE sur cet arrêt). Pourtant, le Conseil d’Etat dans un arrêt du 22 mars 2021 a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble, considérant que les difficultés à établir les procurations n’étaient pas établies par l’instruction. Concernant le confinement du maire sortant et de ses colistiers, il a jugé que « Toutefois, il ne peut être déduit de ces circonstances fortuites une rupture d'égalité de nature à altérer la sincérité du scrutin », et a considéré qu’il résulte de l’instruction, « au surplus », que M. Daviet et les membres de sa liste ont pu faire campagne pendant un mois avant l’entrée en campagne de Mme Mugnier, ont continué à faire campagne sur Facebook ou par la distribution de deux tracts. Les opérations électorales ont ainsi été validées, au prix d’une solution que l’on pourra qualifier de particulièrement restrictive, mais qui se justifiait sans doute implicitement par l’écart de voix en l’espèce : 61 voix et 4, 4 points, « ce qui est très substantiel et s’écarte nettement des seuils en-deçà desquels vous admettez généralement qu’une irrégularité a pu affecter la sincérité du scrutin et par suite entrainer son annulation » selon les conclusions du rapporteur public Raphaël Chambon sur cette affaire (CE, 22 mars 2021, El. Mun. de la Balme-de-Sillingy, n° 445083).

C’est au contraire le seul taux, il est vrai exceptionnel de 72, 21% d’abstention, associé à un écart de voix très faible, qui a convaincu le juge de Grenoble concernant les élections d’Annemasse. Ce faisant, le TA de Grenoble a finalement rendu une solution plus proche de celle du Conseil constitutionnel que de celle du Conseil d’État. Mais de nombreux problèmes sont posés par cette solution. Ce critère suffit-il ? Si oui, à partir de quel taux ? 72 % ? Mais pourquoi pas 70 %, 65%, 60 % ? Et à partir de quel écart de voix ? 1 voix, 2 voix, mais pourquoi pas 10, 20 ou 30 voix ?

Le maire de la commune d’Annemasse a décidé d’interjeter appel du jugement (« Annemasse : l’élection municipale annulée à cause de la crise de la Covid-19 », Le Dauphiné Libéré, 31 déc. 2020) . La solution du tribunal reste donc à ce stade incertaine, puisque le Conseil d’État va être amené à faire une nouvelle interprétation de sa propre jurisprudence.

Considérera-t-il que le TA de Grenoble a fait une erreur de droit en n’inscrivant pas la recherche de circonstances locales particulières dans celle d’une altération du déroulement de la campagne électorale ou du scrutin au sens d’atteinte à la liberté de suffrage ou à l’égalité entre les candidats? En effet, toutes les protestations fondées sur l’abstention « sans invoquer aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats » ont été systématiquement rejetées (CE, El. Mun. de Saint-Just-de-Claix, n° 442054, 6 nov. 2020 ; CE El. Mun. de Beauvais, 29 dec. 2020, n° 441808,  ; CE El. Mun. de Faulquemont, 28 janv. 2021, n° 443737 ; CE El. Mun. de Saint Georges d'Oléron, 28 janv. 2021, n° 445084 ; CE El. Mun. de Saint-Germain-au-Mont D’or, 12 mars 2021, n° 445425). Acceptera-t-il au contraire que le seul niveau exceptionnel de l’abstention associé à un écart de voix très faible puisse suffire à annuler une élection ? Et si oui, va-t-il poser des critères ? On notera sur ce point que dans un arrêt récent, le Conseil d’Etat a de nouveau écarté le grief, alors que taux d’abstention était de 61, 16% et l’écart de voix par rapport à la majorité absolue de 38 voix correspondant à 0, 9 % des suffrages exprimés (CE, El. Mun. du Chesnay-Rocquencourt, 31 mars 2021, n° 0447880) . Cependant, il n’y a pas encore d’équivalent à notre connaissance à la situation d’Annemasse, tout comme l’appel dans l’affaire Malville se fait attendre.

Le débat lancé par le maire d’Annemasse court toujours et cela sera le cas jusqu’à l’arrêt du Conseil d’État. En tout état de cause, une nouvelle fois après l’arrêt la Balme de Sillingy, le TA de Grenoble fait figure de « laboratoire » du droit électoral au niveau national !

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