Cette protestation présentée par M. L… M… concerne le second tour des élections municipales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 à Aubière.
La liste victorieuse, conduite par M. Q…, « Ensemble pour vivre bien à Aubière », a recueilli 1.524 voix, soit 47,57 % des suffrages exprimés. La liste de M. L… M…, « Un avenir à partager Aubière, ville durable et solidaire », s’est placée deuxième avec 1.519 voix, soit 47,41 % des suffrages. Une troisième liste conduite par M N… a recueilli 161 voix soit 5,02 % des suffrages exprimés.
Comme vous le constatez d’emblée, c’est donc un écart très faible de 5 voix seulement qui sépare les deux listes arrivées au coude à coude au second tour (comme elles l’étaient déjà au 1er tour de scrutin).
Contrairement à de nombreuses protestations que nous avons eu à traiter, à la suite de ces élections municipales de 2020, qui étaient peu sérieuses et qui ont d’ailleurs été rejetées, vous avez cette fois-ci affaire à une vraie protestation ; nous serions tentés de dire une protestation légitime, par contraste avec les précédentes. L’écart de voix est en effet très faible en valeur absolue : 5 voix, tout comme en valeur relative, puisque représentant 0,15 % des 3.204 suffrages exprimés.
De plus les griefs sont ici nombreux, solides et étayés. Ils concernent le déroulement de la campagne électorale et le déroulement du scrutin (essentiellement les procurations).
Vous ne serez donc pas surpris que nous vous proposions d’annuler ces élections.
I - Sur les fins de non-recevoir soulevées par M. Q… et ses colistiers :
Toutefois, avant d’en venir à l’examen des griefs vous devrez statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense qui portent sur la recevabilité de trois griefs.
Grief nouveau : campagne électorale : rentrée scolaire et finances communales
Les défendeurs : M. Q… et ses colistiers estiment que le grief relatif à la publication d’articles concernant deux sujets : la rentrée scolaire et les finances communales seraient des griefs nouveaux formulés postérieurement à l’expiration du délai de recours contentieux, ce qui les rendraient irrecevables.
Comme vous le savez, la notion de grief en matière électorale est très différente de celle de moyen en contentieux de l’excès de pouvoir. La notion de grief, qui est propre au contentieux électoral, s’apparente donc plus à celle de la cause juridique, mais prise de manière beaucoup plus fine que celle du contentieux général du recours pour excès de pouvoir.
Le juge de l’élection prend en compte en effet, dans l’examen d’une protestation, un très grand nombre de griefs qui peuvent être relatifs à l’éligibilité des candidats, au déroulement de la campagne électorale, au déroulement du scrutin lui-même à l’établissement des procurations etc…
Voir sur ce point le rappel de cette notion fait par Mme Courège dans ses conclusions sous l’arrêt CE 31 dec 2008 Mlle X. n° 317585.
Le juge électoral se montre assez strict sur la notion de grief nouveau et il écarte fréquemment des griefs présentés au-delà du délai de recours.
En l’espèce, les arguments développés dans un mémoire ampliatif et relatif à la publication d’articles concernant ces deux thématiques que sont la rentrée scolaire et les finances communales ne constituent pas des griefs nouveaux présentés tardivement, mais des arguments supplémentaires venant étayer le grief portant sur le non-respect des dispositions de l’article L. 48-2 du code électoral prohibant la publication d’éléments nouveaux de polémique électorale, grief qui lui a été présenté dans le délai de recours.Cette première fin de non-recevoir sera donc écartée.
Deuxième grief irrecevable : procurations
Dans sa requête initiale M. L… M… soulève un grief relatif aux procurations et plus spécifiquement sur le retard dans l’acheminement de trois procurations. Dans un mémoire ampliatif, il évoque trois nouvelles procurations qui n’ont pas pu être utilisées et dont il demande l’adjonction à son nombre de voix. Il s’agit de celles de M. Mme V… de M. C… et de Mme F….
Les défendeurs soutiennent qu’il s’agit là d’un grief nouveau qui est irrecevable, car tardif.
La recevabilité des griefs en matière de procurations est fixée par la jurisprudence et elle reste assez stricte même si elle s’est assouplie. Dans son arrêt du 13 juillet 2010, Elections municipales d’Aix-en-Provence, N° 335843 le Conseil d’Etat rappelle que le grief tiré de l’irrégularité de certains votes par procuration n’est recevable que s’il est assorti, dans le délai de saisine du juge de l’élection, de précisions suffisantes tenant aux bureaux de vote concernés et au nom des électeurs dont les suffrages sont concernés.
Voir également l’arrêt plus récent du 1er juin 2016 CE Elections régionales PACA n° 395363
Les conclusions du rapporteur public sous cet arrêt rappellent que le grief relatif aux procurations est irrecevable s’il est présenté dans le délai de recours, « en des termes généraux sans cibler ni bureau ni électeur particulier ».Nous estimons que vous devrez rester sur cette ligne jurisprudentielle, certes exigeante pour les requérants, et que vous devrez estimer que le grief relatif au retard d’acheminement des protestations devra être limité seulement aux trois procurations de Mmes K… et J… et de M. E. , qui ont été citées nominativement à l’intérieur du délai de recours.
Dans ces conditions les irrégularités éventuelles concernant les procurations de MM. Mme V. et C… et de Mme F…, invoquées au-delà du délai de recours ne seront pas examinées car irrecevables.
3eme grief : opérations de dépouillement et comptage des bulletins
Dans un mémoire ampliatif du 26 novembre 2020 M. L… M… fait valoir que dans l’urne du bureau n° 5 ont été trouvées 599 enveloppes alors que le nombre d’émargement pour ce bureau s’élevait à 598.
Il demande que cette voix excédentaire soit hypothétiquement retranchée du nombre de voix obtenues par la liste victorieuse.
Il invoque également des erreurs de comptage des bulletins dans le bureau de vote n° 1.
M. Q… et ses colistiers font valoir que le grief relatif aux opérations de dépouillement et à la comptabilisation des bulletins est nouveau car il a été présenté au-delà du délai de recours et qu’il est irrecevable car tardif.
Vous retiendrez cette fin de non-recevoir ; le grief sera jugé irrecevable.
II - Sur les conclusions à fin d’annulation des opérations électorales :
Nous en venons maintenant à l’examen des nombreux griefs tendant à l’annulation des élections. Plusieurs d’entre eux devront être retenus selon nous.
Concernant le déroulement de la campagne électorale :
Cinq griefs concernant le déroulement de la campagne sont présentés par M L… M. Nous considérons que quatre au moins doivent être retenus.
Mise en exergue de son statut de fonctionnaire d’Etat par une colistière auteur d’un texte de propagande :
M. L… M… fait valoir que le journal de campagne, qui a été diffusé le dernier jour de la campagne électorale dans les boîtes aux lettres contient une analyse financière établie par une colistière de M. Q… qui, en mettant en avant sa qualité de fonctionnaire d’Etat et d’inspectrice des finances publiques, a manqué à son devoir de réserve.M. L… M. considère qu’il s’agit là d’une manœuvre destinée à influencer les électeurs.
Le manquement au devoir du fonctionnaire n’est pas, en soi, un grief de nature à conduire à l’annulation d’une élection. Si le fait est avéré il expose seulement son auteur à des poursuites disciplinaires en application des dispositions du statut de la fonction publique.Par ailleurs, rien n’interdit à un candidat de faire état de sa profession ; elles sont d’ailleurs mentionnées sur les documents de propagande électorale mais en général de manière assez neutre et large : fonctionnaire territorial, fonctionnaire de l’Etat, commerçant, etc
En revanche, au vu de la jurisprudence, vous devez vérifier qu’un fonctionnaire n’a pas, en prenant position pour un candidat, excédé les limites du droit qu’il tient en tant qu’électeur et s’il n’a pas usé de l’autorité de ses fonctions de fonctionnaire pour exercer une pression sur les électeurs, ou les influencer ce qui permet de retenir l’existence d’une manœuvre.
CE 11 juin 1993 élections cantonales de Badonvillier n° 139877 Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat juge que le fonctionnaire du conseil général qui a accompagné le candidat élu dans ses réunions électorales et a pris position en sa faveur, n'a pas, en l'espèce, excédé les limites des droits que lui donnait sa qualité d'électeur, et ne s'est pas servi, compte tenu de son rang modeste, de l'autorité qu'il tient de sa fonction pour exercer une pression sur les électeurs.
Voir également l’arrêt cité par les deux parties : CE 30 décembre 1996 élections municipales de Chantilly n° 177285 Dans cet arrêt le Conseil d’Etat juge que le « courrier de M. Woerth rédigé sur papier à en-tête préalablement barrée "Premier ministre – Cabinet » adressé à quatre-vingt-seize commerçants de la commune, n’a pas constitué une manœuvre destinée à faire pression sur les électeurs et qu’ainsi on ne peut retenir que M Woerth aurait utilisé sa qualité de membre du cabinet du premier ministre. Toutefois cet arrêt ne nous semble pas transposable à notre affaire.D’une part, la qualité du fonctionnaire de membre du cabinet du Premier ministre est beaucoup plus importante que celle d’une inspectrice des finances publiques mais, d’autre part, dans cet arrêt l’écart de voix était très important et la diffusion avait été confidentielle.
Qu’en est-il dans notre affaire, au vu de l’instruction ?Il est avéré que la colistière, par ailleurs fonctionnaire de l’Etat a très explicitement mis en avant sa fonction d’« inspectrice des finances publiques au service des collectivités depuis plus de quinze ans », pour donner du crédit à l’analyse financière des comptes de la commune sur les deux derniers mandats qu’elle a réalisée et qui l’amène à conclure que « Une chose est sûre, la situation financière de notre commune n’est pas aussi saine que voudrait nous le faire croire. M. L… M…, actuel adjoint aux finances. ».
Le critère jurisprudentiel de l’usage de l’autorité conféré par les fonctions exercées est donc assurément rempli en l’occurrence et il nous semble suffisant pour retenir le grief.
Par ailleurs, vous constatez au vu de l’instruction que la présentation de cette analyse financière est pour le moins partielle, si ce n’est partiale, et qu’elle comporte de nombreuses données erronées ou tronquées, donnant ainsi une image déformée de la réalité des finances communales. Les éléments chiffrés produits à l’instruction par le conseil du requérant sur les principales données financières de la commune d’Aubière sur la période corroborent le caractère tronqué de la soi-disant l’analyse. Aussi, contrairement à l’image d’expertise recherchée, et affichée, cette analyse financière n’est nullement objective et ne constitue qu’un instrument de propagande diffusé à grande échelle dans les boites aux lettres de la commune et ce, le dernier jour de la campagne interdisant ainsi aux adversaires de répondre en temps utile. L’objectif de faire pression sur les électeurs apparait donc évident. Il s’agit donc clairement d’une manœuvre, qui eu égard au très faible écart de 5 voix, a été de nature à altérer la sincérité du scrutin. Vous retiendrez donc ce 1er grief.
Publication d’une tribune par le candidat victorieux dans le bulletin municipal
M. L… M… soutient également que M. Q… a fait usage du bulletin municipal comme d’un moyen de communication au profit de sa liste, par la publication d’une tribune en novembre 2019, en méconnaissance de l’article L. 52-8 du code électoral.
Le deuxième alinéa de l’article L. 52-8 du code électoral prévoit : « Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. »
M. L… M… estime donc que son adversaire s’est octroyé un canal de diffusion de sa propagande aux frais de la collectivité. Néanmoins, il ne vous échappera pas que M. Q… était membre de l’opposition municipale, et il pouvait donc légalement bénéficier d’une tribune dans le bulletin municipal en application des dispositions ad hoc du code général des collectivités territoriales. S’il en avait été privé cela aurait constitué une illégalité comme cela a déjà été jugé. Par ailleurs, et en tout état de cause, vous noterez également que M. L… M…, ou la majorité municipale à laquelle il appartenait, a eu l’occasion de répondre dans le même numéro 144 du bulletin municipal de novembre 2019.Enfin, la publication en question a été effectuée plus de six mois avant le second tour qui est contesté devant vous, ce qui permettait amplement aux autres candidats de répliquer.
Pour toutes ces raisons, ce grief ne sera pas retenu.
Dons de personnes morales :
Le 3eme grief est tiré de ce que M. Q… aurait bénéficié de dons consentis pour sa campagne par des personnes morales, toujours en méconnaissance de l’article L. 52-8 du code électoral que nous venons de citer.
Sont visés sous ce grief : des dons en nature de visières (anti Covid) de la part d’une école d’ingénieurs, de dons en nature de masques de la part d’une société dirigée par l’une de ses colistières et de dons en nature de viennoiseries de la part d’un club sportif dirigé par l’un de ses colistiers.
M. L… M… soutient que ces dons ont servi à faire des cadeaux aux électeurs en vue d’influencer leur vote.
Dans un mémoire ampliatif, il ajoute que ces dons ont été effectués en méconnaissance de l’article 106 du code électoral.
Bien entendu, l’invocation de la méconnaissance de l’article 106 du code électoral, qui pourrait être jugé comme un grief nouveau, donc irrecevable, est en tout état de cause, inopérante.
Le grief doit en revanche être analysé au regard des dispositions de l’article L. 52 afin de vérifier, une nouvelle fois l’existence d’une manœuvre.
Voir TA de Melun, 22 octobre 2020, Mme X. Elections municipales et communautaire de Rungis (Val-de-Marne), N° 2004742 pour un cas identique de distribution de masques dans le cadre de la crise du Covid 19 à une période où les masques étaient rares.
Nous pensons que vous pourrez, en partie, retenir le grief au moins sur la distribution de visières. En effet les visières, sont bien des dons effectués par une personne morale (l’école d’ingénieurs SIGMA) à la liste de M. Q…, en méconnaissance de l’article L. 52-8, qui ont permis à cette liste de ne pas avoir à financer les équipements distribués aux commerçants. Il résulte également de l’instruction et notamment des publications de M. Q… lui-même, sur le réseau social Facebook, constatées par huissier le 30 juin 2020, que celui-ci, au cours de la campagne électorale, a personnellement distribué, de façon gratuite, une centaine de visières de protection à des commerçants, des professionnels de santé et des enseignants de la commune, grâce à un partenariat qu’il avait initié avec une école d’ingénieurs.
Sur sa page Facebook, le 30 mai 2020, M. Q… se vante d’ailleurs de cette initiative personnelle.
« J’ai initié un partenariat innovant avec SIGMA, école d’ingénieurs du campus des Cézeaux à Aubière. Depuis maintenant un mois, grâce à eux, j’ai pu distribué (sic) des visières de protection à des commerçants, des professionnels de santé, et des enseignants de notre commune. C’est une centaine de visières qui ont pu être distribuées et tout cela gratuitement. »
La circonstance que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, dans sa décision du 7 décembre 2020, a approuvé son compte de campagne, ne vous interdit pas de retenir un grief, dès lors que celui-ci résulte de l’instruction.
Vous pourrez donc retenir la méconnaissance de l’article L 52-8 du code électoral.
Certes ce grief, à lui seul, parait modeste, puisque le don, si vous deviez en estimer la valeur, se chiffrerait à environ 300 euros. Toutefois, ce grief s’ajoute aux autres et nous verrons la conséquence qu’il faut en tirer.
L’utilisation du réseau social Facebook :
Le 4ème grief porte sur l’utilisation de comptes Facebook de colistiers du candidat
M. L… M… soutient que des messages de propagande ont été publiés sur différents comptes Facebook appartenant à M. Q… et à ses colistiers la veille du scrutin, en méconnaissance de l’article L. 49 du code électoral.
L’article L. 49 du code électoral prévoit : « A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de : / 1° Distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. / 2° Diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale. (…) »
Les faits sont avérés car ils ont fait l’objet d’un constat d’huissier le 30 juin 2020 à la demande de M. L… M….
Il apparait que M. LA… de M. Q… a publié sur sa page Facebook l’affiche de campagne le samedi 27 juin à 7h03 soit au-delà de l’heure limite le vendredi soir à minuit.
M. LV…, également colistier de M. Q…, a publié sur sa page Facebook un message de remerciements rédigé en conclusion de sa campagne par M. Q… le samedi 27 juin à 9h26, là encore au-delà de l’heure limite.
La méconnaissance des dispositions de l’article L. 49 du code électoral est donc patente. Pour autant a-t-elle été de nature à altérer la sincérité du scrutin ?
Les deux parties invoquent chacune leurs jurisprudences. M. L… M… invoque l’arrêt du CE, 25 février 2015, Elections municipales de Voisins-le-Bretonneux, N° 385686
L’analyse de cet arrêt et des conclusions du rapporteur public permet de constater qu’en dépit du caractère anodin du message diffusé sur Facebook, c’est le très faible écart de voix entre les listes qui a conduit à l’annulation de l’élection, en considérant que le message avait été diffusé sur une page ouverte à la consultation publique et non privée et que la diffusion de ce message avait été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
Le défendeur invoque quant à lui deux autres arrêts. CE, 17 juin 2015, Elections municipales de Montreuil, N° 385859. Il s’agit d’un cas où l’élection n’a pas été annulée malgré la publication de messages le samedi sur Twitter, dès lors que les messages litigieux ne contenaient pas d’élément de polémique électorale nouveau et que l’écart de voix était important.
CE, 27 juin 2016, Elections régionales de Normandie, N° 395413. Dans ce cas, il s’agit de la diffusion la veille du scrutin, de messages de propagande électorale sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Le Conseil d’Etat juge que ces messages n'apportaient aucun élément nouveau au débat électoral et que malgré le faible écart de voix (0,34 % des voix), l’irrégularité n’est pas considérée comme de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin.
Vous allez devoir trancher entre ces deux visions. Tout d’abord, même si les messages en question ont été publiés sur des pages personnelles, il n’en reste pas moins qu’ils l’ont été en infraction avec la règle du code électoral. Les pages en question étaient d’accès public ainsi que l’atteste le constat d’huissier (et dès lors qu’il n’est pas établi que MM. LA… et LV… seraient des amis de l’huissier de justice).
Certes les messages en question sont anodins et ne portent pas sur un élément de propagande nouveau, mais nous sommes en présence d’un écart extrêmement faible de 5 voix (0,15 %) et nous penchons pour juger que ces irrégularités (qui s’ajoutent aux autres) ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin, dans les circonstances de l’espèce.Grief retenu.
La diffusion trop tardivement d’éléments de polémique nouveaux pour permettre à M. M. L… M… d’y répondre :
Le 5eme grief porte sur la propagande électorale. M. L… M… soutient que des éléments de polémique électorale nouveaux ont été diffusés par la liste adverse dans un « journal de campagne » distribué le dernier jour de la campagne électorale, de sorte qu’il n’a pas eu la possibilité d’y répondre, en méconnaissance de l’article L. 48-2 du code électoral. Ces thèmes nouveaux sont : le repas de Noël des personnes âgées, la rentrée scolaire et d’éléments financiers, en particulier les conséquences financières du contentieux « Burger King ».
Les disposions applicables sont celles de l’article L. 48-2 du code électoral, qui prévoient : « Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale. »
Comme nous l’avons dit au stade de la recevabilité, ces arguments sont recevables car ils entrent dans l’épure du grief relatif à la diffusion tardive d’éléments de polémique électorale nouveaux.
Il n’est pas contesté que le « journal de campagne » diffusé par la liste de M. Q… le vendredi 26 juin 2020, dernier jour de la campagne électorale, contenait entre autres des articles relatifs au repas des aînés traditionnellement organisé dans la commune à l’occasion des fêtes de fin d’année, au bilan des finances communales sur les deux dernières mandatures et à l’organisation de la rentrée scolaire.
Nous pensons que le grief peut être retenu, en partie. S’agissant du repas des ainés M. Q… soutient qu’il s’agit là d’un dossier ancien qui date de 2015 date à laquelle sa suppression avait été envisagée. Peut-être, mais cela ne répond pas au grief.
Rien dans l’instruction ne permet de contredire M. L… M… sur le fait que cet élément de polémique électorale n’avait pas été évoqué au cours de la campagne électorale et qu’il a resurgi au dernier moment le vendredi soir avant-veille du scrutin. Aussi, faute pour les défendeurs d’établir que cet élément avait été évoqué au cours de la campagne 2020 vous devrez retenir le grief.
Les explications des défendeurs sur les autres points ne sont guère plus convaincantes. S’agissant de la polémique sur les finances communales, M. Q… n’établit pas davantage que ce point aurait été débattu lors de la campagne par la seule production d’un document « powerpoint » qui aurait été présenté lors d’une réunion publique, mais qui n’est pas daté. Il apparait plus que douteux que la question des finances communales n’ait pas été un sujet de la campagne électorale, car c’est un thème pratiquement obligé de chaque campagne ; mais, en l’espèce, il appartient aux défendeurs d’en apporter la preuve, par tous moyens, ce qu’ils ne font pas, en l’état de l’instruction.
Il en est de même pour ce qui concerne le sujet de la rentrée scolaire.M. Q… et ses colistiers se contentent de faire valoir qu’il s’agissait, dans le contexte de la crise sanitaire, d’un sujet d’actualité, mais, en l’état de l’instruction, ils n’établissent pas l’avoir précédemment évoqué au cours de la campagne.
Voir CE, 25 février 2015, Elections municipales de Voisins-le-Bretonneux, N° 385686 sur la notion d’élément nouveau de polémique électorale et sur la dialectique de la preuve.
Grief retenu.
Concernant le déroulement du scrutin :
Nous en venons maintenant aux deux griefs portant sur le déroulement du scrutin lui-même dont l’un concernant les procurations pourra être retenu.
L’absence de contrôle systématique de l’identité des votants :
Le 1er grief porte sur l’absence de vérification systématique de l’identité des électeurs lors du vote en méconnaissance de l’article R. 60 du code électoral, qui s’applique aux communes de plus de 1000 habitants
L’article R 60 prévoit que : « Les électeurs des communes de 1 000 habitants et plus doivent présenter au président du bureau, au moment du vote, en même temps que la carte électorale ou l'attestation d'inscription en tenant lieu, un titre d'identité ; la liste des titres valables est établie par arrêté du ministre de l'intérieur. »
Vous ne retiendrez pas ce grief en vous appuyant sur l’arrêt cité par les défendeurs (CE 26 janvier 2015 n° 382458) qui juge que s’il est allégué que des électeurs auraient voté sans que leur identité soit vérifiée, il n’est pas allégué ni établi « que des électeurs admis à voter n'auraient pas été régulièrement inscrits sur la liste électorale ou qu'ils auraient voté sous une fausse identité ».
En l’espèce aucune observation sur ce point ne figure sur les procès-verbaux des bureaux de vote. Par ailleurs, les défendeurs soutiennent, sans être contredit, que sur les six bureaux de vote quatre étaient tenus par des colistiers de M. L… M….Nous estimons qu’en l’état de l’instruction le grief n’est pas établi et il sera écarté.
Les irrégularités relatives aux procurations :
Le second grief porte sur le retard dans l’acheminement de 3 procurations. M. L… M… soutient qu’au moins dix-sept procurations ont été reçues postérieurement aux opérations de vote.
M. L… M… demande la mise en œuvre de la méthode des adjonctions hypothétiques, ce qui, selon lui, le placerait en tête avec la prise en compte de 17 procurations en faisant application de la jurisprudence en ce domaine. CE, 11 mai 1998, Elections municipales de Semur-En-Auxois, N° 187258
Cet arrêt fixe la règle suivante en se plaçant dans l’hypothèse où un électeur a été privé de l'exercice de son droit de suffrage en raison de l'acheminement tardif de sa procuration qui, n'est parvenue à son mandataire que postérieurement au scrutin, alors même qu'il l'avait établie en temps utile. Dans ce cas de figure, revendiqué par M. L… M…, le Conseil d’Etat applique la méthode dite des adjonctions hypothétiques en plaçant les candidats dont l'élection est contestée dans la situation la plus défavorable en ajoutant les procurations contestées aux voix obtenues par les candidats battus.
Comme nous l’avons indiqué au stade de la recevabilité, vous n’allez vous pencher que sur trois procurations.
En l’espèce, il résulte de l’instruction que les procurations établies par Mmes K… et J…., ainsi que celle de M. E…, ont été tardivement acheminées par l’administration postale, de sorte qu’elles ne sont parvenues en mairie que postérieurement au jour du scrutin, alors même qu’elles avaient été établies en temps utile.Ces trois électeurs, qui étaient munis de leur procuration, n’ont pas pu voter car ils n’étaient pas inscrits au registre des procurations, du fait du retard d’acheminement.
Il convient d’ajouter ces trois suffrages aux 1 319 voix recueillies par la liste de M. L… M…, portant ainsi le résultat de celle-ci à 1 322 voix. De ce fait, l’écart de voix entre les deux listes n’est plus que de deux voix (au lieu de 5)
Concernant la sincérité du scrutin :
Reste maintenant à déterminer quelle conséquence tirer de ces diverses irrégularités sur le scrutin.
Vous savez que toutes les irrégularités ne sont pas nécessairement sanctionnées et qu’elles ne conduisent pas le juge à annuler de ce fait les opérations électorales.
Ainsi nos collègues du tribunal administratif de Lille ont jugé récemment
« Il n’appartient pas au juge de l’élection de sanctionner toute irrégularité ayant pu entacher le déroulement d’une campagne électorale, mais seulement d’apprécier si cette irrégularité a été de nature à affecter la sincérité du scrutin et, par suite, la validité des résultats proclamés. » (TA de Lille, 15 juillet 2020, Elections municipales d’Ambleuteuse, N° 2002541)
Le juge prend par ailleurs en considération l’écart de voix entre les candidats ou listes pour répondre par l’affirmative à cette question de l’altération de la sincérité du scrutin.
Dans l’affaire que vous devez juger, nous avons proposé de retenir plusieurs griefs et donc de constater plusieurs irrégularités par rapport aux dispositions du Code électoral : (cinq au total dont 4 concernant la campagne électorale) :
-
la publication dans le journal de campagne, le dernier jour de la campagne électorale, d’une analyse financière tronquée et en partie erronée, établie par une colistière de M. Q… se prévalant de sa qualité d’inspectrice des finances ; il s’agit là d’une manœuvre ;
-
la méconnaissance de l’article L. 52-8 du code électoral (dons de personnes morales), au moins pour les visières fournies par SIGMA ;
-
méconnaissance de l’article L. 49 du code électoral (en raison de la publication de messages sur des comptes facebook la veille de l’élection) ;
-
méconnaissance de l’article L. 48-2 du code électoral (introduction d’éléments de polémique nouveaux trop tardivement pour permettre à la partie adverse d’y répondre) ;
-
et enfin, la prise en compte de trois procurations pour M. L… M… ramenant l’écart à deux voix seulement.
Bien évidemment, chacune de ces irrégularités, prise individuellement, n’aurait sans doute pas été de nature à entrainer l’annulation des élections si l’écart de voix avait été important.
Mais dans cette affaire, l’accumulation des irrégularités notamment au cours de la campagne électorale doit nécessairement vous conduire à considérer, compte tenu de l’écart de voix extrêmement faible, que ces irrégularités et manœuvres ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
C’est d’ailleurs souvent en raison à la fois d’un faible écart et de la conjonction de plusieurs irrégularités que le juge annule l’élection contestée.
Voir CE, 25 février 2015, Elections municipales de Voisins-Le-Bretonneux, N° 385686 (déjà cité) Faible écart de voix de 0,23 % ; et deux irrégularités : L 49 du code électoral (message facebook même dépourvu d’élément de polémique) plus méconnaissance de l’article L. 48-2.
TA de Bordeaux, 5 juin 2014, M. X. (Elections municipales de Salles), N° 1401137. Ecart de 0,22 % des voix et conjonction de plusieurs irrégularités là aussi.
Aussi du fait de l’écart de voix infime (2 seulement après prise en compte des procurations) et des multiples irrégularités contestées, nous vous proposons d’annuler le deuxième tour des élections d’Aubière.
Conclusions fondées sur l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
S’agissant des frais irrépétibles compte tenu de la solution proposée les conclusions des défendeurs seront rejetées. En revanche ils seront condamnés à indemniser M. L… M… qui a dû engager des frais (huissiers) et prendre l’attache d’un avocat.
Par ces motifs nous concluons à l’annulation du second tour de l’élection municipale et communautaire de la commune d’Aubière, qui s’est tenue le 28 juin et à la condamnation des défendeurs à payer à M. L… M… la somme de 1 000 euros au titre L. 761-1 du code de justice administrative et au rejet des mêmes conclusions présentées par les défendeurs.