Elections municipales second tour : communes d'Aubière et Pont-du-Château

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Décisions de justice

TA Clermont-Ferrand – N° 2001090 – Commune d'Aubière – 26 janvier 2021 – C+

Jugement confirmé en appel : CE, 30 décembre 2021- N° 450099

Juridiction : TA Clermont-Ferrand

Numéro de la décision : 2001090

Date de la décision : 26 janvier 2021

Code de publication : C+

TA Clermont-Ferrand – N° 2001091 – Commune du Pont-du-Château – 26 janvier 2021 – C+

Juridiction : TA Clermont-Ferrand

Numéro de la décision : 2001091

Date de la décision : 26 janvier 2021

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Elections municipales, Déroulement du scrutin, Vote par procuration, Sincérité du scrutin

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

Le tribunal administratif a rendu deux jugements sur le 2ème tour des élections municipales pour les communes d’Aubière et de Pont du Château qui se sont déroulées le 28 juin 2020. Dans les deux cas, le tribunal administratif rejette les protestations et valide les élections alors que quelques voix seulement séparent les listes en présence.

La tâche du juge de l’élection est très délicate car les électeurs ont le pouvoir souverain, démocratique, qu’ils expriment par le suffrage universel. La volonté du peuple s’exprime en effet par la voie des élections et parfois du référendum. Le jour du scrutin est une journée républicaine « sacrée ».

Le juge de l’élection doit évidemment et avant tout respecter la volonté populaire telle qu’elle s’est exprimée. Il doit aussi examiner sans faiblesse les cas avérés de fraude, de manœuvre ou d’irrégularité et les sanctionner, si nécessaire, par l’annulation des élections et le renvoi devant les électeurs.

La synthèse de ces deux objectifs parfois contradictoires s’opère par l’appréciation portée sur l’influence potentielle sur les résultats du scrutin des irrégularités relevées, autrement dit, sur l’existence, ou non, d’une altération portée à la sincérité même de ce scrutin. L’existence d’une fraude, irrégularité ou manœuvre ne suffit pas à annuler l’élection, il faut qu’elle ait eu en plus une influence déterminante.

L’écart de voix existant entre les listes entre ici en ligne de compte dans le cadre de cette appréciation : il est ainsi très rare que le juge administratif annule une élection avec plus de 5 % d’écart entre les listes de candidats. Mais le juge peut aussi valider une élection avec une seule voix d’écart : ce n’est pas parce que l’écart est très faible qu’il faut annuler automatiquement une élection.

Ainsi, si une fraude, une irrégularité ou une manœuvre est constatée, le juge doit apprécier ensuite si elle a eu, ou non, des conséquences sur le vote des électeurs : la manœuvre a-t-elle pu influencer l’électeur et de quelle façon ?

Les griefs portaient sur le déroulement de la campagne et ses abus éventuels, la prise en compte des procurations arrivées tardivement à la mairie, l’organisation du scrutin le 28 juin 2020 dans le contexte sanitaire, ainsi que le dépouillement des bulletins de vote.

Dans les deux cas, pour les communes de Pont du château et d’Aubière, le tribunal a estimé que les griefs n’étaient pas fondés ou que les irrégularités mineures constatées n’avaient pas pu altérer la sincérité du scrutin en dépit du très faible écart de voix.

28-04-04, 28-04-05, Elections municipales, Opérations électorales, Campagne électorale, Déroulement du scrutin, Vote par procuration, Sincérité du scrutin, Ecart de voix, L. 48-2 du code électoral, L. 49 du code électoral, L. 71 du code électoral, R. 60 du code électoral

Élections municipales de 2020 : Quand l’écart de voix se voit écarté

Antoine Carpentier

Doctorant en Droit public, Université Clermont Auvergne CMH - EA 4232

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DOI : 10.35562/alyoda.6673

Résolument, les élections municipales de 2020 n’ont ressemblé à aucune autre. Elles ont d’abord été controversées a priori. Alors que la pandémie de Covid-19 gagnait rapidement du terrain en France, les pouvoirs publics ont préféré maintenir la tenue du premier tour de ce rendez-vous électoral, le dimanche 15 mars 2020. Elles ont ensuite été, en partie, repoussées. En raison de l’aggravation des risques épidémiques et de l’instauration d’un confinement généralisé, le président de la République annonçait, dans son allocution télévisée du 16 mars, le report du second tour initialement prévu le 22 mars. Si la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 n° 2020-290 du 23 mars 2020 prévoyait de renvoyer le second tour des élections au plus tard en juin 2020, le décret n° 2020-642 du 27 mai 2020 retiendra précisément la date du 28 juin 2020. Elles ont enfin été discutées a posteriori : après le débat politique, les élections municipales ont donné lieu à un débat contentieux. La contestation juridictionnelle s’est rapidement formée comme en témoigne la décision du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 26 janvier 2021.

En l’espèce, à l’issue des opérations électorales de la commune d’Aubière (Puy-de-Dôme), la liste conduite par M. Sylvain Casildas (Div. D.), « Ensemble pour vivre bien à Aubière », est parvenue en tête des suffrages avec 1524 voix, soit 47, 57% des votes exprimés. Face à cette liste, celle menée par M. Florent Guitton (Union G.), « Un avenir à partager Aubière, ville durable et solidaire », est arrivée en deuxième position avec 1519 voix, représentant 47, 41% des suffrages. Enfin, la liste dirigée par M. Vincent Salesse (Div. C), « Aubière avant tout », s’est placée en dernière position avec 161 voix, à savoir 5, 02% des votes. Ainsi, l’écart entre les listes de M. Casildas et M. Guitton était mince : 5 voix seulement les séparaient, représentant 0, 15% des suffrages exprimés. En conséquence, M. Guitton a demandé au juge électoral d’annuler le résultat du second tour des élections municipales.

Dans une décision du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la protestation de M. Guitton et de ses colistiers. Écartant la plupart des griefs du protestataire, le juge a conclu qu’ils « ne sont pas fondés à demander l’annulation des opérations électorales qui se sont tenues le 28 juin 2020 dans le cadre des élections municipales à Aubière ».

Pour la presse locale, ce jugement n’est qu’une « une surprise relative » (E. Moreau, « Aubière : le résultat des élections municipales validé par le Tribunal administratif », France Bleu Pays d’Auvergne, 27 janv. 2021) . Il n’en reste pas moins que cette décision peut susciter une attention plus soutenue. D’abord, et à titre principal, compte tenu de la question centrale qui intéressait le litige : le faible écart de voix permet-il d’annuler une élection ? Le droit électoral a ceci de particulier que le juge se satisfait de quelques illégalités dès lors que la volonté des citoyens est respectée. L’usage fréquent du critère de « l’écart de voix » par le juge électoral en est le témoin. Alors, en confrontant le refus d’annuler les opérations électorales malgré la faiblesse de l’écart de voix à la jurisprudence antérieure, la décision clermontoise révèle toute sa portée. Ensuite, car les conclusions du rapporteur public n’ont pas été suivies. Au regard de plusieurs griefs jugés « solides et étayés », ce dernier concluait à l’annulation du scrutin municipal. Un fait qui mérite d’être souligné et exploité. Ces considérations étant admises, le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand peut prêter à une réflexion plus large. Chemin faisant, c’est le rapport délicat qu’entretient le juge administratif avec le politique qui est révélé en filigrane.

Partant, la décision clermontoise peut susciter une réaction nuancée. Certes, avant de porter son regard sur l’écart de voix, le juge clermontois vérifie l’existence de possibles irrégularités des opérations électorales pour, conséquemment, contrôler la sincérité du scrutin (I.). Toujours est-il que sa motivation et l’issue qu’il donne au litige peuvent laisser songeur (II.)

I. – Le juge électoral fait entendre sa voix ! La validation de l’élection malgré l’écart de voix

Le protestataire soutenait que « le faible écart de voix, qui s’établit à 5, entre sa liste et la liste victorieuse justifie que les irrégularités commises entraînent l’annulation des résultats du scrutin ». Or, pour le juge clermontois, compte tenu de l’état du droit positif, l’élection n’a pas à être annulée (A.), bien que l’écart de voix entre les listes soit maigre (B.)

A. – La confirmation d’un scrutin municipal contesté

Dans son jugement du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a validé les élections municipales d’Aubière sans faire preuve d’innovation juridique. En reprenant isolément chaque réponse apportée aux griefs soulevés, la parole du juge se présente comme un reflet parfait du droit électoral positif. Et ce, qu’il s’agisse aussi bien des règles encadrant le contentieux électoral que celles encadrant le droit des élections.

Dans un premier temps, le tribunal réitère certaines règles spécifiques au contentieux électoral. Le défendeur soulevait trois fins de non-recevoir fondées sur l’expiration du délai de recours contentieux contre les opérations électorales. Le juge lui a donné partiellement raison, s’agissant des griefs tirés de l’irrégularité de certains votes par procuration et de la différence entre le nombre de bulletins trouvés dans l’urne d’un bureau de vote et celui de signatures relevées sur la liste d’émargement. Ceux-ci ont été invoqués après l’expiration du délai de recours. Cette conduite du tribunal administratif rigidifie un peu plus le contentieux électoral. En effet, comme le relève déjà Romain Rambaud, « le juge est très exigeant concernant le caractère nouveau d’éventuels griefs qui seraient formés après l’expiration des délais de recours contentieux » (Droit des élections et des référendums politiques, LGDJ, coll. Domat public, 2019, p. 665). De la même manière, les griefs soulevés par la partie protestataire doivent être exprimés avec minutie et attention. En l’espèce, le juge clermontois confirme la position traditionnelle du Conseil d’État relative aux règles du contentieux des procurations électorales. Il ne suffit pas seulement d’opposer l’existence d’irrégularités dans les votes par procuration, il convient de préciser les noms des électeurs dont les suffrages sont contestés (CE, 27 oct. 1999, n° 205995 205996, Élections territoriales à l’Assemblée de Corse, Lebon p. 206) .

Dans un second temps, le « droit électoral substantiel » (B. Maligner, Droit électoral, Ellipses, 2007, 1071 p.) s’est aussi trouvé fortifié. Qu’il s’agisse d’abord du cadre juridique des campagnes électorales puisque le juge clermontois s’inscrit céans dans le sillage du Conseil constitutionnel. Plus précisément, il fait une application classique des principes encadrant la fin de la campagne électorale et la période qui précède l’élection dite de « recueillement républicain » (B. Maligner, « La propagande électorale », AJDA 2011, p. 2167). Ainsi, comme le Conseil constitutionnel en 2012 (CC, 29 nov. 2012, n° 2012-4596 AN, Doubs (2e circ.) ), le tribunal estime que si les éléments litigieux étaient déjà présents dans la campagne et avaient déjà fait l’objet d’un débat politique contradictoire, alors ils ne peuvent être qualifiés de propos polémique nouveau sanctionnés par l’article L. 48-2 C. élect.. De la même manière, comme le Conseil constitutionnel en 2012 (CC, 29 nov. 2012, n° 2012-4601 AN, Eure-et-Loire (1ère circ.) ), le juge considère que la diffusion de publications de propagande par internet la veille du scrutin, pour regrettable qu’elle soit compte tenu de sa contradiction avec les termes de l’article L. 49 C. élect., est sans influence sur la validité du scrutin. Qu’il s’agisse ensuite des règles relatives aux opérations de vote puisque le juge électoral de Clermont-Ferrand s’est conformé aux positions du Conseil d’État. Comme ce dernier en 2009, le juge a écarté le grief de la défaillance du contrôle d’identité des électeurs dans la mesure où il n’était pas établi que des électeurs irrégulièrement inscrits sur la liste électorale avaient pu voter ou que certains auraient voté sous une fausse identité (CE, 15 mai 2009, Él. mun. du Blanc-Mesnil, n° 032204) . Aussi, comme le Conseil d’État en 1990 (CE, 23 fév. 1990, Él. mun. de Bastia, n° 109014 109037, inédit), le tribunal a repris à son compte (presque mot pour mot) la technique de l’imputation hypothétique. Autrement dit, lorsque le juge est certain que des négligences ont eu une incidence sur les résultats de l’élection (en l’espèce, à propos des procurations), il en apprécie les conséquences par une simulation arithmétique.

Ces considérations mettent en exergue plusieurs réalités parfois négligées. D’une part, les tribunaux administratifs demeurent fidèles aux juridictions suprêmes. Par un certain mimétisme, le juge de premier ressort appert comme le garant d’une certaine continuité, la meilleure assurance d’une stabilité des significations juridiques. D’autre part, le droit électoral repose sur un équilibre. Il est un droit qui connaît des règles contentieuses que le juge observera avec précision et rigueur mais, en même temps, il peut s’accommoder de quelques irrégularités dans son application. Ce balancement, exigeant si ce n’est déconcertant pour les requérants, s’explique certainement par la finalité du droit électoral : non pas le respect du droit pour le droit mais plutôt l’assurance d’une juste et équitable représentation démocratique.

Subséquemment, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a reconnu certaines irrégularités. Combinées avec le faible écart de voix, ces négligences auraient pu conduire à l’annulation du scrutin. Mais le juge clermontois en a décidé autrement.

B. – Le refus de faire d’une élection serrée une élection annulée

S’il est un droit où l’adage « Dura lex, sed lex » trouve habituellement des tempéraments, c’est bien le droit électoral. La mobilisation du critère de l’écart de voix en est une illustration. Sommairement, si le juge constate une ou plusieurs irrégularités et un faible écart de voix entre les listes candidates, il pourra considérer que le ou les manquements ont eu un effet déterminant sur le scrutin et annulera en conséquence l’élection. À l’inverse, même en cas de quelques anomalies, si l’écart de voix est important alors l’élection pourra être confirmée. En l’espèce, pour le tribunal, bien qu’il n’y ait que deux voix séparant les listes (après imputation hypothétique), les irrégularités relevées ne sont pas de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Primo, cette attitude du juge révèle une certaine tolérance. Sans prétendre à une analyse exhaustive, un regard porté sur la jurisprudence antérieure et sur des cas d’espèces passés permet de constater que le juge administratif a pu annuler des élections pour une unique irrégularité, fût-elle d’apparence bénigne. Par exemple, le Conseil d’État a annulé des élections au seul motif que les bulletins de vote d’une liste candidate étaient irréguliers dans la mesure où ils ne comportaient pas l’indication de la nationalité d’une candidate ressortissante belge (CE, 22 juin 2015, Él. mun. de Wasquehal, n° 385686, au Lebon T.) . De la même manière, la doctrine a démontré que l’écart de voix susceptible d’entraîner l’annulation d’une élection, dès lors que des irrégularités ont été constatés, se situe « en règle générale entre 0 et 1, 7 % des suffrages exprimés » (R. Rambaud, « Contentieux des élections municipales : les “lois” de l'écart de voix », AJDA 2020, p. 1596). En l’espèce, l’écart de voix était de 5 voix, soit 0, 15% des suffrages exprimés. Même, cet écart peut être ramené à 2 voix, après l’imputation hypothétique faite par le juge, soit 0, 06% des suffrages exprimés. Or, il est arrivé que des scrutins avec un écart de voix bien plus important (tant en termes de voix qu’en termes de suffrages exprimés) soient annulés. Par exemple, dans le cadre des élections municipales de 2008, sur vingt-et-une élections annulées, vingt avaient un écart de voix supérieur à celui du scrutin aubiérois (v. à ce propos, B. Maligner, « Qu'est-ce qu'un faible écart de voix dans la jurisprudence récente du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel ? », in C. Boutayeb (dir.), La Constitution, l'Europe et le droit, Mélanges en l'honneur de Jean‑Claude Masclet, Publ. de la Sorbonne, 2013, p. 298).

Secundo, le juge administratif de Clermont-Ferrand adopte une position flottante et subtile vis-à-vis de l’écart de voix litigieux. Face aux nombreux griefs soulevés par la partie protestataire, le juge se contente d’avoir recours à des circonlocutions du type « cette méconnaissance […] n’apparaît pas de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin » ou encore « la circonstance […] est sans incidence sur l’issue du scrutin ». Cette dialectique n’est pas novatrice dans la mesure où le juge électoral mobilise ordinairement des expressions analogues telles que « pour regrettable que soit cette méconnaissance » (CE, 5 juin 2015, Él. mun. de Terre-de-Haut, n° 383197, inédit) . Néanmoins, ce vocable indirect peut témoigner d’un certain embarras de la part du juge. Le refus d’annuler l’élection n’est pas franc, certain et le langage prétorien semble traduire une difficulté à trouver les mots appropriés et ainsi, révéler une pleine conscience qu’une autre solution, pour les mêmes faits, aurait pu être rendue. Cette gêne est d’autant plus probante que le tribunal administratif s’est expliqué plus amplement après la publication de son jugement. Dans un communiqué de presse du 29 janvier 2021, le tribunal clermontois précise que s’ « il est ainsi très rare que le juge administratif  annule une élection avec plus de 5% d’écart entre les listes de candidats […], le juge peut aussi valider une élection avec une seule voix d’écart : ce n’est pas parce que l’écart est très faible qu’il faut annuler automatiquement une élection ». En utilisant un instrument qui relève « davantage de la communication institutionnelle que de la stratégie pédagogique » (O. Renaudie, « Les communiqués de presse du Conseil d’État : outil pédagogique ou support de communication ? » in P. Raimbault & P. Hecquard-Théron (dir.), La pédagogie au service du droit, LGDJ, 2011, p. 309), le tribunal met en doute – indirectement et, à coup sûr, inconsciemment – le fait qu’une décision de justice se suffise à elle-même. Comme si une prise de parole du juge a posteriori était nécessaire pour se justifier.

Cela étant, la décision du tribunal administratif de Clermont-Ferrand peut être soumise à controverse.

II. – Le juge électoral a-t-il choisi la bonne voie ? La discussion possible du jugement clermontois

Il ne s’agit pas ici de discréditer le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Loin sans faut. Plutôt, il convient d’adopter une position critique vis-à-vis de cette décision pour en saisir pleinement le sens et en expliquer les soubassements. Ainsi, si la position définitive du tribunal clermontois peut a priori surprendre compte tenu des conclusions du rapporteur public (A.), la motivation mesurée du juge peut aussi interroger (B.).

A. – Une position inverse mais significative du rapporteur public

Même si le fait que les conclusions du rapporteur public n’aient pas été suivies par le juge est « sans influence sur la régularité du jugement » (CAA Marseille, 20 oct. 2016, Asso. de défense de l’environnement orangeois, n° 15MA01933, inédit), qu’il soit au moins admis qu’une autre issue au litige pouvait, objectivement, être envisagée.

Effectivement, quatre points litigieux ont retenu l’attention du rapporteur public. Au préalable, selon ce dernier, la diffusion du « journal de campagne » comprenant un article relatif à l’état des finances publiques de la commune par une colistière de M. Casildas, celle-ci faisant valoir sa qualité d’inspectrice des finances publiques, aurait été de nature à altérer la sincérité du scrutin. Ensuite, il estime que la liste victorieuse a bénéficié de dons de personnes morales, en méconnaissance de l’article L. 52-8 C. élect.. Davantage, la diffusion de messages de propagande la veille du scrutin sur les réseaux sociaux par les colistiers de M. Casildas constitue un grief supplémentaire retenu par le rapporteur public. Enfin, concernant un article du « journal de campagne » relatif au repas de Noël des personnes âgées, il s’agirait d’un élément nouveau de polémique électorale. Conformément à son raisonnement, il conclut que « l’accumulation des irrégularités […] doit nécessairement […] conduire [le juge] à considérer, compte tenu de l’écart de voix extrêmement faible, que ces irrégularités et manœuvres ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin. ».

Ces conclusions appellent deux séries de remarques. En premier lieu, c’est un truisme que de constater que le rapporteur public et le juge clermontois n’ont pas la même appréciation des faits. Le premier reconnaît plus d’irrégularités que le second. Plus encore, le fait que le juge ne suive pas les conclusions du rapporteur public est à signaler. D’une part, les praticiens du droit reconnaissent souvent que ces dernières préfigurent, dans de nombreux cas, ce que sera la décision à venir. D’autre part, la doctrine s’accorde à dire que la contrariété entre la décision du juge et les conclusions du rapporteur public est « un indice révélateur de points de vue divergents, dont il faut bien avouer que nous ne sommes gère familiers de par notre culture juridique » (H. de Gaudemar & D. Mongoin, Les grandes conclusions de la jurisprudence administrative, vol. 1, LGDJ, 2015, p. 10). En second lieu, le rapporteur public et le juge n’observent pas le rapport entre les irrégularités et le faible écart de voix de la même manière. Là où le juge apprécie les irrégularités de façon autonome, en propre, le rapporteur public les considère collectivement, en bloc. Pour le juge, telle irrégularité n’apparaît pas de nature à altérer la sincérité du scrutin. Pour le rapporteur public, partant du constat que l’écart de voix est faible, la superposition d’irrégularités porte atteinte à la sincérité du scrutin. Donc, le raisonnement est différent : le premier cloisonne les comportements, là où le second appréhende les pratiques électorales de façon systémique.

Dans ces conditions, pourquoi le juge s’est-il écarté des observations du rapporteur public ? Sans chercher à deviner les convictions conservées in petto par le juge, l’enjeu du litige a pu être déterminant. Annuler une élection revient à organiser de nouvelles opérations électorales. Cela conduit donc à la mobilisation de moyens financiers, opérationnels et humains importants. D’autant plus que le contexte sanitaire a montré la difficulté d’organiser un scrutin dans ces circonstances. Mais plus profondément, annuler une élection, ce n’est pas annuler un acte administratif. Annuler une élection, c’est annuler l’expression, fût-elle contestable et contestée, d’une volonté populaire. Dès lors, au-delà de son fondement juridique, ce sont certainement les conséquences, voire les conséquences potentielles, de la décision du juge qui ont été prééminentes dans le choix de sa solution. Si depuis la thèse de Sylvie Salles (Le conséquentialisme dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, LGDJ, 2016, 800 p.), la doctrine admet que le Conseil constitutionnel est soucieux des conséquences de ces décisions, qu’il soit suggéré que le juge administratif se prête aussi à un conséquentialisme tacite pour fonder ses décisions.

En sus, un autre trait particulier du jugement clermontois peut être observé : la motivation du juge.

B. – Une motivation modeste mais révélatrice du juge de l’élection

La motivation du tribunal administratif de Clermont-Ferrand peut prêter à discussion, celle-ci étant par moment quelque peu timide.

De cette façon, à propos du repas de Noël des personnes âgées évoqué dans le « journal de campagne » l’avant-veille du scrutin, le juge considère qu’il ne s’agit pas d’un élément de polémique électoral nouveau puisque « M. Casildas établit que le débat avait été publiquement porté dans la commune dès l’année de 2015 ». De la même manière, s’agissant de l’organisation de la rentrée scolaire, la conclusion est là même car « M. Casildas fait valoir, sans être utilement contesté, qu’il s’agissait d’un sujet d’actualité bien connu de tous les électeurs, étant donné le contexte de la crise sanitaire ». Aussi, concernant les erreurs de comptage, alors que le tribunal admet que des attestations de scrutateurs témoignent de manquements et reconnaît que le maire sortant a refusé un nouveau recomptage, il juge que « ce grief n’est pas suffisamment établi […], dès lors notamment que M. Casildas et ses colistiers apportent également des attestations en sens inverse ».

Ainsi, le juge fait preuve d’une justification timorée. Certes, cette interprétation peut être autant partagée que controversée. D’aucuns considéreraient que la motivation est suffisante. D’autres jugeraient la situation courante et dépourvue d’incidence sur l’analyse de la décision. Pour autant, parce que la motivation « répond à des enjeux essentiels en termes de justice » (M. Chateau-Grin, La motivation des décisions du juge administratif, [thèse de doctorat], Université Bretagne Loire, 2018, p. 14) et, surtout, parce que la motivation est l’une des garanties – peut-être la meilleure – contre l’arbitraire du juge, le problème ne peut être réellement esquivé. Sur ce, il convient d’être exigeant avec le juge. Or, la justification du juge clermontois pourrait être plus développée. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les conclusions du rapporteur public et la décision du tribunal administratif. De surcroit, la motivation du juge reste bien souvent cantonnée à de simples considérations de fait. Finalement, bien que la tendance du contentieux administratif soit aux « arrêts d’explications » (B. Plessix, « Chronique Droit administratif », JCP G 2007, I. 193, n° 40, p. 25), l’ « imperatoria brevitas », selon la formule du doyen Hauriou pour désigner la brièveté des décisions du Conseil d’État (M. Hauriou, « Limites des pouvoirs de police en temps de guerre », Note sous CE, 28 fév. 1919, Dol et Laurent, S. 1918-1919.3.33’), ne semble pas avoir complètement disparu. On peut même penser – parier ? – qu’elle n’est pas prête de disparaître tant elle trouve, historiquement, son explication dans la distance que le juge administratif entretient avec le, et donc la, politique.

Ce disant, au-delà du cas d’espèce et des questions de technique juridique qu’il soulève, le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand trouve sa place dans le débat du positionnement disciplinaire et épistémologique du droit électoral. Pour certains, il se réduirait à une sous-catégorie du droit constitutionnel ou du droit administratif. Pour d’autres, il aurait pleinement acquis son autonomie. Or, pour appréhender le phénomène électoral dans sa globalité et comprendre ce qui est seulement deviné pour l’heure, le droit électoral peut aussi être saisi pour ce qu’il est par essence : un droit politique.

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0

Conclusions du rapporteur public

Philippe Chacot

Rapporteur public au tribunal administratif de Clermont-Ferrand

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DOI : 10.35562/alyoda.8331

Cette protestation présentée par M. L… M… concerne le second tour des élections municipales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 à Aubière.

La liste victorieuse, conduite par M. Q…, « Ensemble pour vivre bien à Aubière », a recueilli 1.524 voix, soit 47,57 % des suffrages exprimés. La liste de M. L… M…, « Un avenir à partager Aubière, ville durable et solidaire », s’est placée deuxième avec 1.519 voix, soit 47,41 % des suffrages. Une troisième liste conduite par M N… a recueilli 161 voix soit 5,02 % des suffrages exprimés.

Comme vous le constatez d’emblée, c’est donc un écart très faible de 5 voix seulement qui sépare les deux listes arrivées au coude à coude au second tour (comme elles l’étaient déjà au 1er tour de scrutin).

Contrairement à de nombreuses protestations que nous avons eu à traiter, à la suite de ces élections municipales de 2020, qui étaient peu sérieuses et qui ont d’ailleurs été rejetées, vous avez cette fois-ci affaire à une vraie protestation ; nous serions tentés de dire une protestation légitime, par contraste avec les précédentes. L’écart de voix est en effet très faible en valeur absolue : 5 voix, tout comme en valeur relative, puisque représentant 0,15 % des 3.204 suffrages exprimés.

De plus les griefs sont ici nombreux, solides et étayés. Ils concernent le déroulement de la campagne électorale et le déroulement du scrutin (essentiellement les procurations).

Vous ne serez donc pas surpris que nous vous proposions d’annuler ces élections.

I - Sur les fins de non-recevoir soulevées par M. Q… et ses colistiers :

Toutefois, avant d’en venir à l’examen des griefs vous devrez statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense qui portent sur la recevabilité de trois griefs.

Grief nouveau : campagne électorale : rentrée scolaire et finances communales

Les défendeurs : M. Q… et ses colistiers estiment que le grief relatif à la publication d’articles concernant deux sujets : la rentrée scolaire et les finances communales seraient des griefs nouveaux formulés postérieurement à l’expiration du délai de recours contentieux, ce qui les rendraient irrecevables.

Comme vous le savez, la notion de grief en matière électorale est très différente de celle de moyen en contentieux de l’excès de pouvoir. La notion de grief, qui est propre au contentieux électoral, s’apparente donc plus à celle de la cause juridique, mais prise de manière beaucoup plus fine que celle du contentieux général du recours pour excès de pouvoir.

Le juge de l’élection prend en compte en effet, dans l’examen d’une protestation, un très grand nombre de griefs qui peuvent être relatifs à l’éligibilité des candidats, au déroulement de la campagne électorale, au déroulement du scrutin lui-même à l’établissement des procurations etc…

Voir sur ce point le rappel de cette notion fait par Mme Courège dans ses conclusions sous l’arrêt CE 31 dec 2008 Mlle X. n° 317585.

Le juge électoral se montre assez strict sur la notion de grief nouveau et il écarte fréquemment des griefs présentés au-delà du délai de recours.

En l’espèce, les arguments développés dans un mémoire ampliatif et relatif à la publication d’articles concernant ces deux thématiques que sont la rentrée scolaire et les finances communales ne constituent pas des griefs nouveaux présentés tardivement, mais des arguments supplémentaires venant étayer le grief portant sur le non-respect des dispositions de l’article L. 48-2 du code électoral prohibant la publication d’éléments nouveaux de polémique électorale, grief qui lui a été présenté dans le délai de recours.Cette première fin de non-recevoir sera donc écartée.

Deuxième grief irrecevable : procurations

Dans sa requête initiale M. L… M… soulève un grief relatif aux procurations et plus spécifiquement sur le retard dans l’acheminement de trois procurations. Dans un mémoire ampliatif, il évoque trois nouvelles procurations qui n’ont pas pu être utilisées et dont il demande l’adjonction à son nombre de voix. Il s’agit de celles de M. Mme V… de M. C… et de Mme F….

Les défendeurs soutiennent qu’il s’agit là d’un grief nouveau qui est irrecevable, car tardif.

La recevabilité des griefs en matière de procurations est fixée par la jurisprudence et elle reste assez stricte même si elle s’est assouplie. Dans son arrêt du 13 juillet 2010, Elections municipales d’Aix-en-Provence, N° 335843 le Conseil d’Etat rappelle que le grief tiré de l’irrégularité de certains votes par procuration n’est recevable que s’il est assorti, dans le délai de saisine du juge de l’élection, de précisions suffisantes tenant aux bureaux de vote concernés et au nom des électeurs dont les suffrages sont concernés.

Voir également l’arrêt plus récent du 1er juin 2016 CE Elections régionales PACA 395363
Les conclusions du rapporteur public sous cet arrêt rappellent que le grief relatif aux procurations est irrecevable s’il est présenté dans le délai de recours, « en des termes généraux sans cibler ni bureau ni électeur particulier ».Nous estimons que vous devrez rester sur cette ligne jurisprudentielle, certes exigeante pour les requérants, et que vous devrez estimer que le grief relatif au retard d’acheminement des protestations devra être limité seulement aux trois procurations de Mmes K… et J… et de M. E. , qui ont été citées nominativement à l’intérieur du délai de recours.

Dans ces conditions les irrégularités éventuelles concernant les procurations de MM. Mme V. et C… et de Mme F…, invoquées au-delà du délai de recours ne seront pas examinées car irrecevables.

3eme grief : opérations de dépouillement et comptage des bulletins

Dans un mémoire ampliatif du 26 novembre 2020 M. L… M… fait valoir que dans l’urne du bureau n° 5 ont été trouvées 599 enveloppes alors que le nombre d’émargement pour ce bureau s’élevait à 598.
Il demande que cette voix excédentaire soit hypothétiquement retranchée du nombre de voix obtenues par la liste victorieuse.

Il invoque également des erreurs de comptage des bulletins dans le bureau de vote n° 1.

M. Q… et ses colistiers font valoir que le grief relatif aux opérations de dépouillement et à la comptabilisation des bulletins est nouveau car il a été présenté au-delà du délai de recours et qu’il est irrecevable car tardif.

Vous retiendrez cette fin de non-recevoir ; le grief sera jugé irrecevable.

II - Sur les conclusions à fin d’annulation des opérations électorales :

Nous en venons maintenant à l’examen des nombreux griefs tendant à l’annulation des élections. Plusieurs d’entre eux devront être retenus selon nous.

Concernant le déroulement de la campagne électorale :

Cinq griefs concernant le déroulement de la campagne sont présentés par M L… M. Nous considérons que quatre au moins doivent être retenus.

Mise en exergue de son statut de fonctionnaire d’Etat par une colistière auteur d’un texte de propagande :

M. L… M… fait valoir que le journal de campagne, qui a été diffusé le dernier jour de la campagne électorale dans les boîtes aux lettres contient une analyse financière établie par une colistière de M. Q… qui, en mettant en avant sa qualité de fonctionnaire d’Etat et d’inspectrice des finances publiques, a manqué à son devoir de réserve.M. L… M. considère qu’il s’agit là d’une manœuvre destinée à influencer les électeurs.

Le manquement au devoir du fonctionnaire n’est pas, en soi, un grief de nature à conduire à l’annulation d’une élection. Si le fait est avéré il expose seulement son auteur à des poursuites disciplinaires en application des dispositions du statut de la fonction publique.Par ailleurs, rien n’interdit à un candidat de faire état de sa profession ; elles sont d’ailleurs mentionnées sur les documents de propagande électorale mais en général de manière assez neutre et large : fonctionnaire territorial, fonctionnaire de l’Etat, commerçant, etc

En revanche, au vu de la jurisprudence, vous devez vérifier qu’un fonctionnaire n’a pas, en prenant position pour un candidat, excédé les limites du droit qu’il tient en tant qu’électeur et s’il n’a pas usé de l’autorité de ses fonctions de fonctionnaire pour exercer une pression sur les électeurs, ou les influencer ce qui permet de retenir l’existence d’une manœuvre.

CE 11 juin 1993 élections cantonales de Badonvillier  139877 Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat juge que le fonctionnaire du conseil général qui a accompagné le candidat élu dans ses réunions électorales et a pris position en sa faveur, n'a pas, en l'espèce, excédé les limites des droits que lui donnait sa qualité d'électeur, et ne s'est pas servi, compte tenu de son rang modeste, de l'autorité qu'il tient de sa fonction pour exercer une pression sur les électeurs.

Voir également l’arrêt cité par les deux parties : CE 30 décembre 1996 élections municipales de Chantilly n° 177285 Dans cet arrêt le Conseil d’Etat juge que le « courrier de M. Woerth rédigé sur papier à en-tête préalablement barrée "Premier ministre – Cabinet » adressé à quatre-vingt-seize commerçants de la commune, n’a pas constitué une manœuvre destinée à faire pression sur les électeurs et qu’ainsi on ne peut retenir que M Woerth aurait utilisé sa qualité de membre du cabinet du premier ministre. Toutefois cet arrêt ne nous semble pas transposable à notre affaire.D’une part, la qualité du fonctionnaire de membre du cabinet du Premier ministre est beaucoup plus importante que celle d’une inspectrice des finances publiques mais, d’autre part, dans cet arrêt l’écart de voix était très important et la diffusion avait été confidentielle.

Qu’en est-il dans notre affaire, au vu de l’instruction ?Il est avéré que la colistière, par ailleurs fonctionnaire de l’Etat a très explicitement mis en avant sa fonction d’« inspectrice des finances publiques au service des collectivités depuis plus de quinze ans », pour donner du crédit à l’analyse financière des comptes de la commune sur les deux derniers mandats qu’elle a réalisée et qui l’amène à conclure que « Une chose est sûre, la situation financière de notre commune n’est pas aussi saine que voudrait nous le faire croire. M. L… M…, actuel adjoint aux finances. ».

Le critère jurisprudentiel de l’usage de l’autorité conféré par les fonctions exercées est donc assurément rempli en l’occurrence et il nous semble suffisant pour retenir le grief.

Par ailleurs, vous constatez au vu de l’instruction que la présentation de cette analyse financière est pour le moins partielle, si ce n’est partiale, et qu’elle comporte de nombreuses données erronées ou tronquées, donnant ainsi une image déformée de la réalité des finances communales. Les éléments chiffrés produits à l’instruction par le conseil du requérant sur les principales données financières de la commune d’Aubière sur la période corroborent le caractère tronqué de la soi-disant l’analyse. Aussi, contrairement à l’image d’expertise recherchée, et affichée, cette analyse financière n’est nullement objective et ne constitue qu’un instrument de propagande diffusé à grande échelle dans les boites aux lettres de la commune et ce, le dernier jour de la campagne interdisant ainsi aux adversaires de répondre en temps utile. L’objectif de faire pression sur les électeurs apparait donc évident. Il s’agit donc clairement d’une manœuvre, qui eu égard au très faible écart de 5 voix, a été de nature à altérer la sincérité du scrutin. Vous retiendrez donc ce 1er grief.

Publication d’une tribune par le candidat victorieux dans le bulletin municipal

M. L… M… soutient également que M. Q… a fait usage du bulletin municipal comme d’un moyen de communication au profit de sa liste, par la publication d’une tribune en novembre 2019, en méconnaissance de l’article L. 52-8 du code électoral.

Le deuxième alinéa de l’article L. 52-8 du code électoral prévoit : « Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. »

M. L… M… estime donc que son adversaire s’est octroyé un canal de diffusion de sa propagande aux frais de la collectivité. Néanmoins, il ne vous échappera pas que M. Q… était membre de l’opposition municipale, et il pouvait donc légalement bénéficier d’une tribune dans le bulletin municipal en application des dispositions ad hoc du code général des collectivités territoriales. S’il en avait été privé cela aurait constitué une illégalité comme cela a déjà été jugé. Par ailleurs, et en tout état de cause, vous noterez également que M. L… M…, ou la majorité municipale à laquelle il appartenait, a eu l’occasion de répondre dans le même numéro 144 du bulletin municipal de novembre 2019.Enfin, la publication en question a été effectuée plus de six mois avant le second tour qui est contesté devant vous, ce qui permettait amplement aux autres candidats de répliquer.

Pour toutes ces raisons, ce grief ne sera pas retenu.

Dons de personnes morales :

Le 3eme grief est tiré de ce que M. Q… aurait bénéficié de dons consentis pour sa campagne par des personnes morales, toujours en méconnaissance de l’article L. 52-8 du code électoral que nous venons de citer.

Sont visés sous ce grief : des dons en nature de visières (anti Covid) de la part d’une école d’ingénieurs, de dons en nature de masques de la part d’une société dirigée par l’une de ses colistières et de dons en nature de viennoiseries de la part d’un club sportif dirigé par l’un de ses colistiers.
M. L… M… soutient que ces dons ont servi à faire des cadeaux aux électeurs en vue d’influencer leur vote.
Dans un mémoire ampliatif, il ajoute que ces dons ont été effectués en méconnaissance de l’article 106 du code électoral.

Bien entendu, l’invocation de la méconnaissance de l’article 106 du code électoral, qui pourrait être jugé comme un grief nouveau, donc irrecevable, est en tout état de cause, inopérante.

Le grief doit en revanche être analysé au regard des dispositions de l’article L. 52 afin de vérifier, une nouvelle fois l’existence d’une manœuvre.

Voir TA de Melun, 22 octobre 2020, Mme X. Elections municipales et communautaire de Rungis (Val-de-Marne), N° 2004742 pour un cas identique de distribution de masques dans le cadre de la crise du Covid 19 à une période où les masques étaient rares.

Nous pensons que vous pourrez, en partie, retenir le grief au moins sur la distribution de visières. En effet les visières, sont bien des dons effectués par une personne morale (l’école d’ingénieurs SIGMA) à la liste de M. Q…, en méconnaissance de l’article L. 52-8, qui ont permis à cette liste de ne pas avoir à financer les équipements distribués aux commerçants. Il résulte également de l’instruction et notamment des publications de M. Q… lui-même, sur le réseau social Facebook, constatées par huissier le 30 juin 2020, que celui-ci, au cours de la campagne électorale, a personnellement distribué, de façon gratuite, une centaine de visières de protection à des commerçants, des professionnels de santé et des enseignants de la commune, grâce à un partenariat qu’il avait initié avec une école d’ingénieurs.

Sur sa page Facebook, le 30 mai 2020, M. Q… se vante d’ailleurs de cette initiative personnelle.
« J’ai initié un partenariat innovant avec SIGMA, école d’ingénieurs du campus des Cézeaux à Aubière. Depuis maintenant un mois, grâce à eux, j’ai pu distribué (sic) des visières de protection à des commerçants, des professionnels de santé, et des enseignants de notre commune. C’est une centaine de visières qui ont pu être distribuées et tout cela gratuitement. »

La circonstance que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, dans sa décision du 7 décembre 2020, a approuvé son compte de campagne, ne vous interdit pas de retenir un grief, dès lors que celui-ci résulte de l’instruction.

Vous pourrez donc retenir la méconnaissance de l’article L 52-8 du code électoral.
Certes ce grief, à lui seul, parait modeste, puisque le don, si vous deviez en estimer la valeur, se chiffrerait à environ 300 euros. Toutefois, ce grief s’ajoute aux autres et nous verrons la conséquence qu’il faut en tirer.

L’utilisation du réseau social Facebook :

Le 4ème grief porte sur l’utilisation de comptes Facebook de colistiers du candidat
M. L… M… soutient que des messages de propagande ont été publiés sur différents comptes Facebook appartenant à M. Q… et à ses colistiers la veille du scrutin, en méconnaissance de l’article L. 49 du code électoral.

L’article L. 49 du code électoral prévoit : « A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de : / 1° Distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. / 2° Diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale. (…) »

Les faits sont avérés car ils ont fait l’objet d’un constat d’huissier le 30 juin 2020 à la demande de M. L… M….
Il apparait que M. LA… de M. Q… a publié sur sa page Facebook l’affiche de campagne le samedi 27 juin à 7h03 soit au-delà de l’heure limite le vendredi soir à minuit.
M. LV…, également colistier de M. Q…, a publié sur sa page Facebook un message de remerciements rédigé en conclusion de sa campagne par M. Q… le samedi 27 juin à 9h26, là encore au-delà de l’heure limite.

La méconnaissance des dispositions de l’article L. 49 du code électoral est donc patente. Pour autant a-t-elle été de nature à altérer la sincérité du scrutin ?

Les deux parties invoquent chacune leurs jurisprudences. M. L… M… invoque l’arrêt du CE, 25 février 2015, Elections municipales de Voisins-le-Bretonneux, N° 385686
L’analyse de cet arrêt et des conclusions du rapporteur public permet de constater qu’en dépit du caractère anodin du message diffusé sur Facebook, c’est le très faible écart de voix entre les listes qui a conduit à l’annulation de l’élection, en considérant que le message avait été diffusé sur une page ouverte à la consultation publique et non privée et que la diffusion de ce message avait été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Le défendeur invoque quant à lui deux autres arrêts. CE, 17 juin 2015, Elections municipales de Montreuil, N° 385859. Il s’agit d’un cas où l’élection n’a pas été annulée malgré la publication de messages le samedi sur Twitter, dès lors que les messages litigieux ne contenaient pas d’élément de polémique électorale nouveau et que l’écart de voix était important.
CE, 27 juin 2016, Elections régionales de Normandie, N° 395413. Dans ce cas, il s’agit de la diffusion la veille du scrutin, de messages de propagande électorale sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Le Conseil d’Etat juge que ces messages n'apportaient aucun élément nouveau au débat électoral et que malgré le faible écart de voix (0,34 % des voix), l’irrégularité n’est pas considérée comme de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin.

Vous allez devoir trancher entre ces deux visions. Tout d’abord, même si les messages en question ont été publiés sur des pages personnelles, il n’en reste pas moins qu’ils l’ont été en infraction avec la règle du code électoral. Les pages en question étaient d’accès public ainsi que l’atteste le constat d’huissier (et dès lors qu’il n’est pas établi que MM. LA… et LV… seraient des amis de l’huissier de justice).
Certes les messages en question sont anodins et ne portent pas sur un élément de propagande nouveau, mais nous sommes en présence d’un écart extrêmement faible de 5 voix (0,15 %) et nous penchons pour juger que ces irrégularités (qui s’ajoutent aux autres) ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin, dans les circonstances de l’espèce.Grief retenu.

La diffusion trop tardivement d’éléments de polémique nouveaux pour permettre à M. M. L… M… d’y répondre :

Le 5eme grief porte sur la propagande électorale. M. L… M… soutient que des éléments de polémique électorale nouveaux ont été diffusés par la liste adverse dans un « journal de campagne » distribué le dernier jour de la campagne électorale, de sorte qu’il n’a pas eu la possibilité d’y répondre, en méconnaissance de l’article L. 48-2 du code électoral. Ces thèmes nouveaux sont : le repas de Noël des personnes âgées, la rentrée scolaire et d’éléments financiers, en particulier les conséquences financières du contentieux « Burger King ».

Les disposions applicables sont celles de l’article L. 48-2 du code électoral, qui prévoient : « Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale. »

Comme nous l’avons dit au stade de la recevabilité, ces arguments sont recevables car ils entrent dans l’épure du grief relatif à la diffusion tardive d’éléments de polémique électorale nouveaux.

Il n’est pas contesté que le « journal de campagne » diffusé par la liste de M. Q… le vendredi 26 juin 2020, dernier jour de la campagne électorale, contenait entre autres des articles relatifs au repas des aînés traditionnellement organisé dans la commune à l’occasion des fêtes de fin d’année, au bilan des finances communales sur les deux dernières mandatures et à l’organisation de la rentrée scolaire.

Nous pensons que le grief peut être retenu, en partie. S’agissant du repas des ainés M. Q… soutient qu’il s’agit là d’un dossier ancien qui date de 2015 date à laquelle sa suppression avait été envisagée. Peut-être, mais cela ne répond pas au grief.

Rien dans l’instruction ne permet de contredire M. L… M… sur le fait que cet élément de polémique électorale n’avait pas été évoqué au cours de la campagne électorale et qu’il a resurgi au dernier moment le vendredi soir avant-veille du scrutin. Aussi, faute pour les défendeurs d’établir que cet élément avait été évoqué au cours de la campagne 2020 vous devrez retenir le grief.

Les explications des défendeurs sur les autres points ne sont guère plus convaincantes. S’agissant de la polémique sur les finances communales, M. Q… n’établit pas davantage que ce point aurait été débattu lors de la campagne par la seule production d’un document « powerpoint » qui aurait été présenté lors d’une réunion publique, mais qui n’est pas daté. Il apparait plus que douteux que la question des finances communales n’ait pas été un sujet de la campagne électorale, car c’est un thème pratiquement obligé de chaque campagne ; mais, en l’espèce, il appartient aux défendeurs d’en apporter la preuve, par tous moyens, ce qu’ils ne font pas, en l’état de l’instruction.
Il en est de même pour ce qui concerne le sujet de la rentrée scolaire.M. Q… et ses colistiers se contentent de faire valoir qu’il s’agissait, dans le contexte de la crise sanitaire, d’un sujet d’actualité, mais, en l’état de l’instruction, ils n’établissent pas l’avoir précédemment évoqué au cours de la campagne.

Voir CE, 25 février 2015, Elections municipales de Voisins-le-Bretonneux, N° 385686 sur la notion d’élément nouveau de polémique électorale et sur la dialectique de la preuve.

Grief retenu.

Concernant le déroulement du scrutin :

Nous en venons maintenant aux deux griefs portant sur le déroulement du scrutin lui-même dont l’un concernant les procurations pourra être retenu.

L’absence de contrôle systématique de l’identité des votants :

Le 1er grief porte sur l’absence de vérification systématique de l’identité des électeurs lors du vote en méconnaissance de l’article R. 60 du code électoral, qui s’applique aux communes de plus de 1000 habitants
L’article R 60 prévoit que : « Les électeurs des communes de 1 000 habitants et plus doivent présenter au président du bureau, au moment du vote, en même temps que la carte électorale ou l'attestation d'inscription en tenant lieu, un titre d'identité ; la liste des titres valables est établie par arrêté du ministre de l'intérieur. »

Vous ne retiendrez pas ce grief en vous appuyant sur l’arrêt cité par les défendeurs (CE 26 janvier 2015 n° 382458) qui juge que s’il est allégué que des électeurs auraient voté sans que leur identité soit vérifiée, il n’est pas allégué ni établi « que des électeurs admis à voter n'auraient pas été régulièrement inscrits sur la liste électorale ou qu'ils auraient voté sous une fausse identité ».

En l’espèce aucune observation sur ce point ne figure sur les procès-verbaux des bureaux de vote. Par ailleurs, les défendeurs soutiennent, sans être contredit, que sur les six bureaux de vote quatre étaient tenus par des colistiers de M. L… M….Nous estimons qu’en l’état de l’instruction le grief n’est pas établi et il sera écarté.

Les irrégularités relatives aux procurations :

Le second grief porte sur le retard dans l’acheminement de 3 procurations. M. L… M… soutient qu’au moins dix-sept procurations ont été reçues postérieurement aux opérations de vote.

M. L… M… demande la mise en œuvre de la méthode des adjonctions hypothétiques, ce qui, selon lui, le placerait en tête avec la prise en compte de 17 procurations en faisant application de la jurisprudence en ce domaine. CE, 11 mai 1998, Elections municipales de Semur-En-Auxois,  187258

Cet arrêt fixe la règle suivante en se plaçant dans l’hypothèse où un électeur a été privé de l'exercice de son droit de suffrage en raison de l'acheminement tardif de sa procuration qui, n'est parvenue à son mandataire que postérieurement au scrutin, alors même qu'il l'avait établie en temps utile. Dans ce cas de figure, revendiqué par M. L… M…, le Conseil d’Etat applique la méthode dite des adjonctions hypothétiques en plaçant les candidats dont l'élection est contestée dans la situation la plus défavorable en ajoutant les procurations contestées aux voix obtenues par les candidats battus.

Comme nous l’avons indiqué au stade de la recevabilité, vous n’allez vous pencher que sur trois procurations.

En l’espèce, il résulte de l’instruction que les procurations établies par Mmes K… et J…., ainsi que celle de M. E…, ont été tardivement acheminées par l’administration postale, de sorte qu’elles ne sont parvenues en mairie que postérieurement au jour du scrutin, alors même qu’elles avaient été établies en temps utile.Ces trois électeurs, qui étaient munis de leur procuration, n’ont pas pu voter car ils n’étaient pas inscrits au registre des procurations, du fait du retard d’acheminement.

Il convient d’ajouter ces trois suffrages aux 1 319 voix recueillies par la liste de M. L… M…, portant ainsi le résultat de celle-ci à 1 322 voix. De ce fait, l’écart de voix entre les deux listes n’est plus que de deux voix (au lieu de 5)

Concernant la sincérité du scrutin :

Reste maintenant à déterminer quelle conséquence tirer de ces diverses irrégularités sur le scrutin.

Vous savez que toutes les irrégularités ne sont pas nécessairement sanctionnées et qu’elles ne conduisent pas le juge à annuler de ce fait les opérations électorales.

Ainsi nos collègues du tribunal administratif de Lille ont jugé récemment
« Il n’appartient pas au juge de l’élection de sanctionner toute irrégularité ayant pu entacher le déroulement d’une campagne électorale, mais seulement d’apprécier si cette irrégularité a été de nature à affecter la sincérité du scrutin et, par suite, la validité des résultats proclamés. » (TA de Lille, 15 juillet 2020, Elections municipales d’Ambleuteuse, N° 2002541)

Le juge prend par ailleurs en considération l’écart de voix entre les candidats ou listes pour répondre par l’affirmative à cette question de l’altération de la sincérité du scrutin.

Dans l’affaire que vous devez juger, nous avons proposé de retenir plusieurs griefs et donc de constater plusieurs irrégularités par rapport aux dispositions du Code électoral : (cinq au total dont 4 concernant la campagne électorale) :

  • la publication dans le journal de campagne, le dernier jour de la campagne électorale, d’une analyse financière tronquée et en partie erronée, établie par une colistière de M. Q… se prévalant de sa qualité d’inspectrice des finances ; il s’agit là d’une manœuvre ;

  • la méconnaissance de l’article L. 52-8 du code électoral (dons de personnes morales), au moins pour les visières fournies par SIGMA ;

  • méconnaissance de l’article L. 49 du code électoral (en raison de la publication de messages sur des comptes facebook la veille de l’élection) ;

  • méconnaissance de l’article L. 48-2 du code électoral (introduction d’éléments de polémique nouveaux trop tardivement pour permettre à la partie adverse d’y répondre) ;

  • et enfin, la prise en compte de trois procurations pour M. L… M… ramenant l’écart à deux voix seulement.

Bien évidemment, chacune de ces irrégularités, prise individuellement, n’aurait sans doute pas été de nature à entrainer l’annulation des élections si l’écart de voix avait été important.
Mais dans cette affaire, l’accumulation des irrégularités notamment au cours de la campagne électorale doit nécessairement vous conduire à considérer, compte tenu de l’écart de voix extrêmement faible, que ces irrégularités et manœuvres ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

C’est d’ailleurs souvent en raison à la fois d’un faible écart et de la conjonction de plusieurs irrégularités que le juge annule l’élection contestée.

Voir CE, 25 février 2015, Elections municipales de Voisins-Le-Bretonneux, N° 385686 (déjà cité) Faible écart de voix de 0,23 %  ; et deux irrégularités : L 49 du code électoral (message facebook même dépourvu d’élément de polémique) plus méconnaissance de l’article L. 48-2.

TA de Bordeaux, 5 juin 2014, M. X. (Elections municipales de Salles), N° 1401137. Ecart de 0,22 % des voix et conjonction de plusieurs irrégularités là aussi.

Aussi du fait de l’écart de voix infime (2 seulement après prise en compte des procurations) et des multiples irrégularités contestées, nous vous proposons d’annuler le deuxième tour des élections d’Aubière.

Conclusions fondées sur l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

S’agissant des frais irrépétibles compte tenu de la solution proposée les conclusions des défendeurs seront rejetées. En revanche ils seront condamnés à indemniser M. L… M… qui a dû engager des frais (huissiers) et prendre l’attache d’un avocat.

Par ces motifs nous concluons à l’annulation du second tour de l’élection municipale et communautaire de la commune d’Aubière, qui s’est tenue le 28 juin et à la condamnation des défendeurs à payer à M. L… M… la somme de 1 000 euros au titre L. 761-1 du code de justice administrative et au rejet des mêmes conclusions présentées par les défendeurs.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Conclusions du rapporteur public

Caroline Bentejac

Rapporteur public au tribunal administratif de Clermont-Ferrand

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.8336

Mme BJ… AP… conteste les opérations électorales du 2nd tour qui se sont déroulées le 28 juin 2020 dans la commune de Pont du château en vue de procéder au renouvellement général du conseil municipal.

Elle soulève tout d’abord un 1er grief relatif au déroulement de la campagne électorale.

Elle soutient ainsi, qu’en méconnaissance de l’article L. 48 – 2 du code électoral, un courriel électronique a été diffusé l’avant-veille du scrutin à 21h30 à l’ensemble des sapeurs-pompiers de la commune évoquant un élément nouveau de polémique électoral relatif à la délocalisation de la caserne auquel elle n’a pas été mise à même de répondre en temps utile.

Effectivement un élément nouveau introduit au débat électoral est de nature à exercer une influence sur les électeurs : CE 31 décembre 2008, élections municipales de Vias n° 31 82 79.

La jurisprudence relative à la diffusion de la propagande électorale détermine les conséquences à tirer d’éventuelles manœuvres sur l’issue du scrutin à travers l’analyse de différents critères que sont :

  • l’écart de voix,

  • le moment de la diffusion du document en cause et ainsi, de la possibilité d’y apporter 1 réponse en temps utile,

  • l’importance de la diffusion du documentet enfin la présence dans ce document d’un message de nature à influencer les électeurs.

Toutefois, il nous semble que la question de la délocalisation de la caserne ne peut être considérée comme un élément nouveau de polémique électorale puisqu’il était déjà mentionné dans le journal de campagne n° 6 édité par la liste de M. N., une copie de ce journal ayant par ailleurs été publiée sur la page Facebook du candidat le jeudi 25 juin 2020 vers 12h43.

Si la requérante considère que l’utilisation des boîtes mail personnelles des sapeurs-pompiers constitue la violation du règlement général sur la protection des données personnelles, cette méconnaissance ne saurait, en tout état de cause, avoir été de nature à exercer une influence sur le scrutin de sorte qu’il nous semble que la manœuvre destinée à manipuler les électeurs ne saurait être considérée comme ayant été constituée.

La requérante considère encore que la liste conduite par M. AY… AC… a méconnu les dispositions de l’article L. 49 du code électoral en distribuant, la veille du scrutin un stylo promotionnel de couleur verte portant le nom de la liste.

Certes, le procès-verbal des opérations électorales comporte un certain nombre d’annotations relatives à l’utilisation, par certains électeurs, de ce stylo particulier.

Toutefois, l’impact du port de ce stylo sur les électeurs est à relativiser au regard de sa taille réduite et du fait qu’il ne s’agit pas d’un objet que l’on porte de manière ostensible, tel un tee-shirt promotionnel (voir CE 2 mai 1990 Elections municipales de Terre-de-Bas n° 108783).

De plus, les mesures sanitaires mises en œuvre dans les bureaux de vote limitaient à trois le nombre d’électeurs dans chaque local ce qui est de nature à diminuer d’autant l’impact potentiel, à le supposer établi, du port de ce stylo sur le scrutin et ce, même en dépit du faible écart de voix constatées entre les listes en présence.

Bien entendu, le seul fait que cette distribution n’ait concerné qu’une partie seulement des électeurs de la commune ne saurait constituer l’existence d’une manœuvre destinée à altérer la sincérité dans ce du scrutin.

La protestataire reproche encore des irrégularités quant à l’admission de certaines procurations :

  • qui aurait été admises alors que le délai durant lesquels elles étaient valables avait expiré

  • ou qui auraient été admises alors que le mandataire a utilisé une double procuration avant la promulgation de la loi du 22 juin 2020.

L’article R. 74 du code électoral limite le nombre de procurations à un seul scrutin et permet au mandant d’établir une procuration pour une durée maximale d’un an à compter de sa date d’établissement.

Les dispositions particulières relatives au report du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux prévues par le décret du 27 mai 2020 prévoient, en son article 6, une disposition particulière permettant que les procurations établies en vue du second tour des élections, initialement prévu le 22 mars 2020, restent valables pour le second tour reporté c’est-à-dire y compris si le délai est expiré.

Ainsi, la procuration de Mme BD… au profit de M. B… était bien valable : en effet, elle a été établie « pour le second tour du scrutin », initialement prévu le 22 mars 2020 et reste donc valable pour le second tour qui s’est finalement déroulé le 28 juin 2020 alors même que son délai de validité a expiré le 17 avril 2020.

En revanche, la procuration établie par Mme CO… au profit de Mme D… expirait le 15 mars 2020, jour du 1e tour du scrutin et ne couvrait donc pas le second scrutin même non reporté. Dès lors que cette procuration ne couvrait pas le second tour du scrutin, le suffrage exprimé au moyen de celle-ci est irrégulier, ce qu’admettent d’ailleurs les défendeurs. Vous devrez donc retrancher ce suffrage du nombre de voix obtenue par la liste de M. AY… AC….

S’agissant maintenant des suffrages exprimés au moyen de 2 procurations.

La protestataire soutient que plusieurs personnes ont utilisé une double procuration établie en France non valide dès lors qu’elles ont été enregistrées par le maire avant le 23 juin 2020, date de promulgation de la loi du 22 juin 2020.

L’article L. 74 du code électoral prévoit que chaque mandataire ne peut disposer de plus de deux procurations dont une seule est établie en France.

La loi n° 2020 – 760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l’organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et qui a reporté les élections consulaires prévoit toutefois que chaque mandataire peut disposer de deux procurations y compris lorsqu’elles sont établies en France.

Les travaux préparatoires de cette loi, ainsi que cela résulte de la retranscription de l’intervention du rapport de M. Bas, sénateur et de M. Vuiletet député, fait au nom de la commission mixte paritaire indiquent que le législateur a entendu prendre en compte dans le nombre maximum de deux procurations par mandataire, celles établies avant la publication de la loi, ce nombre de deux devant être vérifié la veille ou le jour du scrutin par le maire. L’intervention précisant d’ailleurs que, je cite : « peu importe la date à laquelle la procuration a été établie, avant ou après la publication de la loi ».

Dès lors, nous vous proposons de dire que Mme BJ… AP… n’est pas fondée à soutenir que sur les six procurations qu’elle cite, trois doivent être déclarées nulles au motif qu’elles ont été établies avant la publication de la loi du 22 juin 2020 dès lors que ces procurations, même établies avant la publication de la loi, pouvaient valablement être prises en compte au vu de l’esprit du texte.

Par contre, c’est irrégulièrement que la seconde procuration donnée à Mme T… a été déclarée nulle au motif qu’elle a été établie avant la publication de la loi du 22 juin 2020 et donc n’a pas été pris en compte comme suffrages exprimés.

Vous devrez donc retrancher un suffrage de ceux obtenus par la liste qui a obtenu le plus grand nombre de voix c’est-à-dire par la liste conduite par M. AY… AC….

Compte-tenu du vote par procuration qui a été irrégulièrement exprimé et du vote par procuration qui a irrégulièrement été déclaré nul, il y a lieu de retrancher deux suffrages de la liste conduite par M. AY… AC… qui obtient toujours, malgré cela, la majorité relative des suffrages exprimés.

Compte-tenu de ce résultat, nous vous proposons ainsi de rejeter la protestation dont vous a saisi Mme BJ… AP….

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la protestation.

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