L’article R. 624-5 du code de commerce oblige le juge-commissaire du tribunal de commerce, compétent en matière de liquidation judiciaire, à surseoir à statuer et à renvoyer les parties devant la juridiction compétente, lorsqu’il constate l’existence d’une contestation sérieuse ne relevant pas de sa propre compétence. Saisi, sur ce fondement et sur renvoi du juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne, par le Pôle de recouvrement spécialisé de la Loire, d’un recours en appréciation de la légalité de plusieurs créances fiscales contestées par M. V., dirigeant d’une entreprise unipersonnelle placée en liquidation judiciaire, le tribunal administratif de Lyon confirme la nature préjudicielle du recours et conclut à l’irrecevabilité des demandes autres que celles présentées devant le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne et renvoyées par ce dernier.
Lorsque, dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, le juge-commissaire du tribunal de commerce invite, conformément à l’article R. 624-5 du code de commerce, l’administration fiscale à porter devant le juge administratif la contestation d’une créance fiscale par l’entreprise placée en liquidation judiciaire, la saisine du juge administratif doit être regardée comme une question préjudicielle
En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, le juge administratif ainsi saisi ne peut alors statuer au-delà de la contestation née devant le juge-commissaire du tribunal de commerce ni accueillir de nouveaux moyens qui n’auraient pas été précédemment soulevés devant celui-ci.
En statuant ainsi dans un jugement rendu le 6 juillet 2020, le tribunal administratif de Lyon applique une jurisprudence du Conseil d’État issue de son arrêt M. Bompard et autres (CE, Sect., 17 octobre 2003, M. X. et autres n° 244521, Lebon p. 404) .
En dépit de la séparation des ordres juridictionnels, la rencontre entre les juridictions administratives et judiciaires s’avère parfois inévitable, notamment lorsque la résolution d’un même litige dépend de la résolution d’une ou de plusieurs questions juridiques relevant de la compétence exclusive de l’ordre de juridiction non saisi. Le cas échéant, le mécanisme de la question préjudicielle, encore appelé renvoi préjudiciel, oblige le juge saisi au principal, qui ne peut statuer sur l’ensemble des questions soulevées sauf lorsqu’il dispose d’une plénitude de juridiction, à renvoyer au juge compétent l’examen de la question dont il ne peut connaître mais de la résolution de laquelle dépend l’examen du litige qui lui est compétemment soumis. Mais parce qu’il ne saurait remettre en cause la séparation des pouvoirs, l’examen de la question préjudicielle par le juge administratif est étroitement encadré, ainsi que le confirme le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 6 juillet 2020 ici commenté.
En l’espèce, M. V., dirigeant d’une entreprise unipersonnelle, voit celle-ci placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Saint-Étienne en date du 17 octobre 2017. Dans le cadre de cette procédure de liquidation judiciaire, M. V. conteste devant le juge-commissaire du tribunal du commerce de Saint-Étienne les créances déclarées par le Pôle de recouvrement spécialisé de la Loire, correspondant respectivement à la taxe sur la valeur ajoutée due entre le 1er juillet 2008 et le 30 juin 2010, à l’impôt sur le revenu au titre des années 2008 et 2010 à 2013, et à la taxe d’habitation des années 2015 à 2017, dont M. V. ne se serait pas acquitté. Se déclarant incompétent pour connaître de ces contestations, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne applique l’article R. 624-5 du code de commerce pour surseoir à statuer et renvoyer, par quatre ordonnances du 7 décembre 2018, les parties à mieux se pourvoir. Puis il invite le Pôle de recouvrement spécialisé de la Loire à porter devant le juge de l’impôt les différentes contestations de M. V. En exécution de ces ordonnances, le Pôle saisit le tribunal administratif de Lyon pour faire reconnaître le bien-fondé et l’exigibilité des différentes créances fiscales litigieuses.
Au cours de la procédure devant le tribunal administratif de Lyon, M. V. soulève de nouveaux moyens qui n’avaient pas été présentés devant le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne ni énoncés dans aucune de ses ordonnances. Dans ses mémoires, M. V. invoque la prescription de la taxe sur la valeur ajoutée due entre le 1er juillet 2008 et le 1er juin 2010 en raison de l’ambiguïté de leur montant et de leur nature, la prescription de l’impôt sur le revenu au titre de l’année 2008 ainsi que l’absence de mention expresse de la taxe sur la contribution audiovisuelle dans les demandes de l’administration fiscale. Naît alors une difficulté pour le tribunal administratif de Lyon : les nouveaux moyens ainsi présentés par M. V. sont-ils recevables ?
La réponse à cette question dépend de la nature du recours introduit par le comptable public de la Loire. Plus exactement, ce recours équivaut-il à une question préjudicielle du fait qu’il a été introduit sur renvoi du juge-commissaire du tribunal de commerce ou doit-il être regardé comme une saisine d’office au sens de l’article R. 199-1 du livre des procédures fiscales? L’alinéa 3 de cette dernière disposition permet en effet à l’administration fiscale de « soumettre d’office » au juge de l’impôt toute réclamation présentée par un contribuable après en avoir informé celui-ci, la réclamation ainsi soumise valant requête du contribuable devant le juge saisi. Mais après avoir exclu l’hypothèse d’une saisine d’office, le tribunal administratif de Lyon retient que la requête du Pôle de recouvrement équivaut à une question préjudicielle posée par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne et portant sur le bien-fondé des créances fiscales contestées par M. V. Il en déduit qu’il ne pourrait accueillir de nouveaux moyens en dehors de ceux précédemment présentés devant le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne statuant au principal.
En effet, après avoir reconnu la nature préjudicielle de la contestation renvoyée par le juge-commissaire du tribunal de commerce (I), le tribunal administratif de Lyon clarifie le régime de l’examen de la question préjudicielle (II).
I. La reconnaissance de la nature préjudicielle de la contestation
Le tribunal administratif de Lyon examine la requête du Pôle de recouvrement spécialisé de la Loire comme une question préjudicielle posée par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne. Ladite requête est en effet formulée sur renvoi du juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne, en application de l’article R. 624-5 du code de commerce. Cette disposition invite le juge-commissaire du tribunal de commerce à surseoir à statuer et à renvoyer au juge compétent toute contestation sérieuse qui serait née au cours d’une procédure de liquidation judiciaire pour l’examen de laquelle il ne se reconnait pas compétent mais dont dépend l’issue du procès.
En effet, en dépit de l’inclinaison entretemps remarquée du Tribunal des conflits à lui accorder d’importants pouvoirs (TC, 26 mai 2003, M. et Mme X. c/ DSF de la Seine-Maritime, n° C3354, inédit ; TC, 19 octobre 2009, M. F. c/ Directeur des services fiscaux de la Moselle, n° C3694, Lebon p. 590 ; TC, 12 décembre 2011, M. F. en qualité de mandataire ad hoc de la SARL France Computer Leasing, n° C3815, inédit ; TC, 8 juillet 2013, SARL Absis, n° C3912, Lebon T. p. 500), le juge de la procédure collective ne dispose pas d’une plénitude de juridiction. Au contraire, depuis deux décisions rendues le 13 avril 2015, le juge administratif semble recouvrer un certain nombre de pouvoirs exclusifs en matière fiscale (TC, 13 avril 2015, MM. Martini c/ Ministère des finances et des comptes publics, n° C3988, Lebon p. 500 ; TC, 13 avril 2015, Mme L. c/ Direction départementale des finances publiques du Val de Marne, n° C3998, Lebon p. 502, Concl. B. Dacosta) . Le droit des procédures collectives ne saurait en effet ignorer ni remettre en cause la séparation des ordres juridictionnels ni la distinction de leurs pouvoirs respectifs (CE, Sect., 3 février 1978, Mariani ès qualités et Société de terrassement et de mécanique dite « Durance-Agrégats », n° 01008, Lebon p. 48 ; CE, Avis, 20 janvier 1992, Société V., n° 130250, Lebon p. 31) . C’est pourquoi le juge de la procédure collective doit renvoyer les questions ne relevant pas de sa compétence à la juridiction compétente, notamment au juge administratif, lorsque celui-ci dispose d’une compétence exclusive comme en matière d’impôt, et plus particulièrement en matière d’assiette et de recouvrement de l’impôt dans le cas d’espèce.
Il n’est ainsi pas compétent pour connaître de la contestation de l’existence et du montant des créances fiscales même si cette contestation est née au cours de la procédure collective (Com., 24 sept. 2003, Société CCP c/ Société Ginger, n° 01-11.504, Bull. IV n° 0147, p. 166 ; Com., 15 nov. 2005, SCI, n° 04-17.328, inédit) . Étant donné que « les créances fiscales ne peuvent être contestées que dans les conditions prévues par le livre des procédures fiscales et que la détermination de l'assiette de l'impôt », comme d’ailleurs l’ensemble du contentieux de l’impôt, « est exclue de la compétence du juge judiciaire » (CA Caen, 1ère chambre civile, 27 mai 2004, n° 2004-05-27, 02-15.726, Bull. II n° 245, p. 208), le renvoi vers le juge administratif et l’intervention de celui-ci, exclusivement compétent en la matière (TC, 13 avril 2015, MM. M. c/ Ministère des Finances et des Comptes Publics, n° C3988, préc. ; Com., 11 avril 2018, Société IME, n° 16-23.019, Bull. IV, n° 042, p. 60), sont tout à fait classiques. Dans l’affaire commentée, la déclinaison de compétence du juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne et le renvoi des parties vers le tribunal administratif de Lyon s’inscrivent donc parfaitement dans le respect du principe de la séparation des juridictions administratives et judiciaires.
De fait, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait déjà reconnu que le juge-commissaire du tribunal de commerce, compétent uniquement pour vérifier la nature et le montant des créances déclarées ne pouvait, sous prétexte de ne pas disposer des pouvoirs juridictionnels pour trancher la contestation sérieuse d’une créance déclarée, se contenter de décliner sa compétence, sans inviter les parties à saisir la juridiction compétente pour en connaître (Com., 9 avril 2013, n° 12-15.414, Bull. IV, n° 059, p. 67). Le cas échéant, le juge-commissaire du tribunal de commerce, au risque de méconnaître ses pouvoirs, a l’obligation de surseoir à statuer sur la contestation et de renvoyer les parties devant le juge compétent.
Cependant, une telle jurisprudence, qui s’aligne sur la procédure classique du renvoi préjudiciel devrait être a priori dépassée depuis la réforme des questions préjudicielles opérée en 2015 dans le sillage de la modernisation de la justice. L’article 49 du code de procédure civile, modifié et complété à cette occasion par l’article 48 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles (JORF n° 00051 du 1er mars 2015) , applicable aux décisions rendues à partir du 1er avril 2015, dispose à cet effet : « lorsque la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu’à la décision sur la question préjudicielle ».
Suivant cette disposition, lorsque les deux conditions de la question préjudicielle, à savoir d'une part l’existence d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence exclusive d’une juridiction administrative, et d’autre part la nécessité que la résolution du litige dépende de la résolution de cette question, sont cumulativement réunies devant le juge-commissaire du tribunal de commerce, comme devant tout autre juge de l’ordre judiciaire, il appartient en principe à celui-ci de saisir directement la juridiction administrative compétente sans y renvoyer les parties. L’avantage majeur du « nouveau mécanisme de renvoi préjudiciel entre les juges administratif et judiciaire se traduisant par un véritable renvoi de juges à juges à l’image du renvoi préjudiciel traditionnel entre le juge national et le juge de l’Union Européenne ou encore du renvoi relatif à la question prioritaire de constitutionnalité » réside dans le fait que « cette nouvelle procédure répond manifestement (…) aux exigences de bonne administration de la justice et de célérité des procédures » (Hada Messoudi, « Le dialogue après la bataille ? : Le nouvel équilibre des questions préjudicielles » in Gweltaz Éveillard (Dir.), La guerre des juges aura-t-elle lieu ? - Analyse comparée des offices du juge administratif et du juge judiciaire dans la protection des libertés fondamentales, 2016. En ligne sur www.revuegeneraledudroit.eu, p. 16) . Ce nouveau mécanisme de renvoi préjudiciel évite, de surcroît, aux parties les difficultés d’ordre formel et procédural dans la saisine de la juridiction compétente. Il peut ainsi paraître curieux que le juge-commissaire du tribunal de commerce ait invité les parties à saisir le juge de l’impôt au lieu de lui transmettre directement la question litigieuse conformément à la nouvelle procédure.
À l’analyse, on pourrait penser, au regard de la réforme des questions préjudicielles opérée par le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles précité, que le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne s’est trompé de procédure en invitant le Pôle de recouvrement spécialisé à saisir le tribunal administratif de Lyon au lieu de lui renvoyer directement la contestation. Mais en réalité, tout dépend de l’interprétation de l’article 624-5 du code de commerce. Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, le recours ainsi prévu par le code de commerce a pu précédemment faire l’objet de deux qualifications différentes, l’une par le tribunal administratif d’Orléans qui l’a examiné comme une question préjudicielle (TA Orléans, 3 février 2014, Directeur régional des finances publiques du Centre et du département du Loiret, n° 1301103, inédit), et l’autre par le tribunal administratif de Poitiers qui y voyait plutôt une « transmission d’office » (TA Poitiers, 19 novembre 2019, Direction départementale des finances de la Charente, n° 1902015, inédit) au sens de l’alinéa 3 de l’article R. 199-1 du livre des procédures fiscales. Il est vrai que le jugement du tribunal administratif d’Orléans a été rendu bien avant la réforme des questions préjudicielles de février 2015, à l’époque où celles-ci devaient être posées par les parties elles-mêmes au juge compétent. Mais il n’en demeure pas moins que la question de la qualification du recours prévu par l’article 624-5 du code de commerce, à laquelle se trouve confronté le tribunal administratif de Lyon en l’espèce, se posait également dans cette affaire (TA Orléans, 3 février 2014, Directeur régional des finances publiques du Centre et du département du Loiret, n° 1301103, préc.), dans la mesure où la procédure de soumission d’office, introduite dans le livre des procédures fiscales par le décret n° 84-686 du 17 juillet 1984 (JORF du 24 juillet 1984 modifiant les procédures fiscales), coexistait déjà avec celle de la question préjudicielle issue du code de procédure civile.
Dans l’un ou l’autre cas (soumission d’office ou question préjudicielle), la recevabilité d’un tel recours semble acquise dès lors que celui-ci a été introduit en exécution d’une ordonnance d’incompétence du juge-commissaire même si la partie invitée à saisir le juge administratif n’est pas le débiteur mais le comptable public créancier, jugé plus diligent à le faire. La qualification du recours s’avère cependant déterminante pour la suite de l’instance car elle ne produit pas les mêmes effets selon qu’il s’agit d’une saisine d’office ou d’une question préjudicielle. La première est autonome, la seconde est accessoire de l’instance principale. Laquelle des deux qualifications paraît donc plus proche de l’esprit de l’article 624-5 du code de commerce ?
Bien que le juge-commissaire du tribunal de commerce n’ait pas saisi directement le tribunal administratif de Lyon comme le préconise désormais le régime général des questions préjudicielles, la qualification de question préjudicielle emporte plus la conviction, dans l’affaire commentée, car la requête du Pôle de recouvrement spécialisé de la Loire est intimement liée à l’instance principale et ne peut nullement être regardée comme autonome. C’est sans doute pourquoi le tribunal administratif de Lyon s’aligne sur les conclusions du rapporteur public pour reconnaître le recours introduit par le comptable public du pôle de recouvrement de la Loire comme une question préjudicielle. En effet, l’article 624-5 du code de commerce, dont la dernière modification remonte pourtant au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 (article 5) , soit deux ans après la réforme des questions préjudicielles, invite encore le juge-commissaire du tribunal de commerce à renvoyer les parties vers le juge compétent, sur le même format que l’ancienne procédure des questions préjudicielles. Ainsi, même s’il ne tire pas les conséquences de la réforme, le code de commerce ne continue pas moins d’instituer une procédure de renvoi préjudiciel.
De façon particulière, le code de commerce, à la différence du code de procédure civile, conditionne le renvoi de la question préjudicielle, entre autres, au caractère sérieux de la contestation en lieu et place de la traditionnelle exigence d’une « difficulté sérieuse ». Faut-il trouver dans cette différence d’énoncé et de formulation une différence de nature des questions préjudicielles pouvant justifier le maintien de l’ancienne procédure par les dispositions du code de commerce, parallèlement à celle nouvellement instaurée par le code de procédure civile ? Rien, pour le moment, ne permet d’y apporter des éléments de réponse définitifs. En tout état de cause, dans une procédure collective, les dispositions du code de commerce devraient l’emporter sur celles du code de procédure civile portant sur le même objet en application du principe « specialia generalibus derogant », les premières (les dispositions du code de commerce) pouvant être regardées comme spéciales par rapport au droit commun des questions préjudicielles issu du code de procédure civile. Rien n’indique donc que le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne se soit trompé de procédure pour avoir appliqué ad litteram l’article 624-5 du code de commerce en ne transmettant pas directement au tribunal administratif de Lyon la question litigieuse.
En revanche, il semble que les parties se soient, quant à elles, trompées dans la formulation de leurs écritures, poussant le tribunal administratif de Lyon à recourir à son pouvoir « réparateur » pour rectifier et redresser leurs « écritures maladroitement formulées » (Cédric Meurant, L’interprétation des écritures par le juge administratif, LGDJ, 2019, Bibliothèque de droit public, t. 309, p. 113) et ainsi « réparer le squelette du procès » (Henri Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé : la théorie des éléments générateurs des droits subjectifs, Dalloz, 2002, Bibliothèque Dalloz, p. 27) en se fondant sur les ordonnances du juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne. Dans la procédure inquisitoire propre au contentieux administratif, le juge administratif est en effet compétent pour interpréter l’écriture des parties et, de ce fait, compétent pour « moduler la signification de la volonté des parties » (Cédric Meurant, L’interprétation des écritures par le juge administratif, op. cit., p. 7).
En définitive, en dépit de la réforme des questions préjudicielles, le fait que le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne n’ait pas transmis directement au tribunal administratif de Lyon la question à trancher ne remet pas en cause la nature préjudicielle du renvoi ainsi que l’a confirmé le tribunal administratif de Lyon. La reconnaissance de la nature préjudicielle de la question renvoyée par le juge-commissaire a d’ailleurs tout son intérêt dans la mesure où non seulement elle permet d’orienter l’instance devant le tribunal administratif de Lyon mais donne également à celui-ci l’occasion de clarifier le régime de l’examen de la question préjudicielle ainsi posée.
II. La clarification du régime de l’examen de la question préjudicielle
En jugeant que la requête du Pôle de recouvrement spécialisé de Saint-Étienne doit être regardée comme une question préjudicielle posée par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne, le tribunal administratif de Lyon s’estime lié par cette question et refuse d’accueillir d’autres demandes ou moyens soumis par les parties. Il n’examine donc que les prétentions présentées devant le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne et que celui-ci a renvoyées devant lui.
Le tribunal administratif de Lyon indique que « le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne a précisément énoncé, dans chacune des quatre ordonnances, les moyens soulevés par M. V…. lui permettant de constater l’existence d’une contestation sérieuse sur les créances déclarées, et justifiant ainsi le renvoi de questions préjudicielles ». Uniquement juge de l’exception et non de l’action, la juridiction administrative avait ainsi l’obligation de « limiter son examen à … ces moyens (…) et de ne connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre des impositions en litige ». Par sa motivation, le tribunal administratif de Lyon applique simplement la jurisprudence M. Bompard et autres du Conseil d’État (CE, sect., 17 oct. 2003, n° 0244521, préc.), confirmée dans d’autres affaires similaires tant par la Haute juridiction de l’ordre administratif (CE, 9/10 Ch.R., 11 oct. 2017, Raymond (Me) agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Lezeau, n° 397604, Lebon p. 314 ; CE, Sect., 28 nov. 2018, Société MJA, agissant en qualité de liquidateur de la société Nouvelles Résidences de France, n° 413526, Lebon p. 612) que par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Com., 19 déc. 2018, n° 17-15.883 17-26.501, Bull., n° 102) .
À y regarder de près, on se rend compte que la motivation du tribunal administratif de Lyon ne fait que reprendre celle du Conseil d’État dans ces différentes affaires. Dans le premier considérant de l’arrêt M. Bompard et autres notamment, le juge du Palais Royal avait retenu que « lorsque la juridiction de l'ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre de cet acte ». Ce principe est absolu sauf « dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l'ordre judiciaire n'a limité la portée de la question qu'elle entend soumettre à la juridiction administrative ». Dans ce dernier cas seulement, la juridiction administrative saisie de la question préjudicielle doit examiner la totalité des moyens soulevés devant elle, sans devoir rechercher si ces moyens avaient été invoqués devant la juridiction judiciaire auteure de la question préjudicielle. Or cette dernière condition n’est nullement réunie dans l’espèce pour que la dérogation puisse valoir et que les nouvelles prétentions de M. V. puissent être accueillies devant le tribunal administratif de Lyon.
La limitation des moyens susceptibles d’être examinés à l’appui d’une question préjudicielle se révèle comme un moyen de maîtriser le flux des prétentions des parties, la prise en compte et l’examen de nouveaux moyens étant susceptible d’allonger le délai de jugement alors même queles questions préjudicielles sont déjà perçues comme des « axiomes de procédure » rallongeant et retardant la résolution du litige (G. Lebrun, Office du juge administratif et questions préjudicielles. Recherche sur la situation du juge a quo, LGDJ, 2017, Bibliothèque de droit public tome 296, pp. 150 et 568 s.). C’est sans doute la raison pour laquelle l’irrecevabilité touche également les moyens d’ordre public bénéficiant pourtant classiquement d’un régime plus bienveillant. En effet, au sens d’une jurisprudence bien établie du Conseil d’État (CE, sect., 20 fév. 1953, Société Intercopie, n° 09772, Lebon p. 88), un moyen relevant d’une cause juridique distincte de celle dont relèvent les moyens présentés avant l’expiration du délai de recours contentieux, ne peut être soulevé après l’expiration dudit délai, sauf s’il s’agit d’un moyen d’ordre public.
À la lumière de la motivation du tribunal administratif de Lyon, il apparaît que la délimitation des moyens admis à l’appui d’une question préjudicielle est la règle. Ainsi, que la question préjudicielle ait été transmise par renvoi des parties vers le juge de la question préjudicielle comme avant la réforme de février 2015, ou qu’elle ait été directement posée par le juge saisi au fond comme le prévoit désormais l’article 49 du code de procédure civile, son examen ne peut être fondé sur des moyens nouveaux qui n’auraient pas été soulevés auparavant devant le juge principal, dès lors que celui-ci a relevé, de façon précise, dans son (ses) ordonnance (s) de sursis à statuer, les moyens soulevés durant l’instance principale.
La motivation du tribunal administratif de Lyon suscite toutefois quelques interrogations sur le caractère absolu de l’irrecevabilité des moyens nouveaux dans l’examen d’une question préjudicielle. De fait, alors qu’il exclut la recevabilité même des moyens d’ordre public dans la procédure d’examen de la question préjudicielle, le tribunal administratif de Lyon se réserve le droit de relever d’office d’autres moyens, notamment l’irrecevabilité de la requête du Pôle de recouvrement spécialisé. Mais il fonde cette faculté non pas sur le fait que ses pouvoirs sont délimités par l’objet de la question préjudicielle, mais plutôt sur le fait que le Pôle de recouvrement spécialisé ne peut demander au juge administratif de prononcer des mesures qu’il a le pouvoir de prendre, au sens de la jurisprudence Préfet de l’Eure (CE, 30 mai 1913, n° 49241, Lebon p. 583). Il en résulte qu’il laisse la porte ouverte à la prise en compte de moyens nouveaux, notamment des fins de non-recevoir, qui n’auraient pas été précédemment présentés devant le juge du principal par l’une ou l’autre des parties, mais qu’il pourrait lui-même relever d’office durant l’instance. Ainsi, l’irrecevabilité de nouveaux moyens au cours de l’examen d’une question préjudicielle n’est in fine absolue qu’à l’égard des parties au litige. Elle ne prive pas le juge de la possibilité de relever d’office de nouveaux moyens en fonction des éléments du contentieux.
En tout état de cause, seuls les moyens soulevés en l’espèce par M. V. devant le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne et dont l’examen a été renvoyé au tribunal administratif de Lyon ont été examinés par celui-ci. Il s’agit précisément de :
l’existence d’erreurs comptables sur le montant de 29 617 euros représentant la taxe sur la valeur ajoutée due par M. V ;le bénéfice d’un dégrèvement de 10 600 euros pour l’impôt sur les revenus de l’année 2008 ;le caractère erroné du montant de l’impôt sur les revenus des années 2010 à 2013 en raison de l’existence d’erreurs comptables et de la déclaration de bilans comptables incomplets, auxquelles M. V. ajoute avoir effectué un paiement à la trésorerie de Balbigny le 9 janvier 2014 d’un montant de 15 244, 62 euros en règlement de ces impositions ;le caractère erroné de la taxe d’habitation au titre des années 2015, 2016 et 2017 en raison d’une mauvaise détermination du montant de ces impositions, dont le montant correspond à une taxation d’office et doit être réévalué après validation des nouveaux bilans comptables.
l’existence d’erreurs comptables sur le montant de 29 617 euros représentant la taxe sur la valeur ajoutée due par M. V ;le bénéfice d’un dégrèvement de 10 600 euros pour l’impôt sur les revenus de l’année 2008 ;le caractère erroné du montant de l’impôt sur les revenus des années 2010 à 2013 en raison de l’existence d’erreurs comptables et de la déclaration de bilans comptables incomplets, auxquelles M. V. ajoute avoir effectué un paiement à la trésorerie de Balbigny le 9 janvier 2014 d’un montant de 15 244, 62 euros en règlement de ces impositions ;le caractère erroné de la taxe d’habitation au titre des années 2015, 2016 et 2017 en raison d’une mauvaise détermination du montant de ces impositions, dont le montant correspond à une taxation d’office et doit être réévalué après validation des nouveaux bilans comptables.
l’existence d’erreurs comptables sur le montant de 29 617 euros représentant la taxe sur la valeur ajoutée due par M. V ;le bénéfice d’un dégrèvement de 10 600 euros pour l’impôt sur les revenus de l’année 2008 ;le caractère erroné du montant de l’impôt sur les revenus des années 2010 à 2013 en raison de l’existence d’erreurs comptables et de la déclaration de bilans comptables incomplets, auxquelles M. V. ajoute avoir effectué un paiement à la trésorerie de Balbigny le 9 janvier 2014 d’un montant de 15 244, 62 euros en règlement de ces impositions ;le caractère erroné de la taxe d’habitation au titre des années 2015, 2016 et 2017 en raison d’une mauvaise détermination du montant de ces impositions, dont le montant correspond à une taxation d’office et doit être réévalué après validation des nouveaux bilans comptables.
l’existence d’erreurs comptables sur le montant de 29 617 euros représentant la taxe sur la valeur ajoutée due par M. V ;le bénéfice d’un dégrèvement de 10 600 euros pour l’impôt sur les revenus de l’année 2008 ;le caractère erroné du montant de l’impôt sur les revenus des années 2010 à 2013 en raison de l’existence d’erreurs comptables et de la déclaration de bilans comptables incomplets, auxquelles M. V. ajoute avoir effectué un paiement à la trésorerie de Balbigny le 9 janvier 2014 d’un montant de 15 244, 62 euros en règlement de ces impositions ;le caractère erroné de la taxe d’habitation au titre des années 2015, 2016 et 2017 en raison d’une mauvaise détermination du montant de ces impositions, dont le montant correspond à une taxation d’office et doit être réévalué après validation des nouveaux bilans comptables.
Examinant ces différents moyens, le tribunal administratif de Lyon les rejette un à un et déboute M. V. en ces termes : « Il résulte de tout ce qui précède que les contestations des créances fiscales présentées par M. V... devant le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Etienne et portant sur la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2010, l’impôt sur les revenus des années 2008 et 2010 à 2013, et la taxe d’habitation, incluant le montant de la redevance pour l’audiovisuel public, au titre des années 2015, 2016 et 2017 ne sont pas fondées. ». Reconnaissant ainsi la légalité et l’exigibilité des créances contestées, le juge de l’impôt (tribunal administratif de Lyon) renvoie les parties vers le juge de la procédure collective (le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saint-Étienne) pour la poursuite de la procédure de liquidation judiciaire, prouvant ainsi qu’en dépit de la séparation des pouvoirs, le dialogue des juges semble avoir encore de beaux jours devant lui.