En vertu des anciennes dispositions du Code de commerce, le préfet dispose d’une simple faculté de mettre en demeure un exploitant de fermer au public ses surfaces de vente en cas de manquement à la règlementation de l’urbanisme commercial.
L’association requérante, association de défense des commerçants et artisans contre les abus de la grande distribution, a demandé au préfet du Rhône d’utiliser l’un des pouvoirs prévus par l’article L. 752-23 du Code de commerce qui lui permettait, dans sa rédaction alors applicable, de mettre en demeure un magasin de fermer des surfaces de vente illégalement exploitées.
Il lui était reproché d’exploiter 1 000 m2 correspondant à deux réserves dédiées à la vente de boissons et d’articles de jardin sans avoir été autorisé à le faire par la commission départementale urbanisme commercial.
Pour refuser de prendre une telle décision, le préfet s’est fondé sur les conséquences de l’arrêt de l’activité. Une telle décision engendrerait une perte de chiffre d’affaires ainsi que des suppressions d’emplois.
Cependant, selon la Cour administrative d’appel de Lyon, la décision du préfet était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Elle retient une telle solution pour deux raisons. D’une part, les prétendues conséquences de l’arrêt de l’activité n’étaient ni suffisamment circonstanciées, ni suffisamment étayées. D’autre part, la société continuait d’exploiter irrégulièrement sa surface de vente en dépit de tentatives de régularisations restées infructueuses.
Par cet arrêt, la Cour apporte une précision intéressante sur l’étendue du pouvoir du préfet de mettre en demeure un porteur de projet d’arrêter son activité dont l’exploitation commerciale est illicite. Il en ressort que la faculté du préfet ne peut être appréciée par les juges que dans le cadre d’un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation, confirmant ainsi son pouvoir discrétionnaire (1.). Cet arrêt donne l’occasion de revenir sur la modification des pouvoirs du préfet en cas d’absence de conformité à la législation de l’urbanisme commercial par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ci-après « ELAN ») (2.).
1 La confirmation du pouvoir discrétionnaire du préfet
Saisi d’un rapport établi par des agents habilités à rechercher et constater les infractions aux règles d’aménagement commercial, le préfet peut user de ses pouvoirs de police administrative spéciale en la matière (C.E., 18 janvier 2017, Req., n° 396343) . Plus précisément, dans sa version applicable au cas d’espèce, le Code de commerce lui reconnaissait une faculté de mettre en demeure le porteur de projet, soit de fermer au public les surfaces exploitées illégalement, soit de réduire les surfaces d’exploitation. Si cette mise en demeure n’était pas suivie d’effet, le préfet pouvait alors ordonner la fermeture au public des surfaces de vente exploitées illicitement jusqu’à une régularisation effective. Toutes ces mesures étaient susceptibles être assorties d’une astreinte journalière de 150 euros par mètre carré exploité illicitement.
Or, la Cour administrative d’appel de Lyon censure le refus du préfet d’user de l’un ses pouvoirs dans le cadre d’un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation. Un tel degré de contrôle par les juges révèle l’absence de compétence liée pour le préfet d’agir, et ce même en présence d’un manquement à la réglementation de l’urbanisme commercial.
Une telle solution n’est pas nouvelle. En effet, le Conseil d’Etat a déjà jugé que le préfet n’était pas tenu de mettre en demeure un porteur de projet de cesser des travaux ou une exploitation en cas d’infraction à la législation de l’urbanisme commercial (C.E., 25 avril 1980, n° 010572) . Ce pouvoir discrétionnaire, soumis à un contrôle restreint du juge, a été reconnu à bien d’autres autorités publiques. Par exemple, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a pu décider de ne pas mettre en demeure une chaine de télévision de respecter ses obligations de contribution au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation. Selon un considérant de principe, la règlementation en vigueur n’a « pas pour effet d’obliger le Conseil supérieur de l’audiovisuel […] à adresser auxdits titulaires une mise en demeure lorsqu’il est saisi une telle demande » (C.E., 26 novembre 2012, n° 349529, n° 349530, Lebon T. p. 946) .
Le contrôle restreint s’explique par le fait que le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation concerne pour l’essentiel les mesures de pouvoir de police spéciale laissant une marge de manœuvre à l’autorité administrative. À l’inverse, en matière de police administrative générale, le juge exerce un contrôle entier car il ne reconnaît pas un pouvoir d’appréciation discrétionnaire à l’administration ; le juge substitue son appréciation à celle de l’autorité de police (C.E., 19 mai 1933, n° 017413, Lebon T. p. 541) .
Mais le degré de contrôle de la carence des autorités de police reste incertain. En effet, si le juge a consacré l’obligation des autorités d’agir en matière de police (C.E, 23 octobre 1959, n° 40922, Rec. p.540), il a pu être réticent à contrôler pleinement les refus des administrations d’utiliser leurs pouvoirs de police administrative tant générale que spéciale (conclusions, rapporteur public Laurence Marion, C.E., 13 octobre 2017, n° 397031).
Ainsi, le contrôle restreint des magistrats de la Cour s’inscrit dans cette jurisprudence qui n’autorise qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation des refus d’agir des autorités de police.
2 Des pouvoirs du préfet modifiés par la loi ELAN
L’un des volets de la loi ELAN porte sur l’aménagement commercial. Cette loi renforce les pouvoirs du préfet à toutes les étapes de la procédure de l’autorisation d’exploitation commerciale. Plus précisément, cette loi instaure un contrôle des autorisations d’exploitation commerciale après leur délivrance. À ce titre, le porteur de projet doit désormais transmettre au préfet un certificat de conformité démontrant le respect de l’autorisation, un mois avant l’ouverture au public du commerce. À défaut d’avoir communiqué ce certificat, l’exploitation des surfaces commerciales est réputée illicite. Dans sa nouvelle rédaction, l’article L. 752-23 du Code de commerce prévoit des sanctions en cas d’absence de conformité. Il oblige désormais le préfet à mettre en demeure l’exploitant, soit de fermer au public les surfaces de vente illicites, soit de ramener sa surface commerciale à l’autorisation d’exploitation commerciale accordée par la commission d’aménagement commercial. Cette mise en demeure n’est donc plus une faculté pour le préfet (sur l’évolution du pouvoir du préfet voir réponse ministérielle, J.O.A.N. du 13 août 2019 à la question n° 20674).
Le contrôle des autorisations d’exploitation commerciale, récemment renforcé, échappe aux commissions d’aménagement commercial, seul le préfet peut agir. Reste à savoir de quelle manière les juges contrôleront désormais les décisions du préfet. Le gouvernement a pu relever, sans plus de précisions, que « les juges se prononcent en toute indépendance et impartialité, en tenant compte des éléments contenus dans chaque dossier » (réponse ministérielle préc.). Si le juge a pu se montrer réticent à censurer les carences des autorités administratives en matière de police, la jurisprudence évolue et le contrôle du juge tend à devenir entier (conclusions, rapporteur public Laurence Marion, préc.). Par exemple, il appartient au juge d’exercer un plein contrôle sur le refus de l’autorité de faire usage d’un pouvoir de police spéciale des déchets. Ainsi, un contrôle normal s’opère désormais sur le respect de l’obligation de prendre des mesures nécessaires pour assurer l’élimination des déchets qui peuvent représenter un danger pour l’environnement (C.E., 13 octobre 2017, n° 397031).
Dès lors, le juge étant plus enclin à contrôler pleinement les carences des autorités de police et le préfet étant désormais en compétence liée pour agir en cas d’infraction à l’urbanisme commercial, il y a fort à penser que le refus d’agir en la matière sera apprécié dans le cadre d’un contrôle entier.