Une surdité ne peut être regardée comme une maladie professionnelle pour un ripeur dès lors que ces fonctions ne figurent pas sur le tableau limitatif des fonctions pouvant permettre de reconnaître cette pathologie imputable au service.
Fonction de ripeur et maladie professionnelle
Lire les conclusions de :
Décision de justice
TA Clermont-Ferrand – N° 1800692 – 08 février 2019 – C+ 
Jugement confirmé en appel: voir CAA Lyon, N° 19LY01281 - 15 avril 2021 - C
Juridiction : TA Clermont-Ferrand
Numéro de la décision : 1800692
Date de la décision : 08 février 2019
Code de publication : C+
Index
Mots-clés
Maladie professionnelle, Reconnaissance d'une maladie professionnelle, Surdité, Ripeur, EboueurRubriques
Fonction publiqueTextes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
Philippe Chacot
Rapporteur public au tribunal administratif de Clermont Ferrand
DOI : 10.35562/alyoda.6516
M. A. a été recruté par la commune d’Aurillac le 1er septembre 1983 en qualité d’ouvrier de la voie publique. A compter du 1er janvier 1994, il a exercé les fonctions d’éboueur, puis, recruté par la communauté d'agglomération du bassin d'Aurillac (CABA) à compter du 1er février 2000, il a exercé les fonctions de ripeur. A compter de l’année 2007 il a été affecté, à sa demande, sur un poste d’agent chargé de la distribution des sacs et des bacs de collecte. Victime d’un accident de service le 1er décembre 2011, puis d’une rechute le 6 mars 2012, il a été déclaré inapte à ses missions ponctuelles d’équipier de collecte. Il a repris son travail le 16 avril 2014, sur un poste aménagé « temporaire » de mise à jour dans le système d’information géographique (SIG) des différents points de collecte du territoire communautaire, poste aménage qui a été pérennisé en décembre 2014. Le 18 janvier 2017, M. A. a déposé une demande de reconnaissance en maladie professionnelle au titre d’une surdité de perception bilatérale davantage marquée à droite. Dans un 1er temps, la communauté d'agglomération du bassin d'Aurillac a refusé de faire droit à cette demande par un arrêté du 30 janvier 2017, dans l’attente de l’avis de la commission de réforme. Une expertise a été réalisée par le docteur Azais le 3 mars 2017 qui a établi un rapport le 17 mai 2017. La commission de réforme, lors de sa séance du 23 novembre 2017, a rendu un avis favorable à l’imputabilité au service de la surdité de M.A.. Et en dépit de cet avis favorable, la communauté d'agglomération du bassin d'Aurillac a confirmé son refus de reconnaissance de l’imputabilité par un nouvel arrêté du 15 janvier 2018. Le recours gracieux de M. A. ayant été rejeté, il vous demande, par cette requête, d’annuler ce dernier arrêté du 15 janvier 2018 refusant la reconnaissance de l’imputabilité au service de sa surdité. Il demande également qu’il soit enjoint à la communauté d'agglomération du bassin d'Aurillac de prendre en charge sa pathologie au titre de la maladie professionnelle
Sur l’annulation
Sur l’erreur de droit :
M. A. soutient que l’arrêté du 15 janvier 2018 est entaché d’une erreur de droit, dès lors qu’il ajoute aux conditions de reconnaissance des maladies professionnelles en exigeant un lien exclusif entre la pathologie et l’activité professionnelle.
1er motif : Pour prendre sa décision le président de la communauté d'agglomération du bassin d'Aurillac s’est fondé sur deux motifs : « les conclusions médicales ne permettent pas de rattacher de façon exclusive l’affection et l’activité professionnelle de l’intéressé et que la durée d’exposition indiquée par le tableau n°42 n’est pas atteinte ». Nous estimons que l’administration a commis une erreur de droit en motivant ainsi sa décision car effectivement elle a rajouté une condition non légale à la reconnaissance de l’imputabilité au service. Vous allez appliquer l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires qui instaure désormais un régime de présomption d’imputabilité au service en faveur des fonctionnaires atteint d’une pathologie mentionnée aux tableaux annexés à l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale. L’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 prévoit: « IV.-Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée par un tableau peut être reconnue imputable au service lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est directement causée par l'exercice des fonctions. Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ».Si l’agent remplit toutes les conditions du tableau 42 « atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels » figurant à l’annexe II du code de la sécurité sociale, alors nous sommes pleinement dans le cas de la présomption d’imputabilité. En revanche, si l’une ou plusieurs conditions tenant soit au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux n’est pas remplie, alors il appartient au fonctionnaire d’établir que la pathologie est directement causée (ou essentiellement et directement causée) par l’exercice des fonctions. En tout état de cause le 1er motif de l’arrêté attaqué, refusant l’imputabilité, tiré de ce que les constatations médicales ne permettent pas de rattacher « de façon exclusive » la pathologie (surdité) à l’exercice des fonctions, est entaché d’une erreur de droit, les dispositions légales n’exigeant pas en effet un lien d’exclusivité. Vous pourrez voir sur la nature du lien de causalité : CE 23 septembre 2013 Mme F. n° 353093 B « 3. Considérant que, pour rejeter les conclusions de Mme F. dirigées contre les arrêtés du directeur du CHU de Toulouse lui refusant le bénéfice de ces dispositions pour la période comprise entre le 2 mai 2005 et le 22 août 2007, le tribunal administratif de Toulouse s’est fondé sur le motif tiré de ce que l’état pathologique de l’intéressée ne pouvait alors être regardé comme directement et exclusivement imputable à l’accident de service dont elle avait été victime le 16 avril 2004 ; qu’en exigeant que soit établi un lien non seulement direct mais aussi exclusif entre l’état pathologique de l’agent et l’accident de trajet du 16 avril 2004, le tribunal administratif de Toulouse a commis une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, Mme F. est fondée à demander l’annulation de son jugement ». Cette décision a été rendue en matière d’accident professionnel mais elle semble pouvoir être étendue aux maladies professionnelles.
2ème motif : Pour prendre l’arrêté attaqué, la communauté d'agglomération du bassin d'Aurillac a également considéré « que la durée d’exposition indiquée par le tableau n°42 n’est pas atteinte ». Nous rappelons que le tableau n°42 prévoit une durée d’exposition d’un an. Nous pensons que ce deuxième motif est également erroné. Vous allez pouvoir vous reporter au rapport de l’expert qui, en dépit de son extrême prudence, vous permet de répondre sur ce point. Il ressort du rapport et du complément d’expertise, réalisés par le docteur Azaïs, oto-rhino-laryngologiste, que M. A. « présente une surdité de perception gauche de 20-50 dB essentiellement sur les fréquences médium – aigu de type surdité de perception et à droite un aspect mixte surdité de transmission-surdité de perception avec 10-15 dB déficit par rapport au côté gauche », et qu’un premier audiogramme daté de mai 2002 « montre déjà une surdité de perception de même nature, avec la même asymétrie avec une perte comparable à +/6 10dB » et qu’un audiogramme réalisé en 2004 « donne également les mêmes valeurs de perte », ces deux audiogrammes ayant été réalisés après dix années de travail en qualité de ripeur de 1994 à 2004. Au passage, vous pouvez constater que la condition relative au délai de prise en charge d’un an, prévue par le tableau n°42, est respecté (il s’agit du délai entre la fin des travaux et la première constatation de la pathologie). En effet, si le requérant n’a présenté sa demande qu’en janvier 2017, soit longtemps après la fin des missions de ripeur (2007), il est constant qu’en 2002, date de la première constatation de la pathologie, il exerçait encore ces fonctions de ripeur. Mais surtout, les éléments du dossier et le rapport de l’expert vous permettent de constater que la durée d’exposition d’un an prévue par le tableau n°42 est également atteinte puisque le requérant a exercé les fonctions de ripeur entre 1994 et 2007, année ou il a changé d’affectation et n’a effectué que très ponctuellement des missions de ripeur. L’activité a donc été exercée pendant huit années à la date de la 1ère constatation de la pathologie. Le second motif de refus de l’imputabilité est donc également erroné ce qui conduira donc à l’annulation de l’arrêté du 15 janvier 2018, pour erreur de droit
Sur l’injonction
Le requérant présente également des conclusions à fin d’injonction afin que sa maladie soit reconnue imputable au service. Nous pensons que vous n’allez, en revanche, pas pouvoir lui donner satisfaction sur ce point. En effet, il ressort des pièces du dossier que M. A. ne remplit pas, selon nous, toutes les conditions prévues au tableau 42 pour bénéficier de la présomption d’imputabilité de sa pathologie à l’exercice de ses fonctions telle qu’elle est prévue par l’article 21 bis IV de la loi du 13 juillet 1983 précité.
Nous considérons qu’il se trouve dans la situation où une des conditions n’est pas remplie et, dans ce cas de figure, il lui appartient d’établir que la pathologie dont il est atteint est directement causée par l'exercice des fonctions. Comme indiqué, M. A. remplit les conditions de durée d’exposition et de délai de prise en charge. En revanche nous avons une très forte interrogation sur la question de savoir si les fonctions qu’il a exercées, a savoir d’éboueur et plus précisément de ripeur, entrent bien dans la typologie des métiers et fonctions listés limitativement par le tableau 42. De ce point de vue le rapport de l’expert ne permet pas de trancher compte tenu de son extrême prudence et de son absence de certitude. L’expert indique qu’au vu de l’activité exercée par M. A., « une imputabilité à son activité professionnelle exposée est possible compte tenu du caractère sonore bruyant des camions et manutention de containers ». Il précise néanmoins qu’il est « difficile d’établir avec certitude le lien direct et unique avec son exposition professionnelle ». Il ajoute également que « les critères de reconnaissance lors de la période d’activité de ripeur peuvent correspondre sur le tableau n° 42 des maladies professionnelles au paragraphe 4 : manutention mécanisée avec des récipients métalliques, » ainsi qu’aux articles « se rapportant à des activités de broyage, compression, moteurs et/ou par des machines bruyantes à proximité ». Toutefois l’activité de ripeur ne correspond pas selon nous au point 4 du tableau qui concerne « la manutention mécanisée de récipients métalliques ». En effet à notre connaissance les conteneurs de ramassage des ordures ménagères sont en plastique et non métalliques. De plus, nous ne voyons pas à quelle rubrique correspondraient, dans le tableau 42, les travaux se rapportant à « des activités de broyage, compression, moteurs et/ou par des machines bruyantes à proximité » mentionnés par l’expert. D’ailleurs les fonctions d’éboueur ou de ripeur ou l’activité de ramassage des ordures ménagères ne sont à aucun moment citées, dans ce tableau 42. Nous estimons donc que le requérant ne remplit pas une des conditions à savoir l’exercice de fonctions fixées limitativement par le tableau 42. Il lui appartient donc de démontrer que sa pathologie a été causée directement par les fonctions de ripeur entre 1994 et 2007. Or, comme nous l’avons dit le rapport de l’expert n’est nullement affirmatif, puisqu’il indique que l’imputabilité à son activité professionnelle exposée est « possible » et qu’il « est difficile d’établir avec certitude le lien direct et unique avec son exposition professionnelle » Dans ces conditions nous estimons, qu’en l’état du dossier, M. A. ne rapporte pas cette démonstration du lien de causalité direct avec son activité professionnelle et que dès lors sa pathologie n’a pas à être prise en charge par l’administration. Vous n’aurez donc pas à enjoindre à l’administration de reconnaître l’imputabilité de sa maladie au service ni même à lui enjoindre de réexaminer la situation de l’agent. Nous précisons enfin, que nous n’avons trouvé aucun jugement de tribunal administratif concernant l’imputabilité d’une surdité à des fonctions d’éboueur ou de ripeur et vous aurez remarqué que le requérant n’en cite pas davantage.
Votre jugement, si vous nous suivez, fera donc jurisprudence.
Par ces motifs nous concluons à l’annulation (pour erreur de droit) de l’arrêté du 15 janvier 2018 et au rejet du surplus des conclusions.
Droits d'auteur
Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.