En décembre 2009, la commune de Villieu-Loyes-Mollon (01) a confié à un groupement constitué des sociétés Alho, mandataire, et Archiconcept un marché de conception‑réalisation portant sur la fourniture et la pose d’un ensemble de bâtiments modulaires pour l’accueil d’une école maternelle et d’un restaurant scolaire pour un montant global et forfaitaire de 2 033 200 € TTC.
La société Novade était intervenue comme maître d’ouvrage délégué en vertu d’un contrat de mandat du 26 novembre 2008.
Peu après le démarrage des travaux de terrassement, en mars 2010, on a constaté qu’une partie du sous-sol du terrain d’assiette, 150 m² environ, était polluée aux hydrocarbures. Alors qu’elle avait déjà réalisé les modules destinés à être livrés et assemblés, la société Alho a dû procéder à leur stockage pendant la réalisation des travaux de dépollution. Après de nouvelles études, liées à la nécessité de déplacer l’implantation des constructions pour tenir compte de la nature des remblais, les modules n’ont été livrés qu’en septembre et octobre 2011 alors que la réception du bâtiment avait initialement été prévue pour le mois d’août 2010.
La société Alho a sollicité le paiement de la somme de 213 049, 49 € TTC1 au titre des coûts de stockage des modules, de chargement et de déchargement, de déplacement et d’hébergement de ses personnels sur le lieu de stockage, d’huissier de justice, de remise en état des modules, de clôture de chantier, de l’édicule ascenseur, de surélévation de la toiture et d’honoraires d’avocats.
Cette demande reçue par la commune le 19 janvier 2012 est restée sans réponse. La société Alho, devenue ensuite société Pro Contain, a saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande tendant à la condamnation de la commune de Villieu-Loyes-Mollon à lui verser la somme de 222 056, 29 € TTC avec intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 2012 sur la somme de 212 817, 18 euros.
Le tribunal administratif (TA) a rejeté la demande de la société Pro Contain par un jugement du 22 octobre 2015 dont elle relève appel.
Devant les premiers juges, la commune avait opposé une fin de non-recevoir tirée de ce que la société lui avait notifié le 14 juin 2013 un projet de décompte final et n’était plus recevable à former des demandes en dehors de ce cadre. Le TA a écarté cette fin de non-recevoir au motif qu’en l’absence de notification par le maître de l’ouvrage du décompte général, comme en l’espèce, le juge pouvait être saisi d’une demande indemnitaire en cours d’exécution du marché. En l’espèce, un différend est né à la suite du mémoire en réclamation de la société, rejeté par la commune. Cette dernière ne conteste pas cette partie du jugement, vous ne reviendrez donc pas sur cette fin de non-recevoir contractuelle.
Pour rejeter au fond la demande de la société Pro Contain, les premiers juges ont appliqué au marché de conception-réalisation la jurisprudence applicable aux marchés de maîtrise d’œuvre.
Le marché de conception-réalisation va au-delà du marché de maîtrise d’œuvre puisque, comme son nom l’indique, il a pour objet de confier à un même opérateur la conception du projet et sa réalisation. Il déroge au principe posé par la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique qui précise que « pour la réalisation d’un ouvrage, la mission de maîtrise d’œuvre est distincte de celle d’entrepreneur ». Cette loi prévoit elle-même les cas dans lesquels le maître de l’ouvrage peut recourir à un marché de conception-réalisation (I de l’art. 18) .
Par sa décision société Babel (29 septembre 2010, n° 0319481, B), le CE a jugé que le titulaire d’un contrat de maîtrise d’œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l’ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu’il en escompte, et que seule une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l’ouvrage peut donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Ainsi, la prolongation de sa mission n’est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d’œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d’ouvrage.
Le maître d’œuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d’œuvre et qui n’ont pas été décidées par le maître d’ouvrage a droit, en outre, à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché si elles ont été indispensables à la réalisation de l’ouvrage selon les règles de l’art, ou si le maître d’œuvre a été confronté dans l’exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l’économie du contrat.
Le jugement attaqué a remplacé titulaire d’un contrat de maîtrise d’œuvre ou maître d’œuvre par titulaire d’un contrat de conception-réalisation ou concepteur-réalisateur.
Il n’y a pas d’obstacle à ce que la jurisprudence Babel soit transposée à ce type de marché (par ex. CAA Paris 15 novembre 2016, SA Parcs et Jardins, 14PA05148) .
En vertu de l’article 2 de l’acte d’engagement et des articles 1.3 et 6.2 du CCAP le marché est rémunéré par application d’un prix global forfaitaire. On notera d’ailleurs que ce CCAP renvoie au CCAG Fournitures courantes et Services et non au CCAG Travaux.
La société Pro Contain conteste tout d’abord le jugement en ce qu’il a considéré qu’elle ne pouvait se plaindre de devoir supporter les coûts de stockage liés à la découverte de la pollution du terrain d’assiette de l’opération dans la mesure où elle aurait dû procéder à une étude complémentaire.
La société soutient qu’aucun des documents du marché n’a mentionné l’obligation ou l’opportunité de faire réaliser une étude de pollution du terrain.
Le programme technique détaillé (PTD) qui fait partie de ces documents en vertu de l’article 2 du CCAP précise : « une étude de sol de type G0/G12 a été réalisée pour un ancien projet SEMCODA2 sur le site même d’implantation du présent projet. Cette étude est annexée au présent document. En cas de nécessité, et sous réserve de le justifier, une étude complémentaire pourra être réalisée ». L’étude réalisée par Ain Géotechnique en février 2008 a rappelé que le terrain avait été occupé par une fonderie, que sur le site de celle-ci les formations d’argile, de gravier, sable et marne, sont recouvertes par un remblai d’environ trois mètres d’épaisseur composé de mâchefer et d’éléments en béton (murs, dallages), voire des déchets anthropiques (plastiques, ferrailles, gravats). La même étude a évoqué la possibilité de vides dans le remblai jugé de qualité médiocre.
Cette étude ne concluait pas à la possibilité d’une pollution aux hydrocarbures. Mais compte tenu du passé industriel du terrain, des résultats de l’étude réalisée qui mettaient en évidence qu’il pouvait y avoir des problèmes de portance, il aurait été plus prudent pour la société de faire réaliser une nouvelle étude, moins d’ailleurs pour mettre en évidence la pollution du sol que pour s’assurer des bonnes conditions de l’implantation des bâtiments (Art. 12 du CCAP3). Cette société, c’est la logique du marché de conception-réalisation, n’est en outre pas simplement un entrepreneur qui effectue les travaux à partir des études que le maître d’œuvre aura fait réaliser.
La commune n’a pas tort de relever que, dès le début de la réalisation des puits en vue de couler les premiers pieux, l’entreprise s’est rendue compte des difficultés liées à ce sous-sol qui existent sur toute la surface de la construction, pas seulement sur la zone polluée. Si une étude de sols complémentaire avait été réalisée en temps utile, avant le chantier, la société Pro Contain aurait, non seulement découvert la pollution, mais aussi adapté son système de fondations.
La société requérante relève d’une part que le système de fondations a dû être modifié dans la mesure où c’est la société Socatra, chargée du terrassement, qui a découvert de nombreux gravats, restes de constructions anciennes et autres longrines et que, d’autre part, le décalage de 30 cm du bâtiment est la conséquence d’une mauvaise implantation des réseaux par Socatra avant que n’intervienne la réalisation des fondations par pieux spéciaux compte tenu des gravats découverts.
Mais cette argumentation finit de nous convaincre qu’il y a eu des défauts ou peut-être des négligences dans la conception du projet parce que s’il y avait eu une étude complémentaire sérieuse les défauts du sol auraient été pris en compte dès le départ.
La société requérante conteste ensuite le jugement qui a considéré qu’elle ne démontrait pas en quoi le stockage des modules aurait présenté un « caractère indispensable à la réalisation de l’ouvrage selon les règles de l’art ».
Le TA a en effet jugé « qu’à supposer même que la société ait accompli les diligences nécessaires, elle n’établit pas en quoi le stockage des modules sur un autre terrain, dont elle demande la prise en charge par la commune, a présenté un caractère indispensable à la réalisation de l’ouvrage selon les règles de l’art » .Ce qui renvoie au considérant de principe de la décision Babel : le maître d’œuvre, ici le concepteur réalisateur, ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché et qui n’ont pas été décidées par le maître d’ouvrage a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché si elles ont été indispensables à la réalisation de l’ouvrage selon les règles de l’art.
La société rappelle qu’elle était tenue par les délais du marché (4 mois à compter de la notification), dont le terme était prévu pour fin avril 2010 ; qu’elle ne pouvait attendre le dernier moment pour fabriquer les 45 modules et que les opérations de pose, outre le grutage proprement dit, impliquaient le raccordement aux VRD ; que le stockage a été rendu nécessaire par l’arrêt du chantier dû à la découverte de la pollution (mars 2010) et qu’elle a dû attendre la fin des opérations de dépollution.
Le stockage des modules était inévitable puisqu’ils ne pouvaient être installés du fait des opérations de dépollution.
Mais cette nécessité de stocker les modules est une conséquence d’un manque de diligence de la part de la société qui n’a pas pris en compte dès le début de son marché qu’il fallait procéder à des investigations sur la nature du sol, compte tenu des éléments figurant dans les documents contractuels.
Il s’agit moins ici d’appliquer la jurisprudence Babel, comme l’a fait le TA que de vous placer dans la logique de ce que vous avez dit précédemment.
La société soutient aussi qu’elle a droit à indemnisation indépendamment de tout bouleversement de l’économie générale du marché et que c’est à tort que le TA a retenu qu’elle n’était pas fondée à être indemnisée au titre de la sujétion constituée par les difficultés rencontrées dans le déroulement du chantier.
C’est encore une application de la jurisprudence Babel : le concepteur réalisateur ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché et qui n’ont pas été décidées par le maître d’ouvrage a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché [si elles ont été indispensables à la réalisation de l’ouvrage selon les règles de l’art, ou si] s’il a été confronté dans l’exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l’économie du contrat.
La jurisprudence est constante pour les marchés conclus à prix forfaitaire : CE 1er juillet 2015, régie des eaux du canal de Belletrud, n° 383613 ; CE , 13 mai 2015, sociétés Gallego et Temsol, n° 380863 ; CE, 12 novembre 2015, société Tonin, n° 384716 ; CE, 6 janvier 2016, sté Eiffage construction et autres, n° 383245
Le TA a relevé que la société Pro Contain soutient avoir dû faire face pour l’exécution de son contrat du fait de sujétions imprévues à un montant de dépenses évalué par elle à 222 056 € TTC soit 10, 9 % du marché conclu entre le maître d’ouvrage et le titulaire du marché.
Il nous semble difficile de conclure que les sujétions étaient imprévisibles, compte tenu de ce que nous avons rappelé précédemment. Il existait une étude qui mettait en évidence des problèmes de sol, il aurait fallu compléter cette étude et cela n’a pas été fait. On n’est pas tout à fait dans la même situation que dans la décision du CE du 3 mars 2010, Société Presspali SPA (304604) qui a jugé « que la seule existence, dans le contrat, d’une clause renvoyant à une étude complémentaire ne peut suffire à exclure l’existence de sujétions imprévues ». Surtout, à supposer que vous puissiez retenir le caractère imprévisible de la pollution du sol, il vous faudrait admettre que les sujétions ont entraîné un bouleversement de l’économie du contrat, condition qui s’impose bien ici contrairement à ce que soutient la société requérante.
Le TA a jugé que les dépenses de la société correspondant à 10, 9 % du marché conclu entre le maître d’ouvrage et le titulaire du marché ne peuvent être regardées comme ayant bouleversé l’économie générale du marché. Nous vous proposons de faire la même chose en application de la jurisprudence du CE 1er juillet 2015, régie des eaux du canal de Belletrud, n° 0383613 : « le montant des dépenses auxquelles la société (…) soutient avoir dû faire face pour l’exécution de son contrat de sous-traitance du fait de sujétions imprévues est évalué par elle à 94 034 € TTC, soit 11, 3 % du marché conclu entre le maître d’ouvrage et le titulaire du marché ; ces dépenses ne peuvent donc être regardées comme ayant bouleversé l’économie générale du marché ».
Rien, dans les écritures de la requérante, ne nous incite à vous proposer de revenir sur la solution du tribunal administratif de Lyon.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Villieu-Loyes-Mollon sur le fondement de l’article L. 761-1 du CJA.