Si le non-recouvrement des loyers prévus à un contrat de bail ne constitue pas un motif de remise en cause du dispositif Scellier, le bail fictif qui en est la cause apparaît comme en étant un.
En l’espèce, Monsieur A, propriétaire d’un appartement et bénéficiaire de l’ancien dispositif Scellier, le met à disposition de sa fille dans le cadre d’un bail d’habitation. Ce dispositif, en faveur de l’investissement locatif effectué entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2012 et permettant une réduction d’impôt, était conditionné à l’engagement du propriétaire de louer nu à usage d’habitation principale le logement pour une durée minimale de neuf ans (199 septvicies du Code général des impôts).
A la suite d’un contrôle sur pièces dans le cadre d’une procédure de répression des abus de droit, l’administration fiscale a entendu notamment remettre en cause la réduction d’impôt. Celle-ci a en effet estimé que le bail signé revêtait un caractère fictif. Les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles le contribuable a été assujetti au titre des années 2009, 2010 et 2011 ont été assorties d’intérêts de retard et d’une majoration de 80 % au titre de l’article 1729 c. du Code général des impôts (au titre de manœuvres frauduleuses) . Monsieur A, demandant la décharge des cotisations supplémentaires et pénalités correspondantes, a été débouté par le tribunal administratif de Grenoble dans un jugement du 11 juillet 2016 (n° 1400934).
S’ensuit un appel formé par Monsieur A devant la cour administrative d’appel de Lyon. Celle-ci, dans un arrêt du 26 juin 2018, inédit au Lebon, rappelle le principe de l’abus de droit par fictivité : peut être écarté sur le fondement de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, « un acte qui, présenté comme un bail d’habitation, constitue en réalité la mise à disposition à titre gratuit d’un logement à un tiers et revêt dès lors un caractère fictif ». L’administration fiscale ayant rapporté la preuve de l’abus de droit, la cour en tire les conséquences et écarte la qualification de bail d’habitation en raison de sa fictivité, remettant en cause par suite le bénéfice du dispositif Scellier et les bases d’imposition déclarées par le contribuable.
La fictivité du bail d’habitation affirmée
« Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles » (article L. 64, al. 1, LPF) .
La procédure de répression des abus de droit instituée par l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales permet de restituer à un acte son véritable caractère. L’abus de droit étant composé de deux branches alternatives, la sincérité d’un acte pourra être remise en cause sur le fondement de l’abus de droit par simulation (c’est-à-dire portant sur des situations de fictivité juridique) ou de l’abus de droit par fraude à la loi. Les illustrations de décisions tendant à écarter la qualification de contrat de louage de choses sur le fondement de cette procédure sont légion au sein de la jurisprudence administrative (pour un exposé du sujet, voir notamment : F. Deboissy, La simulation en droit fiscal, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, 1997, p. 107 et s.).
La réalité d’un tel contrat a pu être remise en cause dans plusieurs hypothèses, notamment celles d’un propriétaire conservant la jouissance du bien mis à bail de manière exclusive (CE, 7e et 9e ss-sect., 15 janvier 1982, n° 16110 et 17057), partielle (CE, 8e et 9e ss-sect., 11 octobre 1978, n° 06744) ou à titre de résidence secondaire (CE, 7e et 8e ss-sect., 22 février 1978, n° 03931) . Dans ces situations, la dissimulation est couramment réalisée aux fins de permettre la déduction de charges afférentes à un immeuble en application de l’article 31 du Code général des impôts et ainsi « faire échec à l’article 15-II du Code général des impôts qui interdit au contribuable de déduire les charges relatives aux immeubles dont il se réserve la jouissance » (F. Deboissy, op. cit., n° 287, p. 108) .
La cour administrative d’appel de Lyon, rappelant la définition du louage de choses au sens du droit civil, indique que l’acte présenté comme un bail d’habitation et constituant en réalité la mise à disposition à titre gratuit d’un logement à un tiers peut être écarté, c’est-à-dire déclaré inopposable. En effet, l’administration fiscale faisait valoir le caractère fictif de l’acte, la charge de la preuve lui incombant par ailleurs en l’absence de saisine du comité de l’abus de droit (BOI-CF-IOR-30 n° 0450 ; CE, 3e et 8e ch., 5 février 2018, n° 409718), en se fondant sur l’absence de perception du loyer du 1er novembre 2009 au 15 janvier 2013. En l’occurrence, la juridiction lyonnaise avait adopté la même solution, et caractérisé l’abus de droit il y a quelques années, en présence d’une prétendue location donnée par un contribuable à son fils sans perception effective de revenu (CAA Lyon, 2e ch., 2 mars 2006, n° 01LY01962).
Elle précise cependant que les circonstances invoquées par le requérant, à savoir les difficultés financières rencontrées par sa fille, sont indifférentes. En effet, celles-ci préexistaient à la conclusion du bail et étaient connues du père de famille qui, par ailleurs, lui versait une pension alimentaire et prenait en charge le paiement des loyers de sa fille avant qu’elle ne réside dans ce logement. La présomption d’intention frauduleuse s’impose aisément à l’esprit dans le cadre familial, et il semble en l’espèce difficile de s’en écarter.
La cour précise par ailleurs que l’acquittement des loyers concernant l’occupation durant la période litigieuse et intervenu postérieurement à la notification de la proposition de rectification, tout comme le paiement régulier de loyers à compter de l’année 2013, ne sauraient écarter le caractère fictif du bail. Contrairement à ce que prétendait le requérant, ce n’est pas l’absence de loyer perçu qui écarte le dispositif Scellier, mais bien la fictivité du contrat.
L’argument de l’absence de loyer perçu constitue, pour sa part, l’élément clé de la fictivité. Partant de cela, et au regard des faits d’espèce (l’acquittement de loyers postérieurement à la notification de la procédure de rectification), on peut s’interroger quant à la date ou la période à retenir pour apprécier la fictivité. Il semblerait opportun de prendre en compte, d’un point de vue temporel, plusieurs évènements, à savoir :
Le fait générateur de la réduction d’impôt : déterminant la première année au titre de laquelle la réduction d’impôt sera accordée, le fait générateur est constitué l’année d’acquisition du logement, l’année d’achèvement des travaux ou du logement ou à la date de réalisation de souscription de parts de SCPI, selon la nature de l’investissement (BOI-IR-RICI-230-30-10 n° 1) ;La déduction d’un potentiel déficit foncier : en l’espèce, un déficit foncier a bien été constaté et remis en cause au titre des années concernées par la procédure.
L’appréciation du juge fiscal concluant à la fictivité de l’acte en l’absence de perception de loyer pendant les trois premières années de mise à disposition du bien, à l’aune de ces indices temporels, semble justifiée.
Le bénéfice du dispositif Scellier écarté
Comme indiqué plus haut, le dispositif Scellier était conditionné à l’engagement de louer le bien. Pour être respecté, le logement devait être donné en location dans un certain délai fonction de la nature du logement, qui, dans l’exemple du logement neuf achevé ou réhabilité, était de douze mois suivant la date d’acquisition (199 septvicies, III CGI) .
Cette location devait être effective et continue pendant la période d’engagement de location (BOI-IR-RICI-230-20-20 n° 30) . Le titulaire du bail devait être une personne autre que le propriétaire lui-même ou un membre de son foyer fiscal, le bénéfice du dispositif ayant été admis en cas de locataire ascendant ou descendant détaché du foyer fiscal du propriétaire (199 septvicies, I, 4 CGI ; BOI-IR-RICI-230-20-20 n° 120).
Le Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts répertorie plusieurs motifs de remise en cause du dispositif, en visant notamment l’absence de mise en location du logement, la mise en location hors délai, la mise en location du logement à des personnes autres que celles autorisées ou encore l’utilisation du logement par son propriétaire pendant le délai de mise en location ou pendant la période d’engagement de location (BOI-IR-RICI-230-60 n° 10 et s.) .
En l’occurrence, la cour administrative d’appel a disqualifié le bail sur le fondement de l’abus de droit par simulation (n’imposant pas la démonstration de l’élément intentionnel propre à l’abus de droit par fraude à la loi, contrairement à la présentation qui en est faite par le requérant) pour retenir une mise à disposition à titre gratuit du logement par le contribuable à sa fille. La condition de location effective étant défaillante en situation de mise à disposition à titre gratuit (voir en ce sens : BOI-IR-RICI-230-20-20 n° 30), le dispositif Scellier se trouve valablement écarté.