Textes fiscaux : opposabilité des interprétations administratives

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Décision de justice

CAA Lyon, 5ème chambre – N° 16LY03636 – 29 mars 2018 – C+

Arrêt annulé en cassation : voir CE, 14 octobre 2020- N° 421028 - B

et affaire rejugée après renvoi CAA Lyon, 5ème chambre - N° 20LY03017 - 27 mai 2021

Pourvoi en cassation n° 454851

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 16LY03636

Numéro Légifrance : CETATEXT000036771515

Date de la décision : 29 mars 2018

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Textes fiscaux, Opposabilité des interprétations administratives, L.80 A du livre des procédures fiscales, Garantie contre les changements de doctrine, Interprétation formelle d’un texte fiscal, Instruction fiscale laissant un pouvoir d’appréciation, Article 156 du code général des impôts

Rubriques

Fiscalité

Résumé

DECISION CE du 14 octobre 2020

Instruction fiscale laissant un pouvoir d'appréciation à l'administration.

La circonstance qu'une instruction fiscale laisse un pouvoir d'appréciation à l'administration ne fait pas obstacle à ce que celle-ci soit regardée comme une interprétation formellement admise du texte fiscal, pour l'application de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales (LPF), dès lors qu'elle énonce une règle d'interprétation de la loi fiscale à portée générale.

Détermination du revenu imposable - Charges déductibles du revenu global - Prestation compensatoire en cas de divorce versée sous forme de capitaux ou de rentes - Détermination de la durée de versement (1) - Durée fixée par le juge civil (2).

Il résulte des articles 274 et 275-1 du code civil que les versements de la prestation compensatoire effectués sur une durée supérieure à douze mois, au sens de l'article 156 du code général des impôts (CGI), et déductibles à ce titre du revenu imposable, ne peuvent s'entendre que de ceux qui l'ont été conformément aux modalités de paiement fixées par le juge.

1. Rappr., sur le régime fiscal applicable selon que la durée des versements est inférieure ou supérieure à un an, CE, 15 avril 2016, n° 376785, p. 142.

2. Rappr., sur la référence aux modalités prescrites par le juge civil pour déterminer si le versement a le caractère d'un capital ou d'une rente, CE, 26 janvier 2000, Ministre n° 178564, inédite au Recueil.

ARRET CAA Lyon du 29 mars 2018 : annulé par le CE

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Opposabilité des interprétations administratives (art. L. 80 A du livre des procédures fiscales) - Garantie contre les changements de doctrine - Interprétation formelle d’un texte fiscal - Absence, dès lors que la doctrine invoquée laisse un pouvoir d’appréciation au service des impôts.

Pour ce qui concerne les procédures de divorce engagées avant le 1er janvier 2005, sont déductibles, sur le fondement du le 2° du II de l’article 156 du code général des impôts, les versements de sommes d’argent mentionnés à l’article 275-1 du code civil, lorsqu’ils sont effectués sur une période supérieure à douze mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce est passé en force de chose jugée et conformément aux modalités de paiement fixées par le juge.

Le paragraphe 11 de l’instruction publiée au du Bulletin officiel des impôts du 17 juillet 2006 (5-B-21-06) comportait une atténuation à cette règle en prévoyant qu’en cas de versement en tout ou partie de la prestation compensatoire au-delà du délai de douze mois alors que le jugement ou la convention de divorce prévoyait que le versement devait intervenir intégralement dans le délai de douze mois, « les sommes versées sont normalement déductibles du revenu imposable du débirentier et imposables selon le régime des pensions au nom du crédirentier, avec application éventuelle du système du quotient prévu à l’article 163-0 A du code général des impôts».

Cette instruction ajoutait que : « Toutefois, si les services établissent que les parties, et notamment celle tenue d’acquitter la prestation compensatoire, n’exécutent pas la décision du juge ou la convention homologuée dans les termes prévus aux seules fins d’en retirer le bénéfice d’un régime fiscal favorable, les dispositions précédentes ne leur sont pas applicables. Dans ce cas, les versements ne sont donc ni déductibles, ni imposables. Il appartient toutefois aux services d’établir la preuve de l’intention du contribuable. Celle-ci sera réputée apportée lorsque, par exemple, le débiteur n’a pas libéré le capital dans les douze mois du jugement ayant acquis force de chose jugée, conformément au jugement ou à la convention homologuée, alors qu’il est titulaire d’un important patrimoine liquide (portefeuille de valeurs mobilières, contrats d’assurance vie (…) susceptible d’être mobilisé rapidement. ».

Ces dispositions de la doctrine administrative, qui laissent un pouvoir d’appréciation à l’administration, ne sauraient ainsi être regardées comme une interprétation formellement admise du texte fiscal dont le contribuable pourrait se prévaloir en application de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Cf. CAA Paris 29 mai 1990 N° 89PA01616, RJF 1990.1199 - CAA Versailles, 24 septembre 2009, N° 08VE03024

Conclusions du rapporteur public

Isabelle Bourion

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6446

Le présent litige a trait au régime fiscal applicable aux prestations compensatoires versées en capital dans le cadre d’une procédure de divorce.

M.X. a porté en charges déductibles de ses revenus de l’année 2010, les sommes versées au titre de la prestation compensatoire en 2010, soit 177 250 €, en application du 2° de l’article 156 II du Code général des impôts.

L’administration fiscale a remis en cause le caractère déductible de ces charges du revenu brut global, car ces sommes relevaient de l’article 199 octodecies du Code général des impôts qui est moins favorable puisqu’il n’ouvre droit qu’à une réduction d’impôt sur le revenu par le biais d’un crédit d’impôt, dès lors que leur versement est intervenu dans le délai de 12 mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce est passé en force de chose jugée.

M.X. a en vain saisi le TA qui a rejeté sa demande par un jugement du 18 octobre 2016.

Il relève appel de ce jugement devant nous.

Pour invoquer le bénéfice de la déduction des sommes versées de son revenu imposable, M. X. sollicite qu’il soit fait application, sur le fondement de l’article L. 80 A 2° al du Lpf, du §11 de l’instruction 5 B-21-06 du 17 juillet 2006.

Il nous faudra au préalable examiner cette question sur le fondement de la loi fiscale.

S’agissant des modalités de versement de la prestation compensatoire, d’une part, l’article 274 du code civil prévoit que « Le juge décide des modalités selon lesquelles s'exécutera la prestation compensatoire en capital parmi les formes suivantes : (notamment) 1° Versement d'une somme d'argent » et l’article 275 du même code prévoit que « Lorsque le débiteur n'est pas en mesure de verser le capital dans les conditions prévues par l'article 274, le juge fixe les modalités de paiement du capital, dans la limite de huit années, sous forme de versements périodiques indexés selon les règles applicables aux pensions alimentaires. »

D’autre part, si l’article 156 II 2ème al du Code général des impôts prévoit que sont déduits du revenu imposable « les versements de sommes d'argent mentionnés à l'article 275 du code civil lorsqu'ils sont effectués sur une période supérieure à douze mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce est passé en force de chose jugée », en revanche, l’article 199 octodecies du même code prévoit qu’ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu, les versements de sommes d'argent mentionnés aux articles 274 et 275 du code civil et effectués sur une période au plus égale à douze mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce est passé en force de chose jugée.

Ainsi ne peuvent bénéficier du même régime fiscal que les pensions alimentaires et donc être déduites du revenu imposable, que les sommes d’argent versées au titre d’une prestation compensatoire, dont le juge a fixé les modalités de versement définies à l’article 275 CC (versement d’une somme d’argent pour le 1°al) et qui sont effectuées sur une période supérieure à douze mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce est passé en force de chose jugée.

En revanche, (c’est pour info : nous n’aurons plus besoin de nous référer à cet arrêt, M. X.ne contestant plus la date à laquelle le jugement est entré en force de chose jugée), la circonstance que le débiteur, de sa propre initiative, fractionne le paiement de la prestation compensatoire sur une période supérieure à 12 mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce a acquis force de chose jugée ne saurait avoir pour effet de lui permettre de déduire les sommes correspondantes de son revenu imposable. Voir en ce sens CAA Lyon N° 11LY03636

En l’espèce, le jugement du TGI de Villefranche-sur-saône du 4 juin 2007 a fixé la prestation compensatoire à 240 000 € et précisé qu’à défaut de versement en une seule fois, elle pouvait être acquittée par mensualités de 2800 €.

Cependant l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon, en date du 8 janvier 2009, s’il a confirmé le montant de la prestation compensatoire, a infirmé le principe d’un paiement fractionné du capital.

Le pourvoi qu’a formé son ex épouse contre cet arrêt, contestant le montant de la prestation compensatoire, a été rejeté par un arrêt de la Cour de Cassation du 14 avril 2010.

Précisons que le juge de l’exécution du TGI de Lyon a jugé le 18 mai 2011 que le jugement de divorce était passé en force de chose jugée le 14 avril 2010, ce qu’ont confirmé tant la Cour d’appel de Lyon par un arrêt du 25 octobre 2012 que la Cour de cassation par un pourvoi du 29 janvier 2014. Par suite, la période de 12 mois court à compter de cette date.

Or, M. X. a procédé au paiement de cette prestation en 3 versements intervenus, tout d’abord, les 25 et 31 août 2010, soit dans les 12 mois du jugement ayant force de chose jugée. Puis, le dernier versement de 62 750 €, qui au final a fait l’objet d’une saisie attribution par son épouse dont M. X. a demandé en vain la mainlevée devant le juge de l’exécution de Villefranche qui l’a débouté, a été exécuté le 18 mars 2011.

En effet, le PV de saisie attribution, daté du 15 mars 2011, indique que « l’acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie disponible entre les mains du tiers. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation ». En suite duquel, il a été répondu par M X., en date du 15 mars 2011 « compte créditeur de 60 787 € ». (p 49 DPI)

Le juge de l'exécution de Villefranche-sur-Saône, saisi pour une procédure de mainlevée de la saisine attribution a débouté le 15 mai 2011 de sa demande de mainlevée des saisies attributions pratiquées les 15 et 18 mars 2011. (p.84)

Tous 3 ont donc été effectués conformément à la décision du juge d’appel, dans le délai d’un an à partir de l’arrêt passé en force jugée de la cour de cassation le 14 avril 2010.

Le capital ayant été versé dans la période des 12 mois suivants, il ne faisait aucun doute que l’article 156 II 2°) ne pouvait pas s’appliquer.

Cependant, il convient de noter que contrairement aux dispositions de l’article 199 octodecies du Code général des impôts, qui prévoient que les sommes doivent être versées « conformément au jugement de divorce » pour bénéficier du crédit d’impôt, l’administration, a accepté alors qu’elle n’y était pas tenue d’en faire bénéficier M. X., alors que celui-ci avait procédé au versement de la prestation en 3 fois, contrairement à ce qu’avait jugé la Cour d’appel.

S’agissant à présent de son moyen fondé sur la doctrine.

Le paragraphe 11 de l'instruction administrative du 17 juillet 2006, 5 B-21-06, reprise au BOI-IR-RICI-160-10- du 12/09/2012, précise que le régime des pensions alimentaires s'applique lorsque la prestation compensatoire est versée, en tout ou partie, au-delà du délai de douze mois alors que le jugement ou la convention homologuée prévoit que le versement devait intervenir intégralement dans le délai de douze mois.

Le paragraphe 11 précité prévoit toutefois qu'il n'est dérogé à cette règle qu'à la condition que les services établissent que les parties, et notamment celle tenue d'acquitter la prestation compensatoire, n'exécutent pas la décision du juge ou la convention homologuée dans les termes prévus aux seules fins d'en retirer le bénéfice d'un régime fiscal favorable. Dans cette situation le régime fiscal des pensions alimentaires n'est pas applicable et les versements ne sont ni déductibles chez celui qui les verse, ni imposables chez celui qui les reçoit.

Vous pourrez aisément écarter cette doctrine qui n’a pas lieu de s’appliquer, dès lors que le jugement passé en force de chose jugée étant fixé au 14 avril 2010, la prestation compensatoire a été versée en intégralité dans le délai des 12 mois ; en tout état de cause, ainsi que l’indiquait la Cour d’appel de Lyon dans son arrêt du 8 janvier 2009, « compte tenu de l'importance des revenus du mari, que de celle des sommes à percevoir par lui lors du partage de la communauté comme de celles de ses capacités d'emprunt, rien ne saurait justifier que le payement de la prestation compensatoire soit fractionné ».

Par suite vous pourrez écarter ce moyen.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

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