PPRT : obligation de communiquer les documents que le commissaire-enquêteur juge utiles à la bonne information du public

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Décision de justice

CAA Lyon, 3ème chambre – N° 17LY02681 – Ministre de la Transition écologique et solidaire - Société application des gaz – 10 avril 2018 – C

Requêtes jointes : 17LY02684, 17LY02792

Pourvoi en cassation non admis : voir CE du 25 mars 2019 - N° 421424

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 17LY02681

Date de la décision : 10 avril 2018

Code de publication : C

Index

Mots-clés

ICPE, PPRT, Enquête publique, Commissaire enquêteur, Information de la population

Rubriques

Urbanisme et environnement

Résumé

À l’occasion d’une enquête publique relative à l’élaboration d’un plan de prévention des risques technologiques liés à la présence d’un établissement ICPE classé "Seveso seuil haut", le commissaire enquêteur a demandé la communication, non pas de l’étude de dangers (qui n’avait pas à figurer au dossier d’enquête publique), mais des "éléments de calcul relatifs à la détermination des risques" afin de lui permettre de porter une appréciation destinée à éclairer le public sur la nature et l’intensité de ces risques. Ces informations lui ont été refusées.

La cour juge que le commissaire enquêteur peut, sur le fondement des dispositions des articles L. 123-13 et R. 123-14 du code de l’environnement, demander que lui soient communiqués des éléments d’information figurant dans des documents qui n’ont pas à être joints au dossier d’enquête publique. Le juge de l’excès de pouvoir vérifie que les éléments d’information demandés présentent un caractère utile pour l’information du public et, dans l’affirmative, exerce un contrôle normal sur les motifs du refus que l’administration oppose à une telle demande. En l’espèce, il est jugé que les informations demandées sont utiles et que les motifs par lesquels l’administration s’est opposée à leur communication ne sont pas fondés.

Voir CE 8 juillet 1998 Ministre de l’équipement n° 161587 - B

Le juge administratif garant de la bonne information de la population

Antoine Salze

Étudiant en Master 2 Droit public fondamental à l’Université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.6448

L'office du juge administratif s'est considérablement enrichi, ce dernier ayant recours à des techniques permettant de neutraliser les effets d'une illégalité commise par l'administration. Ainsi, lorsque celle-ci a fondé sa décision sur plusieurs motifs dont l'un est erroné, le juge va rechercher si l'administration aurait pris la même décision en se fondant sur le ou les motifs réguliers. Cette technique, issue de la jurisprudence Dame Perrot du 12 janvier 1968 (n° 70951 : Lebon 1968, p. 39), ne fonctionne que si l'administration fonde sa décision sur plusieurs motifs. Lorsqu'il n’en existe qu’un seul, le juge peut autoriser la substitution du motif initial erroné. Pour cela, l'administration doit justifier qu'elle aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur le nouveau motif qu’elle invoque. De plus, le justiciable ne doit pas être privé de ses garanties. Cette technique issue de la décision du Conseil d’État Mme Fatima X du 6 février 2004 (n° 240560 : Lebon 2004, p. 48), complète celle de la substitution de base légale, telle qu'elle découle de la jurisprudence M. Rachid Y du 3 décembre 2003 (n° 240267 : Lebon 2003, p. 479), et qui permet de substituer la bonne base légale à celle qui avait été retenue par l'administration sous réserve, là encore, que le justiciable n’ait pas été privé de garanties.

Dans la continuité de ces jurisprudences, le Conseil d’État, par une décision d'Assemblée du 23 décembre 2011 Danthony (n° 335033 : Lebon 2011, p. 649), considère que seuls les vices de forme et de procédure qui privent le justiciable d'une garantie ou qui sont susceptibles d'exercer une influence sur le sens de la décision entachent la légalité de la décision administrative. Cette jurisprudence a depuis inondé l'ensemble du contentieux administratif, et plus particulièrement le contentieux fiscal à travers la jurisprudence Meyer du 16 avril 2012 (n° 320912, Lebon 2012, p. 149) ainsi que le contentieux des installations classées à travers la jurisprudence Ocréal du 14 octobre 2011 (n° 323257, Lebon 2011, p. 1108) . C'est dans cette perspective que s'inscrit l’arrêt commenté de la cour administrative d'appel de Lyon.

Dans cette affaire, le juge d'appel lyonnais a réuni plusieurs instances pendantes devant lui contestant l'arrêté du 12 décembre 2014 par lequel le préfet du Rhône approuvait le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) relatif à l'établissement de la société Application des Gaz assurant la réception, le conditionnement et le stockage de gaz butane et propane et situé sur le territoire de la commune de Saint-Genis-Laval. Ce plan, qui est obligatoire pour toutes les installations « Seveso seuil haut », va délimiter un périmètre d'exposition aux risques et prévoir des mesures foncières ainsi que des actes de protection active et des recommandations. Il est soumis à enquête publique et approuvé par arrêté préfectoral (C. env., art. L. 515-15 à L. 515-25). Par un jugement n° 01504386, 1504516 et 1504541 du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté querellé en considérant notamment que l'absence, dans le dossier soumis à enquête publique, de l'étude de dangers et du refus motivé de communication de cette étude avait eu pour effet de nuire à la complète information du public. Ainsi, par un recours enregistré le 12 juillet 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire a décidé d'interjeter appel. Dès lors, l'absence de l'étude de dangers dans le dossier de l'enquête publique est-elle susceptible d'entacher la légalité d’un arrêté approuvant un PPRT ?

Si la neutralisation des illégalités externes a un spectre de plus en plus large (I), elle doit se concilier avec la nécessité d'une bonne information du public (II), le juge d'appel lyonnais considérant en l'espèce non purgeable, non pas à proprement parler l'absence de l'étude de dangers, mais l’absence d’informations, sollicitées par le commissaire enquêteur, sur la détermination de la nature et de l’étendue des risques, dans le dossier de l'enquête publique.

I. Une neutralisation des illégalités externes au spectre plus large

Dans le cas d'opérations obligatoires complexes nécessitant la réalisation préalable d'une étude d'impact ou d'une enquête publique, le juge a considérablement développé son office dans la lignée de la jurisprudence Danthony.

Une extension d'abord rationa materiae. À l'origine cantonnée aux vices de forme et de procédure affectant les études d'impacts (Conseil d’État, 14 octobre 2011, n° 323257, Société Ocréal, précité), la neutralisation des illégalités externes va aussi s’appliquer aux irrégularités entachant l'enquête publique (Conseil d’État, 3 juin 2013, n° 345174, Commune de Noisy-le-Grand : Lebon 2013, p. 640) comme c'est le cas en l'espèce. Ainsi, la cour administrative d'appel de Lyon affirme que « les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette enquête, que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou, si elles ont été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative » (considérant n° 07) .

Cette neutralisation des irrégularités formelles de l'enquête publique s'est étendue à de multiples opérations. Sans être exhaustif, on peut citer les consultations réalisées dans le cadre des procédures d'expropriation (Conseil d’État, 3 juin 2013, n° 345174, Commune de Noisy-le-Grand : Lebon 2013, p. 640), d'autorisations d'exploitation d'une installation classée (Conseil d’État, 25 septembre 2013, n° 359756, Société Carrière de Bayssan : Lebon 2013, tables), de création de réserves naturelles nationales (Conseil d’État, 9 novembre 2015, n° 375209, Association Sauvegarde de notre patrimoine rural du Haut-Rhône), d'adoption de plans locaux d'urbanisme (Conseil d’État, 4 mars 2016, n° 384795, commune de Martigues) ou d'élaboration de plans de prévention des risques technologiques comme c’est le cas dans l’arrêt ici commenté.

Par ailleurs, les irrégularités susceptibles d'être couvertes sont multiples. Par exemple, il a été jugé que l'insuffisante motivation de l’avis du commissaire enquêteur n'était pas de nature à entraîner l'annulation de la décision prise à la suite de l'enquête publique (cour administrative d'appel de Paris, 13 juin 2013, n° 12PA05113) . Quant à la composition du dossier soumis à enquête publique, le Conseil d’État a estimé que l'insertion tardive des avis du conseil régional et général relatifs au projet de création d'un parc national n'a pas nui à l'information du public ni exercé une influence sur les résultats de l'enquête (Conseil d’État 29 octobre 2013, n° 360085, Association les amis de la rade et des calanques) . Dans le même sens, les juges du Palais Royal considèrent que la circonstance que la note technique n'ait pas été versée au dossier d'enquête publique n'a pas vicié la décision prise à l'issue de celle-ci (Conseil d’État, 23 octobre 2015, n° 375814, commune de Maison-Laffitte : Lebon, p. 764) . Dans la décision commentée, la problématique concerne l'étude de dangers alors même que celle-ci n’est pas au nombre des documents devant figurer dans le dossier soumis à enquête publique (C. env., art. R. 515-44, I, al. 2) ainsi que le rappelle la Cour (considérant n° 011) .

Cette extension de l'office du juge ne s'est pas arrêtée là puisque le périmètre de la neutralisation s'est lui-même agrandi.

Une extension ensuite ratione personae. A l’origine, les irrégularités formelles de l’étude d’impact pouvaient être neutralisées si elles ne nuisaient pas à l'information de la population (Conseil d’État, 14 octobre 2011, n° 323257, Société Ocréal, précité) tandis que celles relatives à l’enquête publique ne pouvaient être purgées que si elles ne préjudiciaient pas à l'information de l’ensemble des personnes intéressées par l'opération soumise à l'enquête (Conseil d’État, 3 juin 2013, n° 345174, Commune de Noisy-le-Grand, précité) . Ainsi, le périmètre de la neutralisation semble plus important en matière d'étude d'impact.

Toutefois, cette distinction s'affaiblit, le Conseil d’État dans ses décision précitées du 9 novembre 2015 et du 4 mars 2016 assurant que : « les inexactitudes, omissions ou insuffisances du dossier soumis aux consultations et à l'enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de ces consultations que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative » (souligné par nous) . Dans une décision récente du 3 février 2016 rendue à propos d'une enquête publique réalisée dans le cadre d'une expropriation, la Haute assemblée a maintenu ce considérant. Il n'est donc plus fait mention de « personnes intéressées par l'opération visée » (Conseil d’État, 3 juin 2013, n° 345174, Commune de Noisy-le-Grand, précité) mais de « population » (Conseil d’État, 3 février 2016, Bordeaux Métropole c/ SCI SAH, n° 387140 : Lebon 2016, pp. 923-924) . C'est cette formulation qui est reprise par la cour administrative d'appel de Lyon dans l’arrêt ici commenté (considérant n° 7) signalant ainsi une extension du périmètre de la neutralisation des irrégularités formelles de l'enquête publique.

Pour autant, aussi importante soit-elle, cette neutralisation n'a pas fait l'objet d'une extension illimitée de la part du juge, ce dernier l'utilisant avec parcimonie compte tenu de la nécessité d'assurer une bonne information du public.

II. Un développement maîtrisé du pouvoir neutralisateur du juge

Si le développement de l'office du juge lui a permis de neutraliser davantage d'irrégularités formelles, celui-ci reste attaché à garantir la bonne information du public.

En effet, à la différence de la jurisprudence Danthony où il est question de garanties ou d'influence sur le sens de la décision finale, le juge administratif développe ici une approche plus synthétique n’hésitant pas à reformuler le considérant de principe Danthony, dans son volet « garanties » afin de tenir compte de « l'information complète de la population » (considérant n° 7). Ainsi, le Conseil d’État, dans une décision du 27 février 2015 Ministre de l'intérieur et Communauté urbaine de Lyon (n° 382502 : Lebon 2015, p. 714), avait invité le juge d'appel à examiner sous cet angle l'omission par le préfet de la mention de l’existence d’une étude d'impact dans l’arrêté d’ouverture de l'enquête publique et dans l’avis au public (étant précisé, comme le souligne le Conseil d’État, que l’étude d’impact figurait dans le dossier soumis à l’enquête et avait pu être consultée par le public lors des permanences de la commission d’enquête) . Car si la cour administrative d’appel avait estimé qu'une telle omission avait contaminé le reste de la procédure, le Conseil d’État lui avait alors reproché de ne pas avoir recherché au préalable l'incidence de cette omission sur la participation effective du public du public et sur les résultats de l'enquête. Dans le cas de l'enquête publique, la Haute assemblée a récemment rappelé, alors qu'était en cause la méconnaissance d'une règle n'ayant pas principalement pour objet l'information et la participation du public, que le considérant de principe de la jurisprudence Danthony restait entièrement pertinent (Conseil d’État, 28 avril 2017, n° 397015, Ministre du Logement et de l'Habitat durable c/ Mme Cherest-Lancesseur et a. : Lebon 2017, p. 2017).

Dans l’arrêt ici commenté, le problème porte sur l'absence de l'étude de dangers dans le dossier soumis à enquête publique. En effet, il est affirmé que le projet de note de présentation ne comportait « aucune information, même sommaire, relative à la méthodologie et aux calculs à partir desquels ont été déterminés, d'une part, la nature et l'étendue des risques et, d'autre part, la liste des phénomènes dangereux et les cartes d'intensité et d'aléas figurant à ses annexes 2 et 3 » (considérant n° 9). Or, le commissaire enquêteur, « ingénieur-chimiste de formation », avait demandé la transmission de ces éléments d'information, bien que non obligatoires, au public ce qui a été refusé par l'administration. Le juge d'appel lyonnais considère que cette omission a eu pour effet de nuire à l'information complète de la population car ces éléments « doivent être regardés comme utiles à la bonne information du public (…), dès lors qu'[ils] lui auraient permis de porter une appréciation éclairée sur la nature et l'intensité des risques que le PPRT a vocation à identifier et à prévenir » (souligné par nous).

Certes, les textes n’imposent pas que l’étude de dangers figure dans le dossier soumis à l’enquête publique. Les services de la direction départementale des territoires du Rhône avaient ainsi opposé au commissaire enquêteur les dispositions du décret n° 2011-2018 du 29 décembre 2011 ainsi que du II de l'article L. 124-5 du code de l'environnement pour fonder le refus d'adjonction au dossier d'enquête publique des éléments d'information précités par le commissaire enquêteur. Pour autant, l’article L. 123-13 du Code de l’environnement dispose que « pendant l'enquête, le commissaire enquêteur ou le président de la commission d'enquête (…) peut (…) recevoir toute information et, s'il estime que des documents sont utiles à la bonne information du public, demander au maître d'ouvrage de communiquer ces documents au public (…) » (souligné par nous). Par conséquent, le juge d'appel lyonnais a pu estimer qu’en l’espèce, « ce refus a eu pour effet de nuire à l'information complète de la population au cours de l'enquête publique ; que, par suite, ce refus affectant la régularité du dossier d'enquête publique a entaché d'illégalité l'arrêté préfectoral contesté du 12 décembre 2004 » (considérant n° 11).

Ainsi, même si la neutralisation a fait l'objet d'un important développement, elle doit se concilier avec la nécessité d'assurer une bonne information du public. À cette fin, le juge doit déterminer si les éléments sont utiles à la bonne information du public. Si c'est le cas, l'omission d'un document, même non exigé par les textes, peut vicier l'ensemble de la procédure.

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