Compatibilité entre la réglementation des jeux et celle de la santé publique intéressant les espaces fumeurs dans les lieux publics

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Décisions de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 16LY01639 – Société Saint Gervais Loisirs – 05 avril 2018 – C

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 16LY01639

Numéro Légifrance : CETATEXT000036776580

Date de la décision : 05 avril 2018

Code de publication : C

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 16LY03677 – Société Néris loisirs – 05 avril 2018 – C

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 16LY03677

Numéro Légifrance : CETATEXT000036776572

Date de la décision : 05 avril 2018

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Lutte contre la toxicomanie, Espace fumeur, Casino, Local distinct, R.3511-3 du code de la santé publique, Article 68-27 de l’arrêté du 14 mai 2007

Rubriques

Santé publique

Résumé

Santé publique – Lutte contre les fléaux sociaux – Lutte contre la toxicomanie – Lutte contre le tabagisme. Possibilité d’installer des machines à sous dans une salle close affectée uniquement à la consommation de tabac (article R3511-3 du code de la santé publique CSP) – Absence, dès lors qu’elle constitue un local distinct au sens l’article 68-27 de l’arrêté du 14 mai 2007

Il résulte des articles L. 3511-7, R. 3511-1 et R. 3511-3 du code de la santé publique (CSP) alors en vigueur et de l'article 68-27 de l'arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos qu’une salle réservée aux fumeurs ne peut être installée dans un casino que dans les conditions posées par l’article R. 3511-3 du code de la santé publique, à savoir en particulier qu’aucune prestation de service n’y soit délivrée et qu’aucune tâche d'entretien et de maintenance ne puisse y être exécutée sans que l’air y ait été renouvelé, en l'absence de tout occupant, pendant au moins une heure. Toutefois, l’article 68-27 de l’arrêté du 14 mai 2007 suppose la présence d’au moins un caissier au sein de tout local distinct abritant des machines à sous et d’affecter au contrôle de ces jeux un membre du comité de direction. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que si l’aménagement d’un espace fumeur au sein d’un casino est possible, l’exploitation de machines à sous dans ce même espace, qui nécessite la présence d’un caissier, contrevient en revanche aux dispositions précitées du code de la santé publique.

Cf. CE n° 408156, 408338 société casino de Blotzheim, société Amnéville Loisirs du 30 mars 2018 - B

Conclusions du rapporteur public

Marc Dursapt

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6447

Par des lettres du 23 août 2013 rédigées en termes identiques et adressées aux différentes sociétés gérant des casinos, le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur leur a demandé de veiller à ce qu’aucune machine à sous ne soit installée dans les espaces réservés aux fumeurs faute de quoi il serait amené à suspendre voire retirer l’autorisation d’exploiter ces machines.

Les recours gracieux des sociétés ayant été rejetés par des lettres du 25 novembre 2013 du ministre de l’intérieur, elles ont demandé aux tribunaux administratifs d’annuler l’ensemble de ces courriers et de condamner l’Etat à réparer les préjudices qu’ils leur avaient causés.

Le tribunal administratif de Caen puis la Cour administrative d'appel de Nantes ayant rejeté les demandes dont ils était saisis comme manifestement irrecevables, au motif qu’elles étaient dirigées contre des actes insusceptibles de recours, le Conseil d’Etat a cassé l’arrêt et renvoyé les affaires à la Cour concernée au motif que ces courriers étaient susceptibles de recours eu égard à leur caractère impératif quant à la portée qu'il donnait aux dispositions du code de la santé publique et de l'arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation sur les jeux dans les casinos.

Le tribunal administratif de Clermont Ferrand a été saisi de ces mêmes courriers du ministre de l’intérieur par la sté Neris loisirs qui gère le casino de Neris-les-bains ; s’il n’a pas pris la même position que celui de Caen en faisant l’économie de statuer sur la recevabilité, il a néanmoins rejeté au fond les demandes d’annulation et indemnitaire.

Il a considéré qu’en vertu des dispositions applicables le ministre était tenu de prescrire au casino de ne pas exploiter des machines à sous dans les emplacements fumeurs dès lors que cette exploitation, même dans un local distinct, lui impose l’obligation d’y employer au moins un caissier alors que l’article R. 3511-3 dispose qu’aucune prestation de service ne peut être délivrée dans les emplacements mis à la disposition des fumeurs.

C’est aussi ce que la Cour de Nantes, après renvoi des affaires par le CE, a jugé en d’autres termes -absence d’erreurs de droit et d’appréciation-  et à plusieurs reprises le 22 décembre 2017, en ajoutant que la mise en place d’un dispositif de contrôle par le biais d’un réseau informatique, de la vidéosurveillance et de vitres entourant l’espace fumeurs, pour efficace qu’ils puissent être, ne pourraient garantir en permanence en toutes circonstances le respect des dispositions du code de la santé publique et celles de la réglementation relative aux jeux dans les casinos, notamment en cas d’urgence.

Les cours administratives d'appel de Bordeaux, Marseille et Nancy sont sur la même ligne avec une variante tenant à l’annulation pour incompétence du courrier initial du directeur de cabinet du ministre, toutefois sans conséquence indemnitaire compte tenu de la légalité du motif repris par le second courrier.

Même si la plupart de ces arrêts sont frappé de pourvois, c’est globalement dans le même sens que nous vous invitons à statuer sur l’appel de la sté Neris loisirs.

I - L’appelante conteste d’abord la régularité du jugement qui s’est fondé sur les dispositions des articles 68-21 et 68-26 de l'arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos, dispositions particulières qui n’étaient pas invoquées par l’administration.

Mais outre que le tribunal ne s’est pas fondé exclusivement sur ces articles, il pouvait parfaitement le faire dans la mesure où il ne s’agit pas d’une base légale substantiellement différente mais de dispositions concourant avec les autres invoquées par l’administration, à définir les conditions concrètes de fonctionnement des machines à sous dans les casinos, susceptibles de poser problème au regard des exigences de santé publique en cause. Le juge a tout de même vocation à tirer toute la substance des textes en cause devant lui.

Ensuite l’appelante soutient que le jugement serait aussi irrégulier pour n’avoir pas répondu à tous ses moyens, mais le tribunal a estimé au regard des dispositions applicables qui n’étaient pas seulement celles des deux articles précités, que l’administration était tenue de lui prescrire de ne pas procéder à l’exploitation dans les conditions en litige ; autrement dit, il a considéré que l’administration était en situation de compétence liée ce qui classiquement n’oblige pas le juge à répondre aux autres moyens qui seraient ainsi inopérants ; or au stade de la régularité du jugement, l’appelante ne conteste pas cette démarche elle-même.

Enfin au stade de la régularité, vous pourrez annuler, comme vous le demande l’appelante, le jugement en tant qu’il a rejeté comme irrecevable le recours contre la première lettre ; contrairement à ce qu’a estimé le tribunal elle n’a pas été rapportée par la seconde même si celle-ci prétend s’y substituer ; en effet elle ajoute maladroitement, à la fin, la confirmer et se l’approprier.

La 1ère était signée par le directeur de cabinet du ministre alors qu’en vertu du décret du 27 juillet 2005, celui-ci ne disposait d’une délégation du ministre que dans les matières qui n’avaient pas déjà été déléguées à un directeur d’administration centrale, et alors qu’une délégation en matière de police des jeux avait précisément été accordée au DLPAJ ; le directeur de cabinet était donc incompétent pour signer cette lettre ; C’est ainsi l’approche notamment de la cour de Bordeaux qui nous paraît s’imposer ; vous devrez donc annuler la 1ère lettre sans que cela n’ait de conséquence sur la légalité de la seconde qui statue à nouveau intégralement et indépendamment, de sorte que sa maladresse finale ne l’entache pas.

II - Sur le fond, c'est-à-dire en l’espèce la lettre du 25 novembre et les conclusions indemnitaires, vous écarterez le moyen tiré du défaut de contradictoire qui ne saurait en tout état de cause entacher le second courrier intervenu précisément sur recours gracieux.

Comme nous l’avons dit au début la légalité interne de cette lettre, critiquée par les mêmes moyens que ceux développés aujourd’hui a déjà été validée par 3 cours administratives d’appel.

La société appelante soutient que ses machines à sous exploitées dans les emplacements fumeurs ne sont pas exploitées dans un local distinct au sens de l'article 68-27 de l'arrêté du 14 mai 2007 ; cet article dispose notamment que tout casino qui exploite les machines à sous dans un local distinct doit au moins employer dans cette salle un caissier et affecter un membre du comité de direction au contrôle de ces jeux.

Son argumentation sur ce point relativement à la notion de « distinct » qui s’appuierait sur une genèse de la réglementation telle qu’elle a évolué, nous a paru obscure : il semble qu’elle repose sur une analyse selon laquelle le local distinct désigne un lieu qui ne serait pas lui-même situé dans la zone de jeu du casino alors qu’à Neris les bains ces espaces font partie intégrante de la salle de jeux sous contrôle d’accès et que dans cette salle des espaces vitrés ont été aménagés pour les fumeurs ; ainsi il n’y aurait pas besoin de caissier puisque ce serait le même que celui présent dans l’ensemble de la zone des jeux.

Peut-être mais il n’en demeure pas moins que ce caissier, et d’autres personnels seront susceptibles d’intervenir dans l’espace fumeur ; et comme elle le sait bien, c’est pour cela qu’on ne peut pas fumer dans une telle salle de jeu, et réciproquement qu’il n’est pas possible d’organiser dans une salle fumeurs des jeux pouvant nécessiter l’intervention du personnel.

D’ailleurs l’objet même de ses recours montre très simplement que c’est de cette règle qu’elle entend s’exonérer.

Au-delà l’appelante tente de vous convaincre qu’elle respecte les dispositions de tous les articles du règlement de police qui la concerne, l’un après l’autre ; ainsi notamment  ses propres machines à sous ne nécessiteraient pas, pendant les jeux, d’intervention humaine, en matière maintenance, de caisse, de sécurité ou tout autre nécessité ; à ces égards vous pourrez aisément adopter les argumentations du ministre selon lequel les moyens ou dispositifs invoqués ne permettent pas de palier la nécessité d’interventions humaines dans l’espace de machines à sous réservé aux fumeurs.

Ainsi nous estimons nous aussi que la lettre ministérielle du 25 novembre 2013 a fait une exacte application de la réglementation en vigueur de sorte que vous devriez vous aussi rejeter le recours dont elle est l’objet.

Vous rejetterez aussi les conclusions indemnitaires, les contraintes matérielles résultant de l’application de cette réglementation étant sans lien direct de causalité avec l’illégalité formelle dont était entachée la première lettre du 23 août 2013 qui était don justifiée au fond.

Par ces motifs, nous concluons donc à l’annulation de la lettre ministérielle du 23 aout 2013 et du jugement en tant qu’il s’y est refusé, et au rejet du surplus de la requête.

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