La cour précise qu’un inspecteur des finances publiques démissionnaire avant la fin de sa période d’engagement à servir l’État est redevable d’une indemnité alors même qu’il continuerait à travailler pour une personne publique chargée d’une mission de service public, en l’occurrence la Banque de France.
« Engagez-vous, rengagez-vous qu’ils disaient. »
L’engagement de servir que doivent honorer certains fonctionnaires défraie régulièrement la chronique, étant parfois maladroitement associée au phénomène désigné sous le nom de « pantouflage », correspondant aux frais d’entretien et d’études que doivent rembourser les élèves français de l’École polytechnique lorsqu’ils quittent la fonction publique prématurément. L’obligation de servir qui nous intéresse s’applique aux fonctionnaires formés par l’administration et devant, en retour de cet « investissement » consenti par l’État, assurer un service effectif pendant une durée minimale fixée par décret. Ce dispositif garantit aux administrations d’avoir des personnels formés et dévoués. En cas de rupture de l’obligation de servir, le fonctionnaire démissionnaire se doit de rembourser au Trésor une somme correspondant au montant de ses frais d’entretien et de formation, à l’instar d’un certain inspecteur général des finances publiques récemment élu lors d’un scrutin national (Décret du 1er décembre 2016 portant réintégration et radiation des cadres - M. MACRON - JORF n° 0281 du 3 décembre 2016) . Une des difficultés posées par l’engagement de servir est qu’il n’existe pas d’unité de cette notion, tant sa teneur ressortant des dispositions le prévoyant peut être variable selon le corps, le cadre d’emploi et la position de l’agent. Notamment, l’administration au sein de laquelle doit être honoré l’engagement de servir peut être appréciée plus ou moins strictement, ainsi que nous le verrons. L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon au mois de septembre 2017 concerne une inspectrice des finances publiques, Mme H., ayant démissionné de son poste avant la fin de sa période de service obligatoire pour rejoindre la Banque de France en qualité de rédacteur, suite à sa réussite au concours. L’école nationale des finances publiques ainsi que la direction générale des finances publiques lui demandaient de rembourser une indemnité correspondant au coût de ses années de formation, étant donné qu’elle n’avait pas respecté son engagement de servir. La requérante contestait devoir payer la somme, entendu que selon elle, en rejoignant la Banque de France elle continuait d’honorer son obligation de service, en travaillant pour une personne publique chargée d’une mission de service public. Par deux jugements, l’un du 4 novembre 2015 et l’autre du 29 décembre 2016 (et après une ordonnance de suspension rendue le 19 mai 2015), le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a accueilli les arguments présentés par Mme H. et a donc annulé les décisions du directeur de l’école nationale des finances publiques et du directeur général des finances publiques la déclarant redevable de l’indemnité de rupture d’engagement, dont le montant est fixé par eux. Fort logiquement, le ministre de l’économie et des finances (« ministre des finances et des comptes publics » entre 2014 et 2016) a formé appel des jugements devant la cour administrative d’appel de Lyon qui a statué par un seul arrêt, ayant joint les deux affaires. Dans son recours, le ministre de l’économie et des finances soutenait principalement que Mme H. n’avait plus la qualité d’agent public et que les services qu’elle effectuait au sein de la Banque de France n’étaient pas assimilables aux services de l’État ; qu’ainsi, la rupture de l’engagement de servir avait été régulièrement constatée. Après avoir relevé que le jugement du 4 novembre 2015 était irrégulier pour n’avoir pas constaté un non-lieu à statuer partiel, la cour administrative d’appel de Lyon se prononce sur la somme laissée à la charge de Mme H. Le juge d’appel se demande alors si le service rendu auprès de la Banque de France par Mme H., inspecteur des finances publiques démissionnaire, peut être comptabilisé au titre de son obligation de service, telle qu’elle résulte de l’application de l’article 12 du décret du 26 août 2010. Dans l’arrêt commenté, qui n’est pas passé inaperçu (C. Vinet, « Servir la Banque de France ce n’est pas servir l’État », AJDA 2017, p. 2126), la cour répond par la négative en démontrant d’une part que la démission de Mme H. est un acte insuffisant pour constater la rupture de son engagement de servir (I.), et que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a injustement considéré que les activités de l’intéressée au sein de la Banque de France pouvaient lui permettre de remplir ses obligations (II.) . Le dispositif conclut donc à l’annulation des jugements et confirme l’indemnité de rupture d’engagement d’un montant de 14 620, 57 euros.
I La démission, un acte insuffisant pour constater la rupture de l’engagement de servir d’un inspecteur des finances publiques
Au regard de la jurisprudence, il apparaît que « la démission ou la radiation des cadres en cas de titularisation postérieure dans un nouveau corps » entraîne de facto l’arrêt du décompte des années de service et donc la demande de remboursement d’une indemnité (L. Marthinet, « L’engagement de servir dans la fonction publique », AJDA 2015, p. 1307). C’est ainsi qu’en 1995, le Conseil d’État a jugé qu’une infirmière diplômée d’État ayant abandonné sa scolarité de cadre infirmier quelques mois seulement après l’avoir débutée, au motif qu’elle avait été reçue au concours des instituts régionaux d’administration, a méconnu son engagement de servir (Conseil d’État, 3 mai 1995, Mme T. Req. n° 79109, Tables Rec. CE ; Rev. dr. sanit. soc. 1995, p. 757, obs. J.-M. de Forges). Cependant, cette constatation résulte de l’application du décret relatif aux élèves de l’école de cadres infirmiers qui leur impose d’achever leur scolarité et ne prévoit pas la prise en compte des services effectués hors de la fonction publiques hospitalière. Par ailleurs, dans une décision du 3 octobre 2003, le Conseil d’État relevait qu’un polytechnicien ayant démissionné du corps des ingénieurs de l’armement avait contrevenu à son obligation de servir, alors même qu’il se prévalait d’une titularisation ultérieure comme auditeur de justice (Conseil d’État, 3 octobre 2003, Req. n° 229542, Tables Rec. CE ; AJDA 2004. 729) . Ces deux exemples nous montrent que dans certaines circonstances, la démission constitue en elle-même une rupture de l’engagement de servir. Mais la lecture de l’article 12 du décret n° 2010-986 du 26 août 2010 vient relativiser la règle selon laquelle la démission entraîne automatiquement rupture de l’engagement de servir. La direction générale des finances publiques ne pouvait se fonder sur la seule démission pour constater que Mme H. avait rompu son engagement et méconnu ses obligations statutaires. En effet, le statut particulier des personnels de catégorie A de cette administration peut laisser penser que la démission ne fait pas forcément obstacle à ce que l’agent en cause remplisse tout de même ses obligations. On lit sous l’article 12 que « les inspecteurs des finances publiques stagiaires sont astreints à rester au service de l’État ou de ses établissements publics à caractère administratif pendant une période minimum de huit ans. (…) Est prise en compte au titre de l’engagement de servir la durée de service effectuée dans un emploi relevant de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière ou au sein des services de l'Union européenne ». Bien plus qu’au regard de la seule démission c’est aussi et surtout au regard des activités de l’intéressée que doit être appréciée l’éventuelle rupture de l’engagement de servir. Les deux éléments sont donc examinés pour prononcer que Mme H. était redevable d’une indemnité de rupture. C’est ce que la cour souligne dans le considérant 13 : « le directeur de l’ENFIP a suffisamment motivé sa décision (…) en retenant qu’en raison de sa démission et du non-respect de son engagement de servir, Mme H. était redevable de l’indemnité de rupture d’engagement ». Néanmoins, ainsi que l’y incitaient tant les jugements du tribunal administratif de Clermont-Ferrand que la requête d’appel, la cour s’est prononcée sur la nature des activités réalisées par Mme H. au service de la Banque de France, en adoptant un prisme organique pour interpréter l’article 12 du décret du 26 août 2010 et dénier à ses activités le caractère de « service de l’État ou de ses établissements publics à caractère administratif ».
II L’appréciation rigoureuse des personnes publiques au sein desquelles doit être accompli l’engagement de servir
La cour administrative d’appel de Lyon, devant déterminer si les activités réalisées au service de la Banque de France entraient dans le périmètre des activités prévues par l’article 12 du décret du 26 août 2010, s’est penchée sur le statut de la Banque de France. Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait jugé par deux fois que les activités exercées par Mme H. étaient « assimilables » aux activités énumérées par le décret. Or, ainsi que le relève la doctrine, la Banque de France apparaît comme une personne publique sui generis, distincte de l’État et qui n’a pas le caractère d’un établissement public. Pour autant, cette personne publique exerce des missions de service public de nature administrative (Tribunal des Conflits, 16 juin 1997, Société la Fontaine de Mars contre Banque de France, Req. n° 3054, Rec. CE ; RFDA 1997, p. 823, concl. J. Arrighi de Casanova et Conseil d’État, 22 mars 2000, Syndicat autonome du personnel de la Banque de France et autres, Req. n° 203854, Rec. CE) . Malgré cela, la cour souligne que « la Banque de France ne relève d’aucune des catégories de personnes publiques visées par l’article 2 de la loi du 13 juillet 1983 » et qu’ainsi, Mme H. n’a pas « la qualité de fonctionnaire ou d’agent d’un établissement de l’État » (considérant 8). Dans le considérant suivant, la cour remarque que le décret du 26 août 2010 effectue une énumération limitative des administrations et établissements au sein desquels un inspecteur des finances publiques peut honorer son obligation de servir. La cour fait donc une appréciation rigoureuse de la disposition règlementaire en cause permettant de dresser plus précisément les contours de l’obligation de servir, apparaissant pourtant souple à première vue. En effet, a contrario des corps de la fonction publique qui imposent une obligation de servir contraignante, consistant à servir au sein de l’administration à laquelle se rattache l’école ou le corps dont est issu le fonctionnaire engagé, l’article 12 du décret du 26 août 2010 ne prévoit pas que les inspecteurs des finances publiques stagiaires soient astreints à rester au service de la seule direction générale des finances publiques. Cette souplesse se retrouve également pour d’autres corps de cadres de la fonction publique, elle est liée aux compétences transversales de ces agents et à leur nécessaire mobilité au sein de l’administration centrale. Ainsi, selon l’article 4 du décret du 26 août 2010, à côté de leurs fonctions traditionnelles de responsables d’un poste comptable ou d’un service de contrôle fiscal au sein de la direction générale des finances publiques, les inspecteurs des finances publiques peuvent intervenir sur des missions d’audit ou d’encadrement en administration centrale. Néanmoins, il aurait été délicat pour la cour de livrer une interprétation extensive de l’article 12 du décret portant statut des personnels de catégorie A de la direction générale des finances publiques, alors que la jurisprudence du Conseil d’État adopte « une conception étroite de la notion d’État » (D. Bailleul, « Remarques sur l’obligation de rester au service de l’État », AJFP 2005, p. 128), comme par exemple lorsque la juridiction supérieure de l’ordre administratif refuse de retenir les activités d’intérêt général exercées au sein d’une association (Conseil d’État, 2 décembre 1983, Req. n° 38391, Rec. CE) ou au sein d’une entreprise dont l’État serait actionnaire majoritaire (Conseil d’État, 22 février 2006, Req. n° 279756, Rec. CE) . Il aurait pu être envisagé que l’article 12 soit interprété à la lumière de l’article 4, mais cela aurait été par trop restrictif et aurait nui à la mobilité ainsi qu’à la motivation des agents, astreints à une période de service relativement longue (huit ans). Aussi, on peut se demander ce qu’il vaut mieux pour préserver une « logique d’investissement/amortissement » (L. Marthinet, art. cit., p. 1309). Quelle solution faut-il privilégier entre contraindre les agents à rester au service d’une même administration, au risque de les démotiver et permettre une certaine souplesse favorisant un véritable « partage des compétences » plus en phase avec les pratiques managériales actuelles ? Le décret du 26 août 2010 a tranché en faveur d’une souplesse relative dont la cour administrative d’appel de Lyon se fait l’interprète rigoureux. Au terme de cette longue procédure, Mme H. paye les conséquences de son nouveau choix de carrière, hors de la fonction publique. Et la direction générale des finances publiques veille attentivement sur ses comptes. Engagez-vous, oui, mais pour les finances publiques !