Les réseaux de télécommunication mobile connaissent un développement constant : l’autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) prévoit ainsi que le territoire métropolitain devra, d’ici à 2030, être couvert à 99, 6% par les réseaux dits de « 4ème génération » (https://www.arcep.fr/index.php?id=8161).
Mais le déploiement des antennes-relais est souvent critiqué, tant d’un point de vue philosophique (Pierre Musso dénonce ainsi la création d’une « nouvelle divinité [qui] s’installe, une divinité technicienne, voire hypertechnicienne, dont Internet n’est qu’une des lumineuses apparitions : le Réseau », Critique des Réseaux, P.U.F., 2003, p. 1), que du point de vue des risques pour la santé provoqués par les ondes électromagnétiques. Le législateur a ainsi souhaité encadrer le développement des réseaux de télécommunications par la mise en place de diverses mesures, dont le principe de « sobriété de l’exposition aux champs électromagnétiques » (Loi n° 2015-136 du 9 février 2015, relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques) .
Au-delà des questions médicales, l’installation des antennes-relais a fait naître un contentieux administratif abondant relatif à la nature de l’autorisation d’urbanisme nécessaire pour leur édification.
Une simple déclaration préalable est-elle suffisante pour construire une antenne-relais ou est-il nécessaire d’obtenir un permis de construire ? Tel fut l’objet du litige introduit devant le tribunal administratif de Lyon et tranché par celui-ci dans sa décision du 27 février 2017.
Si l’article R. 421-1 du code de l’urbanisme pose le principe de la nécessité d’un permis de construire pour les constructions nouvelles, l'article R. 421-9 prévoit, quant à lui, que sont soumis à simple déclaration préalable les projets dépassant une hauteur de 12 mètres et dont l'emprise au sol ou la surface de plancher est inférieure ou égale à 5 mètres carrés.
L'intérêt est grand pour les opérateurs de réseaux. Système d'autorisation simplifiée, la déclaration préalable permet de débuter les travaux dès la réception d'une décision de non-opposition à la déclaration préalable, dont la réponse, qui peut être tacite, intervient un mois seulement après le dépôt de la déclaration. Ces projets d’antenne sont donc conçus pour se conformer aux critères de la déclaration préalable.
Cependant, l'interprétation de la notion d'emprise au sol engendre encore des difficultés, malgré l'insertion à l'article R. 420-1 du code de l'urbanisme de sa définition. L’emprise constitue ainsi, « la projection verticale du volume de la construction, tous débords et surplombs inclus ». Aucun critère n’a encore émergé quant aux éléments à prendre en compte pour le calcul de l'emprise au sol, en particulier lorsqu'est en jeu un élément de la construction partiellement enterré.
L'analyse des jurisprudences est de plus complexe : la notion d'emprise au sol du code de l'urbanisme n'est pas celle des documents d'urbanisme tel que les plans locaux d'urbanisme. La définition du code de l'urbanisme n'est utilisée qu'en l'absence de définition dans le PLU (CAA Marseille, 9ème ch., 6 décembre 2016, n° 16MA00260, M. et Mme P. ; v. également Rép. Min. n° 37704, JOAN, 21 janvier 2014, p. 962) .
Telle était la difficulté en l'espèce. Par un arrêté en date du 6 octobre 2014, le maire de la commune de Solaize s'est opposé à la déclaration préalable déposée par la société Free Mobile visant à la construction d'une antenne de téléphonie mobile, d'une hauteur de 25 mètres, soutenue par une dalle en béton, enterrée de 4 mètres par 4 et épaisse de plus d'un mètre, ainsi que d'équipements techniques recouvrant une surface de moins d'un mètre carré, au lieu-dit Petit Merquet.
Pour s'opposer à la déclaration préalable, le maire s'est fondé sur la circonstance que la construction ne relevait pas du régime de la déclaration préalable, mais du permis de construire. Il a en effet retenu que l'emprise au sol du projet était de 16 mètres carrés, en prenant en compte la dalle en béton, constitutive d'une « fondation profonde » et qui se situe « à la même hauteur sinon plus haut que le niveau du terrain naturel ».
La société Free Mobile a introduit un référé-suspension devant le tribunal administratif de Lyon, qui a conduit à la suspension de l'opposition à la déclaration préalable. C'est sur le jugement au fond que porte notre analyse.
Cette décision, éclairée par les conclusions du rapporteur public M. Bernard Gros, a pour principal intérêt de revenir sur la définition de l'emprise au sol. Les fondations des antennes-relais doivent-elles être prises en compte pour le calcul de l'emprise au sol ?
Par une décision en date du 27 février 2017, rendue en chambres réunies, le tribunal administratif de Lyon, s’est écarté des conclusions du rapporteur public, en annulant l'opposition à la déclaration préalable, au motif que la dalle en béton devait être exclue du calcul de l'emprise au sol.
L’intérêt de cette affaire est double : les conclusions du rapporteur public proposent une solution nouvelle sur le calcul de l'emprise au sol (I). La formation de jugement ne l'a pas suivi, préférant une définition de l'emprise au sol qui tend à se généraliser, interprétant strictement la notion d'emprise au sol (II).
I. Une proposition créative du rapporteur public interprétant largement la notion d'emprise au sol
Les conclusions innovantes de M. Gros font émerger une nouvelle définition de l'emprise au sol qui intègre la surface de la dalle sur laquelle repose l'antenne-relais dans le calcul. Pour ce faire, la définition retenue repose sur « la double dichotomie visible / invisible ou aérien / enterré ». Trois critères en sont déduits, qui impliquent la prise en compte dans le calcul de l'emprise au sol d'une dalle qui constitue la fondation d'une antenne.
Tout d'abord, seuls les éléments visibles pourraient constituer une emprise au sol. Tel est le cas en l'espèce, puisque la dalle se place « à la même hauteur sinon plus haut que le niveau du terrain naturel ».
Ce premier critère a pour avantage d'être simple à manier. Il évite en particulier au juge et en premier lieu à l'administration d'appliquer les critères qui semblent se dessiner dans la jurisprudence actuelle, et qui prend en compte le fait que la construction dépasse « sensiblement » le niveau du sol (CE, 1ère et 6ème ch. réunies, 20 mai 2016, n° 382976, M. E. et a., à propos de l'emprise au sol dans un document d'urbanisme ; V. surtout la circulaire du 3 février 2012, relative au respect des modalités de calculs de la surface de plancher des constructions, qui prévoit que les éléments ne « dépassant pas du niveau du sol [et] qui ne constituent pas une surélévation significative » ne sont pas constitutifs d'une emprise au sol), ce qui évite de nombreuses questions d'interprétation (Le Ministre du logement a ainsi considéré que « l'appréciation du caractère significatif ou non de la surélévation […] doit […] s'apprécier au regard des caractéristiques particulières des constructions et de leur terrain d'assiette. Elle doit nécessairement faire l'objet d'une analyse au cas par cas » (Rép. min., n° 11764, JO Sénat, 9 octobre 2014, p.2302).
Ensuite, le rapporteur public fait référence à la « consistance » du socle, ou plus exactement à son volume ou sa profondeur. Ne seraient susceptibles de conduire à une emprise au sol que les éléments les plus volumineux, qui témoignent « d'une véritable occupation du sol ». Bernard Gros exclut ainsi les « minces soubassements ». En revanche, des fondations, par exemple, devraient être prises en compte.
Ce critère peut être justifié (la circulaire du 3 février 2012, préc., inclut dans les surfaces à prendre en compte les terrasses qui disposent de « fondations profondes »). Mais contrairement au premier, il semble délicat à manier : son appréciation pourrait conduire à des divergences d’interprétation.
Enfin, Bernard Gros, propose de prendre en compte la qualité « d'ensemble fonctionnel indissociable de l'antenne-relais » pour prévoir que la dalle, support de l'antenne, doit être prise en compte dans le calcul de l'emprise au sol. D’ailleurs, cette position s’intègre dans la jurisprudence du Conseil d’État qui considère que les antennes-relais forment un ensemble indissociable avec les « installations techniques nécessaires à leur fonctionnement ». Ceci conduit à ce qu'une seule déclaration préalable comprenant l’antenne et les armoires techniques puisse être déposée, et non pas plusieurs déclarations préalables, portant sur l’antenne d’un côté et sur les installations techniques de l’autre (CE, 6e et 1ère sous-sections réunies, 20 juin 2012, Comité de quartier de Campanier et a., n° 344646) . Le rapporteur public retient la solution de cet arrêt relatif au champ de l'emprise au sol, et reprend ainsi la jurisprudence du tribunal administratif de Lille (« que la dalle de béton ainsi prévue, et dont les requérants allèguent sans être contredits que sa réalisation nécessite des fondations de plusieurs dizaines de centimètres de profondeur, est constitutive d'emprise au sol dès lors qu'elle forme avec le mât et les installations techniques qu'elle supporte un ensemble fonctionnel indissociable », TA Lille, 15 octobre 2015, n° 1302168 et 1302169, M et Mme Bruno X. et a ;v. également TA Lille, 2 juillet 2015, n° 1303432, M. et Mme Eric X. et a. ; TA Lille, 17 septembre 2015, n° 1300737, Société Orange France) .
Ce critère, par sa formulation, semble en réalité être un critère général, ce qui est d’ailleurs reconnu par le rapporteur : « Nous pensons donc qu’il faut, pour apprécier l’emprise au sol d’un ouvrage comme une antenne-relais de téléphonie mobile, haute de plus de 12 m et reposant toujours sur un consistant socle maçonné, envisager la totalité de la construction : doivent par conséquent être prises en compte les dimensions de superficie du socle, peu important à cet égard qu’il émerge ou non du sol ». Un tel critère implique ainsi, par nature, de ne pas prendre en compte le critère issu de la visibilité du socle ou de son volume.
L'intérêt de cette solution est sa simplicité, tant pour le juge que pour l'administration. Elle implique que la seule présence d'un socle doit être prise en compte dans le calcul de l'emprise au sol.
Mais cette proposition pose une sérieuse difficulté : elle interprète largement la notion d'emprise au sol, qui reste une « projection verticale du volume », et qui implique que les éléments souterrains ne soient pas pris en compte (v. sur ce point les conclusions J. Lessi sous CE, 1ère et 6ème ch. réunies, 20 mai 2016, n° 382976 et 382977, Cne de Montigny-les-Metz et a.) . Or, les conclusions du rapporteur public Bernard Gros ne semblent pas se fonder sur la projection du volume de la construction, mais directement sur « l’occupation du sol, et éventuellement du sous-sol, par un volume ».
Dès lors, la formation de jugement n'a pas retenu l'approche du rapporteur public. Elle s'est fondée sur l’interprétation qui paraît aujourd'hui la plus couramment utilisée.
II. Une solution de la formation de jugement interprétant strictement l'emprise au sol
La décision du tribunal administratif de Lyon retient que l'emprise au sol implique « qu’au sens et pour l’application de ces dispositions, une construction ou partie de construction enterrée dont la partie supérieure ne fait qu’affleurer le niveau du sol naturel, sans le dépasser significativement, ne crée pas d’emprise au sol ».
Or en l'espèce, la dalle bétonnée ne faisant « qu'affleurer le niveau du sol », elle «ne dépasse pas le niveau du sol naturel, [et] n’a pas à être prise en compte dans la détermination de l’emprise au sol du projet au sens de l’article R. 420-1 du code de l’urbanisme ».
La formation de jugement n'a donc pas suivi les conclusions du rapporteur public. Elle n'a appliqué qu'un seul critère : celui de la hauteur de la dalle, surélevée significativement vis-à-vis du niveau du sol.
Ce faisant, elle semble se conformer à la fois à la circulaire du 3 février 2012 (préc.) et aux différentes réponses ministérielles (question écrite n° 11764, préc.), qui fixent que ne sont pas constitutifs d'emprise au sol les éléments qui ne sont pas surélevés significativement.
En ce sens, le Conseil d’État avait relevé que ne constituait pas une erreur de droit le fait d'avoir pris en compte dans l'emprise au sol un parking souterrain, dès lors que la dalle supérieure « dépasse sensiblement » du niveau du sol (CE, 20 mai 2016,, M. E. et a., préc., à propos de l'emprise au sol dans un document d'urbanisme). Le simple fait que la dalle soit visible ne constitue donc pas une emprise.
Cependant, à la lecture de l'article R. 420-1 du code de l'urbanisme, il ne semble pas nécessaire de faire référence au critère « significatif » de l’élévation. Cela semble être une interprétation restrictive de l'emprise au sol. Devrait être prise en compte la seule existence de la surélévation. Dès lors, la simple présence d'un volume dépassant du sol et susceptible d'être projeté verticalement, est donc constitutive d’une emprise au sol. C'est la conception retenue par la cour administrative d'appel de Bordeaux qui, dans un litige relatif à une autorisation d'urbanisme relatif à une antenne-relais, retient que le fait que la dalle ne soit « non-complètement » enterrée implique sa prise en compte pour le calcul de l'emprise au sol (CAA Bordeaux, 5ème ch., 9 février 2016, n° 14BX01500, M. et Mme A. c/ sté SFR qui prend également en compte le fait que la dalle constitue un ensemble indissociable avec le pylône) . C'est également ce qui a été retenu par la cour administrative d'appel de Marseille, refusant de prendre en compte la dalle bétonnée soutenant une antenne-relais dès lors qu'elle « ne dépasse pas le niveau du sol naturel » (CAA Marseille, 9ème ch., 30 juin 2017, n° 16 MA00614, Sté Orange) . On trouve trace également de ce dernier critère dans une réponse ministérielle (Rép. min., n° 5004, JOAN 6 novembre 2012, p. 6297).
Ce critère faciliterait le travail de l'administration, qui n'aurait pas à déterminer ce qui « significativement », ou même « sensiblement », dépasse du niveau du sol. Il paraît surtout mieux correspondre à la définition de l'article R. 420-1 du code de l'urbanisme, car toute élévation, même non-significative, permet de projeter un volume sur le sol et constitue donc une emprise au sol.
En tout état de cause, que le critère retenu soit celui selon lequel la dalle dépasse le niveau du sol, ou celui selon lequel elle le dépasse significativement, la simple circonstance que celle-ci soit visible suffit à écarter la qualification d’emprise au sol. Ainsi, quel que soit le critère retenu, la dalle ne devait donc pas être prise en compte pour déterminer l'emprise au sol de la construction.
Ce faisant, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'opposition à la déclaration préalable, et a rejeté les demandes de substitution de motifs présentées par le maire, les deux motifs n'étant pas susceptibles de fonder légalement la décision (CE, Sect., 6 février 2004, n° 240560, H.) . L’administration avait d’une part invoqué un manquement à l'article 7N du plan local d'urbanisme de la métropole de Lyon, qui prévoit que les constructions doivent être bâties à plus de 4 mètres des limites séparatives du terrain, sauf à ce que l'édifice constitue un « équipement public ou d'intérêt collectif dont la nature ou le fonctionnement nécessite une implantation particulière ». Or, le tribunal administratif retient que l'antenne-relais était un équipement d'intérêt collectif. L'administration, qui n'a pas justifié que l'emplacement de la construction n'était pas lié à la nature ou au fonctionnement de l'antenne-relais, ne pouvait donc pas se prévaloir d'une substitution de motif. D'autre part, la commune faisait valoir le fait que l'antenne-relais ne participait pas à la « préservation et à la mise en valeur des caractéristiques paysagères dominante de la zone » (art. 11N). Le juge a toutefois considéré que le paysage en question ne présente « aucun intérêt paysager particulier », et que la construction « s'intègre de façon satisfaisante dans le paysage environnant ».
Le tribunal administratif de Lyon a ainsi annulé l'opposition à la déclaration préalable édictée par le maire de la commune de Solaize. Celle-ci a interjeté appel, ce qui permettra à la cour administrative d'appel de Lyon de se prononcer sur la question, décidément non tranchée, relative à la détermination de l'emprise au sol.