Par un arrêté du 2 août 2011 le préfet de la Loire a déclaré d’utilité publique les acquisitions, travaux et équipements à réaliser par l’établissement public d’aménagement de Saint-Etienne (l’EPASE), pour la réalisation de la ZAC de Pont de l’âne Monthieu sur les communes de Saint-Etienne et de Saint-Jean-Bonnefonds.
Puis il a pris les 13 décembre 2011 et 12 avril 2012 deux arrêtés de cessibilité.
Ce sont ces arrêtés que la SCI Ulysse, propriétaire de terrains inclus dans le périmètre l’opération, a contestés en vain devant le TA de Lyon.
Elle relève donc appel du jugement ayant joint et rejeté ses deux demandes.
I - L’EPASE oppose en appel une fin de recevoir nouvelle tirée de ce que la requérante ne serait recevable à agir contre les arrêtés de cessibilité qu’en tant qu’ils concernent ses parcelles et non pas contre les arrêtés dans leur ensemble.
La jurisprudence administrative n’est pas catégorique sur cette question, y compris au plus haut niveau, mais nous inclinons personnellement à penser que le changement de propriétaire d’un bien, puisque telle est la portée d’un arrêté de cessibilité, ne regarde guère les autres expropriés, d’autant que le transfert aurait pu le cas échéant se faire par une autre voie, voire faire l’objet d’un renoncement de l’expropriant au vu précisément de l’enquête parcellaire ; en la matière c’est au niveau de la DUP et des inconvénients pour lui de l’opération globale, que devrait, à notre avis, se concentrer et se limiter l’intérêt à agir de l’exproprié contre l’inclusion de parcelles appartenant à d’autres, sauf à démontrer un intérêt de voisinage bien spécifique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
De toute façon, l’action de la SCI reste évidemment recevable s’agissant de ses propres parcelles, de sorte que cette question n’aura d’intérêt que si vous envisagez de faire droit à l’un ou l’autre de ses moyens.
II – Venons-en donc au fond :
1) Selon l’appelante, en premier lieu, le jugement aurait dénaturé les pièces produites par le préfet de la Loire pour justifier de la compétence des signataires des arrêtés contestés ; il s’agit d’une part du secrétaire général de la préfecture mais aussi d’un directeur qui a apposé sa signature sur les états parcellaires annexés à ces arrêtés.
Mais, comme cela résultait du sommaire du recueil des actes administratifs, recueil à partir duquel le juge peut spontanément effectuer son contrôle s’agissant de la publicité d’actes réglementaires, le secrétaire général avait bien reçu antérieurement la délégation nécessaire, ainsi régulièrement publiée, et il s’agissait d’une délégation permanente non conditionnée par une absence ou un empêchement du préfet.
Quant à la signature du directeur sur les états annexés à l’arrêté il ne s’agit en réalité que d’un visa du service, préalable à l’annexion, sans aucun caractère décisoire, ce caractère résultant uniquement de la mention de l’article 1er de l’arrêté renvoyant à cet état dès lors réputé annexé lors de la signature du secrétaire général.
D’ailleurs même l’absence de signature de l’état parcellaire annexé, n’entacherait nullement l’acte : CE 4 août 1982 Stockhausen n° 24497 inédit.
2) En deuxième lieu la SCI fait valoir que les arrêtés en litige sont irréguliers en ce qu’ils ne sont ni l’un ni l’autre exhaustifs quant à l’ensemble des parcelles expropriées.
Ils sont en réalité complémentaires en ce qu’ils résultent de deux enquêtes parcellaires successives.
Les textes sont muets à l’égard d’une telle faculté : ainsi même s’ils emploient le singulier, on devrait donc en retenir qu’ils n’interdisent pas la pluralité d’arrêtés de cessibilité.
C’est d’ailleurs ce qui ressort d’une décision du 6 décembre 1972 Epoux E. et autres n° 81452 mentionnée aux tables du recueil Lebon, jugeant que l’estimation sommaire des dépenses peut être faite globalement même si l’opération doit donner lieu à plusieurs arrêtés de cessibilité successifs.
Si cette décision a été rendue sous l’empire du décret du 6 juin 1959, celui-ci employait également le singulier pour traiter de l’arrêté de cessibilité.
Mais, selon la requérante, la jurisprudence imposerait désormais que le préfet prenne un seul et même arrêté de cessibilité.
Elle invoque un arrêt de la Cour de Nancy jugeant qu’en cas de pluralité de parcelles à exproprier, le préfet doit, à l’issue de l’enquête parcellaire, prendre un seul arrêté de cessibilité, mentionnant la liste de toutes les parcelles figurant au plan parcellaire pour lesquelles l’administration entend poursuivre la procédure d’expropriation, et que le respect de cette procédure, de nature à permettre de vérifier la conformité de l’expropriation avec l’opération autorisée par la déclaration d’utilité publique, présente un caractère substantiel : CAA Nancy 7 décembre 2006 Ministre de l’équipement et Réseau ferré de France n° 05NC00239 B.
Cet arrêt avait fait l’objet d’un pourvoi de la part de RFF, mais qui s’est hélas soldé par un désistement.
On ne trouve pas trace d’une telle solution, pourtant signalée à l’époque, dans la jurisprudence d’autres juridictions y compris dans un arrêt également invoqué de la Cour de Marseille qui n’était manifestement pas confrontée au même cas de figure. (CAA Marseille 17 juin 1999, 96MA01095) .
Nous ne vous proposerons pas d’emboîter le pas de la Cour de Nancy car cela reviendrait à vitrifier une procédure dont on sait bien qu’elle peut parfois nécessiter des découpages géographiques ou phasages chronologiques : on songe au projet, proche d’ici, de l’autoroute A 45 devant relier Lyon à St Etienne qui a fait l’objet d’un seul décret d’utilité publique : on n’ose pas imaginer que les administrations en charge de la cessibilité des terrains devraient y procéder par une seule et même décision ….
Et puis comment rectifier une erreur sans remettre en cause les procédures éventuellement déjà engagées devant le juge de l’expropriation si l’on devait carrément rapporter l’arrêté initial pour en reprendre un autre.
La finalité affichée par la Cour de Nancy tenant à permettre une vérification de la conformité de l’expropriation avec l’opération autorisée par la déclaration d’utilité publique, nous paraît pouvoir être atteinte autrement car pour vérifier la conformité d’une expropriation à la DUP on peut aussi regarder si la parcelle en cause, puisque c’est d’elle que part son raisonnement, est comprise dans le périmètre de l’opération.
Le moyen doit être écarté, sans hésitation à notre avis.
3) En troisième lieu, au titre de l’exception d’illégalité de l’arrêté de DUP, invoquée par l’appelante, vous aurez à contrôler plusieurs points.
- Selon elle l’estimation sommaire des dépenses ne serait pas sincère.
La question qui importe est en réalité de savoir si elle été significativement sous-évaluée.
La circonstance que deux enquêtes parcellaires ont été organisées ensuite ne saurait en témoigner à elle seule.
A supposer qu’elle ait omis d’intégrer le coût de parcelles objet de la seconde enquête alors que le moyen n’est pas plus illustré, vous avez vu que l’estimation, sommaire comme son nom le prévoit, prévoyait 10% pour imprévus.
La sous-évaluation n’est donc pas même établie.
- Ensuite le projet objet de la DUP méconnaitrait les dispositions de l’article L111-1-4 du code de l’urbanisme qui disposait qu’en dehors des espaces urbanisés des communes, les constructions ou installations sont interdites dans une bande de cent mètres de part et d'autre de l'axe des autoroutes, des routes express et des déviations au sens du code de la voirie routière et de soixante-quinze mètres de part et d'autre de l'axe des autres routes classées à grande circulation.
Mais, alors que le moyen est bien opérant contrairement à ce que soutient l’EPASE, vous ne pourriez pas juger, au vu des pièces du dossier, que le projet se situe en dehors des espaces urbanisés.
- La sté Ulysse soutient aussi que le recours à l’expropriation n’était pas nécessaire dès lors que l’acquisition des terrains aurait pu être conduite avant la création de la ZAC puisque des décisions de préemption étaient intervenues en 2010 au profit d’un établissement poursuivant déjà le même but.
Mais cette procédure de préemption n’a jamais été menée à son terme, la SCI Ulysse notamment ayant finalement renoncé à la vente de son bien, ce qui est une condition de la préemption contrairement à l’expropriation.
- Enfin, l’appelante s’en prend au bilan de l’opération dont vous connaissez bien la démarche d’examen.
Alléguant qu’il n’existe aucune carence de l’initiative privée, elle soutient qu’il n’est pas utile de créer une ZAC.
Mais il n’y a guère de rapport ici entre initiative privée et aménagement urbain dont les orientations relèvent des autorités publiques.
Et il ne s’agissait pas seulement de créer un parc d’activité mais bien, comme cela ressort du dossier, de requalifier un espace stratégique qui est l’entrée de la ville, par un programme de renouvellement urbain associant activité économique et logement.
Comme l’a d’ailleurs relevé le commissaire enquêteur, la zone présentait une attractivité dégradée et disparate, avec des bâtiments obsolètes, freinant tout dynamisme commercial.
Il serait très difficile de ne pas trouver dans cette opération l’intérêt général d’abord requis.
Après, et s’agissant de juger de l’utilité publique, il y en a pour environ 120 000 000 € HT de dépense publique, se décomposant en gros entre 70 pour les acquisitions foncières et 50 pour les études et les travaux publics de démolition et d’aménagement des espaces publics et réseaux.
Dans l’autre plateau de la balance il y a les bénéfices attendus au titre de l’intérêt général déjà dit, notamment en termes de requalification et également d’attractivité d’une ville qui en a bien besoin, mais aussi la création de près de 500 logements, l’accueil d’activités commerciales, artisanales, de loisirs et de services, le tout sur une SHON de 190 000 m2, s’accompagnant d’une restructuration des infrastructures de transport.
En somme l’inconvénient tenant finalement à la seule atteinte à la propriété privée, à laquelle est destinée l’enveloppe de près de 70 000 000 €, ne peut à notre avis que céder la pas face aux avantages.
C’est donc sur cette ultime considération que nous concluons au rejet de la requête de la SCI Ulysse ; vous pourriez mettre à sa charge une somme de 1 5000 € au titre des frais d’instance exposés par l’EPASE.