Examen des critères permettant de qualifier le caractère économique de l’exploitation (d’un élevage) conformément aux dispositions de l’article 256 A du Code général des impôts. La disproportion entre le chiffre d’affaires et les charges d’exploitation, le faible nombre de ventes par rapport au potentiel d’une exploitation ne permettent pas à l’administration fiscale de remettre en cause le caractère économique d’un élevage lorsque l’exploitant se comporte en producteur. Le comportement de l’exploitant : un critère déterminant. Par un arrêt du 26 mai 2016, la cour administrative d’appel de Lyon rappelle l’exigence du caractère économique de l’activité exercée pour pouvoir relever du champ d’application de la TVA. Cette solution, dans la droite ligne de la jurisprudence européenne, précise les critères permettant de qualifier une activité d’économique. Par activité économique, il convient d’entendre toute activité de producteur notamment. En cas d'exploitation d'un bien meuble corporel, il convient d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. Enfin, toute entreprise dont l'activité est assujettie à la TVA peut demander le remboursement de crédits de TVA, sous réserve du respect de certaines conditions.
I- Faits et procédure
a- Rappel des faits
Les faits soumis à la Cour étaient les suivants :
Depuis 1999, Mme L exerçait une activité d’élevage de chevaux, d’ânes et de poneys dans sa propriété située dans la Nièvre.
En 2004, Mme L a décidé de placer spontanément son activité sous le régime de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Mme L a fait l’objet d’une vérification de comptabilité en matière de TVA et de bénéfices agricoles portant sur la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010, à l’issue de laquelle l’administration fiscale a estimé que Mme L n’exerçait pas une activité économique au sens des dispositions de l’article 256 A du Code général des impôts.
A ce jour, les rappels de TVA notifiés à Mme L font l’objet d’une instance devant le tribunal administratif, étant précisé qu’aucun jugement n’a encore été rendu. En l’espèce, le litige fait suite au rejet par l’administration fiscale de demandes de remboursement de crédits de TVA au titre des années 2011 et 2012, pour des montants respectifs de 5.388 euros et 3.341 euros.
b- Les enjeux
En l’espèce, se posait la question de savoir si Mme L, en exploitant un élevage d’équidés, se comportait comme un producteur exerçant une activité économique au sens des dispositions de l’article 256 A du Code général des impôts et relevait par conséquent du champ d’application de la TVA.
Selon l’administration, l’activité exercée par la requérante consistait en la gestion d’un patrimoine privé dans la mesure où elle n’avait jamais fait de réels efforts en vue de développer activement son exploitation afin d’en retirer des recettes présentant un caractère de permanence. Au soutien de sa position, l’administration fiscale faisait valoir que la requérante n’employait pas de moyens analogues à ceux des professionnels du secteur. Le service mettait en avant :
- l’absence de publicité pour développer son exploitation ;
- le faible nombre de ventes intervenues par rapport au potentiel d’exploitation ;
- la disproportion entre les recettes obtenues et les charges d’exploitation.
La requérante, de son côté, soutenait que son activité d’élevage présentait un caractère professionnel depuis 2004. L’intéressée faisait valoir, d’une part, que l’administration fiscale avait fait droit à ses demandes de remboursements de crédits de TVA sur la période antérieure au litige et d’autre part, malgré un faible chiffre d’affaires, il n’en demeurait pas moins qu’elle était à la recherche constante de recettes récurrentes.
c- Décisions du TA de Dijon et de la CAA de Lyon
Le tribunal administratif de Dijon a suivi la position de l’administration fiscale et rejeté les prétentions de la requérante. (TA Dijon – n° 1300374 et n° 1300771 -25 mars 2014)
Après avoir interjeté appel, la requérante a réitéré ses motifs en observant que « la transformation d’une détention patrimoniale en exploitation professionnelle est possible » et que « la notion d’activité économique au sens des dispositions de l’article 256 A du CGI doit s’apprécier selon le critère de la recherche de recettes récurrentes indépendamment du niveau des recettes ou des charges d’exploitation ».
La cour administrative d’appel a retenu les prétentions de la requérante en relevant que :
« à partir de l’année 2004, Mme L… a souscrit des déclarations de TVA, manifestant ainsi son intention de développer une activité de production agricole…Mme L a mobilisé, pour les besoins de son élevage, des moyens analogues à ceux d’un professionnel…que le fait que Mme L n’ait pas mis en œuvre de moyens publicitaires, n’ait pas possédé de site internet et n’ait pas été référencée en tant qu’éleveur dans le milieu professionnel au cours de la période en litige ne suffit pas à établir qu’elle ne s’est pas comportée comme un producteur ; qu’il suit de là que Mme L est fondée à demander le remboursement des crédits de taxe sur la valeur ajoutée déductible dont elle disposait à l’expiration des années 2011 et 2012 ».
La cour administrative d’appel de Lyon reconnaît que Mme L s’est comportée comme un producteur en manifestant son intention de développer son activité et en mobilisant des moyens analogues à ceux d’un professionnel du secteur. Il en résulte que l’activité de Mme L, consistant dans l’exploitation d’un élevage d’équidés revêt un caractère économique au sens des dispositions de l’article 256 A du Code général des impôts et relève, à ce titre, du champ d’application de la TVA. Mme L était ainsi en droit de demander le remboursement de ses crédits de TVA.
II- Portée de la décision de la CAA de Lyon
a- Les critères d’assujettissement d’une activité économique à la TVA
La question posée à la cour et à laquelle celle-ci a répondu positivement, était de savoir si, l’activité exercée par Mme L, à savoir l’exploitation d’un élevage d’équidés, constituait une activité patrimoniale (de gestion d’un patrimoine privé) ou une activité économique (de producteur ou d’exploitant d’un bien) et relevait à ce titre du champ d’application de la TVA.
L’article 256 A du Code général des impôts définit la notion d’assujetti à la TVA et plus précisément les opérations qui entrent par nature dans le champ d’application de la TVA. Il en résulte que sont considérées comme assujettis à la TVA, les personnes qui exercent de manière indépendante une activité économique.
Aux termes du 5e alinéa de ce même article, constituent une activité économique, les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est également considérée comme économique, l’activité consistant en l’exploitation d'un bien meuble corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
Dans sa rédaction antérieure, l’article 256 A du Code général des impôts précisait les opérations pouvant être réalisées à titre habituel ou occasionnel. Ces références ont été supprimées par la loi 78-1240 du 29 décembre 1978. (BOI-TVA-CHAMP-10-10-20-20131120 n° 330, 20 novembre 2013) (http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/118-PGP.html?identifiant=BOI-TVA-CHAMP-10-10-20-20131120)
Il en résulte que la notion d’assujetti à la TVA se définit par référence à la nature des opérations réalisées.
S’appuyant sur les textes précités, le raisonnement conduit par la Cour appelle plusieurs commentaires.
En premier lieu, lorsqu’un bien peut être utilisé à la fois à des fins d’ordre privé et économique, les recettes qu’il procure ne sont soumises à la TVA que si elles ont un caractère de permanence.
L’appréciation du caractère de permanence doit être effectuée au vu de l'ensemble des données du litige, parmi lesquelles figure notamment la nature du bien en cause. En effet, le fait qu'un bien ne puisse convenir qu'à une exploitation économique suffit, bien souvent, pour admettre qu'il produit des recettes ayant un caractère permanent.
Pour apprécier le caractère de permanence, la jurisprudence européenne (CJUE 26-9-1996 aff. 230/94, Enkle ) commande de tenir compte (i) du point de savoir si le propriétaire du bien en cause a mobilisé, pour l'exploitation des fruits de ce dernier, des moyens analogues à ceux déployés par un professionnel du secteur, ainsi que (ii) des conditions dans lesquelles l’intéressé exploite effectivement ce bien.
Concernant le point de savoir si le propriétaire a mobilisé des moyens analogues à ceux déployés par un professionnel du secteur, la juridiction lyonnaise nous apporte des précisions en écartant les éléments factuels concernant la promotion de l’activité d’éleveur de Mme L (site internet, mention sur les pages jaunes, etc.…). La circonstance que le contribuable n’engage aucune dépense de publicité pour promouvoir son activité ne fait pas obstacle à la reconnaissance du caractère économique de l’activité de la requérante.
La cour souligne ainsi que « Mme L a mobilisé pour les besoins de son élevage des moyens analogues à ceux d’un professionnel en faisant l’acquisition de matériels agricoles (tracteurs, nourrisseurs, un silo de 8m3, etc…) et ce même si certaines de ses acquisitions sont intervenues antérieurement à la première déclaration de TVA ».
Il y a lieu de relever également que la cour de Lyon écarte les critères retenus par l’administration fiscale pour apprécier le caractère économique de l’activité d’élevage exercée par Mme L, qui consistait à retenir le faible nombre de ventes (2 ventes en 2010 et 5 en 2011) ainsi que la disproportion entre le chiffre d’affaires et les charges d’activités. La position adoptée par la juridiction lyonnaise se justifie, dans la mesure où, l’administration fiscale ne remettait pas en cause le caractère onéreux des ventes.
En second lieu, pour appuyer sa position, la cour a raisonné par analogie à la jurisprudence européenne pour analyser les conditions dans lesquelles l’intéressée exploitait effectivement son bien. Pour ce faire, elle a, par la technique du faisceau d’indices, déterminé si le comportement de la requérante pouvait être assimilé à celui d’un producteur agricole pour retenir le caractère de permanence.
Il ressort du raisonnement de la cour, qu’il convenait avant toutes choses de s’attacher au comportement de l’intéressée : « Avait-elle l’intention de se comporter comme un assujetti ? » Eu égard aux différents éléments présentés par la requérante, la cour a considéré que tel était le cas en l’espèce.
La solution adoptée par la juridiction lyonnaise en l’espèce, fait preuve d’une grande souplesse dans la mesure où il était avéré que la requérante ne se rendait sur son exploitation qu’un week-end sur deux et pendant les vacances scolaires.
A cet égard, on observera avec intérêt, les conclusions du rapporteur public, Madame Virginie Chevalier Aubert, aux termes desquelles le critère de la participation personnelle limitée de Mme L aux activités, conjugué à l’absence de salarié jusqu’en 2011 était considéré comme inopérant pour l’appréciation du caractère économique de l’activité.
Il convient également d’observer l’évolution de la jurisprudence de la juridiction d'appel lyonnaise sur l’appréciation des conditions dans lesquelles l’intéressé exploite effectivement son bien.
Dans une espèce tranchée le 26 octobre 2011 (CAA LYON - 5ème chambre – N°LY00326 -26 octobre 2011- SARL PAGE c/ DCF Rhône-Alpes-Bourgogne) , la cour de Lyon a jugé, s’agissant d’une société de personnes exerçant une activité d’achat-revente de chevaux de sports, que cette activité ne pouvait être regardée comme une activité économique au sens des dispositions de l’article 256 A du code général des impôts dans la mesure où cette société qui revendait des chevaux après les avoir entrainés ne disposait d’aucune installation.
Dans cette affaire, le requérant gérait en sus de son activité, six autres entreprises. Il ne pouvait valablement justifier du caractère professionnel et matériel de son activité dans la mesure où il confiait la gestion des chevaux à une tierce personne. De fait, l’unique rétribution de ces opérations était constituée par un éventuel bénéfice lors de la revente des chevaux.
Dès lors, la juridiction lyonnaise aurait sans doute pris la même position dans la présente affaire, si la requérante n’avait entrepris des démarches actives dès 2004, en commençant à souscrire spontanément des déclarations de TVA et en acquérant du matériel agricole afin d’effectuer des « travaux d’arrachages de souches et de défrichage sur l’exploitation » dans le but d’exploiter son élevage, aboutissant à la vente d’équidés.
La solution de la juridiction lyonnaise s’inscrit donc dans le prolongement de la jurisprudence européenne qui tend à retenir une interprétation extensive de la notion d’activité économique en présence d’une exploitation de biens.
b- Une interprétation extensive de la notion d’activité économique
Un examen approfondi des textes et de la jurisprudence européenne permet de relever que la notion d’activité économique est interprétée de manière extensive, notamment en présence d’une exploitation de biens.
En ce sens, la Cour de justice a décidé que la simple intention d’exploiter peut suffire en présence d’éléments objectifs pour qualifier une activité d’économique, ouvrant un droit à déduction, sans devoir attendre le début de l'exploitation effective de son entreprise. (CJCE, 8 juin 2000, Aff. C-396/98, Schloßstraße GbR)
Il ressort des termes de la directive TVA que le domaine d’application de la TVA est délimité pour partie, par la notion d’activité économique.
Il y a lieu de relever que pour la jurisprudence européenne, ce qui compte, c'est le caractère économique de l'activité que doit mener un assujetti. Cette activité suppose d'une part, l'exploitation d'un bien et, d'autre part, une permanence dans les recettes tirées de cette exploitation.
Concernant l’exploitation de biens par des professionnels, l’article 9, §1 de la directive TVA permet d’élargir le champ d’application de la TVA à toute autre activité économique exercée de manière occasionnelle par un assujetti, sous réserve que cette activité constitue une véritable activité. Il convient de préciser que le terme « économique » ne signifie pas forcément profitable. Il en résulte que la directive TVA est indifférente au but et aux résultats de l'activité. (CJCE, 12 sept. 2000, Aff. C-260/98, Comm. c/ Grèce)
S’agissant de l’exploitation de biens par des non professionnels, il ressort de la jurisprudence européenne que certaines situations moins tranchées soulèvent de réelles difficultés de qualification.
A cet égard, une des méthodes permettant de vérifier si l'activité concernée est accomplie en vue de réaliser des recettes ayant un caractère de permanence, a été dégagé par la jurisprudence européenne. (CJUE, 19 juillet 2012 n°C-263/11) Dans cette espèce, la question concernait la vente à répétition de bois abattu par une tempête par un particulier, où il a été jugé que « dès lors que lesdites livraisons sont accomplies en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence, l’activité en cause au principal doit être qualifiée d’activité économique ».
Pour appliquer cette méthode, la Cour de justice devait comparer d’une part, les conditions dans lesquelles l'intéressé exploitait effectivement le bien et d'autre part, les conditions dans lesquelles s'exerçaient habituellement l'activité économique correspondante.
La jurisprudence européenne souligne que le simple exercice du droit de propriété par son titulaire ne peut en lui-même, être considéré comme constituant une activité économique et que tel n’est pas le cas lorsque l’intéressée entreprend des démarches actives de commercialisation en mobilisant des moyens analogues à ceux déployés par un producteur au sens l’article 9 de la directive TVA
Il en résulte que l’arrêt commenté ici, éclairé par les conclusions du rapporteur public, s’inscrit dans le droit fil de cette jurisprudence. En effet, c’est dans cette assimilation que réside l’apport de cette décision. Car si l’interprétation du tribunal administratif de Dijon avait été confirmée, l’incitation voulue par la jurisprudence européenne aurait été inefficiente en droit interne.
Enfin, on constate, en l’espèce, que la juridiction lyonnaise reproche à l’administration fiscale d’avoir appliqué des critères trop restrictifs pour qualifier l’activité d’économique exercée par Mme L, contrairement à la définition très large de cette notion donnée par la jurisprudence européenne.
Il y a lieu de s’interroger, afin de savoir s’il s’agit d’une critique spécifique au cas d’espèce, sanctionnant la méthode appliquée par l’administration fiscale pour remettre en cause le caractère économique de l’élevage de Mme L, ou s’il s’agit d’une critique plus générale s’inscrivant dans la logique de la jurisprudence européenne afin de reconnaitre de manière presque systématique l’exercice d’une activité économique en présence d’une exploitation de biens.
Le raisonnement par analogie suivi en l’espèce, par la juridiction lyonnaise laisse penser que l’interprétation du caractère économique d’une activité doit être reconnue de manière extensive, notamment en présence d’une exploitation de biens. A l’inverse, en l’absence d’exploitation de biens, il y a lieu d’observer que la jurisprudence européenne tend à retenir une interprétation plus restrictive de la notion d’activité économique (CJUE 15 sept. 2011 Aff. 180/10, Slaby et Kuc) .
En conclusion, cette jurisprudence conduit à réduire les cas de non-assujettissement, ce qui demeure conforme aux objectifs la directive TVA. Car comme le rappelle l’article 9 § 1 de la directive TVA « l’objectif du système commun de TVA est que la taxe soit perçue de manière aussi générale que possible ».