Sens des conclusions
Rejet au fond des requêtes d’appel de la Coopérative Drômoise de Céréales et de la Commune de Chabeuil contre le jugement n°s 1005711, 1100179 et 1101425 du 18 mars 2014 du Tribunal Administratif de Grenoble. Infirmation de deux des trois motifs d’annulation retenus par les premiers juges (classement du secteur des Barrachines en zone UIb du PLU par délibération du 19 décembre 2005 – application du règlement de la zone NC de l’ancien POS redevenu applicable). L’insuffisance du dossier de demande de permis (indications du plan de masse sur les raccordements aux réseaux) pourrait faire l’objet d’une régularisation (article L.600-5-1 du Code de l’Urbanisme). Toutefois, un autre moyen d’annulation doit être retenu, celui de l’insuffisance de la desserte routière du projet (article R.111-2 du Code de l’Urbanisme).
La société coopérative agricole dénommée Coopérative Drômoise de Céréales exerçait son activité de stockage des récoltes en vue de leur commercialisation sur deux sites situés sur le territoire de la Commune de Chabeuil, dans la Drôme, l’un à Chabeuil-Sud, sur la zone artisanale de la Commune, l’autre à Chabeuil-Perrier, chaque site étant équipé d’un silo de stockage, celui de Chabeuil Sud ayant une capacité de 6.865 tonnes et celui de Chabeuil-Perrier de 8.730 tonnes.
La progression de l’urbanisation et l’aménagement des infrastructures routières, le sous-dimensionnement des silos en question, ont conduit la Coopérative Drômoise de Céréales, en concertation avec la Commune de Chabeuil, à envisager un déplacement et un regroupement de ces silos vers la périphérie ainsi qu’une augmentation de leur capacité.
Dans cette perspective, la société coopérative a acquis une parcelle de terrain cadastrée XB 47 sur le site dit des Barrachines pour la collecte et le stockage des céréales et oléo-protéagineux et pour la fabrication d’aliments biologiques pour les animaux, la capacité totale de stockage envisagée étant portée à 61.290 m3.
Ce projet relevant de la législation des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE), la Coopérative Drômoise de Céréales a déposé, le 20 juillet 2010, auprès de la Préfecture de la Drôme, un dossier de demande d’autorisation d’exploitation.
Après une enquête publique qui s’est déroulée du 28 février au 1er avril 2011 et un avis favorable du commissaire enquêteur, le Préfet de la Drôme a délivré cette autorisation d’exploiter au titre des ICPE par arrêté du 6 octobre 2011.
Préalablement à cette demande d’autorisation d’exploiter, la Coopérative Drômoise de Céréales avait déposé, le 16 avril 2009, dans les services de la Commune, une demande de permis de construire qui avait été accordée par le Maire de Chabeuil le 7 juillet suivant.
Ce permis de construire initial du 7 juillet 2009 ayant été contesté par des voisins du projet, M. et Mme L., le Maire de Chabeuil a, dans un premier temps, retiré le permis initialement accordé, puis retiré le retrait par décision du 17 février 2010 du fait des éclaircissements apportés par la société pétitionnaire, ce qui, finalement, a conduit les époux L. à engager un contentieux devant la juridiction administrative.
Toutefois, la Coopérative Drômoise de Céréales voulant sécuriser juridiquement son opération, a demandé au Maire de Chabeuil de retirer sa décision (de retrait du retrait) du 17 février 2010, ce qui lui fût accordé le 29 juin 2010.
Une nouvelle demande de permis a alors été déposée le 8 juillet 2010 et un nouveau permis accordé le 21 octobre 2010.
Un permis modificatif a en outre été accordé pour la même opération à la demande de la Coopérative Drômoise de Céréales par arrêté du Maire de Chabeuil du 30 novembre 2010.
Ces deux permis de construire ont été contestés devant le Tribunal Administratif de Grenoble par M. et Mme R. et L. et par l’Association pour la Sauvegarde et la Mise en Valeur de la RD 538 et de la Campagne Environnante entre Chabeuil et Montelier ainsi que par l’Association Vivre à Chabeuil, cette dernière ne s’étant pourvue que contre le permis de construire du 21 octobre 2010.
Par jugement n°s 1005711, 1100179 et 1101425 du 18 mars 2014 rendu par les magistrats de la 5ème chambre du Tribunal Administratif de Grenoble, ont été annulés les permis de construire délivrés les 21 octobre et 30 novembre 2010 par le Maire de Chabeuil à la Coopérative Drômoise de Céréales.
Après avoir admis l’intérêt pour agir de l’Association pour la Sauvegarde et la Mise en Valeur de la RD 538 et de la Campagne Environnante entre Chabeuil et Montelier et la qualité pour agir du Président de l’Association Vivre à Chabeuil, les premiers juges ont considéré, d’une part, que la composition des dossiers de demandes de permis de construire n’était pas conforme aux dispositions de l’article R.431-9 du Code de l’Urbanisme, les plans de masse des deux dossiers ne permettant pas de connaître les modalités de raccordement aux réseaux publics, et de l’article R.431-8 du même Code, la notice architecturale, les documents graphiques et l’étude d’impact sur le voisinage jointe aux deux dossiers ne permettant pas d’apprécier l’insertion du projet par rapport aux paysages environnants, et les premiers juges ont considéré d’autre part, que le classement, par délibération du Conseil Municipal de Chabeuil du 19 décembre 2005 portant révision du POS de la Commune et transformation en PLU, du secteur des Barrachines, essentiellement agricole et non raccordé aux réseaux publics, en zone UIb, était illégal, et que l’ancien POS classant le terrain d’assiette du projet en zone NC les permis de construire litigieux ne pouvaient en conséquence être délivrés, le projet étant, en outre, contraire, selon les premiers juges, aux dispositions de l’article NC 3.2 du règlement de l’ancien POS, la desserte du projet n’étant assurée que par une voie d’une largeur de 4, 20 m, insuffisante pour la desserte par des poids lourds, et la Commune envisageant certes des travaux d’élargissement à 6 m de cette voie mais sans certitude sur la date de leur réalisation.
La société Coopérative Drômoise de Céréales et la Commune de Chabeuil relèvent appel de ce jugement d’annulation par deux requêtes distinctes.
Il faut préalablement préciser que le projet de la Coopérative Drômoise de Céréales fonctionne depuis 2013.
Si la régularité du jugement attaqué est mise en cause, notamment au travers de sa motivation, d’une contradiction de termes (ceux de secteur et de zone) et de la formulation habituelle utilisée en contentieux de l’urbanisme pour l’application de l’article L600-4-1 du Code de l’Urbanisme, la seule lecture du jugement vous permettra de passer outre cette critique initiale.
La question de la recevabilité des demandes de premières instances a donné lieu à la communication d’un Moyen d’Ordre Public (MOP) pour ce qui concerne le respect, par les époux L., voisins de l’équipement réalisé par la Coopérative Drômoise de Céréales, et par l’Association pour la Sauvegarde et la Mise en Valeur de la Route Départementale 538 et de la Campagne Environnante, des formalités de notification prescrites par l’article R600-1 du Code de l’Urbanisme. Ces justifications ont été communiquées et réceptionnées par la Cour le 20 novembre 2015. Les notifications en cause ont été réalisées par lettres recommandées avec accusés de réception du 16 décembre 2010 pour le permis initial et du 12 janvier 2011 pour le permis modificatif.
Par ailleurs la question l’intérêt pour agir de l’Association Vivre à Chabeuil est toujours discutée en appel.
La modification des statuts de l’association le 27 juillet 2011, qui est postérieure à la demande de première instance, ne peut être prise en compte (Conseil d’Etat n° 123316 du 24 octobre 1994 Commune de la Tour de Meix) . Quoiqu’il en soit, bien que l’objet de cette association ne fasse pas explicitement référence au domaine de l’urbanisme, la seule référence à la préservation et à l’amélioration de la qualité de vie nous paraît suffisante pour admettre son intérêt à agir (voyez sur ce point Conseil d’Etat n° 260153 du 26 janvier 2004 Communauté de Défense du Quartier des Sourcières.
Sur le fond de l’affaire, c’est tout d’abord le motif d’annulation fondé sur les articles R431-8 et 9 du Code de l’Urbanisme qu’il faut examiner.
Rappelons ici que la question du contenu d’un dossier de demande de permis de construire constitue une question de légalité interne (Conseil d’Etat n° 90058 du 9 décembre 1992).
Pour ce qui est des éléments d’information relatifs aux réseaux publics et figurant au plan de masse, le document graphique intitulé « détails d’accès » mentionne, dans les deux dossiers de demande de permis, initial et modificatif, les points de raccordement aux réseaux d’électricité, d’eau potable et de téléphone et précise également la situation de la galerie d’eau potable à l’entrée du site. Les modalités de raccordement dont il est question dans l’article R431-9 du Code de l’Urbanisme nous paraissent ici réalisées mais uniquement pour les réseaux publics qui sont cités. En revanche, rien n’est dit concernant le réseau d’évacuation des eaux usées et des eaux pluviales (voyez sur ce point l’arrêt de la CAA de Lyon N° 12LY00672 du 18 décembre 2012 et la décision du Conseil d’Etat n° 343179 du 11 janvier 2013 Société GAEC Les Cabrils) . Comme nous le verrons plus loin, le Rapport de Présentation du PLU précise qu’il s’agit d’une zone d’assainissement individuel et cela est confirmé par l’article UI4-2 du règlement du PLU. Toutefois, eu égard à l’importance du projet, il aurait fallu que le plan de masse donne des indications sur les modalités de traitement de ces eaux, ce qu’il ne fait pas, et ce qui nous paraît constituer une insuffisance ; insuffisance pouvant cependant être facilement régularisée, le cas échéant, par un permis modificatif sur le fondement de l’article L600-5-1 du Code de l’Urbanisme.
Pour ce qui est du volet paysager, l’insuffisance du dossier ne nous paraît pas avérée, loin s’en faut : nous y trouvons, des vues aériennes, de très nombreuses photographies balayant tout l’environnement de l’emprise foncière du projet, les perspectives du bâtiment sous différents angles, des photomontages permettant d’apprécier l’impact des silos et les barrières végétales permettant de diminuer cet impact sur l’environnement. Tout cela permettait assurément au Maire de Chabeuil de se prononcer en bonne connaissance de cause sur la demande dont il était saisi (voyez sur ce point la décision du Conseil d’Etat n° 254223 du 4 février 2004 et l’arrêt de la Cour N° 12LY01760 du 5 février 2013) . Sur ce second aspect des dossiers de demandes de permis vous ne pourrez, nous semble-t-il, suivre la position des premiers juges. D’autant plus que l’étude d’impact qui avait été produite dans le cadre de la procédure d’autorisation au titre des ICPE avait été jointe à la demande de permis de construire et contenait aussi de nombreux éléments d’appréciation à cet égard.
Le deuxième motif d’annulation retenu par les premiers juges recouvre le classement en zone UIb, par le PLU approuvé le 19 décembre 2005, du secteur du terrain d’assiette du projet, lequel était auparavant classé en zone NC.
Selon les dispositions de l’article R123-5 du Code de l’Urbanisme, peuvent être classés en zone urbaine « les secteurs déjà urbanisés et les secteurs où les équipements publics existants ou en cours de réalisation ont une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter. ».
Dans l’affaire qui nous occupe il est clair que le secteur d’implantation du projet de la Coopérative Drômoise de Céréales, celui dit des Barrachines, qui, comme les photographies permettent de la constater, est une vaste plaine agricole, classée dans l’ancien POS en zone NC, ce secteur ne se situe pas en zone urbaine, mais il s’agissait, pour la Commune de Chabeuil, comme nous l’avons déjà dit, de sortir le complexe de la coopérative d’une situation trop centrale eu égard à son activité pour le déplacer en périphérie du territoire communal, et conforter ainsi tant la sécurité que le développement économique.
Dans ce contexte, il s’agit donc de savoir si les équipements publics traditionnels, de voirie, d’eau, d’électricité et d’assainissement, existaient ou étaient en cours de réalisation sur ce secteur et si leurs capacités étaient suffisantes pour permettre un classement en zone urbaine.
L’assainissement individuel que nous avons déjà évoqué ne semble pas constituer un obstacle infranchissable pour l’instauration d’un tel classement, à condition bien sûr que l’assainissement individuel soit autorisé : voyez sur ce point l’arrêt de la CAA de Nantes N° 10NT00770 du 14 octobre 2011
Qu’en est-il concrètement ici ?
La Route Départementale 538, dont l’une des associations requérantes porte le nom, borde le site. La voirie publique ne fait pas défaut. Il existe même, comme nous allons le voir, une voirie secondaire desservant le projet. D’un point de vue global, sans examiner encore les contraintes du projet à cet égard, l’équipement en voies publiques ne fait pas défaut.
Pour l’eau, la Commune avait indiqué en première instance que le réseau arrivait au droit du terrain d’assiette du projet et cela a été confirmé ultérieurement par le devis que le Syndicat Intercommunal des Eaux de la Plaine de Valence a établi le 30 août 2010 et qui a été accepté.
Il en a été de même pour l’électricité, ERDF ayant établi un devis le 17 février 2011 et qui a aussi été accepté.
Ainsi, contrairement à ce qu’a relevé le Tribunal, il nous semble que les critères de classement en zone urbaine fixés par l’article R.123-5 du Code de l’Urbanisme étaient bien remplis et que le secteur des Barrachines pouvait bénéficier d’un classement en zone UIb.
Il y a en outre, dans cette affaire, une dimension de parti d’urbanisation et d’intérêt général, en raison de la situation antérieure des équipements de la coopérative dans une zone d’habitation et des nuisances que cette situation générait.
Les premiers juges ne pouvaient donc pas, à notre sens, après avoir retenu, à tort, l’exception d’illégalité du classement du secteur des Barrachines en zone UIb, faire application du règlement de la zone NC de l’ancien POS.
Le seul motif d’annulation qui nous paraît devoir être confirmé recouvre l’irrégularité de la composition du dossier de demande de permis au regard des indications devant figurer sur le plan de masse et, comme nous l’avons dit, cette irrégularité apparaît susceptible d’une régularisation par un permis modificatif sur le fondement de l’article L.600-5-1 du Code de l’Urbanisme, à condition toutefois qu’aucun autre moyen soulevé par les requérants, en première instance ou en appel, ne soit susceptible d’entraîner, malgré tout, l’annulation totale des permis de construire contestés : sur cette manière de procéder nous reportons à l’arrêt récent que vous avez rendu n° 014LY01001 du 1er décembre 2015
Or, il est un moyen, d’ailleurs traité par les premiers juges mais en application des dispositions de l’article NC 3-2 du règlement de l’ancien POS, celui fondé sur l’article R111-2 du Code de l’Urbanisme sous son volet de sécurité publique et tiré de l’insuffisance de la desserte routière du projet de la Coopérative Drômoise de Céréales par la voie communale 117 qui relie le terrain d’assiette du projet à la Route Départementale 538. Ce moyen est développé en appel, directement contre le permis de construire, par M. et Mme L. et par l’Association pour la Sauvegarde et la Mise en Valeur de la Route Départementale 538.
La largeur de cette voie communale varie entre 3, 60 m et 4, 20 m. Comme cela ressort des pièces de la procédure d’autorisation au titre des ICPE, et spécialement du rapport du commissaire enquêteur, le croisement des véhicules utilitaires, tels que les tracteurs et les poids-lourds, ne peuvent pas se croiser sur la voie, ce qui pose difficulté, notamment en période de trafic intense de ces véhicules en période de moisson.
Cette situation d’inadaptation de la voie communale 117 a d’ailleurs constitué le motif de retrait, le 2 octobre 2009, d’un précédent permis, délivré le 7 juillet 2009, par le Maire de Chabeuil pour le même projet, la voirie d’accès ayant été considérée comme ne pouvant assurer des conditions de sécurité satisfaisante pour les poids lourds, ne pouvant supporter le trafic généré par le projet et n’ayant pas la largeur minimale exigée par le SDIS pour accéder aux installations.
Des documents de la procédure d’autorisation au titre des installations classées que nous avons évoqués il ressort que le projet devrait générer, en moyenne, la circulation quotidienne de 12 poids-lourds et 3 véhicules légers, ce qui est important. Quant à la circulation des véhicules de lutte contre l’incendie, elle apparaît très sensible eu égard aux activités qui seront développées sur le site.
Les caractéristiques de la voie communale n° 07 paraissent bien constituer un problème de sécurité publique et même si la Commune de Chabeuil a engagé, postérieurement à la délivrance des permis, des travaux d’élargissement de cette voie, aucune certitude n’existe, à ce jour, quant à l’achèvement de ces travaux.
Dans ces conditions, ce moyen devant entraîner l’annulation totale des permis contestés, vous ne pourrez, si vous suivez cette analyse, que confirmer, mais sur un autre fondement, l’annulation prononcée en première instance.
Par ces motifs nous concluons, au rejet, dans toutes leurs conclusions, des deux requêtes d’appel présentée par la Coopérative Drômoise de Céréales et par la Commune de Chabeuil contre le jugement n°s 1005711, 1100179 et 1101425 du 18 mars 2014 du Tribunal Administratif de Grenoble, à ce que soit mise à la charge de la Coopérative Drômoise de Céréales 1500 euros pour l’Association Vivre à Chabeuil et 1500 euros pour, globalement, M. et Mme L. et l’Association de la Route Départementale 538, et à ce que soit mise à la charge de la Commune de Chabeuil les mêmes sommes pour les mêmes bénéficiaires.