Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 13LY02481 – 13 novembre 2014 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 13LY02481

Numéro Légifrance : CETATEXT000031857857

Date de la décision : 13 novembre 2014

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Titre exécutoire, Pénalités de retard, Unicité du décompte général, MOP

Rubriques

Marchés et contrats

Résumé

Marché public - recours contre titre exécutoire en vue du paiement de pénalités de retard - principe de l'unicité du décompte - moyen non susceptible d'être soulevé d'office par le juge - caractère non définitif du décompte général irrégulier - recevabilité du recours contre le titre exécutoire - retard non imputable à la société - pénalités non justifiées

Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de l’unicité d’un décompte général n’est pas susceptible d’être relevé d’office par le juge. Dans cet arrêt, la Cour administrative d’appel abandonne sa jurisprudence rendue en formation plénière le 27 décembre 2000 (voir ci-dessous) affirmant le caractère d’ordre public du principe d’unité du décompte général dont il appartiendrait alors au juge administratif d’assurer le respect, y compris d’office. Cette solution s’inscrit dans un courant illustré quelques jours auparavant par le Conseil d’Etat dans son arrêt Société Bancillon BTP : « ni le caractère unique et exhaustif d’un tel compte ni son caractère définitif, qui ne sont pas d’ordre public, ne peuvent être opposés d’office par le juge aux prétentions d’une partie ».Cet arrêt de la Cour administrative d’appel souligne également que l’irrégularité résultant de l’ambiguïté du solde du marché est un obstacle à ce que le décompte devienne définitif.

Cf. CAA Lyon - 27 décembre 2000 - N° 00LY00010  CE, 3 novembre 2014, Société Bancillon BTP, n° 372040

Conditions de contestation d’un titre exécutoire visant à appliquer des pénalités de retard au titulaire d’un marché de travaux, lorsque les pénalités n’ont pas été intégrées au processus de décompte

Laetitia Parisi

Avocate au Barreau de Lyon

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.6185

Résumé des questions tranchées

Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de l'unicité du décompte général du marché n'est pas d’ordre public et ne peut être relevé d'office par le juge. L’irrégularité dans le processus d’établissement du décompte général d’un marché empêche que ce décompte soit définitif. Le titulaire d’un marché de travaux peut alors contester le titre exécutoire visant à lui appliquer des pénalités de retard, qui n’avaient pas été intégrées au décompte. Au fond, le titre de recettes émis par le maitre d’ouvrage contre l’entreprise, titulaire du marché en vue d’obtenir le paiement des pénalités de retard doit être annulé dès lors que le retard n'est pas imputable à ce titulaire

Lors de l’opération de construction d’un « restaurant et multiple rural », la commune de Chaméane a confié à l’EURL Bernard Sucheyre l’exécution du lot n° 02 « Charpente ossature bois ». A l’issue du processus d’établissement du décompte général, la commune a émis un titre exécutoire de 7 480 euros, correspondant à l’application de pénalités. Devant le Tribunal administratif de Lyon, la société avait contesté ce titre exécutoire et avait demandé la condamnation de la commune à lui payer le solde du marché estimé à 3 432, 52 euros. Dans son jugement du 16 juillet 2013, le Tribunal administratif a fait droit à la demande de la requérante, soulevant d’office le moyen tiré du principe d’unité du décompte. La commune de Chaméane a toutefois fait appel de cette décision.

L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon donne l’occasion de revenir sur les différentes problématiques que pose habituellement l’application de pénalités de retard en matière de marché de travaux :

1 - Premièrement, la décision ici commentée présente un intérêt procédural au regard de la notion de moyen d’ordre public. Pour annuler le titre exécutoire, le juge de première instance avait relevé d’office le moyen tiré de ce que le décompte général du marché, qui n’intégrait pas en l’espèce les pénalités de retard pour déterminer le solde du marché, était devenu définitif, ce qui faisait ainsi obstacle, compte tenu du principe d’unité du décompte, à ce qu’un titre exécutoire soit émis pour percevoir ces pénalités. Or, la Cour a considéré, contrairement aux premiers juges, que le moyen tiré de la méconnaissance du principe de l'unicité du décompte général du marché n'était pas susceptible d'être relevé d'office et a annulé le jugement du tribunal administratif pour ce motif comme étant irrégulier.

Le mécanisme lié à la notion de moyen d’ordre public n’est pas ici nouveau. En revanche, la Cour prend clairement position en considérant que le principe d’unité du décompte n’est pas d’ordre public et semble ainsi s’inscrire dans la logique suivant laquelle l'office du juge en matière contractuelle est « celui de la non-ingérence dans les relations contractuelles » (conclusions sous TA Strasbourg, 7 mars 2013, n° 0801418, Département du Bas-Rhin, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 048, 25 Novembre 2013, 2343). Ce faisant, la Cour revient sur d’autres précédents jurisprudentiels. En effet, on notera tout d’abord qu’a été regardé comme d’ordre public le moyen devant être soulevé par le juge, tiré de ce que, en l’absence de tout décompte définitif, ni le maitre d’ouvrage, ni l’un quelconque de ses contractants ne peut demander la condamnation de l’un des signataires d’un marché de travaux publics au paiement d’éléments destinés à entrer dans ce décompte (comme les pénalités de retard notamment) et qui ne peuvent être isolés (CAA Lyon, 27 déc. 2000, P., req. N° 00LY00010 ; N° 00LY00011). La cour administrative d'appel de Lyon, réunie en formation plénière, s’était alors saisie d’office de l'indivisibilité du décompte pour fonder la solution de cette affaire. Si le Conseil d’État a ensuite cassé cet arrêt, c’est en revanche pour une autre raison, estimant que l'indivisibilité du décompte n’empêchait pas une demande de provision en référé (CE, 2 juin 2004, commune Cluny, n° 230729) . De même, a été considéré comme d’ordre public le moyen à soulever d’office par le juge permettant de rejeter la demande d’une société mandataire d’un groupement visant au règlement du solde des seuls travaux qu’elle avait personnellement exécutés, et ce, en l’absence de répartition des paiements dans l’acte d’engagement (CAA Nancy, 21 juin 2007 Commune de Troyes, req. n° 04NC01083). Une position claire du Conseil d’État serait donc la bienvenue ; celui-ci n’ayant pas reconnu explicitement un statut de moyen d’ordre public au principe d’unicité du décompte.

Sur le plan pratique, pour contester l’application de pénalités de retard, par exemple, on conseillera donc au titulaire d’un marché public de bien vérifier si ces pénalités ont bien été intégrées au décompte général qui lui a été régulièrement notifié. Dans le cas contraire, il doit être vigilant en pensant à bien invoquer le moyen tiré de l’unicité du décompte (dès lors que le juge ne serait donc pas autorisé à le soulever d’office) en venant ainsi contester l’émission d’un titre exécutoire portant application de pénalités de retard non reprises dans le décompte général du marché. L’invocation du principe d’unicité du décompte, tant le juge administratif en réaffirme la force (voir par exemple sur ce point CE, 20 mars 2013, Centre hospitalier de Versailles n° 357636) peut s’avérer être un couperet fatal.

2 - Deuxièmement, la décision rendue par la Cour administrative d’appel de Lyon nous renseigne sur l’impact de la régularité du décompte dans l’application des pénalités de retard. En l’espèce, la Cour rappelle les conditions d’établissement du décompte en référence à l’article 13 du CCAG travaux (dans sa version 1976 et dont les principes sont repris dans le CCAG travaux de 2009). Elle relève que le décompte établi par le maître d’œuvre mentionnait un solde sans comporter de pénalités et que le maire de la commune avait ensuite, par une mention manuscrite suivie de sa signature, confirmé l’application 44 jours de pénalités de retard pour un montant de 7 480 euros. Dans ces conditions, la Cour en a déduit que « le décompte général tel que validé par le maitre d’ouvrage doit être regardé comme ayant entendu opposer des pénalités ». Toutefois, elle considère in fine que le décompte n’a pu devenir définitif pour deux raisons. D’une part, le décompte général établi par le maitre d’œuvre dans sa version modifiée et signée par le maire n’avait pas été notifié à l’entreprise par ordre de service. D’autre part, le contenu du décompte restait ambigu, l’intégration des pénalités de retard n’ayant procédé que de la mention manuscrite du maire de la commune, sans modifier le montant du solde tel qu’établi par le maitre d’œuvre. Autrement dit, l’irrégularité du décompte général empêchait de lui donner un caractère définitif et ouvrait ainsi à l’entreprise la possibilité de contester le titre exécutoire lui appliquant des pénalités de retard - sous-entendu - hors le cadre du décompte.

Cette solution se rattache au principe d’unicité du décompte qui demeure bien vivant, même si certains auteurs estiment que les juridictions en ont une interprétation trop extensive. Ainsi, la Cour confirme une position constante de la jurisprudence administrative. De ce point de vue, le cocontractant de l’administration bénéficie d’une « protection » : l’émission d’un titre de perception n’est ainsi pas possible tant qu’il n’y a pas un décompte général dûment notifié (CAA Bordeaux 13 octobre 2009, Syndicat marocain intercommunal pour la collecte et le traitement des ordures ménagères, n° 08BX01805) ou tant que le décompte général n’est pas définitif (CAA Bordeaux 4 octobre 2007, société les grands travaux du Bassin Aquitaine, req. nos 04BX01178; 04BX01179) . Une confirmation récente ressort d’un arrêt de la Cour Administrative d’appel de Nancy, selon lequel tant qu’il n’y a pas règlement définitif des comptes, via le processus d’établissement du décompte général, lequel est censé intégrer les pénalités, aucun titre de perception ne peut être émis pour recouvrer les seules pénalités (CAA Nancy, 26/04/2012, SAS Jean Lefevbre Alsace, req. 11NC01008).

Sur le plan pratique, il est donc conseillé au maitre d’ouvrage (en premier lieu à son maître d’œuvre), d’observer une grande rigueur lors de l’établissement du décompte général dès lors que, par l’arrêt ici commenté, la Cour vient confirmer une jurisprudence constante selon laquelle l’application de pénalités ne peut être isolée de l’établissement du décompte général, ce document devant en quelque sorte synthétiser in fine l’exécution financière du marché.

3 - Troisièmement, et en dernier lieu, par l’arrêt ici commenté, la Cour s’est attachée à vérifier le caractère justifié des pénalités de retard. À cette fin, sous le visa de l’article 20 du CCAG travaux, elle rappelle que le constat du retard par le maître d’œuvre est la condition essentielle pour déclencher l’application des pénalités de retard. Cette condition faisait défaut en l’espèce car les 44 jours de retard invoqués ne résultaient que d’une délibération prise par le conseil municipal de la commune constatant un retard pris par l’entreprise sur la première phase d’intervention. Plus encore, la Cour fait un examen particulier et précis des éléments de contexte lié au phasage d’exécution du marché pour vérifier l’imputabilité du retard à l’entreprise titulaire du marché. Elle a alors relevé que la prestation de charpente due par l’entreprise Bernard Sucheyre venant après le lot gros œuvre, le retard pris par ce dernier avait lui-même retardé l’exécution du lot charpente incombant à la requérante. En cela, au regard du phasage du marché résultant du calendrier d’exécution, non contredit par les comptes rendus de chantier, il n’était pas démontré que l’entreprise titulaire du marché aurait eu la possibilité d'effectuer sa mission, alors même que les travaux de gros œuvre n'étaient pas intégralement terminés. C’est dans ces conditions que considérant que le retard n’était pas imputable à la société requérante, les pénalités de retard n’étaient pas justifiées.

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