La Cour administrative d’appel de Lyon s’est déclarée incompétente pour connaître d’un contrat d’assurance dommages souscrit par la commune de Chambéry pour la réalisation d’une médiathèque. Le juge estime, d’une part, que ce contrat ne porte pas sur l’exécution de travaux publics, et, d’autre part, qu’il ne peut être qualifié de contrat administratif par détermination de la loi en application de l’article 2 de la loi MURCEF. Par conséquent, ce contrat est de droit privé et relève de la compétence de la juridiction judiciaire.
Si, comme disait Voltaire « un jugement trop prompt est bien souvent sans justice », ne peut-on pas en dire autant d’un jugement trop long ? C’est la question que soulève l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon le 25 septembre 2014, Compagnie AXA France. L’affaire commence en 1990 alors que la commune de Chambéry décide de faire construire une médiathèque. Deux ans après la réception de l’ouvrage, un sinistre survient : des infiltrations sont constatées dans les sous-sols. La commune sollicite alors la mise en œuvre de la garantie dommages ouvrage souscrite en 1991. En 1994, la compagnie AXA indemnise la commune à hauteur de 246 147, 49 euros. Sur le fondement de la subrogation, la société d’assurance tente une action récursoire à l’encontre des constructeurs à l’origine du sinistre afin d’obtenir le remboursement de la somme versée à son assuré. Après treize années d’une procédure qui s’éternise, le recours est finalement rejeté par la Cour administrative d’appel en 2007 (CAA Lyon, 13 décembre 2007, Compagnie Axa France) . La compagnie AXA intente alors une nouvelle action contre les constructeurs sur le fondement, d’une part, de l’enrichissement sans cause et, d’autre part, de la répétition de l’indu. Le Tribunal administratif de Grenoble rejette ses demandes en 2013. La société d’assurance interjette alors appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Lyon.
Or, dans l’arrêt rendu le 25 septembre 2014, la Cour se déclare incompétente. Elle affirme en effet que le contrat d’assurance dommages ouvrage liant la compagnie AXA et la commune de Chambéry n’est pas un contrat administratif, mais un contrat de droit privé relevant, par conséquent, de la compétence du juge judiciaire. Vingt-cinq ans après la construction de la médiathèque de Chambéry, l’affaire hante toujours les prétoires et semble loin du dénouement.
Dans cet arrêt, la Cour estime, d’une part, que le contrat d’assurance dommages n’est pas un contrat portant sur l’exécution de travaux publics. Le critère du travail public permet en effet, depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, de conclure au caractère administratif d’un contrat passé par une personne publique. Si le contrat passé entre la compagnie AXA et la commune de Chambéry ne portait pas directement sur la réalisation de la médiathèque, le Conseil d’Etat, en vertu du caractère « attractif » de la notion de travail public avait conclu au caractère administratif d’autres contrats présentant un lien avec l’opération à réaliser. Ainsi, un contrat de transport de matériaux destinés à l’exécution de l’opération de travaux avait pu être qualifié de contrat administratif (CE 9 février 1934, Mabille, Rec. p. 201). Le juge avait même étendu cette qualification au contrat d’assurance responsabilité obligatoirement souscrit par les entreprises réalisant l’ouvrage (CE 23 juin 1986, Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts, Rec. p. 169) . Mais la Cour administrative d’appel a décidé, dans cet arrêt, de limiter l’attractivité de la notion de travail public au contrat d’assurance dommages. Pourquoi ? L’arrêt est silencieux sur ce point. Pourtant, tout comme le contrat d’assurance responsabilité, le contrat d’assurance dommages ouvrage est directement lié à l’exécution des travaux, puisqu’il doit obligatoirement être souscrit par le bénéficiaire de l’opération (Code des assurances, art. L. 242-1) . Il aurait pu sembler logique de conférer à ce contrat un caractère administratif.
D’autre part, en vertu de l’article 2 de la loi MURCEF du 11 décembre 2001, les marchés passés en application du Code des marchés publics ont un caractère administratif. Or, le contrat d’assurance dommages ouvrage a été conclu en 1991, soit dix ans avant l’entrée en vigueur de la loi MURCEF. Dès lors, et en vertu du principe selon lequel la loi nouvelle ne s’applique pas au contrat en cours, la date à laquelle s’apprécie la nature juridique du contrat d’assurance est celle de sa conclusion (v. par exemple, TC 16 octobre 2006, Caisse centrale de réassurance c. Mutuelle des architectes français, RFDA, 2007, p. 284, concl. STAHL, note DELAUNAY). A l’époque, les contrats d’assurance dommages étaient des contrats de droit privé qui ne faisaient pas l’objet d’une procédure de mise en concurrence. Il était donc impossible de les qualifier de contrat administratif en vertu de la loi.
Enfin, le juge affirme que seul le juge judiciaire est compétent pour se prononcer sur les actions tendant au remboursement de sommes versées par un assureur dans la cadre de ses obligations de droit privé. La juridiction administrative semblait s’être débarrassée de cette encombrante affaire de médiathèque. Or, il n’en est rien puisque le juge administratif demeure compétent pour connaître des questions préjudicielles que le juge judicaire aurait à soulever pour apprécier la répartition et l’étendue des responsabilités entre les constructeurs concernant une opération de travaux publics (CE 12 février 1990, Époux Winterstein, Rec. p. 32 - Civ. 1re, 7 mars 1995, n° 92-21.988). Renvoyant la balle au juge judiciaire, c’est une nouvelle phase de l’affaire qui s’engage à présent et qui impliquera un travail de collaboration entre les deux ordres juridictionnels.
Cette affaire de médiathèque est riche d’un double enseignement. D’une part, bien que la juridiction administrative fasse preuve d’un effort certain depuis quelques années, la réduction des délais de jugement doit rester un combat permanent des présidents de chambres. D’autre part, il serait peut-être temps qu’à la dualité juridictionnelle succède un système plus souple permettant, dès le début des instances, de vider toutes les questions préjudicielles entre les ordres de juridiction pour permettre au justiciable d’avancer plus sereinement dans un univers juridictionnel modernisé.