Contestation de la légalité de l’autorisation d’exploitation d’un établissement classé pour la protection de l’environnement et autorité de la chose jugée

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Décision de justice

CAA Lyon, 3ème chambre – N° 12LY03140 – Association Puy-de-Dôme Nature Environnement et autres – 26 novembre 2013 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 12LY03140

Date de la décision : 26 novembre 2013

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

ICPE, Autorisation d'exploitation, Moyens inopérants, Autorité de la chose jugée

Rubriques

Urbanisme et environnement

Résumé

La Cour administrative d’appel rappelle que le juge, lorsqu'il est saisi d'une demande dirigée contre une décision autorisant l'ouverture d'un établissement classé pour la protection de l'environnement, doit faire application des dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date à laquelle il statue. En l'espèce, pour assurer l'exécution d'un jugement, le préfet devait accorder à une société souhaitant exploiter un pôle de traitement des déchets, une autorisation d'exploitation. Pour la Cour, eu égard à l'autorité de la chose jugée qui s'attache à cette injonction et aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire, le requérant, qui souhaite contester la légalité de cet arrêté d'autorisation, ne peut utilement invoquer devant le juge que les vices propres de l'arrêté.

Conclusions du rapporteur public

Cathy Schmerber

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.6132

Le traitement des déchets dans le Puy-de-Dôme a fait couler beaucoup d'encre et suscité nombre d'oppositions, qui ont donné lieu à contentieux. En 2006, la société Vernéa a déposé un dossier de demande d'autorisation d'exploiter une installation classée en vue de la construction puis de l'exploitation d'un pôle de traitement des déchets ménagers et assimilés, au lieu-dit Beaulieu à Clermont-Ferrand. Après instruction de cette demande, le préfet a transmis le 15 juin 2007 un projet d'arrêté autorisant l'exploitation, mais il a ensuite prolongé à trois reprises la période d'instruction, pour finalement décider d'opposer un refus à la demande, par arrêté préfectoral du 30 juillet 2008.

La Société Vernéa a contesté ce refus d'autorisation : après avoir vainement demandé la suspension de l'arrêté préfectoral, demande rejetée par ordonnance du juge des référés du 30 octobre 2008, elle en a obtenu l'annulation, par un jugement du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 5 mai 2009, devenu définitif. Par ce même jugement, le tribunal administratif a enjoint au préfet du Puy-de-Dôme d'accorder, dans un délai qui ne devait pas excéder deux mois à compter de la notification du jugement, l'autorisation sollicitée par la société Vernéa et de l'assortir, dans les conditions définies par les motifs du jugement, des prescriptions de nature à prévenir les dangers et inconvénients que peut présenter l'installation projetée. Quinze jours plus tard, par un arrêté du 20 mai 2009, le préfet du Puy-de-Dôme a accordé à l'exploitant l'autorisation sollicitée : c'est la décision en litige, prise avec une diligence exemplaire en exécution du jugement.

Dans l'instance ayant donné lieu au jugement du 5 mai 2009, la société Vernéa et le préfet n'étaient pas seuls, le Syndicat pour la valorisation et le traitement des déchets ménagers et assimilés du Puy-de-Dôme, le VALTOM, étant intervenu volontairement au soutien de la requête de l'exploitant. Aucune association, ni aucun opposant au projet n'est venu au soutien de l'administration et du maintien du refus d'autorisation ...

Lorsqu'est intervenu le nouvel arrêté préfectoral, accordant cette fois et sans doute de manière un peu imprévue compte tenu des délais que nous avons rappelés, une suite favorable à la demande de la société Vernéa, l'Association « Puy-de-Dôme Nature Environnement », l'organisation Europe Ecologie Les Verts Auvergne et l'association contre l'implantation d'un incinérateur à proximité de l'agglomération clermontoise ont contesté l'autorisation ; elles relèvent régulièrement appel du jugement en date du 30 octobre 2012, par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande d'annulation.

Les premiers juges ont écarté les fins de non-recevoir opposées à la requête, indiquant notamment que la circonstance que la décision litigieuse avait été prise sur injonction du tribunal n'était pas de nature à priver les requérantes « dans les conditions ci-dessous précisées » est-il mentionné, de la contester en saisissant la juridiction administrative d'un recours de plein contentieux. Ils ont ensuite considéré que les requérantes, « qui n'ont pas formé tierce opposition contre le jugement du 5 mai 2009, ne sont recevables à demander l'annulation de la décision prise par le préfet du Puy-de-Dôme qu'aux seuls motifs que les prescriptions qui y sont contenues ne respecteraient pas celles imposées par ledit jugement ou que l'autorisation aurait dû être refusée en raison d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait apparu depuis l'intervention dudit jugement » (fin de citation) . Les moyens invoqués ont ensuite été successivement écarté au regard du principe ainsi posé.

L'article R. 832-1 du code de justice administrative prévoit que « Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision ».

Pour relever appel du jugement, l'Association « Puy-de-Dôme Nature Environnement » et les autres requérantes font valoir tout d'abord que cet article R. 832-1 n'est pas applicable en l'espèce, dès lors qu'il n'est pas démontré qu'elles auraient pu former tierce opposition ; elles citent un arrêt de la CAA de Nancy, rendu dans une affaire comparable ...

Nous pensons que la question qui se pose n'est pas celle de la recevabilité d'une éventuelle tierce opposition ; il est seulement déterminant qu'une voie de recours soit ouverte et elle l'est, sans délai de recours - il revient aux requérantes de l'exercer, les juges alors saisis appréciant le mérite de l'action, pour ce qui concerne sa recevabilité puis, le cas échéant le fond.

Dans ce contentieux de pleine juridiction tout à fait particulier que constitue le contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement, les pouvoirs du juge lui permettent d'accorder une autorisation illégalement refusée (CE Section 15 décembre 1989 n° 70316 « Ministre de l'environnement c/ Société Spechinor », aux conclusions de M. de la Verpillière) . Par jugement du 5 mai 2009, le juge administratif a fait moins directement œuvre d'administrateur puisqu'il n'a pas délivré l'autorisation d'exploiter dont il a annulé le refus, mais enjoint au préfet de la délivrer, en fixant l'ensemble de prescriptions.

L'arrêté litigieux délivré pour exécuter cette injonction n'est pas lui-même insusceptible de recours, même si – nous y reviendrons – la portée de certains moyens se trouve considérablement amoindrie par cette situation juridique inhabituelle et, nous l'avons dit, la voie de la tierce opposition est ouverte – même si elle est étroite - contre le jugement du 5 mai 2009, notamment ou en particulier aux associations requérantes qui n'étaient pas partie à l'instance.

Dans ces conditions, vous écarterez l'argument tiré de l'atteinte portée aux droits à un procès équitable et à un recours effectif garantis par les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Si les associations requérantes font valoir que le jugement du 5 mai 2009 ne leur est pas opposable et si les parties engagent un débat sur l'étendue de l'autorité de chose jugée qui s'attache à ce jugement ainsi qu'à la recevabilité de l'action et des moyens invoqués par la requérante, nous pensons que – sur ces points également – la question est ailleurs. L'exception de chose jugée ne constitue pas en effet une fin de non-recevoir mais une question de fond, en vertu d'une jurisprudence ancienne (CE 9 mai 1928 « Ministre des régions libérées », p. 599 ou CE Section 6 décembre 1957 « Sieur M. » p. 659).

Vous constaterez en revanche que le jugement du 5 mai 2009 et, plus particulièrement l'injonction prononcée, s'imposait au préfet du Puy-de-Dôme qui se trouvait en situation de compétence liée non seulement pour accorder l'autorisation d'exploiter, mais pour l'accorder dans les conditions définies par le juge, c'est-à-dire avec les prescriptions telles qu'elles ont été arrêtées par celui-ci ; la seule marge d'appréciation dont disposait en effet le préfet était limitée aux conséquences à tirer d'un éventuel changement dans la situation de droit ou de fait, réserve d'ailleurs expressément formulée dans le jugement du 5 mai 2009.

Une injonction prononcée par une décision juridictionnelle devenue définitive s'impose à tous, y compris d'ailleurs au juge lui-même, la jurisprudence considérant que le juge de l'exécution ne peut sans commettre d'erreur de droit ni rectifier une injonction précédemment prononcée (CE 3 mai 2004 n° 250730 « M. ») , ni même la compléter (CE 29 juin 2011 n° 327080 et autres « SCI La Lauzière, SA Supa et Ville de Marseille ») .

Comme le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand dans le jugement attaqué du 30 octobre 2012, vous constaterez que, dans ces conditions, l'annulation de l'arrêté préfectoral litigieux du 20 mai 2009 ne peut être recherchée et, le cas échéant obtenue, qu'aux seuls motifs que les prescriptions qui y sont contenues ne respecteraient pas celles imposées par le jugement du 5 mai 2009 ou que l'autorisation aurait dû être refusée en raison d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait apparu depuis l'intervention de ce jugement. Le jugement du 30 octobre 2012 répond ensuite point par point aux moyens invoqués, un peu curieusement nous semble –t-il, précisément parce que les premiers juges se sont ainsi écartés du principe qu'ils ont posé pour statuer au-delà des seuls arguments relevant d'un changement éventuel dans les circonstances de droit ou de fait, ou des moyens tirés de ce que le préfet du Puy-de-Dôme aurait méconnu le jugement du 5 mai 2009 ...

L'Association « Puy-de-Dôme Nature Environnement » et les autres requérantes soutiennent que tel serait précisément le cas ...

Toutefois, elles n'invoquent aucun changement qui serait intervenu entre le 5 mai 2009, date du jugement prononçant l'injonction, et le 20 mai 2009, date de l'arrêté préfectoral d'autorisation d'exploiter. Les changements invocables restent en effet limités à ceux s'inscrivant dans cette période, très courte, ce qui réduit évidemment le champ de la contestation.

Ainsi, lorsqu'au titre de la légalité externe, les requérantes font valoir les changements intervenus en particulier du point de vue de la démographie de la zone concernée entre le 4 juillet 2002, date d'approbation du plan départemental d'élimination des déchets et 2009, leur argumentation est inopérante, dès lors qu'elle excède largement la période de 15 jours du mois de mai 2009 séparant le premier jugement de l'arrêté préfectoral litigieux. Le jugement du 5 mai 2009 devenu définitif a figé la situation, cristallisé les évènements, notamment d'ailleurs ceux relatifs au déroulement de la procédure d'instruction de la demande d'autorisation (voir sur ce point précis les conclusions de M. de la Verpillière sur la décision précitée de 1989 « Société Spechinor »). Si les juges, par le jugement du 5 mai 2009, plutôt que d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme de réexaminer la demande d'autorisation d'exploiter, ont décidé de lui enjoindre de délivrer cette autorisation sans même procéder à aucune mesure d'instruction, alors qu'ils avaient le pouvoir de le faire, c'est qu'ils ont estimé que la procédure avait été régulièrement menée et que tous les éléments étaient réunis pour leur permettre de se prononcer sur le fond ; cette appréciation ne peut être contestée dans le cadre du présent recours.

En réalité vous constaterez, alors que les requérantes ne soutiennent à aucun moment que les prescriptions telles qu'elles résultent du jugement du 5 mai 2009 n'auraient pas été respectées par l'arrêté préfectoral du 20 mai 2009 pris en exécution de ce jugement, qu'elles contestent en elle-même l'autorisation d'exploiter en faisant totalement abstraction du jugement du 5 mai 2009 et de ses effets que nous avons rappelés. Ce jugement tient compte du surdimensionnement du projet par rapport aux quantités de déchets à traiter et impose au préfet d'accorder l'autorisation d'exploiter en l'assortissant de prescriptions spécifiques. Si les requérantes évoquent une modification dans la nature des déchets, elles ne développent pas précisément leur argumentation.

Si, juge de plein contentieux, vous devez vous-même statuer au regard de la situation de droit ou de fait existante à la date de votre arrêt, vous constaterez que, comme le font valoir les requérantes, l'arrêté du 20 mai 2010 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme a prorogé les effets de la déclaration d'utilité publique prononcée par décret en Conseil d'Etat le 23 mai 2005 concernant la réalisation d'un pôle de traitement de déchets ménagers sur le site de Beaulieu a été annulé par un arrêt de votre Cour rendu le 16 février 2012 (N° 11LY00899) . Toutefois, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 20 mai 2009, intervenu dans le délai de validité de 5 ans de la DUP.

Si vous nous suivez, vous écarterez l'ensemble des moyens invoqués, la plupart au motif qu'ils sont inopérants.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

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