Pouvoir de l’administration en matière de rectification et contrôle du juge de l’impôt

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Décision de justice

CAA Lyon, 5ème chambre – N° 12LY02321 – 07 novembre 2013 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 12LY02321

Numéro Légifrance : CETATEXT000028183608

Date de la décision : 07 novembre 2013

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

L.64 livre des procédures fiscales, Rectification, Avis défavorable, Comité consultatif, Abus de droit, Contrôle du juge, Plus-value, Cessions d'actions, Donations fictives

Rubriques

Fiscalité

Résumé

Il résulte des dispositions de l'article L64 du livre des procédures fiscales que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable lorsque ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

En outre, si le comité consultatif pour la répression des abus de droit, saisi par l'administration fiscale, a émis un avis défavorable à la mise en œuvre de ces dispositions, il appartient alors à l'administration, qui ne s'est pas conformée à cet avis, d'apporter la preuve du bien-fondé de la rectification devant le juge de l'impôt. Il a été considéré qu'en l'espèce l'administration apportait la preuve de l'existence d'un abus de droit.

Conclusions du rapporteur public

Virginie Chevalier-Aubert

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6127

1. Mme B. a fait l’objet d’un contrôle sur pièces, à l’issue duquel l’administration lui a notifié des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l’année 2003, après avoir mise en œuvre la procédure de répression des abus de droit.

Mme B. a fait donation à ses enfants de la nue-propriété de 375 actions de la société R. qu’elle détenait, pour une valeur globale de 915 307 euros.

Ces actions ont fait rapidement l’objet d’une cession et il a été prévu par une convention que Mme B. conserve le quasi-usufruit de l'intégralité du prix de cette cession jusqu’à son décès.

A l’issue du contrôle sur pièces, l'administration a notamment considéré que la succession d’actes conduisant à ce que Mme B. s’approprie la totalité du produit de la vente des titres qu’elle détenait de la société R. n’était pas opposable à l’administration, et que ces opérations visaient en réalité à éluder partiellement l’impôt sur la plus-value de cession de ces actions. Mme B. a alors été soumise à l’imposition dans les conditions prévues aux articles 150-O-A et suivants du code général des impôts, sur la totalité du prix de cession de ses titres.

Après mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit et avis défavorable émis le 9 juin 2008 par le comité consultatif pour la répression des abus de droit, le montant de ses cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie a été rehaussé.

Mme B. relève appel du jugement du Tribunal administratif de Lyon qui a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu pour l’année 2003.

2. Sur la recevabilité des conclusions nouvelles en appel :

Vous devrez tout d’abord vous prononcer sur la recevabilité des conclusions d’appel tendant à la décharge des cotisations supplémentaires de contributions sociales.

Vous avez en effet communiqué aux parties le moyen d’ordre public tiré de l’irrecevabilité de ces conclusions nouvelles en appel.

Mme B., en réponse au moyen d’ordre public, soutient qu’elle a toujours entendu contester l’ensemble des impositions, que sa réclamation du 11 août 2009 visait la décharge des deux impositions et que la recevabilité des conclusions d’appel s’apprécie par rapport à cette réclamation.

Contrairement à ce que soutient la requérante, la recevabilité des conclusions d’appel ne s’apprécie pas au regard de la seule réclamation.

La règle du double degré de juridiction vous impose de ne statuer que sur des conclusions qui ont déjà été soumises au juge de première instance, sauf si vous reconnaissiez une omission à statuer des premiers juges sur certaines conclusions.

Si le Tribunal administratif ne peut statuer que sur des impositions visées dans la réclamation préalable, ce sont en définitive les conclusions présentées par la requérante dans sa requête qui déterminent l'objet de la demande.

Dans sa requête devant le Tribunal administratif, Mme B. ne visait que « la décharge intégrale de l’imposition contestée », sans indiquer la nature exacte des impositions contestées, et en visant expressément et précisément l’avis d’imposition d’avril 2009 relatif à l’impôt sur le revenu. Les premiers juges n’ont alors visé et examiné que la demande en décharge des cotisations à l’impôt sur le revenu.

Nous pourrions hésiter dans la mesure où, même s’il s’agit d’impositions distinctes, les contributions sociales ont la même assiette que l’impôt sur le revenu et que rarement des moyens spécifiques à ces contributions sont développés dans les écritures d’un requérant.

Mme B. avait certainement l'intention de contester ces deux impositions.

Le Conseil d’Etat indique que le juge peut tenir compte des erreurs du demandeur dans le chiffrage des conclusions et de l’intention des requérants (voir en ce sens par exemple CE 4 mai 1988 n° 64349, 7e et 8e s.-s. : RJF 6/88 n° 730. CE 10 novembre 2010 n° 314046, 3e et 8e s.-s., min. c/ Sté Gaillard : RJF 2/11 n° 144) .

Il nous semble cependant en l’espèce, que nous ne pouvons pas considérer que le Tribunal administratif s’est mépris sur l’objet de la demande dès lors que ne sont visés ni la demande de décharge des contributions sociales ni l’avis d’imposition correspondant, alors qu’il est expressément fait référence à celui de l’impôt sur le revenu.

Vous pourrez donc considérer que les conclusions sur les contributions sociales, sur lesquelles le Tribunal administratif n’a pas statué, sont nouvelles en appel et sont par suite irrecevables.

3. Sur le bien-fondé du surplus des impositions litigieuses :

Les services fiscaux ont mis en œuvre la procédure d’abus de droit prévue par l’article L.64 du Livre des procédures fiscales.

a) L’abus de droit

Les dispositions légales relatives à l'abus de droit :

En application de l’article L.64 du Livre des procédures fiscales, ne peuvent être opposés à l’administration des impôts, les actes qui dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une convention.

L’administration est en droit, alors, de restituer son véritable caractère à l’opération.

En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur ce fondement, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement.

C’est le cas en l’espèce, puisque le comité consultatif, dans son avis du 25 juin 2008, présidé par M. Bachelier, a notamment estimé que les dons manuels des titres ayant reçu leur plein effet, l’administration n’était pas fondée à mettre en œuvre les dispositions de l’article L.64 du Livre des procédures fiscales.

Sur la définition jurisprudentielle de l’abus de droit en l’espèce :

Mme Escaut, rapporteur public devant le Conseil d’Etat, dans ses conclusions sur l’affaire M.et Mme Motte-Sauvaige (CE 30 décembre 2011 n° 330940 8e et 3e s.­s., Motte-Sauvaige : RJF 3/12 n° 0278.) , rappelait que la jurisprudence opère la distinction entre deux abus de droit :

- l’abus de droit par simulation, qui repose sur un acte fictif

- et l’abus de droit par fraude à la loi, qui se fonde sur des actes non fictifs mais qui n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait dû normalement supporter.

Le Conseil d'Etat, dans cette décision, estime que dans l'hypothèse d'une donation-cession de titres purgeant une plus-value en report d'imposition, seul l'abus de droit par simulation pourrait être constaté pour fictivité de la donation, sans qu'il soit besoin de rechercher dès lors que l’acte de donation n’est pas fictif, si l'opération de donation suivie de la cession des titres présente dans son ensemble un but exclusivement fiscal.

Le raisonnement du Conseil d’Etat dans l’affaire Motte-Sauvaige est, selon nous, transposable pour une plus-value fondée sur l’article 150-O A du code général des impôts.

En revanche, nous ne sommes pas en présence, comme dans cette affaire, d’un acte de donation-partage notarié, mais dans le cadre d’un don manuel où la tradition réelle de la chose donnée emporte seule reconnaissance de la donation.

Il nous faut donc nous interroger sur le point de savoir si la donation a été fictive.

b) « L’acte fictif »

Pour tenter de définir ce qu’est un acte fictif, il faut se référer à la notion de simulation en droit civil.

L’acte fictif c’est l’acte qui dissimule une autre réalité.

Les parties créent l’apparence d’un lien de droit qui ne correspond pas à la réalité. Il y a alors décalage entre l’apparence et la réalité.

M. Bernard Poullain dans un article publié dans la Revue des sociétés (2002 page 479 « L’abus de droit en fiscalité ») indiquait, nous le citons : « Pour faire écarter l’application d’actes simulés, il faut et il suffit que les tiers puissent établir qu’ils n’ont pas de réalité autre que celles que leur confèrent les apparences d’une conclusion régulière ».

La simulation peut résulter soit d’un acte unique, soit d’une pluralité d’actes, comme l’indique M. Poullain.

Cet élément est important, vous pourrez analyser tous les actes en lien avec la donation.

D’autant plus qu’en l’absence d’acte de donation notarié, la tradition matérielle constitue, non pas comme dans le cadre d’une donation par acte authentique, l’exécution de la donation, mais la donation elle-même.

Il nous faut donc retracer le cheminement quelque peu complexe de la donation dont se prévaut Mme B. pour apprécier les éléments matériels et les éléments intentionnels de cette dernière.

c) les éléments matériels de la donation

Mme B. fait valoir qu’elle a effectué un don manuel et que contrairement à ce que soutient l’administration, le consentement des donataires pouvait être tacite.

Elle produit cependant deux actes du 28 mars 2003 (enregistrés le 19 juin 2003), par lesquels elle déclare faire donation à ses deux fils de la nue-propriété des 375 actions qu’elle détenait de la société Rhodanienne d’alimentation.

Sur les donations entre vifs, le code civil, dans son l’article 894, dispose que :

« La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte. ».

Aux termes de l’article 931 du même code « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité ».

Il est vrai cependant que la jurisprudence admet la validité des dons manuels, ces donations dites « atypiques » réalisées par la simple remise du bien, sans acte passé devant notaire, à charge cependant aux donateurs et donataires d’établir les éléments matériels du don et les éléments intentionnels.

M. Patarin, professeur de l’université de Nice-Sophia-Antipolis déclarait à ce propos (Revue trimestrielle de droit civil.1998 P.439) que la donation manuelle est affranchie de la nécessité d’un acte passé devant notaire, qui n’est imposé à peine de nullité, qu’aux actes portant expressément donation entre vifs.

Nous avons quelques doutes sur la qualification à donner à la donation.

Il y a bien eu des actes de donation le 28 mars 2003 qui   pourraient être regardés comme des actes portant expressément donation entre vifs, sous une forme contractuelle. Il est prévu en effet dans ces actes que Mme B. conservait l’usufruit des actions et surtout que les donataires sont soumis à l’obligation de vendre les titres à la première réquisition.

Il ne nous semble pas que nous sommes dans l’hypothèse d’un simple « don manuel », dès lors que des clauses encadrent la donation. Il faut à tout le moins considérer que les actes du 28 mars 2003 sont des pactes adjoints.

Même si nous savons que l'acceptation tacite du don par les donataires peut être regardée comme valide dans le cadre d’un don manuel (voir par exemple CAA de Lyon du 12 avril 2012  n° 10LY00946 et 10LY00947 ), cela nous semble moins évident quand il s’agit d’un donataire mineur (l’un des enfants est mineur en l’espèce), qui doit être juridiquement protégé et que les pactes adjoints comportent des clauses obligeant les donataires.

Cependant, en l’absence de contestation des donataires du don et parce-que les actes suivants ont été signés par eux ou leurs représentants, vous pouvez admettre en l’espèce que le consentement a été tacite.

- Le ministre conteste aussi la validité des documents attestant du transfert des actions.

En appel, sur ce transfert la requérante produit des pièces nouvelles, notamment les ordres de mouvements pour ses fils, leur compte individuel d’actionnaire et le sien au sein de la société Rhodanienne.

Ces pièces, contrairement à ce que soutient le ministre, sont datées et signées : vous pourrez le cas échéant accepter de les prendre en considération.

Cependant le seul transfert des titres, après donation et avant leur revente, ne suffit à établir les éléments intentionnels du don.

Même si vous considérez que les donataires n’avaient pas à donner leur acceptation expresse et qu’il y a eu transfert des actions, vous devrez examiner de toute façon si, conformément à l’article 894 du code civil, Mme B. s’est dépouillée actuellement et irrévocablement de la chose donnée à ses enfants.

d) Les éléments intentionnels du don manuel

La « tradition » (c’est-à-dire la remise effective de la chose au gratifié) constitue pour les dons manuels la donation elle-même. Elle est une condition de validité de la libéralité, au même titre que l'intention libérale du donateur et l'acceptation du donataire.

Nous sommes en présence d’une donation qui a été suivie à brève échéance d’une vente de la chose donnée.

Il était déjà prévu dans les actes de donation au paragraphe II.3 une obligation pour les donataires de céder les titres reçus en nue-propriété en pleine propriété, à la première demande du donateur et dans un délai maximal de deux ans.

Ces actes disposaient aussi que les fonds en provenance de la cession devront obligatoirement être employés à la souscription ou à l’acquisition de titres eux-mêmes, démembrés de manière à permettre à l’usufruitier de percevoir les fruits des titres souscrits.

Par acte daté du 31 août 2003, les   deux fils de la requérante ont cédé l’ensemble de leurs parts à la société. dont leur père et époux de Mme B. est président directeur général. Mme B. cédant pour sa part l’usufruit de ces titres.

Mme B. fait valoir, comme l’avait retenu le comité de répression des abus de droit, que c’est dans le cadre de son divorce prononcé le 31 août 2003, que la cession a eu lieu. Vous noterez cependant qu’il ressort des pièces du dossier que la demande en divorce n’a été introduite qu’en juin 2004 et le divorce prononcé en décembre de la même année.

Quoi qu’il en soit, l’administration soutient sans être contredite que Mme B. a perçu directement en vendant les titres, au cours du mois de septembre 2003 et avant la signature de la convention de quasi-usufruit du 29 septembre 2003, une somme représentant près de 48 % de la vente totale, alors qu’elle n’aurait pu percevoir en sa qualité d’usufruitière que 40 %, et qu’une clause de réemploi était encore en vigueur. Il est constant que les enfants n'ont rien perçu du prix de cession.

L’administration soutient que Mme B. s’est réappropriée ce qu’elle avait donné.

Après la donation-cession, enfin, dernier acte de l’opération, une convention de quasi-usufruit est conclue.

C'est là il nous semble toute la particularité de cette donation.

-Par acte daté du 29 septembre 2003, les enfants de Mme B., dont l’un est mineur mais représenté par ses parents M.et Mme B., ont convenu de convertir l’usufruit des actions de la société R. ou de leur prix de cession en quasi-usufruit, tel que défini à l’article 587 du code civil.

Aux termes de cette convention :

Mme B. conserve la jouissance de l’intégralité des actions ou de leur prix de cession en cas de vente ultérieurement. Elle pourra librement en disposer sans jamais avoir à requérir l’autorisation de ses enfants. -  Elle n’est tenue d’une obligation de restitution qu’à son décès.

Le Code civil ne définit pas le terme de quasi-usufruit (dénommé parfois « super usufruit »), il prévoit seulement un usufruit spécial (article 587 du code civil) lorsque le droit d’usufruit s’exerce sur des biens consomptibles (biens dont on ne peut faire usage sans les consommer, tel que l’argent, les grains ou les vins). La doctrine et la jurisprudence admettent parfois qu’un quasi-usufruit puisse grever des biens consomptibles.

Il peut se définir comme un démembrement de propriété qui confère au quasi-usufruitier l’entière disposition des biens, comme s’il en était propriétaire, à charge pour lui de rendre au nu-propriétaire, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et même qualité, soit l’équivalent en valeur.

En l'espèce, les clauses de la convention de quasi-usufruit signée après la vente des actions nous semblent surprenantes puisque le quasi-usufruit porte sur des actions qui ont été déjà vendues à la date de signature.

La convention fait référence à une hypothétique vente ultérieure pour indiquer que le quasi-usufruit pourra porte sur le prix de cession alors que la vente a eu lieu moins d’un mois avant.

L’acte de cession du 31 août 2003 n’est même pas mentionné.

Les enfants de Mme B. renoncent à l’usufruit mais aussi, de facto, à la clause de réemploi qui était prévue dans l’acte de donation et qui protégeait leurs droits de nus-propriétaires.

Mme B. fait valoir qu’elle est tenue envers les donataires d’une obligation de restitution à son décès.

Le comité a estimé que la convention de quasi-usufruit a modifié la nature des droits des donataires titulaires d’un droit de créance en restitution, et non plus d’un droit réel, mais pas induit une réappropriation des « sommes données, même en l’absence de caution ».

Dans le cas d’un simple usufruit, le nu-propriétaire devient dès le décès de l’usufruitier, propriétaire du bien en vertu de la donation.

Dans le cas du quasi-usufruit, le « donataire » n’a qu’une créance.

Dans notre cas cela pourrait être considéré comme une donation « d’un bien à venir », à prélever sur la succession future de l’usufruitier, sur laquelle les donataires sont aussi et de toute façon héritiers.

Comme l’indique M.Boitelle dans ses réflexions sur la donation entre vifs (Semaine Juridique Notariale et Immobilière N° 50 13 décembre 1996, page 1761) le quasi-usufruitier, titulaire de l’abusus, droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, dispose alors des prérogatives du propriétaire.

Le Conseil d'Etat, dans l’affaire précitée Motte-Sauvaige, estimait qu'il y avait eu dépouillement des donateurs dès lors que les titres avaient bien été transférés de leur patrimoine à celui de leurs enfants, et que ce dépouillement est irrévocable dès lors qu'ils ne se sont pas réappropriés le produit tiré de la cession des titres. Nous ne sommes pas dans la même hypothèse.

Par ailleurs il a été jugé par le Conseil d’Etat qu’en cas de report de l’usufruit sur le prix de cession, l'usufruitier est imposé, comme seul bénéficiaire de l’enrichissement résultant de la cession (CE, 8 novembre 1967, Ministre c/ Consorts D, p. 416 ; CE, 30 décembre 2009, N° 307165., RJF 3/10 n° 226, concl. J. Burguburu BDCF 3/10 n° 31)

Le Conseil d’Etat a aussi jugé qu' une cour administrative d'appel ne commet pas d'erreur de droit en jugeant que l'usufruitier de parts sociales cédées était le redevable de l'intégralité de l'imposition assise sur la plus-value, dès lors que les conventions de donation-partage d’une part prévoyaient, en cas de cession des parts, le report du droit d'usufruit sur le prix de cession, et d’autre part autorisaient, à titre de condition essentielle et déterminante, l'usufruitier des parts sociales ayant fait l'objet des donations à aliéner ces parts et, enfin, interdisaient au contraire au donataire de les aliéner ou de les nantir sous peine de nullité des aliénations ou nantissements.

N’y fait pas obstacle la circonstance que ces conventions prévoyaient par ailleurs que dans l'hypothèse d'un remploi du prix de cession, le démembrement initial du prix de cession serait reporté sur le remploi. (CE 12 décembre 2012 n° 336273 et 336303, 9e et 10e s.-s.)

Dans cette affaire Mme Legras, rapporteur public, indiquait dans ses conclusions « Nous pensons que les restrictions apportées au droit d’aliéner du donataire, combinées avec le droit d’aliénation conféré au donateur et à la clause de report de l’usufruit sur le prix de vente, permettaient de juger que les donateurs étaient en réalité demeurés propriétaires ».

En ce qui concerne notre affaire, nous pensons également que Mme B. est aussi demeurée propriétaire des biens qu’elle a déclarés comme donnés à ses enfants.

Mme B. a les pouvoirs attachés à la propriété et même, selon nous la richesse représentative du bien. Elle indique elle-même que, dans le cadre de son divorce, elle avait besoin de liquidités.

Le ministre établit, selon nous, que Mme B. ne peut être regardée comme s’étant actuellement dépouillée de la chose donnée en application de l’article 894 du code civil.

Les donataires n’ont qu’un droit de créance dont l’exigibilité est retardée jusqu’au décès de leur mère. De son vivant, Mme B. ne s’est pas dépouillée d’une quelconque somme d’argent ou de droits sur la libre disposition de cette somme.

Elle demeure libre, en dépensant à sa guise le prix de cession des actions, ou en contractant des dettes, de diminuer l'émolument des donataires.

A son décès, en tout état de cause, ses biens (ce qu’il en restera), reviendront à ses enfants.

Ces derniers ne se sont pas actuellement enrichis à la date du don, ni des actions ni du prix de cession de ces actions, mais un simple droit de créance sur une succession sur laquelle ils ont en tout état de cause des droits en tant qu’héritiers. En cette qualité, ils percevront aussi le prix de cession des actions ou ce qu’il en restera après que Mme B. en ait librement disposé.

Nous ne pensons pas non plus que la donation était irrévocable, condition prévue par l’article 894 précité pour établir l’existence de la tradition réelle, c'est-à-dire le don manuel.

Mme B. a invoqué une donation d’actions mais elle n’a donné concrètement à ses enfants qu’une créance en restitution, qui trouve son origine dans la donation d’actions qu’elle a retenue, contrairement à l’adage « donner et retenir ne vaut ».

Mme B. fait valoir que le quasi-usufruitier est sous surveillance.

Or Mme B., selon les termes mêmes de la convention, elle pourra librement disposer des actions (en réalité à la date de signature de la convention du prix de cession des actions) sans jamais avoir à requérir l’autorisation de ses enfants.

La convention ne prévoit aucune clause sur l’irrévocabilité des droits des donataires. Il n'y a pas de sûreté et pas de clause sur l’information des donataires, sur l’état de la créance, la gestion de la somme ou les intérêts.

Pas de protection conventionnelle donc et pas non plus de protection légale, selon nous.

En effet, il n’y a pas de dispositions spécifiques du code civil pour protéger les donataires dans le cas d’un quasi-usufruit. Celles pour le simple usufruit nous semblent peu adaptées.

La procédure de déchéance du droit de l'usufruitier en cas d'abus de jouissance (prévu à l'article 618 du code civil) paraît en l'espèce très difficile voire impossible à mettre en œuvre, dès lors que la libre disposition des sommes en liquide est totale jusqu’au décès de Mme B..

L'administration démontre donc selon nous qu'il n'y a pas eu tradition réelle, c'est à dire remise effective de la chose, mais tradition feinte, c'est à dire la remise fictive de la chose qui a été reprise à court terme.

L’administration établit l’abus de droit en démontrant que la donation alléguée de Mme B. à ses enfants était fictive. Il y a eu au sens de M.Poullain, précédemment cité un cas de  «  Dissimulation de la situation ou de l’acte véritable derrière un ou plusieurs autres, un acte fictif créant une apparence trompeuse".

Mme B. n’a pas réellement donné ni ses actions à ses enfants ni la valeur de leur prix de cession ; elle les a vendues en minorant la plus-value de cession et a disposé, avec la plus grande liberté, des liquidités correspondantes.

Tout au plus a-t-elle a consenti une créance à ses enfants à valoir sur sa succession, ce n’est pas ce qui a été donné en apparence.

Enfin, l’instruction du 13 juin 2001 5C-1-01 qui ne comporte aucune interprétation différente de la loi fiscale doit être écartée.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

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