Une sanction financière infligée à un établissement de santé est jugée proportionnée aux manquements de cet hôpital aux règles de facturation, alors même que ceux-ci ont été identifiés en extrapolant les résultats d’un contrôle portant sur un simple échantillon tiré au sort, dès lors que ce dernier est représentatif de l’activité de l’établissement.
Le système de financement des établissements de santé a été refondu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004. Celle-ci prévoit un « système mixte reposant [notamment] sur une facturation à l’activité » (dite « T2A » ; en ce qui concerne la description du mode de financement des établissements de santé, V. not. M.-L MOQUET-ANGER, Droit hospitalier, LGDJ, 2e éd., p. 299 et s.). La mise en place de ce système de tarification s’est accompagnée d’un dispositif de sanction financière (art. L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale (CSS) dans sa version alors applicable) en cas, notamment, de manquement aux règles de facturation.
En l’espèce, l’Agence régionale de l’hospitalisation de Rhône-Alpes (ARH) a effectué un contrôle portant sur la tarification à l’activité d’un hôpital lyonnais. Cette vérification portait sur deux groupes homogènes de séjour (GHS, arrêté du 25 fév. 2008) ainsi que sur les forfaits d’accueil et traitement des urgences (ATU D. 162-5 al. 2 du code de la sécurité sociale) . Pour procéder à ce contrôle, l’ARH a procédé à un échantillonnage par tirage au sort des dossiers de chacun des deux GHS et sur l’ATU, en application des dispositions de l’article R. 162-42-10 du code de la sécurité sociale. Après extrapolation des résultats donnés par l’examen sur échantillon, l’ARH a constaté des manquements aux règles de facturation, et ce sur chacun des échantillons. Dès lors, sa commission exécutive a, par délibération du 9 décembre 2009, sanctionné l’hôpital à hauteur de 53 940, 25 euros en application de l’article L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale.
L’établissement de santé lyonnais a par conséquent introduit une requête tendant à l’annulation de cette sanction. Par un jugement du 7 mai 2012, le Tribunal administratif de Lyon (n° 1000964) a fait droit à cette demande en estimant que la méthode du tirage au sort pour déterminer l’échantillon contrôlé ne permettait pas de garantir la représentativité de cet échantillon par rapport à l’activité de l’hôpital lyonnais, et, par conséquent, a méconnu le principe de proportionnalité des sanctions aux manquements reprochés. Le ministre des affaires sociales et de la santé a alors interjeté appel en demandant l’annulation de ce jugement.
La Cour administrative d’appel de Lyon devait déterminer si la proportionnalité d’une sanction par rapport aux irrégularités de facturation est assurée si cet indu est défini en extrapolant à partir d’un échantillon identifié par tirage au sort. Ce qui revenait à se demander si cet échantillon retenu par tirage au sort était représentatif de l’activité de l’établissement contrôlé. Reprenant les positions des Tribunaux administratifs de Bordeaux (9 octobre 2012, n° 1001930) et de Poitiers (22 novembre 2012, n° 1101894), la cour lyonnaise juge que la sanction est proportionnée aux manquements contrôlés.
Pour que la sanction soit proportionnée aux manquements de l’hôpital, ceux-ci doivent être déterminés en s’appuyant sur un une base représentative de l’activité de l’établissement (2-), ce qui est envisageable même si l’assiette a été déterminée de manière aléatoire (1-).
1 La détermination aléatoire de l’assiette du contrôle sur la tarification
L’ARH Rhône-Alpes a déterminé les manquements de l’établissement de santé en établissant des échantillons de certaines activités (A.), ceux-ci étant délimités par tirage au sort (B.).
A La possibilité pour l’ARH de recourir à la méthode de l’échantillonnage
L’article L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale prévoit que les établissements de santé peuvent notamment faire l’objet de sanction financière en cas « de manquement aux règles de facturation » constaté après un contrôle. Si cet article évoque seulement un « contrôle réalisé sur pièces et sur place », l’article R. 162-42-10 du même code précise que ce contrôle peut être opéré sur la base d’un échantillon tiré au sort.
Ainsi l’ARH disposait d’une alternative : effectuer un contrôle complet (ce qui revenait à analyser tous les dossiers traités par l’hôpital) sur toute ou partie des activités de l’hôpital lyonnais, ou bien déterminer un échantillon. Compte tenu du nombre important des dossiers de patients traités par les hôpitaux, l’ARH a logiquement circonscrit le champ du contrôle : d’abord en le limitant seulement à des parties (R. 162-42-10) de l’activité de l’établissement vérifié (ici deux GHS et l’ATU), puis en ayant recours à l’échantillonnage des dossiers pour chacune de ces tranches d’activité.
Si la cour a validé le recours à cette méthode, le Tribunal administratif de Lyon avait déjà adopté la même position dans son jugement attaqué.
Une fois l’échantillon de l’activité de l’hôpital lyonnais contrôlé, l’ARH a extrapolé ces résultats à l’ensemble de l’activité examinée pour en tirer les conséquences au niveau de la détermination de la sanction financière. L’utilisation de cette méthode de l’échantillonnage et de l’extrapolation a déjà été validée par le Conseil d’Etat (V. par ex. 18 février 2009, Société Colas, n° 306511).
Néanmoins, comme le fait remarquer A. LALLET (concl. inédites sur C.E, 19 juin 2013, Féd. de l’Hospitalisation privée, médecine, chirurgie, obstétrique, n° 357885) « l’extrapolation après échantillonnage est une méthode statistique qui peut tout à fait aboutir à exagérer la réalité des facturations indues ». Mais ici, le seul objectif de l’ARH était d’appréhender le comportement de l’hôpital lyonnais, et ensuite d’établir une sanction relativement (et non parfaitement) proportionnée au nombre de surfacturations de l’établissement de santé.
B Le tirage au sort, un mode de sélection aléatoire de l’échantillon de l’activité contrôlée
Par le tirage au sort, « on s’en remet au jeu d’une force inconnue » (P. SEGUR, « La désignation des gouvernants par tirage au sort », RFDC 2013/3 n° 95). Ce mode de sélection subsiste dans divers pans de notre droit (V. par ex. la désignation des jurés d’assise : art. 261 et 263 du code de procédure pénale).
L’article L. 162-42-10 du code de la sécurité sociale prévoit que le contrôle peut être réalisé sur la base d’un échantillon tiré au sort. Ce principe résulte d’un décret du 16 mars 2006 modifié par la suite par un décret du 31 mars 2010, puis par un autre en date du 29 septembre 2011. Appréciant la légalité de ce dernier texte, le Conseil d’Etat a notamment jugé que l’échantillon tiré au sort « doit être suffisamment représentatif de l’activité contrôlée, au regard notamment du nombre d’actes contrôlés », et que la « possibilité de tirer au sort les actes contrôlés ne fait pas, par elle-même, obstacle à cette représentativité » (arrêt du 19 juin 2013 préc.).
Ainsi, comme le souligne le Conseil d’Etat, c’est la représentativité de l’échantillon qui déterminera si la sanction est proportionnée ou non aux manquements.
La cour lyonnaise estime que ce système de tirage au sort n’est pas, par lui-même, un obstacle à la représentativité de l’échantillon. A contrario, le jugement du Tribunal administratif de Lyon avait estimé que « le tirage au sort n’est pas de nature à garantir la représentativité de l’échantillon ».
2 La représentativité de l’assiette du contrôle, condition de la proportionnalité de la sanction
La cour estime qu’il est possible de contrôler seulement un échantillon déterminé par tirage au sort, à condition qu’il soit représentatif de l’activité de cet établissement (A.). La proportionnalité de la sanction aux manquements sera alors assurée (B.).
A La représentativité de l’échantillon contrôlé, une condition essentielle de la proportionnalité de la sanction administrative aux manquements reprochés
Un échantillon déterminé par le hasard peut-il être considéré comme présentant des gages suffisants de représentativité pour justifier une sanction ? Pour A. LALLET (Concl. préc.), le tirage au sort n’est pas « antinomique » de cette représentativité. La cour précise également que de telles modalités de contrôle ne sont pas de nature à faire obstacle à la représentativité de l’échantillon.
Pour apprécier cette représentativité, il s’agit d’apprécier la proportion des dossiers contrôlés par rapport au nombre total de dossiers de l’activité concernée (cet indice de représentativité est rappelé par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 19 juin 2013 préc.). C’était en l’espèce le cas, même si en ce qui concerne l’ATU le prélèvement opéré par l’ARH ne constituait qu’1% des dossiers de cette activité (ce qui posait tout de même la question de la représentativité de cet échantillon).
Malgré ces éventuelles critiques, la cour considère ces échantillons comme suffisamment représentatifs, et ce pour deux motifs. Tout d’abord parce que l’hôpital contrôlé n’a produit aucun élément permettant de faire douter de la représentativité des échantillons au regard des autres dossiers non contrôlés, alors que la charge de la preuve pesait sur lui (V. not. l’arrêt préc. du 19 juin 2013, ou C.A.A Douai, 13 juin 2013, Centre hospitalier de Dieppe, n° 12DA01610) . Ensuite, le juge administratif, donnant un nouvel exemple d’utilisation de la littérature grise dans la motivation de ses décisions, a précisé que les méthodes utilisées lors du contrôle permettant de déterminer un échantillon représentatif ont été avalisées par une étude de l’Institut Nationale des Statistiques et des Etudes Economiques (INSEE) en date du 25 novembre 2011.
Puisque cet échantillonnage déterminé par tirage au sort était représentatif de l’activité de l’établissement de santé lyonnais, il ne restait plus à l’ARH qu’à extrapoler les résultats obtenus après le contrôle.
B Le contrôle de proportionnalité des sanctions prévues à l’article L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale
Une fois cette fiction opérée, l’ARH constatait les manquements de l’hôpital lyonnais à la réglementation concernant la tarification, et infligeait une sanction audit établissement. Celle-ci devait être proportionnée aux fautes commises (V. C.C, 3 sept. 1986, n° 86-215 DC), conformément au principe constitutionnel de nécessité des peines (art. 8 DDHC) . Dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité, il a été jugé que la question de la constitutionnalité de l’article L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale au regard de ce principe « ne présentait pas un caractère sérieux » (7 juin 2010, Centre hospitalier de Dieppe, n° 338531) . Le décret du 29 septembre 2011 modifiant l’article R. 162-42-10 a lui été jugé constitutionnel par rapport à ce principe (arrêt du 19 juin 2013 préc.).
La question de l’intensité du contrôle du juge sur la proportionnalité de la sanction infligée aux manquements commis est aujourd’hui encore sous les feux des projecteurs (V. not. C.E, Ass., 13 nov. 2013, M. D., n° 347704 qui consacre le « passage à l’entier contrôle de l’adéquation à la faute des sanctions infligées aux agents publics » (Chron. A. BRETONNEAU et J. LESSI, « Sanctions infligées aux agents publics, M. Lebon sort du Recueil », AJDA 2013 p. 2432). Il faut rappeler que ce contrôle varie selon le destinataire de la sanction (V. arrêt du 13 nov. 2013 préc. pour les agents publics) . Ainsi, le juge exerce un contrôle de pleine juridiction sur les sanctions infligées aux administrés (C.E, Ass., 16 février 2009, n° 274000, Rec. p. 25 avec concl., AJDA 2009 p. 583) . Or, si « la notion d’administré peut donner lieu à un maniement et à une interprétation extrêmement larges » (M.-T VIEL, « Errements des sanctions administratives », AJDA 2007, p. 1006), il a été jugé, dans une hypothèse proche à l’espèce, que relève de ce contentieux les pénalités encourues sur le fondement de l’article L. 162-1-14 du CSS (C.A.A Nancy, 22 juin 2009, CPAM de la Marne, n° 07NC01680).
En l’espèce, l’hôpital lyonnais qui s’est vu infliger la sanction sur le fondement de l’article L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale a-t-il la qualité d’ « administré » ?
Le Tribunal administratif de Poitiers (V. préc.) a répondu par l’affirmative, ce qui semble être implicitement confirmé par le juge de première instance lyonnais (jugement du 4 juin 2013, CHU de Saint-Etienne, n° 1100895 motivé par l’emploi de la formule : « il résulte de l’instruction »). Ainsi, les établissements de santé sanctionnés sur ce fondement seraient des « administrés » au sens de la jurisprudence Atom.
Après avoir affirmé la représentativité de l’échantillon (sans quoi les sanctions infligées seraient ici disproportionnées), rappelé aux termes de l’article L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale que le montant de la sanction varie selon le « pourcentage des sommes indûment perçues par rapport aux sommes dues » et est calculé « sur la base des recettes annuelles d’assurance maladie » afférentes à l’activité contrôlée, et énoncé que l’article R. 162-42-12 du même code prévoit un véritable « barème progressif » (T.A Poitiers préc.) des peines applicables, la sanction est jugée proportionnée aux manquements de l’hôpital par la Cour administrative d’appel de Lyon.
Le Tribunal administratif de Lyon a, par la suite, repris cette grille d’analyse (4 juin 2013 préc.), preuve de la pertinence du raisonnement adopté par la Cour.