Malgré les incertitudes scientifiques sur les raisons de l’apparition d’une maladie rare, la cour lyonnaise reconnait l’imputabilité de la survenance de celle-ci à une vaccination obligatoire.
« Si la science vise la vérité, le droit vise le juste et le bon. (…) La distinction de leurs offices explique ainsi que le juge puisse s’écarter des conclusions auxquelles sont parvenus les scientifiques. Pour autant, l’on ne peut dire que le juge ne vise pas la vérité : simplement, plutôt qu’une vérité générale, il vise une vérité particulière, une vérité d’espèce (…) » (F. Dieu, L’indemnisation des personnes atteintes de sclérose en plaques suite à leur vaccination contre le virus de l’hépatite B, Gaz. Pal. 16 oct. 2007 n° 0289 p. 2). En matière de responsabilité médicale, le juge est souvent tenu dans la détermination de sa solution par la vérité scientifique. Pour autant, celle-ci peut ne pas être précisément définie : des « débats épineux » (T. Olson, Lien de causalité reconnu entre une maladie et le vaccin contre l'hépatite B, AJDA 2007 p. 861) opposent régulièrement les membres de la communauté scientifique. Or le juge, lorsqu’il est justement saisi d’une demande plaçant ce débat scientifique au cœur de la solution à donner au litige, doit prendre position sur celui-ci et déterminer une vérité, sous peine de méconnaître son office et de commettre un déni de justice (art. 4 du code civil) .
La Cour administrative d’appel de Lyon a justement dû prendre position sur un tel débat scientifique dans son arrêt du 14 février dernier (n° 12LY00954) . En effet, la requérante, née en fin d’année 1985, avait subi les 11 avril, 10 mai et 7 juin 1986 trois injections du vaccin Tetracoq®. Quinze jours après la dernière injection, la requérante a ressenti le premier symptôme de ce qui allait devenir une histiocytose langerhansienne, « affection caractérisée par la prolifération de cellules » impliquées dans le fonctionnement du système immunitaire. (V. Larousse Médical, 1996, p. 482). Après plusieurs tentatives de traitement de cette affection, Mme X a subi des « séquelles définitives », notamment une incapacité permanente partielle évaluée à 37 %.
Elle a alors présenté une demande indemnitaire à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) tendant à la réparation des préjudices subis du fait de la vaccination obligatoire. Une décision du 19 novembre 2010 rejeta sa demande au motif que la survenance de la maladie n’était pas imputable au Tetracoq®. La requérante a demandé au Tribunal administratif de Dijon d’annuler cette décision et de condamner l’ONIAM à lui verser la somme de 957 930 euros au titre des préjudices subis. La juridiction de première instance, se fondant exclusivement sur un rapport d’expertise, a en partie fait droit à ces demandes puisqu’elle a reconnu l’imputabilité de la maladie à la vaccination et a condamné l’ONIAM à lui verser la somme de 132 000 euros (V. T.A Dijon, 9 fév. 2012, Mme X, n° 1100099). La requérante a interjeté appel en tant que cette indemnisation avait été sous-évaluée par le tribunal administratif. La cour était également saisie par l’ONIAM d’un appel incident tendant à la remise en cause du principe même de sa responsabilité.
La cour a dû trancher la difficile question de l’imputabilité de la survenance d’une histiocytose langerhansienne à une vaccination obligatoire, à savoir le vaccin Tetracoq®. La communauté scientifique n’a pas tranché cette question, puisqu’il est constant que cette maladie est « d’origine inconnue » (V. Concl. M. Pourny).
C’est la première fois qu’une telle question se posait à une juridiction française. Le vaccin Tetracoq® avait, lui, déjà été mis en cause devant le juge administratif, pour lui imputer la survenance d’une hypothermie (V. C.A.A Nantes, 30 déc. 1998, Mme X, n° 95NT01254) ou d’un état épileptique (V. C.A.A Marseille, 14 déc. 2010, Consorts X, n° 08MA01111) sans que ces actions ne soient couronnées de succès.
Le juge d’appel reconnaît l’imputabilité de la maladie à l’injection du Tetracoq®, mais en la fondant toutefois sur le raisonnement développé antérieurement par le Conseil d’Etat à propos de l’imputabilité de la survenance d’une sclérose en plaques ou d’une polyarthrite rhumatoïde à une vaccination obligatoire contre l’hépatite B (V. respectivement C.E, 9 mars 2007, S., n° 267635 et C.E, 9 mars 2007, Commune de Grenoble, n° 278665). Elle a en outre rehaussé de 20 000 € les préjudices subis par la requérante.
I. - Le constat par le juge administratif de l’incertitude sur l’existence d’une « causalité scientifique » entre une injection de Tetracoq® et la survenance d’une histiocytose langerhansienne
Si le dommage doit résulter d’une vaccination obligatoire pour que la responsabilité de l’ONIAM soit engagée sur le fondement de l’article L. 3111-9 du code de la santé publique (A.), le lien de causalité entre ce préjudice et l’injection ne pourrait normalement pas être établi en l’espèce (B.).
A. - La vaccination obligatoire, condition première de l’engagement de la responsabilité de l’ONIAM
L’action intentée par la requérante se fondait sur l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique qui crée un régime de responsabilité sans faute de l’ONIAM fondé sur la solidarité nationale pour les dommages survenus à la suite des vaccinations obligatoires. Ce régime a été institué par la loi du 1er juillet 1964 (n° 64-643) . Les lois du 4 mars 2002 et du 9 août 2004 ont ensuite substitué l’ONIAM à l’État dans la réparation de ces préjudices.
Ainsi, la première condition à laquelle est subordonnée cette action est l’existence d’une vaccination obligatoire. Aux termes de l’article 34 de la Constitution, seul le législateur a compétence pour imposer une telle contrainte au nom de l’impératif de santé publique, celle-ci restreignant tant la liberté individuelle que le droit au respect du corps humain. Pour autant, le ministre de la Défense peut exceptionnellement intervenir en la matière pour rendre obligatoire aux militaires une vaccination (V. C.E, Ass, 3 mars 2004, Assoc. Liberté, information, santé, n° 222918) .
Le vaccin en cause en l’espèce, le Tetracoq®, est tétravalent et a donc vocation à immuniser le bénéficiaire contre quatre maladies : le tétanos, la diphtérie et la poliomyélite (qui sont des vaccinations obligatoires aux termes des articles L. 3111-2 et -3 du code de la santé publique) ainsi que la coqueluche, qui est elle une vaccination facultative. Dans cette hypothèse, la responsabilité de l’ONIAM peut être engagée si les troubles survenus ne sont pas exclusivement imputables à la valence facultative (V. C.E, 24 avr. 2012, Ministre de la Santé et des sports, n° 327915 à propos du Pentacoq qui immunise contre l’Haemophilus influenzae B en plus des quatre maladies prévenues par le Tetracoq®), ce qui n’était pas le cas en l’espèce selon le juge d’appel.
B. - L’impossibilité d’imputer directement et certainement à l’injection du Tetracoq® la survenance de l’histiocytose langerhansienne
De manière classique, pour que l’action fondée sur l’article L. 3111-9 porte ses fruits, le requérant doit démontrer l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre le fait générateur (la vaccination obligatoire) et le dommage. Pour apprécier cette imputabilité en matière médicale, et ainsi déterminer la « causalité juridique », le juge se fie usuellement à la « causalité scientifique » (C. Radé, Causalité juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique, D. 2012, p. 112). C’est le cas lorsque son raisonnement s’appuie sur un rapport d’expertise qui peut notamment être établi dans le cadre d’un référé-instruction (R. 532-1 du Code de justice administrative) . En première instance, le Tribunal administratif de Dijon avait justifié de cette manière la causalité entre le Tetracoq® et la survenance de la maladie. Dans ces hypothèses, les causalités juridiques et scientifiques se superposent pour « ne faire qu’une » (J. Michel, Le juge, l'Engerix B, la sclérose en plaques et les données actuelles de la science, AJDA 2005, p. 1945).
Mais les choses se compliquent pour le juge lorsque la communauté scientifique n’est pas unanime sur l’existence d’un lien de causalité entre la survenance d’une maladie et une vaccination. Dans l’obligation de rendre une décision, il est alors livré à lui-même, devant arbitrer entre des théories scientifiques contraires. Confronté à cette situation, le juge administratif a souvent adopté, logiquement, la position la plus conservatrice en regardant le lien de causalité comme ne pouvant être établi et en rejetant la requête ; ce choix se faisant au détriment de la victime.
Le problème de l’imputabilité de la survenance de la sclérose en plaques à la vaccination contre l’hépatite B est à cet égard topique. En effet, jusqu’à l’arrêt Mme S. du Conseil d’Etat du 9 mars 2007, les juridictions administratives s’étaient massivement prononcées contre la reconnaissance de cette causalité (V. not. C.A.A Douai, 21 juin 2005, Centre hospitalier de l’arrondissement de Montreuil, n° 03DA01306), à quelques exceptions près (V. T.A Marseille, 5 nov. 2002, Mme M., AJDA 2003 p. 1502) . Le Conseil d’Etat avait tout autant été peu enclin à admettre une possible causalité entre l’injection de ce même vaccin et la survenance d’une myofasciite à macrophage (V. C.E, 21 mars 2008, R., n° 288345) .
Dans l’hypothèse qui nous concerne, il est constant que les raisons de la survenance d’une histiocytose langerhansienne demeurent inconnues. Suivant ce constat tenant à l’« état actuel des connaissances scientifiques », la cour lyonnaise aurait dû refuser d’admettre la causalité entre cette maladie et l’injection de Tetracoq. C’est pourtant l’inverse qu’elle a jugé.
II. - L’intervention du juge administratif dans le débat scientifique : la création prétorienne d’une « présomption d’imputabilité »
Si la création d’un système de présomption permet la reconnaissance de la causalité entre l’injection de la vaccination obligatoire et la survenance de la maladie (A.), l’étendue des préjudices doit alors être déterminée (B.).
A. - La « présomption d’imputabilité », un assouplissement du lien de causalité
Pour développer une telle position qui allait à l’encontre des « données actuelles de la science », la Cour administrative d’appel s’est appuyée sur les jurisprudences du Conseil d’état en date du 9 mars 2007 (v. supra) qui créent une présomption simple (du fait de l’homme : art. 1353 du Code Civil) à propos du lien de causalité entre la survenance d’une sclérose en plaques ou d’une polyarthrite rhumatoïde et la vaccination contre l’hépatite B. Ces jurisprudences subordonnent la reconnaissance de cette « présomption d‘imputabilité » (V. C. Lantero, Reconnaissance d’une vaccination contre l’hépatite B à l’origine d’une aggravation de sclérose en plaques antérieure, AJDA 2012, p. 1244) à une série de critères : la survenance des premiers symptômes de la maladie dans un bref délai (entre deux et trois mois) après l’inoculation du vaccin, la bonne santé du patient lors de la vaccination, et l’absence d’antécédent du patient à cette pathologie (une prédisposition génétique à cette maladie n’exclut pas l’imputabilité : C.E, 24 juillet 2009, Hospices Civiles de Lyon, n° 308876 ; de même que l’aggravation par le vaccin d’une maladie préexistante : C.E, 17 fév. 2012, Mme A., n° 331277) . De surcroît, la pathologie survenue doit être médicalement identifiable (V. C.E, 11 juillet 2008, MGEN, n° 305685) . F. Dieu (préc.) considère aussi que « les rapports d’expertise ne doivent pas avoir exclu tout lien de causalité ». Pour créer cette « probabilité d’un lien de causalité » (V. C.E, 21 nov. 2012, Ville de Paris et M. L., n° 344561), évidemment plus favorable à la victime, le Conseil d’état a pris acte qu’en l’absence de certitudes scientifiques tant sur l’absence de causalité que sur l’existence d’une causalité, il pouvait prendre parti en faveur de cette dernière théorie.
Mais ces solutions avaient vocation à être isolées, puisque limitées aux « circonstances particulières de l’espèce ». Pour autant, force est de constater que le raisonnement développé par ces décisions a servi au juge administratif à faire face aux nombreuses hypothèses dans lesquelles un fort doute scientifique subsistait sur le lien de causalité. C’est dans ce cadre que le Conseil d’état a par exemple admis l’imputabilité d’une rhombomyélite à une injection du vaccin Pentacoq (arrêt du 24 avr. 2012 préc.).
L’arrêt commenté prend place dans ce courant jurisprudentiel. Comme le démontre le rapporteur public sur cette affaire, l’ensemble des critères précités étaient en l’espèce remplis, et le lien de causalité pouvait, dès lors, être regardé comme établi.
Par conséquent, cet arrêt pourrait marquer un peu plus la désagrégation de l’unité entre causalité juridique et scientifique. En effet, certains auteurs ont souligné que le raisonnement suivi par les arrêts du 9 mars 2007 marquait l’autonomisation de la première au détriment de la seconde (V. A. Laude, Reconnaissance de l’imputabilité au service de la sclérose en plaques due à la vaccination obligatoire contre l’hépatite B, JCP-G n° 31, 31 juill. 2007, II, 10142). Cette autonomisation est justifiée par le constat que « la vérité juridique n'est pas la vérité scientifique » (J. Michel préc.) et peut, en tant que telle, être différente.
Malgré tout, cette analyse semble inexacte. En effet, ces arrêts ne contreviennent pas à une vérité scientifique dès lors que celle-ci n’existe pas encore, et par conséquent, autorise la prise de position scientifique du juge. Ainsi, « l'admission de la preuve par présomptions ne postule ni n'induit de jugement ou d'affirmation scientifique et ne saurait pareillement se heurter à l'obstacle préalable de l'absence de certitude scientifique sur l'imputabilité/la causabilité du dommage ; elle renvoie simplement la preuve dans le camp des scientifiques » (C. Radé, préc.).
Ces diverses décisions seraient donc, au mieux, une anticipation scientifique, au pire, une position jurisprudentielle « transitoire » (V. A. Rouyère, Variations jurisprudentielles à propos du lien de causalité entre vaccination contre l'hépatite B et sclérose en plaques. Questions de méthode, RFDA 2008 p. 1011).
B. - Les conséquences de cette « probabilité de causalité » : la détermination de l’étendue de la réparation des préjudices
Une fois le principe de la responsabilité de l’ONIAM admis, se posait la question de l’étendue de la réparation. En effet, pour des maladies évolutives telles que l’histiocytose langerhansienne ou la sclérose en plaques, « l’Etat doit-il réparer les conséquences dommageables de cette seule première poussée ou doit-il réparer les conséquences dommageables de la maladie elle-même ? » (F. Dieu préc.).
La jurisprudence administrative a clairement affirmé en matière de sclérose en plaques que l’ensemble des préjudices doit être réparé (V. C.A.A Bordeaux, 10 juill. 2007, Min. de la santé et CPAM de Dordogne, n° 05BX00493) .
Cette position jurisprudentielle favorable à la victime avait été appliquée en l’espèce par le juge dijonnais. Ainsi, la réparation au titre des préjudices personnels subis a été fixée à 102 000 euros. « En raison de la pathologie dont elle est atteinte depuis sa plus tendre enfance » (arrêt de la C.A.A), les préjudices scolaires et professionnels avaient, eux, été indemnisés en première instance à hauteur de 30 000 euros. La cour reprendra ces estimations, à l’exception de ces derniers préjudices qu’elle réévaluera à hauteur de 50 000 euros.
Finalement, cette décision s’appuie sur un raisonnement audacieux pour parvenir à une solution équitable pour la victime.