Précision sur la communication et la réutilisation des informations publiques détenues par les services d'archive

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Décision de justice

CAA Lyon, 3ème chambre – N° 11LY02325 – Département du Cantal – 04 juillet 2012 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 11LY02325

Numéro Légifrance : CETATEXT000026206985

Date de la décision : 04 juillet 2012

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Archives publiques, Archives départementales, Communication et réutilisation des informations publiques, Réutilisation des données publiques, Données personnelles

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

Les lois du 6 janvier 1978 et 17 juillet 1978 posent les règles de communication des informations publiques communicables de plein droit. Il résulte notamment de ces dispositions que l’autorité compétente, saisie d’une demande de réutilisation de tels documents, doit s’assurer que la réutilisation satisfait bien à certaines exigences posées par la loi du 17 juillet 1978.

En l’espèce, la société qui envisageait le transfert et le traitement à Madagascar des données à caractère personnel contenues dans les cahiers de recensement faisant l’objet de sa demande de communication, devait soumettre sa demande à l’autorisation préalable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. N’ayant pas satisfait à une telle obligation, la Cour estime que le président du conseil général du Cantal était donc tenu de rejeter la demande de la société.

« Ô temps ! Suspends ton vol… » : la réutilisation commerciale des archives publiques en sursis

Fanny Tarlet

Attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l’Université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.6046

La société généalogiste Notrefamille.com s’est vue refuser la communication de cahiers de recensement par le département du Cantal. Invoquant en vain l’exception culturelle qui aurait pu fonder une dérogation au principe de libre communication et de libre réutilisation, le département n’a obtenu qu’une satisfaction temporaire. Ainsi, la sécurisation des données personnelles n’ayant été garantie par la CNIL qu’après la décision du département, les règles du recours pour excès de pouvoir REP ne font que retarder l’échéance à laquelle les archives départementales devront autoriser la réutilisation massive d’informations personnelles.

« Le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire ». À la lecture de la décision rendue par la Cour administrative d’appel de Lyon le 4 juillet 2012 à propos de la communication des archives du Cantal, le mot de Friedrich Nietzsche semble prémonitoire des nouveaux rapports entretenus entre les fonds d’archives et le commerce. En effet, les sociétés multinationales de recherche généalogique en ligne voient aujourd’hui la mémoire commune, collectée et conservée par l’administration, comme une manne financière.

Ainsi, entre le 16 juillet 2009 et le 1er février 2011, la société Notrefamille.com a demandé sept fois au président du conseil général du Cantal la communication des cahiers de recensement des années 1831 à 1931, afin d’en faire une réutilisation commerciale. Le président du conseil général n’ayant pas accédé à cette demande, la société a formé un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Le juge de première instance commence par donner raison à la société requérante, annulant le refus implicite du département de communiquer les archives en question par une décision du 13 juillet 2011 (v. Conclusions au JCP A, n° 38, 19 septembre 2011, p. 7). Il estime que les archives sont des documents communicables au sens de la loi de 1978. Appel est donc formé par le département contre cette décision, devant la Cour administrative d’appel de Lyon, au motif notamment que la société n’avait pas obtenu les autorisations de la CNIL nécessaires pour transférer les informations à un sous-traitant malgache. Les juges d’appel décideront, sur conclusions contraires du rapporteur public (C. Schmerber, BJCL, n° 10/12, octobre 2012, p. 646), d’annuler la décision du tribunal administratif. Donnant ainsi raison au département du Cantal, les juges d’appel estiment dans la décision du 4 juillet 2012 que les conditions de réutilisation des données personnelles contenues dans les archives demandées ne garantissaient pas la sécurité et l’anonymisation des informations.

Si des questions procédurales de communication et de réutilisation des archives publiques expliquent le dénouement de cette affaire, il n’en demeure pas moins qu’elle est porteuse d’enjeux capitaux sur le traitement commercial à grande échelle des données personnelles. Ce ne sont pas moins de 50 départements qui ont été saisis par la société Notrefamille.com pour communiquer deux siècles de cahiers de recensement, registres paroissiaux, recensements sardes, registres d’écrou des prisons et des hôpitaux, registres des camps d’internement, sur tout le territoire national. Jean-Michel Bruguière liste ainsi les données sensibles et nominatives qui apparaissent dans les registres demandés : changements de sexe, naturalisations, changements de nationalité, annulations de mariage, reconnaissance d’un enfant naturel, y compris de personnes encore en vie… (J.-M. Bruguière, Des données publiques, pas si publiques que cela…, JCP A, n° 40, 8 octobre 2012, p. 21). Face à l’offensive d’une société multinationale, le risque de fichage des citoyens inquiète les pouvoirs publics, qui ne disposent pas des outils juridiques pour s’opposer à une demande aussi segmentée : prises individuellement, ces demandes de communication peuvent être légitimes, mais c’est leur somme qui réunirait entre les mains d’une seule société privée des informations suffisantes pour identifier et localiser une grande partie de la population française. Aussi les personnes publiques se sont-elles légitimement inquiétées d’une réutilisation commerciale non maîtrisée de ces informations.

Il n’est pas contesté que les archives sont soumises au principe de libre communication, au titre de la loi de 1978 combinée avec l’article L. 213-2, I, 4e du code du patrimoine : « I.- Les archives publiques sont communicables de plein droit à l'expiration d'un délai de : […] 4° Soixante-quinze ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, ou un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé si ce dernier délai est plus bref : […] e) Pour les registres de naissance et de mariage de l'état civil, à compter de leur clôture […] ». Pour déroger à la loi du 17 juillet 1978 sur la communication des documents dont la réutilisation commerciale, deux fondements potentiels ont retenu l’attention des juges d’appel : l’exception culturelle et la sécurisation des données. Si le premier n’a pas pu être retenu, les juges ont strictement appliqué le second, de façon à priver temporairement la société Notrefamille.com d’une réutilisation anarchique des données.

1. – L’exception culturelle : un simple renforcement des modalités de réutilisation des informations archivées

Les articles L. 1421-1 à -3 du code général des collectivités territoriales renvoient à plusieurs dispositions du code du patrimoine pour fixer le régime des services locaux d’archives publiques. Les services publics d’archives départementales, à l’instar de celui du Cantal, ont pour mission d’assurer la collecte, la conservation et la mise en valeur des archives publiques. Les dispositions des articles L. 212-6 et suivants du code du patrimoine précisent d’ailleurs expressément qu’elles sont la propriété des collectivités territoriales ; on peut ajouter qu’elles appartiennent à leur domaine public mobilier au terme de l’article L. 2112-2 du code général de la propriété des personnes publiques. Leur participation au service public culturel a donc logiquement été affirmée par la CADA (avis n° 20082643 du 31 juillet 2008, Président du conseil général de la Loire) en 2008, et réitérée par la cour administrative d’appel dans cette décision : « les informations […] figurant dans les documents détenus par les services d’archives publics, qui constituent des services culturels au sens des dispositions de l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978 ». Les services départementaux d’archives sont financés par le département et reçoivent tous documents constitués dans leur ressort, dont ceux que les communes sont tenues, ou décident, de leur déposer. Les registres communaux d’état civil sont ainsi expressément visés par l’article L. 212-11 du code du patrimoine pour être déposés aux archives départementales lorsqu’ils ont plus de 150 ans, ce qui concerne une partie des documents demandés par la société requérante.

Cette qualification de service culturel a pour conséquence d’exclure les archives du champ de la directive européenne du 17 novembre 2003 et du chapitre 2 de la loi de 1978 relative à la libre communication des documents administratifs. Il en résulte que des dérogations peuvent être établies au principe de libre réutilisation des informations publiques. En effet, l’article 11 de la loi, tel que modifié par l’ordonnance du 29 avril 2009 prévoit que « par dérogation au présent chapitre, les conditions dans lesquelles les informations peuvent être réutilisée sont fixées, le cas échéant, par les administrations mentionnées aux a et b du présent article lorsqu’elles figurent dans des documents produits ou reçus par : […] b) Des établissements, organismes ou services culturels ». Fort de ce pouvoir dérogatoire, le département du Cantal a tenté de faire valoir cette restriction à la libre réutilisation pour refuser la communication des archives litigieuses. En effet, cet article permet aux administrations culturelles de fixer leurs propres règles de réutilisation, par exemple en décidant de soumettre la réutilisation au paiement d’une redevance ou à la conclusion d’une licence d’exploitation (A.-L. Multin, Les services territoriaux d’archives publiques peuvent-ils communiquer des documents contenant des données à caractère personnel ?, JCP A, n° 047, 22 novembre 2010, p. 26).

Cependant, la décision du 4 juillet 2012 règle la question de l’étendue de cette dérogation : elle ne peut pas avoir pour effet de priver les demandeurs de tout droit à réutilisation. Reprenant à son compte la position de la CADA sur ce point (avis n° 20101341, 25 mars 2010, Directrice des archives et du patrimoine immobilier de l’Essonne), la cour ne lit pas l’article 11 comme un pouvoir discrétionnaire d’appréciation de l’opportunité d’une réutilisation d’archives publiques. En effet, une stricte interdiction de réutilisation ne pourrait être fondée que sur des dispositions législatives ou réglementaires ou sur des motifs d’intérêt général suffisants et proportionnés à la sensibilité des données en cause ainsi qu’à la nature du traitement envisagé. Ainsi, c’est sur ce fondement que la cour rejette les prétentions du département : l’inadéquation entre l’image du département et l’utilisation des données, ou encore le fait que les états civils numérisés soient déjà en accès direct sur le site des archives, ne constituent pas des moyens suffisants pour interdire la réutilisation des données.

Le levier de l’exception culturelle n’étant donc pas opérant pour interdire la réutilisation des données archivées, le département du Cantal a invoqué avec davantage de succès la loi informatique et liberté, et le défaut de sécurisation des données personnelles.

2. – La sécurisation des données : une stricte exigence dans le transfert des informations personnelles

Pour retenir que la réutilisation des données par la société Notrefamille.com n’était pas réalisée dans les conditions requises par la loi, la Cour administrative d’appel de Lyon s’est utilement fondée sur l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978. Cette disposition pose des conditions restrictives à la réutilisation des données personnelles.

Dans sa délibération du 9 décembre 2010, n° 2010-460, la CNIL a pu définir les données personnelles comme les données sensibles – i. e. celles faisant apparaître les origines raciales ou ethniques ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci – ; les données relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ; ainsi que « certaines mentions marginales, et notamment la reconnaissance d'un enfant naturel, l'adoption ou encore la révocation d'adoption, la francisation des nom et/ou prénom après acquisition de la nationalité française, le changement de sexe ainsi que la mention « mort en déportation », [qui] sont de nature à porter atteinte à la vie privée, y compris lorsqu'elles concernent des personnes décédées, dès lors que leur divulgation serait de nature à porter préjudice aux ayants droit de ces personnes ». Clairement, les cahiers de recensement demandés par la société requérante sont donc des données personnelles soumises à l’article 13 de la loi de 1978. Cet article prévoit que « les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l'objet d'une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l'autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d'anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. / La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 078-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ». Les conditions du premier alinéa n’étant évidemment pas remplies (impossibilité matérielle d’obtenir le consentement de toutes les personnes mentionnées dans les registres d’état civil ou de leurs ayants-droits ; défaut d’anonymisation par les services d’archives du Cantal ; pas de disposition législative adéquate), force était donc de respecter les dispositions de la loi informatique et libertés dite Foyer du 6 janvier 1978.

La lecture combinée des articles 68 et 69 de la loi Foyer indique le responsable du traitement – ici la société Notrefamille.com – doit prendre toutes les précautions pour préserver la sécurité des données. L’article 68, instauré par la loi du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, interdit le transfert de données personnelles vers un État n’appartenant pas à la Communauté européenne si cet État n’assure pas un niveau de protection suffisant de la vie privée. En l’espèce, la société de généalogie privée prévoit de transférer les cahiers de recensement en cause vers un sous-traitant basé à Madagascar. Cet État tiers à l’Union européenne ne remplissant pas les critères requis de protection de la vie privée, il était alors nécessaire d’obtenir une autorisation expresse de la CNIL (art. 69 de la loi du 6 janvier 1978). La CNIL a établi une carte mondiale qui classe les États en quatre catégories pour leur transférer des données personnelles : si l’Union européenne, l’Argentine, le Canada ou la Nouvelle-Zélande regroupent les États garantissant un niveau de protection suffisant, en revanche, Madagascar est listé parmi les États insuffisants. Le niveau de protection garanti par chaque État est estimé par la CNIL en fonction des dispositions en vigueur dans cet État, des mesures de sécurité qui y sont appliquées, des caractéristiques propres du traitement et de la nature des données traitées. Par conséquent, comme la société Notrefamille.com ne disposait pas des autorisations nécessaires au jour de sa demande de communication des documents aux archives du Cantal, le refus du département était bien légal. Le juge administratif a même pu estimer que, dans cette situation, la collectivité était dans une hypothèse de compétence liée pour refuser la communication des recensements (v. Conclusions au JCP A, n° 38, 19 septembre 2011, p. 7 sur la décision du tribunal administratif de Clermont-Ferrand). On pourrait même imaginer que l’irrespect de cette compétence liée puisse entraîner la mise en cause de la responsabilité du département (Ch.-A. Dubreuil, Précisions sur le droit de réutilisation à des fins commerciales des archives publiques, JCP A, n° 28, 16 juillet 2012, act. 499).

Le traitement qui était envisagé par la société malgache était notamment celui d’une indexation, qui est une technique – définie par la CNIL dans sa délibération du 9 décembre 2010, n° 2010-460) – consistant à répertorier dans un document les données significatives (nom, prénom, date et lieu de naissance) pour effectuer des recherches rapides, permettant alors d’augmenter les possibilités de diffusion et d’exploitation. La CNIL préconise à cet égard l’interdiction de l’indexation des données personnelles par les moteurs de recherche pour les personnes nées depuis moins de 120 ans (par référence à l’espérance de vie actuelle). La société requérante s’étant engagée à masquer toute donnée personnelle de moins de 120 ans et à accepter toute vérification du masquage (D. Connil, Réutilisation commerciale d’archives départementales : nouveaux défis, première décision, AJDA, 27 février 2012, p. 375), elle finit par obtenir l’autorisation de la CNIL en novembre 2011. Sur le fond, forte de l’autorisation requise, la société privée voyait tomber le dernier obstacle à la libre communication et réutilisation des cahiers de recensement.

Malgré tout, les règles du contentieux administratif vinrent confirmer in extremis la légalité du refus de communication du département du Cantal : la nature du contentieux de l’excès de pouvoir veut que le juge statue en se plaçant à la date de la décision contestée, soit le 3 juillet 2010. Or, à cette date, la CNIL n’avait pas encore délivré son autorisation ; le refus du président du conseil général était donc légal. Ainsi, il aurait suffi que la société Notrefamille.com attende la réponse de la CNIL pour saisir définitivement le département, pour que ce dernier soit obligé de lui communiquer les cahiers de recensement. Nul doute que les généalogistes réitèreront avec succès leur demande : le temps aura eu raison des archives.

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