Illégalité d’une OQTF prise alors qu’une demande d’APS au titre de l’asile est encore pendante

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Décision de justice

CAA Lyon, 2ème chambre – N° 11LY02794 – 16 octobre 2012 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 11LY02794

Date de la décision : 16 octobre 2012

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Asile, Demande de réexamen, OQTF, L.314-11 et L.313-13 du CESEDA, L.742-1 L.742-3 et L.742-6 du CESEDA

Rubriques

Etrangers

Résumé

Le préfet peut légalement rejeter une première demande de titre de séjour sur le fondement des articles L314-11 et L313-13 du CESEDA en qualité de réfugié ou au titre de la protection subsidiaire...

Nonobstant la circonstance que, postérieurement aux décisions de l’OFPRA et de la Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA) rejetant cette première demande d’asile, l’étranger avait sollicité le réexamen de sa demande d’asile en raison d’éléments nouveaux et demandé ainsi une nouvelle fois son admission provisoire au séjour en qualité de demandeur d’asile. En revanche, l’intéressé a alors le droit en vertu dispositions des articles L742-1, L742-3 et L742-6 du CESEDA de se maintenir sur le territoire français dans l’attente de l’examen de cette demande d’admission provisoire au séjour et le préfet ne peut l’obliger à quitter le territoire français avant d’avoir procédé à l’examen de cette demande.

Conclusions du rapporteur public

Laurent Levy Ben Cheton

Rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6019

M.K., ressortissant kosovare, né en 1978, déclare être entré irrégulièrement en France le 7 novembre 2008.

Le 17 novembre 2008 il a sollicité le statut de réfugié, ce qui lui a été refusé par une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 2 juillet 2009, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 10 décembre 2010.

Le 10 janvier 2011, faisant état d’éléments nouveaux, il a sollicité le réexamen de sa demande d’asile.

Or, par un arrêté du 3 février 2011 (soit 3 semaines environ après cette demande de réexamen), le préfet de la Haute-Savoie lui a refusé un titre de séjour et l’a obligé à quitter le territoire français, en fixant le pays de destination.

Ce sont les 3 décisions attaquées.

Précisons que le 8 février, soit cinq jours après avoir pris l’arrêté litigieux, le préfet a refusé à M. K. l’admission provisoire en qualité de demandeur d’asile, au motif  que sa demande de réexamen constituait un recours abusif, « dans la mesure où l’intéressé a précédemment sollicité l’asile en France, demande rejetée par les autorités compétentes en la matière et que sa nouvelle requête est sollicitée alors qu’il fait l’objet d’un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire en date du 3 février 2012 »

M. K. relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions contenues dans l’arrêté du 3 février 2011 du préfet de Haute Savoie.

(…) Le requérant soutient (…), et c’est l’intérêt du dossier, que ni le refus de titre que l’OQTF, ne pouvaient être décidés sans que le préfet ait préalablement statué sur son admission provisoire au séjour (APS), résultant de la demande de réexamen de sa demande d’asile.

Il en déduit une erreur de droit, et à tout le moins une erreur manifeste d'appréciation.

1. Rappelons d’abord que ces allégations sont matériellement exactes : M. K.  avait effectivement sollicité ce réexamen trois semaines avant le refus de titre,  et à la date de cette décision,  et le préfet ne s’était pas expressément prononcé sur l’ admission provisoire afférente à cette demande, laquelle n’est pas même mentionnée dans l’arrêté litigieux : ce n’est que le 8 février, soit 5 jours plus tard, que le préfet refusera d’accorder  ce document provisoire de séjour, au motif du caractère abusif de la demande de réexamen, et de son classement en procédure prioritaire en application de l’article 723-1 du CESEDA.

Quelles en sont les conséquences, d’abord, sur la légalité du refus de titre ?

Le préfet pouvait-il statuer sur le titre de séjour sans préalablement s’être déterminé sur l’APS en qualité de réfugié ?

Rien, selon nous, n’y fait obstacle : à la date du refus de titre, M. K. a vu sa demande d’asile rejetée, par l’OFPRA (qui n’avait pas davantage accordé la protection subsidiaire), puis par la CNDA, et il ne tenait de droit au séjour ni au titre de l’article L 314-11, ni de l’article L 313-13.

La demande de réexamen ne constitue pas un renvoi ou un prolongement de la procédure initiale devant l’OFPRA, mais une seconde procédure, distincte, qui n’a pas pour effet de retirer sa force exécutoire à la première décision de l’OFPRA (et a fortiori à celle de la CNDA).

Aussi, le préfet, après s’être assuré qu’il n’y avait pas lieu, notamment au regard des prévisions de l’article 8 de la CEDH, de le régulariser, pouvait parfaitement rejeter sa demande de titre, sans attendre le réexamen de sa demande d’asile, qui constitue un événement futur, dont l’issue impliquait seulement qu’il statue à nouveau sur son droit au séjour après que l’OFPRA se soit une seconde fois prononcée.

Quelles conséquences sur la légalité l’OQTF ?

Si nous pensons que le préfet peut parfaitement statuer sur le droit à un titre de séjour avant le réexamen de la demande d’asile, sans que cela révèle davantage une erreur manifeste d'appréciation, la question se pose en revanche dans des termes sensiblement différents, s’agissant de la possibilité de procéder à l’éloignement dans de telles circonstances.

Il est certes exact que le préfet n’est pas tenu d’attendre la décision de l’OFPRA, en cas de demande de réexamen, pour prononcer une mesure d’éloignement (dans le cas des anciennes reconduites à la frontière, voyez CE 27 janvier 1992 n° 123702 G., au Lebon), à condition toutefois de différer l’exécution de cette mesure à l’intervention de la décision de l’OFPRA (CE 6 juin 1997 n° 178386, Préfet du Pas de Calais c/ M. X ; CAA Nantes, 08NT01939, M. S. (aux tables), solution ensuite reprise par le législateur au L742-6 du CESEDA).

C’est selon nous à tort que le TA a cru pouvoir transposer ces solutions jurisprudentielles au cas d’espèce, en considérant que le préfet pouvait légalement prendre l’OQTF puis seulement ensuite refuser l’APS et classer la demande de réexamen en procédure prioritaire (dès lors que la précédente mesure d’éloignement n’avait pas été exécutée.)

Il nous apparaît au contraire qu’en cas de demande de réexamen comme de demande initiale d’asile, le préfet est tenu par la loi (article L741-2 du CESEDA) de statuer sur l’admission provisoire au séjour, dont la délivrance constitue le principe (article L741-3), ce qui l’amène alors à apprécier si l’étranger n’est pas dans un des cas d’exclusion limitativement énumérés à l’article L741-4, et notamment son 4°, relatif aux demandes frauduleuses, abusives ou dilatoires.

Ce n’est qu’au terme de cet examen, après avoir porté cette appréciation, que le préfet peut décider, dans l’hypothèse d’un refus d’APS, de prendre une mesure d’éloignement (sans attendre nécessairement la décision de l’OFPRA), dans les conditions précises à l’article L742-6 du CESEDA.

En l’espèce, le préfet de la Haute-Savoie, a étrangement inversé les deux séquences : OQTF d’abord, refus d’APS cinq jours plus tard (motivé d’ailleurs par la circonstance de cette OQTF antérieure…).

En s’abstenant donc de procéder, préalablement à la décision d’éloignement, à l’examen du droit de M.K. à la délivrance du document provisoire de séjour de l’article L742-1, le préfet a méconnu l’étendue de ses compétence, et a entaché sa décision d’OQTF d’erreur de droit (le moyen tiré d’une erreur manifeste d'appréciation est en revanche en quelque sorte privé d’objet, puisque précisément le préfet n’a pas procédé à l’appréciation qu’il aurait dû porter, sur le caractère éventuellement frauduleux , abusif ou dilatoire de la demande de réexamen).

Certes, nous pourrions concevoir que la mesure d’OQTF elle-même puisse, implicitement, révéler (en quelque sorte, en creux)  le refus d’APS, mais aussi, en toute rigueur, qu’une décision implicite de refus d’APS était née  antérieurement à l’OQTF : mais ce caractère « implicite » ne vaudrait que pour le dispositif de la décision, les motifs de l’arrêté  ne faisant nullement apparaître la réalité d’une telle appréciation (tant en droit qu’en fait) , puisque ni l’article L 741-4, ni l’invocation d’une dimension abusive ou dilatoire dans les éléments nouveaux présentés par M. K., n’y sont mentionnés.

Nous vous invitons donc par ce motif à annuler l’OQTF ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de renvoi.

Cela impliquera que le préfet réexamine la situation de M. K., et lui délivre d’ici là une autorisation provisoire de séjour.

(…)

Par ces motifs nous concluons à :

- l'annulation de l’OQTF et de la décision fixant le pays de destination

- l'injonction à délivrer une APS (15 jours), avec réexamen situation dans les 2 mois (L911-2 CJA)

- à 1 000  euros au titre des frais irrépétibles

- à la réformation, dans cette mesure, du jugement n°1101639 du 12 juillet 2011 du Tribunal administratif de Grenoble

- et au rejet du surplus des conclusions de la requête

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