I) PRESENTATION DU LITIGE
La SARL DOGAN VOYAGES, qui exerce une activité de promotion, préparation et organisation de voyages, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices clos les 31 décembre des années 2004, 2005 et 2006.
Aux termes de ce contrôle, lui ont été réclamées des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et à la contribution à cet impôt pour les années 2005 et 2006 et des amendes pour paiement en espèces. Elle a contesté ces redressements par des requêtes distinctes. Le TA de Lyon a joint les demandes, pris en compte des dégrèvements intervenus en cours d’instance avant d’en rejeter le surplus. La société ne conteste plus en appel les pénalités pour paiement en espèces dont elle n’a pas obtenu la décharge devant le tribunal administratif de Lyon.
En appel, la SARL DOGAN VOYAGES développe une triple argumentation :
- elle conteste le rejet de sa comptabilité ;
- les omissions de recettes qui lui sont reprochées au titre de l’exercice 2006 ;
- et soutient que, nonobstant l’absence de toute pièce justificative, elle doit être regardée comme justifiant de la déductibilité de ses frais généraux au titre de l’exercice 2005.
C’est surtout ce dernier point qui peut prêter à hésitation comme en attestent les conclusions du rapporteur public en première instance. Pour les deux premiers, le débat en appel n’a guère évolué et vous pourrez reconduire la solution du tribunal administratif de Lyon, qui nous semble avoir très bien jugé, par adoption des motifs si vous l’estimez possible.
II) SUR LE FOND DU LITIGE
a. Sur le rejet de la comptabilité
La société conteste l’absence de certaines documents comptables pointés par l’administration comme le journal des ventes et semble, plus globalement soutenir que sa comptabilité peut être considérée comme probante au regard du logiciel de gestion commerciale des agences de voyages qu’elle a utilisé. En particulier, celui-ci permettrait, grâce à l’examen du détail des ventes de billets, de vérifier toutes les informations propres à chaque passager.
Mais la société ne conteste pas les autres motifs de rejet qui suffisent à eux seuls : les recettes étaient comptabilisées globalement chaque mois dans un compte de produit de la classe 7 libellé « CA suivi du mois correspondant » ; le compte caisse fonctionnait comme un compte de trésorerie ; des discordances existaient entre les achats comptabilisés et ceux relevés à partir des relevés fournisseurs. Par ailleurs, n’ont été présentés au vérificateur ni livre d’inventaire, ni pièces justificatives des frais généraux de l’année 2005, ni comptes clients au titre de l’année 2006.
Au vu de ces seuls éléments, la comptabilité de la SARL DOGAN VOYAGES a été considérée, à bon droit, comme irrégulière et dépourvue de valeur probante.
b. Sur les omissions de recettes 2006
Le bien-fondé du rejet de sa comptabilité ayant été approuvé par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, la charge de la preuve pèse sur la société requérante en application de l’article L. 192 du livre des procédures fiscales. Or, la société est bien loin, on va le voir, d’apporter la preuve requise.
i) La SARL DOGAN VOYAGES a reconnu pendant le contrôle avoir appliqué aux achats de billets effectués pour la société Onur Air, son principal fournisseur, un pourcentage de 5 % en 2006 représentant sa marge bénéficiaire. C’est donc le montant des achats de billets qui déterminent les recettes et le bénéfice par application de la marge.
Or, lors du contrôle, l’administration a constaté qu’au titre de l’exercice 2006, les transactions facturées par la société Onur Air à la SARL DOGAN VOYAGES s’étaient élevées à 4 339 958 euros alors que le compte des achats de billets Onur Air n’enregistrait qu’un montant de 2 517 462, 13 euros. Elle a logiquement considéré que la différence de 1 822 495, 85 euros correspondait à une omission de recettes qui devait être soumis à la marge de 5 %.
Pour démontrer, ainsi que la charge lui en incombe, l’absence de bien-fondé de ce redressement, la société soutient tout d’abord que ce montant de 1 822 495 euros aurait été corrigé par le débit du compte « ventes ».
Mais, d’une part, elle ne justifie pas de cette opération comptable. D’autre part, ainsi que le relève l’administration, on ne voit pas bien la logique d’une telle opération. On n’a aucune explication sur l’origine de l’erreur corrigée.
Quant à l’argument qui consiste à soutenir qu’il suffit d’examiner sa comptabilité pour constater que tous les paiements effectués avec Onur Air ont été comptabilisés, il ne vaut rien eu égard au caractère irrégulier et non probant de la comptabilité.
ii) En second lieu, la SARL DOGAN VOYAGES développe une argumentation particulière, concernant une somme de 50 000 euros que l’administration a regardée comme le règlement d’un achat au fournisseur Onur Air. Elle fait valoir qu’il s’agit du remboursement d’une dette auprès de la société Sky Turk Yatan qui aurait réglé, pour son compte, à la société Onur Air, une somme d’un même montant.
Là encore, aucune explication sur cette opération triangulaire, ni sur les liens qui pourraient l’unir avec cette société Sky Turk. Pas de production non plus d’une convention sur ce point.
La société requérante se borne à produire en guise de justification une facture du 29 décembre 2006 de la société Sky Turk Yatan à Dogan Voyages et une facture du 9 novembre 2006 de la société Onur Air à elle-même (DOGAN Voyages) portant sur une somme de 50.000 euros. Mais rien ne permet de déduire de ces documents qu’il s’agit de la même opération.
Certes, elle fait par ailleurs valoir que le règlement fait par Sky Turk Yatan a été comptabilisé et enregistré par Onur Air comme un règlement fait par elle-même et qu’en contrepartie, le virement qu’elle a effectué à Sky Turk Yatan a bien été comptabilisé chez elle sous le libellé « Onur Air ». Mais ces arguments, comme le relève l’administration, se retournent contre elle. Car, sauf à admettre que l’opacité de l’opération a été complétée par des erreurs d’écriture comptable, la circonstance que la comptabilité de la société Onur Air fasse état d’un règlement, le même jour, d’un même montant fait par DOGAN VOYAGES et qu’elle-même ait enregistré une somme égale à celle versée à Sky Turk Yatan comme un paiement effectué par elle à Onur Air semble au contraire attester de l’existence de plusieurs opérations.
c. Sur les frais généraux de l’exercice 2005
Lors du contrôle et jusqu’en appel, la SARL DOGAN VOYAGES n'a produit aucune pièce justificative concernant les frais généraux comptabilisés au titre de l’exercice 2005.
Cependant, elle considère que le défaut de production des factures n'implique pas systématiquement la réintégration des charges dans les résultats de la SARL DOGAN VOYAGES. A cet effet, la SARL DOGAN VOYAGES produit un document retraçant la balance des comptes sur les trois exercices vérifiés reprenant pour chaque compte, le solde par exercice et elle entend faire valoir que les frais engagés pour les exercices clos en 2006 et 2004 sont dans des proportions similaires à ceux engagés pour l'année 2005.
Il résulte d’une jurisprudence ancienne que le défaut de production des pièces justificatives susceptibles d'établir la réalité et le montant des dépenses engagées permet à l'administration de procéder à leur réintégration aux résultats imposables. (CE 7 juillet 1958 n° 36425 : D. 1958 p. 577)
La société requérante se prévaut de deux arrêts par lesquels le CE et la Cour administrative d'appel de Nantes ont admis une certaine entorse à ce principe, ou plutôt se sont contenté d’une présomption plutôt que d’une preuve.
i) Dans le premier arrêt, le CE a jugé que Le défaut de justification de dépenses portées par une entreprise parmi ses charges déductibles n'autorise pas à lui seul l'administration à procéder à leur réintégration d'office dans les résultats imposables, alors que l'entreprise soutient que ces dépenses correspondaient notamment à des gratifications versées au personnel ou à des frais réellement supportés dans l'intérêt de l'entreprise. (CE, 7 déc. 1981, n° 16512 ; Dr. fisc. 1982 n° 15, comm. 826 ; RJF 2/82 n° 186.)
ii) Dans le second, la Cour administrative d'appel de Nantes a admis que Dans le cas d'une entreprise individuelle, la seule circonstance que des factures, régulièrement inscrites en comptabilité, aient été établies au nom de l'exploitant, ne suffit pas à refuser la déduction des charges correspondantes, qui consistaient en l'espèce en frais de repas offerts par l'exploitant d'une discothèque à son personnel, à trois reprises au cours de la saison d'été, pour le motiver. (30 mars 1995 n° 93NT00637, 1e ch., B. : RJF 3/96 n° 271.)
Mais il existe deux différences essentielles entre ces deux jurisprudences et la situation de la société requérante :
i) Dans les deux cas, les contribuables fournissaient des factures. N’étaient donc plus en débat, que la justification professionnelle dans le premier cas, et le libellé de la facture, dans le second ;
ii) La comptabilité des deux contribuables n’avait pas été qualifiée, comme pour notre société requérante, d'irrégulière et de non probante.
Or, jamais la jurisprudence n’a admis de raisonnement par analogie, comme le fait la société requérante, pour justifier un certain pourcentage de frais. La jurisprudence est aussi ancienne que constante dans ce domaine.
A titre d’exemple le CE a jugé :
1) qu’Un contribuable ne saurait invoquer le fait que le pourcentage moyen des entreprises similaires ni la circonstance qu'au cours des années précédentes, l'Administration n'aurait pas exigé de justifications particulières (31 mai 1967, req. n° 70256 et 70349 : Dr. fisc. 1967, n° 27, comm. 781).
2) que La justification d’une somme qualifiée « remboursement de frais de voyage » ne peut être considérée comme apportée dès lors que l'intéressé ne fournit aucune justification de l'utilisation de ces sommes et se borne à soutenir que ces dernières correspondent en réalité à des frais de représentation qui, eu égard au chiffre d'affaires de l'entreprise, ont un caractère inévitable (13 juill. 1967, req. n° 67561 à 67565 : Dr. fisc. 1967, n° 37, comm. 919, 921, 924 ; D. 1967 p. 501)
3) Et enfin, de manière encore plus topique, que ne constitue pas une justification appropriée de frais de déplacement le fait, pour un redevable, de se borner à faire valoir qu'ils correspondent aux dépenses normales de son entreprise (7 juin 1978, req. n° 6642 : Dr. fisc. 1978, n° 44, comm. 1689 ; RJF 9/78 n° 376)
Nous vous proposons donc de juger que c’est à bon droit que, dans la lignée de cette jurisprudence, le tribunal administratif de Lyon a jugé que « la circonstance que les fournisseurs de la société DOGAN VOYAGES n’ont pas répondu à sa demande tendant à obtenir une copie de la facture, ou que les charges litigieuses ont été payées ou ont été comptabilisées pour un montant équivalent à celui des exercices 2004 et 2006, n’est pas de nature à démontrer le caractère déductible des frais »
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête de la SARL DOGAN VOYAGES.