En 1946, M.C. a fait construire, au moyen de ses fonds personnels, un téléski sur des terrains privés, dit de la Turche. Ce téléski, qui a été modernisé à plusieurs reprises, est toujours en activité, il est inclus dans la station des Gets, non loin de Chamonix.
Par une convention du 3 novembre 1992 la commune des Gets a confié à la société Télépente des Gets, dont M.C. est le gérant, la concession de l’exploitation du domaine skiable du téléski de la Turche, la remontée mécanique étant mise à disposition par le cocontractant.
Le terme du contrat a expiré le 30 novembre 2009 et la commune, par une délibération du 17 décembre 2009, a autorisé le maire à signer un nouveau contrat avec la société Télépente des Gets, pour une durée de 10 ans. Celle-ci, de même que la convention, conclue le 28 décembre 2009, ont été déférées par le préfet de la Haute-Savoie, au motif que la clause, figurant à l’article 10 de la convention qualifiant le téléski de la Turche de bien de reprise était irrégulière.
La société Télépente des Gets relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a annulé la délibération et la convention déférées.
Tout d’abord, il nous semble que le jugement n’est pas entaché d’insuffisance de motivation. Si le tribunal administratif doit répondre aux moyens soulevés, il n’a pas l’obligation de répondre à l’intégralité de l’argumentation des parties. La réponse apportée à l’argumentation consistant à dire que la jurisprudence du Conseil d’État relative aux biens de reprise n’est pas applicable au cas d’un téléski construit avant la délégation de service public n’est peut-être pas satisfaisante, mais il nous semble que le jugement n’est pas pour autant insuffisamment motivé, le tribunal administratif ayant examiné le point de savoir si le bien devait ou non être qualifié de bien de reprise.
Sur le fond, il convient de rappeler le contexte législatif dans lequel est intervenue la première convention.
La loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, dite loi Montagne, aujourd’hui codifiée notamment aux articles L. 342-1 et s. code du tourisme, a posé le principe que les services de remontées mécaniques des stations de ski avaient le caractère d’un service public, dont l’exécution devait être assurée, soit en régie directe, soit en régie par une personne publique sous forme d’un SPIC, soit par une entreprise ayant passé à cet effet une convention à durée déterminée avec l’autorité compétente. Elle a désigné les communes et leurs groupements comme autorités compétentes en la matière.
L’article 47 de la loi prévoyait que, dans un délai de 4 ans à compter de sa publication, toutes les remontées mécaniques qui ne seraient pas exploitées directement par l’autorité compétente devraient faire l’objet d’une convention dont les caractéristiques sont aujourd’hui définies à l’article L342-7 du code du tourisme, lequel renvoie aux articles L342-1 à L342-5 du même code.
Il en résulte qu’elle doit contenir un certain nombre d’éléments tels que, par exemple, la définition de l’objet du contrat, sa durée et les conditions dans lesquelles il peut éventuellement être prorogé ou révisé ; les conditions de résiliation, de déchéance et de dévolution, le cas échéant, des biens en fin de contrat ainsi que les conditions d'indemnisation du cocontractant ; les obligations de chacune des parties et, le cas échéant, le montant de leurs participations financières... et la définition des conditions de prise en charge de l’indemnisation des propriétaires pour les servitudes instituées en vertu des articles L342-20 à L342-23.
Vous noterez que la loi ne qualifie pas ces contrats. Elle ne règle pas non plus expressément le sort des remontées mécaniques construites par des personnes privées sur des terrains privés avant l’intervention de la loi. Il peut simplement s’en déduire qu’elles ne pourront plus exploiter leurs remontées mécaniques sans passer un contrat avec la collectivité publique compétente.
Le tribunal administratif a qualifié le contrat passé par la société Télépente des Gets et la commune de délégation de service public (DSP). Il en a déduit que le contrat était nul au motif qu’il prévoyait la propriété privée du téléski alors que ce bien, nécessaire au fonctionnement du service public, devait revenir gratuitement à la collectivité en fin de convention.
Ce faisant, il a entendu faire application des principes dégagés par le Conseil d’État dans l’avis de sa section des travaux publics du CE du 9 avril 2005, n° 371234 (qui a suscité de nombreux commentaires).
Il résulte, en effet, de cet avis que, dans le cas où une autorité publique délègue à un tiers l’exécution du service public, les biens nécessaires au fonctionnement du service public sont réputés appartenir, dès l’origine, à la personne publique et lui faire retour gratuitement à l’expiration de la convention. Cette solution étant valable même pour les biens installés sur des propriétés privées grâce à la servitude prévue aux articles L. 342-20 et suivants du code du tourisme.
Toutefois, et nous suivons en cela l’argumentation de la société Télépente des Gets, il nous semble que les principes dégagés par le Conseil d’État dans l’avis précité ne sont pas applicables dans l’hypothèse où le bien nécessaire au fonctionnement du service public a été construit par une personne privée avant que le contrat ait été conclu.
La jurisprudence selon laquelle les biens nécessaires au fonctionnement du service public sont réputés appartenir, dès l’origine, à la collectivité concédante ne nous paraît concerner que les cas dans lesquels le bien est construit au cours de la convention.
Dans le cas d’espèce, appliquer un tel principe signifierait que les propriétaires de remontées mécaniques sont dépossédés de leur bien, de facto, par la seule passation d’une convention avec une personne publique, sans qu’une procédure d’expropriation ne soit menée. Un tel raisonnement nous paraît difficile à tenir, d’autant plus en l’absence de texte.
Le Conseil d’État, dans l’avis précité, indique d’ailleurs que, dans le cas d’un équipement installé sur une propriété privée, la personne publique ne peut en prendre possession, hors accord amiable, qu’en mettant en œuvre la procédure de l’expropriation.
Le motif retenu par le tribunal administratif nous paraît donc erroné et nous vous proposons de le censurer.
Reste cependant entière la question de savoir si la convention a pu régulièrement prévoir que le téléski de la Turche était la propriété privée de la société Télépente des Gets.
Pour y répondre, vous devrez vous interroger sur la nature du contrat passé entre la société requérante et la commune : s’agit-il d’un contrat sui generis ou d’une DSP ?
Dans l’avis précité, le Conseil d’État a indiqué que, dans le cas où la rémunération du cocontractant est substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation, la convention est une DSP.
En l’espèce, ainsi que le tribunal administratif l’a relevé, la rémunération de l’exploitant, telle qu’elle est prévue au contrat, dépend uniquement des résultats de l’exploitation. L’exploitant ne perçoit aucune rémunération de la part de l’autorité organisatrice, à laquelle il verse au contraire une redevance.
Si l’on suit l’avis précité du Conseil d’État, cette convention est donc une DSP.
A l’appui de cette analyse, certains commentateurs estiment plus généralement que lorsque le contrat prévoit la gestion des remontées mécaniques, il s’agit d’une DSP : v., par ex., le commentaire de MM Davignon et Mollion dans l’AJDA 2007, p. 345.
Si le contrat est une DSP, il doit respecter les règles applicables à ce type de contrats.
Toujours dans l’avis précité de la section des travaux publics du Conseil d’État, il est indiqué que les conventions de DSP ne peuvent légalement prévoir une propriété privée des installations nécessaires au fonctionnement du service pendant la durée de l’exploitation. Mais la constitution de droits réels est admise, dans certaines conditions. Par ailleurs, l’exploitant privé ne dispose d’aucun droit à faire fonctionner une installation de remontées mécaniques sur ses propres terrains en l’absence de toute convention, dès lors que ce service relève de la seule compétence légale des communes, de leurs groupements ou, dans certains cas, des départements.
Aucune installation de remontées mécaniques ne peut donc fonctionner sans qu’un contrat ne soit passé avec la collectivité en charge du service public. Et le contrat passé est une DSP si la rémunération prévue dépend pour l’essentiel de l’exploitation du service, laquelle, en tant que telle, est soumise aux règles de publicité et de mise en concurrence prévues par le CGCT.
En l’espèce, le contrat litigieux, que nous vous proposons de qualifier de DSP, comprend des stipulations qui méconnaissent certains des principes que nous venons d’énoncer.
Ainsi, ses articles 9 et 10 prévoient que les installations nécessaires au service, qu’elles soient préexistantes ou qu’elles aient été construites au cours de la convention, sont la propriété de la société Télépente des Gets et pourront être acquises par la personne publique en fin de convention moyennant une indemnité correspondant à la valeur vénale.
S’agissant tout d’abord des biens destinés à l’exploitation du SP, acquis en cours d’exploitation, il nous semble que ceux qui sont nécessaires à son fonctionnement ne peuvent être inscrits à l’inventaire B de la convention, relatif aux biens appartenant à l’exploitant. En application des principes précités, ces biens doivent être regardés comme appartenant dès l’origine à la collectivité délégante.
S’agissant, ensuite, des installations préexistantes, nous avons dit que le contrat ne pourra avoir pour effet qu’elles deviennent la propriété de la collectivité. Mais le fait qu’elle soit la propriété privée de l’exploitant n’est pas sans poser problème eu égard aux principes précédemment rappelés. D’une part, cette situation présente un risque d’atteinte à la continuité du service public, dans le cas où un litige surviendrait en fin de convention sur le prix de cession : tant qu’un accord amiable ou une procédure d’expropriation ne seront pas intervenus, la propriété ne sera pas transférée à la collectivité et on peut imaginer que cela pourrait avoir un impact sur la poursuite de son exploitation. D’autre part, elle ne permet pas une véritable mise en concurrence avec les autres candidats potentiels à la DSP, qui ne sont pas propriétaires du téléski.
Ainsi, il nous semble qu’il résulte des principes qui sont applicables aux DSP, que la collectivité délégante doit avoir la maîtrise des équipements nécessaires au fonctionnement du service public, ce, dès avant la conclusion du contrat.
Quelles conclusions en tirer sur la régularité de la convention ?
Le Conseil d’État a étendu sa jurisprudence Manoukian au déféré préfectoral, qu’il range, eu égard à son objet, dans la catégorie des contentieux de pleine juridiction. Ainsi, lorsque le préfet saisit, sur le fondement des dispositions des articles L2131-2 et L2131-6 du code général des collectivités territoriales, le juge administratif d’un déféré tendant à l’annulation d’un contrat public, il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat.V. CE 23 décembre 2011, Ministre de l'intérieur, de l'outre mer et des collectivités territoriales, n° 348648, A.
En l’espèce, le vice soulevé par le préfet nous paraît régularisable : il conviendrait que la commune mette en œuvre de façon anticipée l’article 10 de la convention, c’est-à-dire qu’elle fasse l’acquisition du téléski à sa valeur vénale, comme elle le ferait pour un bien de reprise. A défaut d’accord amiable, elle pourrait l’acquérir par la voie de l’expropriation. Si ce n’est pas déjà fait, les servitudes prévues par la loi montagne devraient être mises en place.
S’agissant de la clause qui prévoit que les biens nécessaires à l’exploitation du service des remontées mécaniques sont des biens de reprise, qui appartiennent à l’exploitant pendant la durée de la convention, il nous semble que vous pourriez modifier cette clause dans le sens conforme à la jurisprudence. Le cas échéant, le juge de l’exécution serait sans doute amené, en application des principes dégagés par la jurisprudence à requalifier d’office ces biens comme biens de retour.
C’est le dernier aspect, relatif à la mise en concurrence, qui nous paraît le plus délicat. Il n’a pas été soulevé par le préfet. Il est vrai que la société requérante était la seule candidate et qu’il ne résulte pas de l’instruction et n’est pas soutenu que des candidats potentiels aient renoncé à concourir pour l’attribution de la DSP. Si vous vouliez vous saisir d’office d’un tel moyen, il faudrait le communiquer aux parties afin d’avoir des précisions sur les nouveaux investissements réalisés par la société Télépente des Gets pour l’exécution de la nouvelle convention. Si ceux-ci était importants, la résiliation du contrat serait susceptible de porter une atteinte excessive à l’intérêt général.
En l’état, nous vous proposons, d’annuler le jugement qui annule la délibération autorisant le maire à signer la convention et la convention elle-même, de constater que l’exécution du contrat peut être poursuivie, sous réserve que la commune prenne les dispositions propres à lui assurer la maîtrise des installations nécessaires au fonctionnement du service public et modifie la clause relative à la propriété des biens construits au cours de la convention et nécessaires au fonctionnement du service public. En cas de non-respect de ces prescriptions passé un certain délai, que vous pourrez fixer à 6 mois, le contrat devrait alors être résilié.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement, à la poursuite de l’exécution du contrat sous réserve des mesures ci-dessus décrites et au rejet du surplus des conclusions des parties.