Régime de responsabilité de l'Etat : avis erroné de l’architecte des bâtiments de France

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 10LY01616 – 29 novembre 2011 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 10LY01616

Numéro Légifrance : CETATEXT000024910311

Date de la décision : 29 novembre 2011

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Permis de construire, Avis ABF, Appel en garantie, Responsabilité de droit commun

Rubriques

Responsabilité

Résumé

Cas d’un appel en garantie d’une commune dont la responsabilité est engagée pour refus illégal de permis de construire

La responsabilité de l’Etat résultant des fautes commises par l’architecte des bâtiments de France doit être engagée dans les conditions du droit commun dès lors que, placé sous l’autorité du ministre de la culture, il intervient pour émettre un avis exigé par les textes applicables, et non en sa qualité d’agent étatique mis conventionnellement à disposition d’une commune pour participer à l’instruction des demandes d’autorisation d’occupation des sols.

Conclusions du rapporteur public

Jean-Paul Vallecchia

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5914

M. L. et Mlle R. ont acquis sur le territoire de la Commune d’Epagny une parcelle de terrain cadastrée section AA n° 031 d’une superficie de 951 m2 à fin d’y faire édifier leur maison d’habitation.

Ce terrain se trouve situé dans le périmètre de protection d’un monument historique, à savoir le tympan de la porte latérale sud de l’église de la Commune d’Epagny donnant sur le cimetière.

M. L. et Mlle R. ont déposé – le 7 mars 2005 – une première demande permis de construire.

L’Architecte des Bâtiments de France (ABF) – dont l’avis conforme est requis dans ce cas de figure – ayant – le 24 mai 2005 – considéré que l’implantation et la volumétrie du projet ne correspondaient pas à la dominante du secteur et nuisaient à la cohérence de la présentation de l’église, le maire d’Epagny a – le 7 juin 2005 – rejeté cette première demande en reprenant l’ensemble des modifications souhaitées par l’ABF.

M. L. et Mlle R. vont – après modification de leur projet initial – présenter – le 12 septembre 2005 – une deuxième demande de permis de construire.

Après un nouveau refus de visa conforme de l’ABF en date du 6 octobre 2005 – fondé sur les mêmes motifs que le premier – le maire d’Epagny va donc rejeter à nouveau – le 27 octobre 2005 – la demande de permis de construire qui lui était soumise.

M. L. et Mlle R. se résolvent alors à présenter – le 8 février 2006 – une troisième demande, prenant en compte – comme le souhaitait l’ABF – une implantation en limite de la Rue de Bois, du pignon sud de la maison, cette implantation nécessitant une démolition partielle de l’ancien mur de clôture…

Mais l’administration – sur intervention de l’ABF – demandera à M. L. et Mlle R. de revenir à leur projet initial, ce qui donnera lieu au dépôt d’une demande de permis modificatif, laquelle sera finalement acceptée le 19 juin 2006 (plus de 15 mois après le dépôt de la première demande) après accord de l’ABF le 16 mai 2006.

Estimant avoir subi un préjudice, M. L. et Mlle R. vont adresser au maire d’Epagny une demande préalable tendant au versement à leur bénéfice d’une somme de 28.383, 88 euros : elle sera expressément rejetée le 10 janvier 2008.

Le Tribunal Administratif de Dijon, saisi par M. L. et Mlle R. d’une demande de condamnation de la Commune à leur payer la somme dont il s’agit augmentée des intérêts de droit, va rejeter cette demande par jugement du 6 mai 2010 en se fondant sur l’absence de faute commise par la Commune d’Epagny et de nature à engager sa responsabilité ; le maire s’étant trouvé – aux dires des premiers juges – dans une situation de compétence liée à l’égard de l’avis non conforme de l’ABF, le tympan – classé monument historique – de la porte latérale sud de l’église communale se trouvant certes derrière cette porte (au-dessus d’une seconde porte donnant accès à l’église) mais – en cas d’ouverture de la porte latérale donnant sur le cimetière – en situation de co-visibilité avec le projet de maison d’habitation de M. L. et Mlle R.

Ces derniers interjettent donc appel de ce jugement et demandent à votre Cour de condamner la Commune d’Epagny à leur verser une somme de 30.383, 88 euros augmentée des intérêts de droit à compter du 23 novembre 2007, date de réception par la Commune de leur réclamation préalable.

Les requérants présentant en appel des conclusions à fin de condamnation d’un montant supérieur de 2000 euros à celles qui avaient été formulées devant les juges du premier ressort, votre Cour a communiqué aux parties à l’instance un moyen d’ordre public tenant à l’irrecevabilité de ces conclusions en tant qu’elles majorent le préjudice qui aurait été subi sans expliciter les raisons qui pourraient le justifier.

De telles conclusions – nouvelles en appel – sont effectivement irrecevables.

Par ailleurs, la Commune d’Epagny soulève dans ses écrits en défense une fin de non-recevoir de la requête, laquelle serait mal dirigée, les requérants critiquant essentiellement les avis émis par l’Architecte des Bâtiments de France (ABF), agent de l’Etat, et le maire ayant du se conformer aux avis de l’ABF s’agissant de la protection d’un monument historique.

Toutefois, la Commune d’EPAGNY étant couverte par un Plan Local d’Urbanisme (PLU), son maire, en statuant sur les demandes de permis qui lui étaient soumises, a bien engagé la Commune, dont la responsabilité peut en conséquence être recherchée à l’occasion d’une action en responsabilité ; la Commune conservant la possibilité – si elle s’y croit fondée – et cela est le cas en l’espèce – d’exercer une action contre l’Etat.

Votre recherche de l’éventuelle responsabilité de la Commune passera par l’analyse – appliquée au cas d’espèce – des dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques dont les dispositions sont reprises par le code du patrimoine – à l’article L621-30-1 – et en vertu desquelles : « Est considéré (…) comme étant situé dans le champ de visibilité d’un immeuble classé ou inscrit (…) tout autre immeuble, nu ou bâti, visible du premier ou visible en même temps que lui et situé dans un périmètre de 500 mètres. ».

Il n’est pas contesté que le projet de M. L. et Mlle R se situe bien dans le périmètre de 500 m du monument classé.

Par ailleurs, depuis le tympan, qui se trouve à l’intérieur du bâtiment constituant l’église – dans une petite entrée latérale précédant l’église elle-même – et à laquelle on accède par la porte latérale sud du bâtiment donnant sur le cimetière, depuis cet endroit, il n’est pas possible de voir le projet des requérants.

Reste donc la situation dite de co-visibilité, c'est-à-dire celle qui permettrait – dans le périmètre de 500 m – de voir à la fois le tympan et la maison des requérants…

Pour apprécier cette situation, il faut d’abord retenir l’hypothèse de l’ouverture de la porte latérale sud donnant sur le cimetière, ce qui constitue déjà une première restriction de cette éventuelle situation de co-visibilité… Cela dit, la jurisprudence retient les situations de co-visibilité non permanentes : Conseil d’Etat n° 95676 du 11 février 1976 SOCIETE « UNION DES ASSURANCES DE PARIS-UNION I.A.R.D. ». Et puis en admettant que cette porte soit ouverte, les photographies qui ont été produites par les parties ne permettent pas, à notre sens, d’affirmer qu’une telle situation pourrait exister dans une situation normale d’observation. Car, en effet, le tympan en question, en forme de demi-cercle, se trouve placé – à l’intérieur de la petite entrée latérale – au-dessus de l’encadrement d’une porte donnant accès à l’église elle-même, dans le prolongement de la porte latérale ouvrant sur le cimetière, les encadrements des deux portes successives paraissant de dimensions comparables et le tympan ne pouvant semble-t-il être vu que sous des points de vue assez bas ne correspondant pas à une position normale d’observation… Certes, la jurisprudence permet d’admettre des co-visibilités partielles (Conseil d’Etat n° 103270 du 4 novembre 1994 SOCIETE DE GESTION, D’ETUDES ET DE CREATIONS IMMOBILIERES FRANCAISES) mais ici ce que nous pressentons est plutôt une quasi-absence de co-visibilité…

Evidemment, il faudrait être sur place pour confirmer ce point de vue… si je puis dire…Mais au regard des documents photographiques qui sont produits cette situation apparaît très probable…

Pour une situation assez similaire voyez Conseil d’Etat n° 153077 du 30 septembre 1998 M. M.

Ainsi, en l’absence de visibilité de la maison depuis le tympan et en l’absence de situation de co-visibilité l’ABF ne pouvait imposer les prescriptions qu’il a émises à l’occasion des demandes successives de permis de construire de M. L. et Mlle R et le maire de la Commune d’Epagny – qui ne se trouvait donc pas en situation de compétence liée en l’absence de situation de co-visibilité – n’était pas tenu – contrairement à ce qui a été jugé par le Tribunal Administratif de Dijon –  de refuser le permis de construire qui lui était demandé puis de l’accorder en l’assortissant des prescriptions imposées par l’ABF.

Dans une situation d’avis illégal de l’ABF, un maire peut s’en écarter et délivrer le permis qui lui est demandé : Conseil d’Etat n° 216471 du 26 octobre 2001 M. E..

Ainsi, si votre Cour suit ce raisonnement, que nous lui proposons, elle en déduira que les refus de permis de construire du 7 juin et du 27 octobre 2005 sont illégaux, que le permis accordé le 19 juin 2006 l’est également en ce qu’il impose à ses bénéficiaires des prescriptions – prescriptions au demeurant divisibles du permis lui-même – et que ces illégalités – fautives – sont susceptibles d’ouvrir à M. L. et Mlle R. un droit à réparation

La Commune voudrait – dans l’hypothèse à laquelle elle ne souscrit pas d’un engagement de sa responsabilité – voir cette responsabilité minorée du fait de la propre responsabilité de M. L. et Mlle R à différents niveaux… Toutefois, si l’on admet le raisonnement que nous proposons il n’est pas possible de faire grief aux requérants d’avoir négligé l’existence d’un périmètre de protection d’un monument historique et de n’avoir pas eu recours à un architecte ; recours qui – au demeurant – n’était nullement obligatoire en raison d’une Surface Hors Œuvre Nette (SHON) de l’opération de 119 m2 inférieure au seuil de 170 m2.

En revanche, face à un avis de l’ABF qui leur était apparu anormal, M. L. et Mlle R auraient dû le contester devant le Préfet de Région sur le fondement de la procédure prévue à cet effet par les dispositions de l’article R421-38-4 du code de l’urbanisme et puis aussi, peut-être, présenter, à la suite du premier refus, une nouvelle demande de permis prenant en compte les prescriptions qui avaient été édictées, ce qu’ils n’ont pas fait et ce qui a été à l’origine du second refus…

Une part de responsabilité, minime, d’environ un quart, pourrait équitablement être déduite de la responsabilité de la Commune… mais en ce qui concerne seulement les chefs de préjudices liés au retard dans la réalisation du projet…

Sur les préjudices eux-mêmes, sont invoqués cinq chefs de préjudices :

- le surcoût lié au retard dans la réalisation du projet ;

- le surcoût lié aux prescriptions de l’ABF ;

- les loyers payés en raison du retard dans la réalisation du projet ;

- la réalisation d’un emprunt supplémentaire de 21000 euros ;

- des troubles dans leurs conditions d’existence.

Sur le surcoût lié au retard dans la réalisation du projet… les requérants produisent deux attestations – du 17 octobre 2007 et du 27 avril 2009 – de la Société Babeau-Seguin avec laquelle ils avaient signé un contrat pour la construction de leur maison, lesquelles attestations indiquent un chiffre censé correspondre à ce surcoût, la seconde attestation précisant en outre la période à prendre en compte… Toutefois, le chiffre indiqué n’est accompagné d’aucune explication sur les critères qui ont été pris en compte et sur les modalités de calcul qui ont permis de l’obtenir… Il ne vous sera donc pas possible de vous l’approprier…

Par ailleurs, en ce qui concerne la période de référence à prendre en compte, elle débute le 7 juin 2005 – date du premier refus de permis – et s’achève le 19 juin 2006, date d’obtention du permis.

Sur le surcoût lié aux prescriptions de l’ABF… les mêmes attestations de la Société Babeau-Seguin précisent clairement le coût des modifications qui ont dû être apportées en ce qui concerne les tuiles, la pente de la toiture, la teinte des menuiseries et les fenêtres… pour un montant total de 5127 euros… un chiffre vraisemblable, qui n’est d’ailleurs pas contesté par la Commune, et que vous pourrez – nous semble-t-il – retenir.

L’éventuelle plus-value dont la maison des requérants a pu bénéficier en raison de ces modifications ne saurait – contrairement à ce que soutient la Commune – et parce-que les requérants n’envisageaient nullement de telles modifications – être déduite du coût de ces modifications.

Sur les loyers payés en raison du retard dans la réalisation du projet… les requérants soutiennent qu’ils ont dû régler treize mois de loyers supplémentaires, soit un total de 8.838, 50 euros, sur la période allant du premier refus de permis jusqu’à la date de délivrance de ce permis, qui constitue bien la période de décalage de l’opération. Mais s’agissant ici d’un chef de préjudice lié au retard dans l’exécution de l’opération, il paraîtrait – comme nous l’avons indiqué – équitable de déduire de cette somme un quart pouvant correspondre à la part de responsabilité des requérants, soit une somme de 6629 euros.

Sur la réalisation d’un emprunt supplémentaire de 21000 euros… vous ne pourrez suivre les requérants, lesquels ne justifient pas de façon suffisamment certaine le lien de causalité entre cet emprunt et les surcoûts de l’opération.

Enfin sur les troubles dans les conditions d’existence…c’est ce chef de préjudice qui a augmenté de 2000 euros entre la première instance et l’appel, passant de 1500 à 3000 euros… une augmentation qui – comme vous l’avez notifié aux parties par la communication d’un moyen d’ordre public – constitue des conclusions nouvelles irrecevables.

Cela dit, la somme que vous pourriez accorder au titre de ce chef de préjudice ne pourra – nous semble-t-il – atteindre cette somme…même si les requérants peuvent à juste titre se prévaloir de la situation à laquelle ils se sont trouvés confrontés, une situation qui leur a causé d’évidents soucis, qui a remis en cause leur projet, au point qu’ils ont été finalement obligés de vendre leur maison en raison de difficultés financières.

Une somme de 1500 euros pourrait – nous semble-t-il – leur être allouée à ce titre, ce qui déduction faite de leur part de responsabilité d’un quart, aboutirait à 1125 euros au titre des troubles dans les conditions d’existence.

Au total, la somme à laquelle votre Cour pourrait condamner la Commune d’Epagny se situerait à 12.881 euros.

Cette somme serait augmentée des intérêts légaux à compter du 23 novembre 2007 date de réception par la Commune de la réclamation indemnitaire préalable de M. L. et Mlle R et ces intérêts étant capitalisés à compter du 12 juillet 2010, date de la demande de capitalisation, pour la première fois, en appel, ce qui est possible à condition qu’au moins une année entière se soit écoulée.

Dans cette affaire la Commune d’Epagny appelle l’Etat en garantie par la procédure de l’appel provoqué.

L’Etat ne conteste pas cet appel en garantie.

En première instance, l’Etat s’était référé à une jurisprudence destinée à limiter sa responsabilité et concernant le refus ou la négligence d’exécuter un ordre ou une instruction d’un maire… ce qui ne recouvre pas le cas de figure de l’ABF intervenant au titre de la protection du patrimoine classé.

Ici les avis de l’ABF qui ont entraîné les deux refus de permis de construire sont – dans le raisonnement que nous proposons à votre Cour de suivre – susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat. Une responsabilité qu’il est toutefois possible de minorer, le maire pouvant se faire lui aussi sa propre idée de la situation de co-visibilité ou saisir le Préfet de Région de cet avis sur le fondement de l’article R.421-38-4 du code de l’urbanisme.

Ainsi, l’Etat pourrait à notre sens garantir pour moitié la somme de 12.881 euros augmentée des intérêts et ces intérêts étant capitalisés.

Par ces motifs nous concluons :

- à l’annulation du jugement n° 00800552 du 6 mai 2010 du Tribunal Administratif de Dijon ;

- à la condamnation de la Commune d’Epagny à verser à M. L. et Mlle R. une somme 12.881 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 23 novembre 2007 et ces intérêts étant capitalisés à compter du 12 juillet 2010 ;

- à la condamnation de l’Etat à garantir la Commune d’Epagny à hauteur de 50% de sa condamnation ;

- à ce que soit mise à la charge de la Commune une somme de 1200 euros qui sera versée aux requérants au titre de l’article L761-1 du Code de Justice Administrative.

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