La présente affaire met en perspective la complexité de la répartition des compétences en matière de sécurité civile, autour de trois acteurs majeurs : le maire, le préfet et le Service départemental d’incendie et de secours (SDIS).
Le 29 octobre 2004, la péniche « Le Saôna », qui naviguait sur la Saône, a connu une avarie de gouvernail et s’est échouée sur la pile droite sur le pont Maréchal Juin à Lyon. Compte tenu des risques que cette situation faisait peser tant sur le navire que sur le pont, le SDIS a conduit une opération de secours. Il a sollicité la collaboration des services de la navigation Rhône-Saône ainsi que ceux de VNF. L’opération de secours a été brutalement interrompue lorsque le câble de remorquage s’est rompu. La péniche, emportée par le courant de la Saône en crue, s’en est allée heurter le parking Saint-Antoine, situé sur le quai éponyme de la rive gauche de la Saône. La société Lyon Parc Auto, propriétaire du parking endommagé, a présenté au Tribunal administratif de Lyon une requête en condamnation de l’Etat à lui payer la somme de 180 865 euros en réparation du préjudice subi du fait des dommages matériels et de la perte d’exploitation qu’elle a subis en tant qu’exploitant du parking Saint-Antoine du fait des fautes commises par l’Etat lors de la procédure de déséchouage du « Saôna ». Par un jugement du 8 décembre 2009, le T.A. rejetait la requête (T.A. Lyon, 5ème chambre, n° 00704559, 8 décembre 2009). La société interjette appel du jugement le 25 février 2010 devant la C.A.A. de Lyon qui s’est prononcée par l’arrêt commenté rendu par la 4ème chambre le 7 juillet 2011. Deux questions essentielles se sont posées au juge : quelle autorité était compétente pour mener les opérations de secours du « Saôna » ? Dans l’hypothèse où l’autorité compétente est la commune, la responsabilité de l’Etat peut-elle tout de même être recherchée dans la mesure où certains de ses agents ont participé aux secours ? Contrairement à ce qui était soutenu par la requérante, l’autorité responsable des opérations de secours était la ville de Lyon (1) et la seule participation d’agents de l’Etat à l’opération de secours ne suffit pas à engager sa responsabilité en l’espèce (2).
1. – La détermination de l’autorité compétente pour le secours d’une péniche échouée contre un pont traversant une rivière située sur le territoire communal
L’accident à l’origine du présent litige est susceptible d’entrer dans le champ de compétence de diverses autorités de police. En effet, cet accident, qui concerne une péniche, s’est non seulement produit sur le territoire d’une commune dont la police est étatisée mais il a également eu lieu sur une rivière, soit une dépendance du domaine public fluvial, et qui plus est, à l’endroit où la rivière est traversée par un pont, qui appartient au domaine public routier de la commune. Les faits de l’espèce nécessitaient du juge qu’il clarifie la situation, qu’il démêle les compétences afin d’imputer la responsabilité du dommage subi par la Société Lyon Parc Auto, qui avait engagé celle de l’Etat.
Sur un plan opérationnel, les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) sont chargés par la loi de la protection et de la lutte contre les accidents, sinistres et catastrophes ainsi que des secours d’urgence (article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales) . Et les SDIS sont placés, aux termes de l’article L. 1424-3 du code général des collectivités territoriales « pour emploi sous l’autorité du maire ou du préfet, agissant dans le cadre de leurs pouvoirs respectifs de police ». La compétence du maire en matière de police est déterminée par les dispositions de l’article L. 2211-1 du code général des collectivités territoriales qui prévoit notamment que « le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique (…) ». Lui incombe à ce titre la tâche « d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique (et) notamment : 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents (…), de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure (…) » (article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales).
Mais depuis l’intervention de la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, et notamment ses articles 16 à 22, c’est le préfet, représentant de l’Etat, qui dirige les secours en cas d’accident, sinistre ou catastrophe dont les conséquences peuvent dépasser les capacités ou les limites d’une commune. De plus, aux termes de l’article 7 de la loi du 22 juillet 1983 : « L’Etat est responsable (…) pour tous les cours d’eau (…) domaniaux de la police de la conservation du domaine fluvial, de la police de la navigation et de la police des eaux et des règles de sécurité (…) ». C’est principalement sur ces deux dispositions que se fondait l’argumentaire de la Société Lyon Parc Auto afin d’imputer à l’Etat la responsabilité des dommages causés par l’opération de secours ayant mal tourné.
Or en l’espèce, et comme l’a par ailleurs jugé la Cour, l’accident, et ses conséquences, n’excédaient ni la capacité ni les limites de la commune de Lyon. Il ne s’agissait pas d’un accident majeur, loin sans faut, du moins au sens des dispositions de la loi du 13 août 2004. On peut ajouter que les services de l’Etat n’ont pas agi pour pallier les insuffisances de la ville de Lyon, mais à sa demande.
Par ailleurs, l’opération de secours avait comme principal objectif de protéger la pile du pont sur laquelle s’était échouée la péniche. Son but premier était donc de protéger le pont, dépendance du domaine public routier de la commune. L’endommagement du pont était donc un risque qui pesait sur la sécurité publique de la ville de Lyon : le maire était par conséquent compétent pour prévenir tout trouble à la sécurité publique, en vertu de son pouvoir de police administrative générale.
La compétence de la commune de Lyon pour réaliser l’opération de secours de la péniche « Le Saôna » ne faisant pas de doute pour la 4ème chambre de la CAA de Lyon, il restait cependant à déterminer si la responsabilité de l’Etat ne pouvait pas être engagée, même à titre partagé avec celle de la commune, car ses services avaient bien participé à l’opération de secours.
2. – Les conditions de l’engagement de la responsabilité de l’Etat pour des dommages causés du fait de l’opération de secours menée conjointement avec les services de la ville de Lyon
La responsabilité de l’Etat ne pouvait dès lors plus être engagée qu’à concurrence de celle de la commune, conformément aux dispositions du code général des collectivités territoriales. Son article L. 2216-1 prévoit que « la commune voit sa responsabilité supprimée ou atténuée lorsqu'une autorité relevant de l'Etat s'est substituée, dans des hypothèses ou selon des modalités non prévues par la loi, au maire pour mettre en œuvre des mesures de police » et son article L. 2216-2 énonce que « sans préjudice des dispositions de l'article L. 2216-1, les communes sont civilement responsables des dommages qui résultent de l'exercice des attributions de police municipale, quel que soit le statut des agents qui y concourent. Toutefois, au cas où le dommage résulte, en tout ou partie, de la faute d'un agent ou du mauvais fonctionnement d'un service ne relevant pas de la commune, la responsabilité de celle-ci est atténuée à due concurrence (…) ». Pour voir condamner l’Etat, encore fallait-il que ses agents aient commis une faute lors des opérations de secours. Ce n’est pas ce qu’a révélé l’instruction de l’affaire. Le dommage causé au parking Saint-Antoine résulte de la rupture du câble de remorquage de la péniche, puis de la dérive de la péniche, devenue incontrôlable vers les murs du parking. Et la rupture du câble n’est ni imputable à l’organisation des secours, ni à une quelconque faute des agents de l’Etat engagés dans l’opération de secours. En outre, la gouverne du navire avait été endommagée préalablement aux opérations, et cet élément-là n’avait pas été porté à la connaissance des autorités. Il a pourtant nécessairement joué un rôle dans les mouvements de la péniche ayant entraîné la rupture du câble.
En tout état de cause, les dommages subis par la société Lyon Parc Auto ne résultaient pas, « même partiellement », d’une faute de service de la navigation Rhône-Saône. La responsabilité de l’Etat ne pouvait, dès lors, être engagée.