DECISION CE
Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale -Régime de la loi du 31 décembre 1968 - Indemnités demandées en réparation du préjudice qui résulterait du caractère insuffisant de la rémunération de la créance détenue sur le Trésor public à raison de la suppression de la règle du décalage d'un mois en matière de TVA (1) - 1) Bien au sens de l'article 1P1 - Existence - 2) Soumission de ces prétentions à un délai de prescription de quatre ans (art. 1er de la loi du 31 décembre 1968) - Délai qui ne présente pas un caractère exagérément court - Incompatibilité de ce délai en lui-même avec l'article 1P1 - Absence - 3) Circonstance que l'Etat disposait, en l'état du droit en vigueur avant la loi du 17 juin 2008, de délais exorbitants du droit commun, plus longs que ceux prévus par la loi du 31 décembre 1968 - Méconnaissance de l'article 1P1 - Absence, dès lors que la créance est née à raison de l'exercice de ses compétences fiscales par l'Etat.
Société demandant la réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi en raison des modalités de remboursement et de l'insuffisante rémunération de la créance qu'elle détenait sur le Trésor public du fait de la suppression de la règle dite du " décalage d'un mois " en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
1) Les indemnités demandées, qui ont pour origine le caractère insuffisant d'une rémunération, fixée par arrêtés du ministre du budget, d'une créance sur le Trésor se substituant à un remboursement d'impôt, ont la nature d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (article 1P1).
2) Le seul fait que les prétentions d'une société au versement de telles indemnités puissent être soumises, en vertu des dispositions de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, à un délai de prescription de quatre ans, qui ne présente pas en tant que tel un caractère exagérément court, n'est pas en lui-même incompatible avec ces stipulations.
3) L'Etat disposait, pour faire valoir une créance à l'égard d'un administré, de délais plus longs que ceux qui sont ouverts par la loi du 31 décembre 1968, qui pouvaient atteindre, pour certaines créances, dans l'état du droit en vigueur jusqu'à l'intervention de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, une durée de trente ans. Toutefois, dès lors que la créance dont le remboursement était en litige devant les juges du fond est née à raison de l'exercice de ses compétences fiscales par l'Etat, l'application d'un délai de prescription exorbitant du droit commun ne porte pas une atteinte excessive au droit du demandeur au respect de ses biens et ne rompt pas le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général.
ARRET CAA : partiellement confirmé
Compatibilité de la prescription quadriennale avec les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (non).
Avant l’intervention de la loi n° 02008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, dont les dispositions ne sont pas applicables aux contentieux en cours à la date de sa publication, le délai de prescription de droit commun, opposable aux créances ordinaires de l’Etat en vertu des dispositions de l’ancien article 2227 du code civil, était fixé à trente ans par les dispositions de l’ancien article 2262 du code civil. Ainsi, eu égard au mode de calcul de la prescription quadriennale, le délai pendant lequel l’Etat pouvait alors faire valoir d’éventuelles créances était entre 6 fois et sept fois et demi supérieur à celui prévu pour qu’un créditeur puisse faire valoir ses propres créances à l’encontre de l’Etat. Le souci d’apurer de manière prompte les dettes de l’Etat et d’éviter de surcharger son budget de dépenses imprévues ne saurait suffire à justifier un tel écart. En raison de cet écart, l’application de la prescription quadriennale à une créance existant à l’encontre de l’Etat doit être regardée comme portant atteinte au droit du détenteur de cette créance au respect de ses biens et comme ayant rompu le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété et les exigences de l’intérêt général.
Dans ces conditions, le créancier est fondé à soutenir que l’application de la prescription quadriennale à sa créance doit être écartée comme incompatible avec les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.