Le domaine public est aliénable ! Tel est le sentiment susceptible de résulter de la lecture de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 7 juillet 2011, Centre hospitalier de la région d’Annecy qui concerne un litige se rattachant à l’exécution d’un protocole d’accord relatif à la vente d’un site hospitalier d’environ 6 hectares destiné à être déclassé du domaine public.
S’agit-il d’une provocation ? Sans aucun doute si l’on se réfère non seulement à l’article L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (ci-après CG3P) mais aussi à plusieurs autres dispositions, dont l’article L. 6148-1 du Code de la santé publique, qui posent la règle d’inaliénabilité du domaine public. Si l’on a pu croire à une certaine époque que cette inaliénabilité faisait obstacle à ce que le domaine public fasse l’objet d’un droit de propriété, à tout le moins d’un droit de propriété du Code civil, ce n’est plus le cas aujourd’hui comme le montre, par son intitulé, le Code général de la propriété des personnes publiques. La reconnaissance d’un droit de propriété de même nature que le droit de propriété du Code civil dont le régime varie en fonction du rattachement de la dépendance à l’une des deux catégories domaniales met en lumière la portée de l’inaliénabilité du domaine public. Sauf à ressusciter le souvenir des biens de mainmorte, elle ne peut être que relative pour l’essentiel. Contrairement aux clauses d’inaliénabilité que le Code civil a fini par admettre, il ne s’agit pas d’une relativité dans le temps. La relativité de l’inaliénabilité du domaine public est d’une autre nature. Elle tient aux conditions de sortie du domaine public et à l’incorporation corrélative de la dépendance dans le domaine privé aliénable. Si ces conditions sont variables en fonction de la nature de la dépendance et de l’objet de son affectation, il suffira bien souvent à l’Administration de la désaffecter pour prononcer le déclassement permettant son aliénation.
Le domaine public serait-il donc aliénable ? Si l’énoncé a incontestablement la forme d’une provocation au regard des textes applicables, il est fidèle à la réalité pour la plupart des dépendances. Un auteur ancien l’avait bien vu : l’inaliénabilité du domaine public est potestative. Les exemples d’aliénation de dépendances du domaine public ne manquent pas au demeurant.
Il ne reste pas moins délicat d’un point de vue juridique d’organiser en amont l’aliénation d’une dépendance du domaine public, a fortiori lorsqu’elle est encore affectée à une activité de service public et que le transfert de propriété doit se faire au profit d’une personne privée.
En prévoyant un dispositif de déclassement anticipé permettant la vente d’une dépendance du domaine public sous condition résolutoire de sa désaffectation dans un délai maximum de trois ans, l’article L. 2141-2 du CG3P facilite la cession des dépendances du domaine public artificiel de l’État et, depuis 2009, des établissements publics de santé. Mais, nonobstant le fait que cette disposition n’est toujours pas applicable aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, l’existence de pourparlers préparant la vente a pu poser des difficultés dans le passé lorsque la séquence suivante devait être impérativement respectée : désaffectation, déclassement, aliénation. Les négociations se déroulaient en effet sous un régime de domanialité publique.
Datant de 2001, c’est précisément à une telle époque que remonte la décision de céder l’hôpital d’Annecy. L’acquéreur choisi, il a été convenu que les négociations reposeraient sur la signature d’un protocole d’accord prévoyant les obligations des parties en vue de l’établissement d’une promesse unilatérale d’achat dont la levée d’option était subordonnée à la libération du site et à son déclassement.
L’établissement public ayant estimé que la validité du protocole était échue faute de réalisation de l’une des conditions permettant la poursuite des relations contractuelles, la Cour administrative d’appel de Lyon était appelée à statuer à la demande de l’acquéreur évincé sur la responsabilité du Centre hospitalier dans la rupture du processus de vente. Elle s’est déclarée incompétente après avoir estimé que le protocole avait la nature d’un contrat de droit privé. Elle s’est fondée, outre la présence d’une personne privée au contrat, sur son objet et son contenu. La Cour a tiré la conséquence de ce que le protocole s’insérait dans un ensemble contractuel visant à formaliser la vente d’un bien devant sortir du domaine public à la suite de son déclassement. C’est donc sur la nature du contrat de vente d’une dépendance du domaine privé local que la Cour s’est alignée pour déterminer la nature du protocole après s’être assurée qu’il ne comportait pas de clause exorbitante du droit commun qui aurait conduit à lui donner la qualification de contrat administratif.
Cette solution, qui mérite d’être approuvée pour sa simplicité, appelle deux observations.
En premier lieu, tout contrat de droit privé soit-il, en vertu de la théorie des actes détachables un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif sera toujours possible contre la délibération autorisant la conclusion de ce protocole ou contre la décision informelle de le signer.
En second lieu, même si le protocole emprunte sa nature au contrat de vente du domaine privé local qu’il prépare, il n’en reste pas moins, au moment de sa conclusion, un contrat portant sur le domaine public. Sa licéité est par conséquent conditionnée au respect de la règle d’inaliénabilité qui s’impose aux contrats administratifs comme aux contrats privés. Par conséquent, l’engagement des parties ne doit pas masquer, en dépit des termes retenus pour formaliser leur accord, un consentement réciproque sur la chose et le prix incompatible avec l’inaliénabilité du domaine public (CAA Lyon, 8 juill. 2004, Sté civile immobilière Rue des Fleurs c/ Ville Grenoble, n° 99LY00595. – CAA Versailles, 23 mars 2006, Commune du Chesnay, req. n° 05VE00070) . Une condition suspensive tenant au déclassement du domaine public doit être tenue pour potestative dans le cas d’un compromis de vente (Y. Gaudemet, Droit administratif des biens, 13e éd., 2008, p.140), ce qui permet de contourner la question de savoir si elle est compatible avec l’inaliénabilité du domaine public. Un arrêt du Conseil d’État du 23 avril 2003, Association « Vivre à Endoume – Défense et environnement » (n° 249918) a pu être présenté comme reconnaissant la légalité d’une délibération de conseil municipal approuvant une promesse de vente d’une dépendance du domaine public consentie à une personne privée sous la condition suspensive de son déclassement. Mais l’arrêt n’a pas cette portée. Le Conseil d’État était appelé à se prononcer en tant que juge de cassation sur la régularité de la suspension du permis de construire délivré au bénéficiaire de la promesse. Cassant l’ordonnance du juge de référé du Tribunal administratif de Marseille, il a jugé que la demande de permis était recevable, le bénéficiaire de la promesse justifiant d’un titre l’habilitant à construire sur une dépendance dont le déclassement avait été adopté dans son principe de manière certaine. Par conséquent dans cet arrêt, le Conseil d’État n’a pas pu admettre la validité de la promesse au regard du régime domanial ; il a simplement estimé que le permis de construire était légal au regard du droit de l’urbanisme. Le Tribunal administratif de Nantes a pu en revanche considérer qu’un compromis de vente du domaine public sous condition suspensive de déclassement ne méconnaissait pas l’inaliénabilité du domaine public (TA Nantes, 10 mars 1993, Commune de Guérande, Droit envi. 1993, n° 019, p. 65, note R. Romi) . Mais cette solution reste isolée et incertaine.
Même si la légalité du protocole litigieux ne se posait pas en l’espèce, on peut observer qu’il préparait une promesse d’achat à venir. Il pouvait s’analyser comme un engagement de meilleurs efforts visant à créer les conditions de conclusion de la promesse d’achat dont la levée d’option était subordonnée à la désaffectation du terrain et à son déclassement du domaine public. Abstraction faite de la question de la légalité de la promesse d’achat vers laquelle il conduisait, le protocole paraissait en lui-même compatible avec l’inaliénabilité du domaine public puisqu’il ne formalisait pas une cession de la dépendance. Son utilité était au demeurant évidente : il organisait le cadre de la négociation sur les conditions de la vente tout en habilitant l’acquéreur potentiel à déposer une demande d’autorisation d’urbanisme, le déclassement pour les besoins de l’opération étant certain dans son principe (CE 29 mai 1985, Association de défense des Creillois de la rive gauche, req. n° 36087 ; CE 23 avril 2003, Association « Vivre à Endoume-Défense environnement », req. n° 249918 ; CE 26 janvier 2007, Sté Logidis, n° 278642), et assurait la personne publique d’avoir un acquéreur pendant qu’elle libérait le terrain en vue de prononcer son déclassement.