Une opération qui n’a pas un caractère habituel n’est pas soumise à la taxe sur la valeur ajoutée

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Décision de justice

CAA Lyon, 5ème chambre – N° 10LY00846 – SA COSMO – 17 mars 2011 – C

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 10LY00846

Numéro Légifrance : CETATEXT000024754958

Date de la décision : 17 mars 2011

Code de publication : C

Index

Mots-clés

TVA, Caractère habituel, Plus-value, Intention spéculative, Achat de terrain, Activité de marchand de biens

Rubriques

Fiscalité

Résumé

Une société qui a changé son activité de bureau d’étude pour se consacrer à une activité de marchand de biens n’est pas redevable de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour une opération d’achat d’un terrain qu’elle a revendu quatre mois après en l’absence d’opération de cette nature réalisée ultérieurement. L’opération qui a consisté en l’achat d’un bien revendu une fois divisé en deux lots ne saurait être regardée comme présentant un caractère habituel « nonobstant l’importance de la plus-value ainsi réalisée et le faible délai écoulé entre l’achat et la vente du terrain, et alors même que la vente a été faite en deux lots, cette opération isolée ne saurait être regardée comme présentant un caractère habituel »

La société requérante X., qui exerçait auparavant une activité de bureau d’études, a décidé d’abandonner cette activité pour se consacrer à une activité de marchand de biens. Suite à une vérification de comptabilité portant sur les années 2002 à 2004, l’administration fiscale a considéré que la société avait eu pendant cette période une réelle activité de marchand de biens et l’a en conséquence soumise pour cette activité, notamment, à des cotisations à l’impôt sur les sociétés, au paiement de droits de TVA, à la taxe d’apprentissage et à la taxe de participation au développement de la formation professionnelle.

La Cour rappelle, après avoir cité les dispositions de l’article 35 du code général des impôts (CGI) et les dispositions du 6° de l’article 257 dudit code, que, s’agissant de l’imposition à la TVA, l’application de ces dispositions est subordonnée à la double condition que les opérations en question procèdent d’une intention spéculative et présentent un caractère habituel.

La Cour juge que la société requérante a procédé à une seule opération d’achat d’un terrain le 10 décembre 2002, pour la somme de 127 978, 88 euros, à laquelle s’ajoutaient des frais de notaire pour un montant de 3 196, 76 euros, et a revendu ce terrain quatre mois plus tard, en seulement deux lots, à des dates très rapprochées, les 3 et 11 avril 2003, pour les sommes respectivement de 89 182, 68 euros et 102 140, 52 euros. Toutefois, aucune autre opération de cette nature n’a été ultérieurement réalisée par la société. Dans ces conditions, nonobstant l’importance de la plus-value ainsi réalisée et le faible délai écoulé entre l’achat et la vente du terrain, et alors même que la vente a été faite en deux lots, cette opération isolée ne saurait être regardée comme présentant un caractère habituel. La société requérante est ainsi fondée à soutenir que c’est en méconnaissance des dispositions susmentionnées du CGI que l’administration fiscale a soumis cette activité à la TVA.

L’arrêt de la Cour est également intéressant en ce qu’il a appliqué le régime de preuve objective alors que le rapporteur public lui proposait d’appliquer la jurisprudence du CE selon laquelle il appartient toujours à l'administration d'apporter la preuve qu'un contribuable se livre habituellement à l'achat d'immeubles en vue de les revendre. (En ce sens notamment, pour un contribuable taxé d’office : CE 29 avril 1985 n° 44549, 9e et 7e s.-s. :  RJF 6/85 n° 834 ; Dans le même sens, pour l'application de la TVA (CGI art. 257-6° : CE 29 avril 1985 n° 044187, 9e et 7e s.-s.).

Conclusions du rapporteur public

Pierre Monnier

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5850

La société COSMO a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, diligentée en 2005, qui a porté sur la période 2002-2004. Si la société était à jour de ses obligations déclaratives en matière de TVA, il n'en était pas de même en matière d'impôt sur les sociétés puisqu'elle n'avait déposé aucune déclaration de résultat sur la période soumise à vérification, en dépit des lettres de mise en demeure adressées par le service. Par procès-verbal en date du 21 octobre 2005, signé contradictoirement par le PDG de la société COSMO et par le vérificateur, il a été consigné l'absence de relevés bancaires, de journal des ventes sur l'année 2003, l'absence du répertoire des marchands de biens, l'absence de journaux de banque et de ventes sur l'année 2004.

Par une proposition de rectification notifiée 15 décembre 2005, divers chefs de redressements ont été portés à la connaissance de la société, tant en matière d'impôt sur les sociétés qu'en matière de taxe sur la valeur ajoutée et de taxes annexes.

Cette société relève appel du jugement du 9 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête.

Le seul moyen qui nous semble de nature à invalider le raisonnement des premiers juges est celui tiré de la qualité de marchand de bien et notamment du caractère habituel des opérations attaché à cette qualité.

La question que pose le dossier sur ce point nous semble inédite dans la jurisprudence.

Rappelons d’abord les faits.

La société a acheté un terrain le 10 décembre 2002 au prix de 127 978, 88 euros auquel il faut ajouter 3 196, 76 euros de frais de notaire. Quatre mois après, par actes des 3 et 11 avril 2003, elle a revendu ce terrain en deux lots pour des montants s’élevant à, respectivement, 89 182, 68 euros et 102 140, 52 euros, soit un total de 191 323, 52 euros, dégageant une plus-value est de 60 148 euros, soit + 47 % du prix d’achat.

En l’espèce, la société ne conteste pas sérieusement le caractère spéculatif de cette opération mais elle soutient qu’elle ne saurait suffire à caractériser la condition d’habitude.

Bien que les faits soient constants, il n’est peut-être pas inutile de rappeler la charge de la preuve en la matière car tant le tribunal administratif de Lyon, en appliquant un régime preuve objective, que le ministre, en soutenant que la charge de la preuve pèse sur la société, du moins s’agissant des redressements d’impôt sur les sociétés, dès lors qu’elle a été régulièrement taxé d’office, ne nous semblent avoir correctement distribué le fardeau de la preuve.

En effet, le CE, à notre connaissance, n’est pas revenu sur sa jurisprudence selon laquelle il appartient toujours à l'administration d'apporter la preuve qu'un contribuable se livre habituellement à l'achat d'immeubles en vue de les revendre. (En ce sens notamment, pour un contribuable taxé d’office : CE 29 avril 1985 n° 44549, 9e et 7e s.-s. : RJF 6/85 n° 834 ; Dans le même sens, pour l'application de la TVA (CGI art. 257-6° : CE 29 avril 1985 n° 044187, 9e et 7e s.-s.)

Au cas d’espèce, il est constant, on l’a déjà dit qu’il y a eu qu’un achat suivi quatre mois plus tard de deux ventes de deux lots espacées d’une semaine.

Un historique de la jurisprudence montre que dans des cas de figure analogues, elle s’est montrée tout d’abord plutôt sévère, puis assez laxiste, avant de revenir depuis déjà longtemps à une solution que nous qualifierons d’intermédiaire.

La doctrine de l’administration fait toujours référence à d’anciennes jurisprudences très restrictives ayant jugé que la condition d'habitude se trouve suffisamment établie par la continuité et le grand nombre des reventes, même si ces reventes proviennent d'un achat unique, ainsi que par l'importance des achats, alors même qu'il n'a été procédé qu'à une seule revente ou même par un achat unique suivi d'une seule revente (Cons. préf. Nice 7 janvier 1931 ; CE 16 janvier 1931 ; Cons. préf. Seine 15 octobre 1946 ; CE 21 février 1951 ; CE 18 juin 1955 et CE 12 octobre 1956).

D. adm. 8 D-1111 n° 10, 30 juin 1998 ; D. adm. 8 A-4111 n° 4, 15 novembre 2001.

En vertu d’une telle jurisprudence, il n’est guère douteux que l’administration apporterait la preuve requise.

Mais le CE est revenu sur cette jurisprudence en jugeant par exemple que dans le cas d'un contribuable ayant procédé à un seul achat de terrains, y avait fait construire des immeubles comportant quarante appartements, dont trente-huit avaient été revendus au cours des années 1958 à 1963, l'intéressé ne pouvait être regardé comme s'étant livré « habituellement » à l'achat d'immeubles en vue de les revendre dès lors que n’avait été effectuée qu'une seule opération d'acquisition (CE 20 mai 1966 n° 62808, 9e s.-s. : RO p. 173, Dupont 1966 p. 400 ; D. adm. 8 D-1111 n° 013, 30 juin 1998).

Si vous appliquiez cette jurisprudence, il ne fait pas davantage de doute que vous devriez accueillir le moyen de la SOCIETE COSMO.

Néanmoins, la jurisprudence nous semble avoir fixé au cours de l’année 1992 une voie médiane entre ces deux positions qui n’a pas bougé depuis lors.

D’une part, dans un arrêt de section publié au recueil Lebon, le CE a jugé que Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui fonde une imposition au titre de l'article 35-I-1° du CGI sur le seul motif que la vente d'un ensemble immobilier le même jour, était réalisée par une société en nom collectif dont l'objet était celui de marchand de biens, sans rechercher si la condition d'habitude prévue par cet article était remplie. (CE 20 novembre 1992 n° 114667, Section, Joseph : RJF 1/93 n° 139.)

Bien qu’il ait renvoyé l’affaire Joseph à la cour administrative d'appel de Nantes, le CE a confirmé par la suite qu’une seule opération d'achat-revente d'un terrain ne saurait suffire (CE 31 mars 1995 n° 117483, 117484 et 128205, Pujos, RJF 5/95 n° 567 ; D. adm. 8 D-1111 n° 14, 30 juin 1998.)

Cette double jurisprudence est synthétisée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux selon lequel Les bénéfices dégagés à l'occasion d'opérations d'achats et de reventes d'immeubles réalisées en son nom par un contribuable qui s'est déclaré comme marchand de biens ne présentent le caractère de bénéfices industriels et commerciaux que si elles ont été effectuées à titre habituel dans une intention spéculative. La renonciation à se livrer à d'autres opérations compte tenu de la dégradation du contexte économique, qui ne constitue pas un cas de force majeure, ne saurait permettre à elle seule de regarder le contribuable comme s'étant livré à titre habituel à des activités relevant du régime de l'article 35, I-1° du CGI dès lors qu'il n'a réalisé qu'un seul achat-revente avant sa cessation d'activité. (8 décembre 2003 n° 00BX02333, Jayr : RJF 2/05 n° 110.)

D’autre part, au cours de la même année 1992, par un arrêt de plénière publié au recueil Lebon, le CE a jugé, selon les pieds d’arrêt de la RJF, qu’Un achat unique suivi de la revente par lots suffit à caractériser la condition d'habitude (CE 12 juin 1992 n° 67758 et 67759 plén., SCI du 6 rue de l'Aude : RJF 8-9/92 n° 1109, concl. O. Fouquet Dr. fisc. 50/92 c. 2319)

Cette position a été depuis constamment réaffirmée. Vous verrez à titre d’exemple un arrêt CE 25 avril 2003 n° 205099, Blonde : RJF 7/03 n° 837. Dans ses conclusions sous cet arrêt publiées au BDCF 7/03 n° 93, Laurent Vallée note à cet égard. Le requérant souligne toutefois qu'il n'a procédé qu'à une seule opération de construction, et que les juges d'appel se sont donc mépris sur cette condition. Mais vous avez réaffirmé, par vos arrêts de plénière SCI du 6 rue de l'Aude et a. (CE 12 juin 1992 n° 67758 et n° 67759 plén. : RJF 8-9/92 n° 01109, conclusions Pdt Fouquet Dr. fisc. 50/92 c. 2319) que la revente par lots d'un immeuble unique permet de caractériser la condition d'habitude, confirmant ainsi une jurisprudence, dit la note de la RJF, « aussi ancienne que peu contestable ». Le pourvoi n'ignore pas cette jurisprudence constante, il vous invite à y renoncer, nous ne vous le proposons pas.

Nous avons un moment songé à vous proposer de revenir sur cette interprétation dans le cas, au demeurant à notre connaissance jamais jugé, où il y a eu un achat et seulement deux reventes. Toutefois, à la réflexion une telle évolution de la jurisprudence ne nous a pas semblé souhaitable pour au moins trois raisons.

La première raison est que la simplicité de la jurisprudence actuelle lui permet d’être interprétée de manière cohérente tant par les juges que la doctrine. On a vu que c’était le cas des commentaires de la RJF, du reste repris par les commissaires du gouvernement du CE. C’est également le cas du JurisClasseur Fiscalité immobilière (Fasc. 730-10 : MARCHANDS DE BIENS. – Définition. – Condition d'habitude > II. - Condition d'habitude des opérations réalisées par les marchands de biens) qui distingue selon deux chapitres différents « Acquisition ou aliénation unique » d’une part, et « l’opération unique », d’autre part.

Ensuite, cette distinction n’est pas dénuée de bon sens. Revendre un bien tel qu’on l’a acheté ne nécessite aucune expertise professionnelle. Mais dès qu’on procède à une division par lots, il nous semble qu’il faut mettre en œuvre un certain degré d’expertise. Que ce lot soit divisé en deux, en trois, en quatre ou en cinq n’est plus ensuite une question de nature mais de degré.

La troisième raison, qui rejoint un peu la première, est que vous allez ensuite introduire une incertitude dans la jurisprudence. La condition d’habitude sera-t-elle remplie lorsqu’il y aura deux achats et une seule vente ? Pourquoi ne pas étendre par itération la même solution en cas d’un achat et de trois ventes, puis quatre, puis cinq, etc… Faudra-t-il faire une différence entre les cas où il y a construction et ceux où il y a simplement allotissement ?

Dans ses conclusions dans l’affaires SCI de l’Aude, le Président Fouquet s’interrogeait déjà sur le caractère inéquitable d’une telle solution. Il y répondait de la manière suivante : « Nous ne le pensons pas. En cas de division d’un immeuble acquis en bloc, le critère de l’intention spéculative nous paraît essentiel. L’achat d’un immeuble en bloc, sa division, puis sa revente par lots sont caractéristiques des opérations auxquelles se livrent de façon courante les marchands de biens : c’est même le « cœur » de ce métier. En présence de la division d’un immeuble acheté en bloc, il est donc essentiel, pour distinguer l’activité de marchand de biens et la simple gestion patrimoniale, de se référer à l’intention dans laquelle l’immeuble a été acquis. ». Or, on a déjà dit que l’intention spéculative n’était pas contestée par la société requérante dès lors que l’immeuble a clairement a été acquis pour être revendu. Dès ce moment, rappelle encore le président Fouquet, « l’intention spéculative existe »

A l’inverse, vous pourriez juger inéquitable que la société requérante soit regardée comme un marchand de bien alors qu’elle ne l’aurait pas été si elle avait revendu le bien en l’état. La différence ne semble pas en effet si énorme au regard des conséquences fiscales. Vous pourriez être tentés de lisser l’effet de seuil que semble instaurer la jurisprudence. C’est un dilemme dont vous êtes coutumier : faut-il faire « droit » ou faut-il faire « juste » en application de l’adage latin cher à Cicéron : summum jus summa injuria.

Vous pourriez réserver l’application de la jurisprudence de la SCI rue de l’Aude aux seuls cas où il y a division en un nombre significatifs ou importants de lots en laissant le soin au juge d’apprécier au cas par cas ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Cette solution est satisfaisante du point de vue de l’équité et du juge qui se retrouverait tel Saint-Louis sous son arbre. Elle serait néanmoins source, nous l’avons déjà souligné, d’incertitudes juridiques.

Vous pourriez aussi estimer qu’en cas de simple dualité de revente ou d’achat, il y a lieu de trouver une troisième voie entre le singulier et le pluriel.

Vous retrouveriez ainsi la logique de notre langue d’origine, l’indo-européen, qui avait, entre le singulier et le pluriel, le « duel », que certaines langues comme le slovène ont conservé.

Mais notre langue a peu à peu perdu de vue cette origine. Dans notre logique cartésienne, deux relève du pluriel et non du singulier.

C’est pourquoi, nous vous proposons de juger qu’en l’espèce la condition d’habitude était remplie.

Si vous aviez un doute et que vous estimiez que dans le cas duel de notre affaire, il faut examiner d’autres critères que le nombre d’opérations afin de décider si le caractère habituel est rempli, il nous semble que les éléments relevés par l’administration feraient plutôt pencher la balance de son côté.

Le ministre souligne en effet à juste titre que la proximité dans le temps des opérations d'achat-revente, le montant de la plus-value réalisée (47 % du prix d'achat), la qualité de marchand de biens revendiquée lors de l'acquisition et le fait que la société soit spécialisée dans « l'ingénierie immobilière », tendent à démontrer tant l'intention spéculative que le caractère habituel de cette activité.

Les contre arguments de la société requérante ne sont guère convaincants. Elle se borne en fait à alléguer que la rapidité de l'opération résulterait de la décision des associés de liquider de manière amiable la société mais la SA COSMO n'a été radiée du registre du commerce que le 22 novembre 2006 soit trois ans et demi après la revente.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête de la SA COSMO.

Voir aussi publication des conclusions et commentaire de Pierre Monnier :  Droit fiscal n° 24, 16 Juin 2011, comm. 391 " Revente d'un immeuble en plusieurs lots : l'habitude naît-elle au-delà de deux lots ?"

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