La décision litigieuse du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ayant pour objet le déclassement des vins d’appellation d’origine contrôlée du Beaujolais est intervenue en méconnaissance de l’article 12 du décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 applicable, faute de dispositions particulières régissant le fonctionnement de la commission nationale d’experts. Dès lors, la régularité de l’avis de la commission nationale d’experts était notamment subordonnée à la réunion du quorum de droit commun (la moitié des membres composant l’organisme dont l’avis est sollicité), à savoir au moins 68 experts en application des dispositions combinées de l’article 12 du décret susmentionné du 28 novembre 1983 et de l’arrêté du 7 mai 2005 portant désignation d’experts en vue du déclassement des vins d’appellation d’origine contrôlée et des vins à appellation d’origine « Vins délimités de qualité supérieure ».
Procédure de déclassement de vins AOC du Beaujolais : un nombre minimum d’experts doit émettre un avis
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Décision de justice
CAA Lyon, 4ème chambre – N° 09LY00190 – Société Pasquier Desvignes – 16 décembre 2010 – C 
Confirmé en cassation par le Conseil d'Etat : CE - 22 juin 2011 - N° 346893
Index
Textes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
Geneviève Gondouin
Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.5828
La Société Etablissements Quinson, devenue SOCIETE PASQUIER DESVIGNES est négociante en vins. Elle achète aux producteurs des vins bénéficiant des AOC « Beaujolais » « Beaujolais Village » et « Fleurie » pour les stocker en vue de leur assemblage, puis de leur commercialisation.
Au début du mois de juin 2006, deux agents de la brigade interrégionale d’enquêtes Vins à Lyon, assistée d’agents de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Rhône effectuent des prélèvements sur 26 cuves de vins rouges des trois AOC, millésimes 2002 et 2004 dans son chai situé à St-Lager.
Toute la procédure en l’espèce suivie est organisée par le décret du 12 juin 2001 portant application du code de la consommation en ce qui concerne les vins, vins mousseux, vins pétillants et vins de liqueurs. Ce décret s’inscrivant lui-même dans la logique du règlement CE du Conseil du 17 mai 1999 (1493/1999) portant organisation commune du marché vitivinicole et des règlements pris pour son application, en particulier le règlement CE du 24 juillet 2000 (1607/2000).
Des résultats des analyses notifiés à la SOCIETE par le directeur régional de la DRCCRF par courrier du 29 juin 2006, il ressort que ces vins, pour 22 cuves, ne répondent pas aux caractéristiques organoleptiques de leur appellation. La SOCIETE est invitée à présenter, dans les dix jours, ses observations écrites, ou le cas échéant ses observations orales.
Le 19 juillet 2006, le directeur régional de la DRCCRF notifie à la SOCIETE le déclassement des vins concernés et l’informe qu’ils pourront être déclassés en vin de table s’ils n’ont pas fait l’objet d’une chaptalisation, ou envoyés à un usage industriel.
La SOCIETE Quinson présente un recours auprès du ministre de l’économie et des finances à la fin du mois de juillet.
La commission nationale d’experts dégustateurs se réunit le 21 août 2006, conformément à ce que prévoit l’article 5 du décret du 12 juin 2001 susvisé. Elle confirme les résultats précédents pour 21 cuves (4 176, 78 hl de vins), la 22ème (n° 0131) contenant 230, 96 hl de vin AOC Beaujolais Villages 2002 pouvant être commercialisée sous son appellation.
Le 7 septembre 2006, le ministre de l’économie, par délégation le DRCCRF, décide de suivre l’avis de la commission nationale.
Le 8 novembre 2006, la SOCIETE saisit le Tribunal administratif de Lyon d’une demande tendant à l’annulation de cette décision du 7 septembre 2006, en ce qu’elle déclasse 21 cuves des crus entreposés dans ses chais, et à ce que soit mise à la charge de l’Etat une somme de 10 000 € au titre des FNCD. Par un jugement du 2 décembre 2008, dont la SOCIETE PASQUIER DESVIGNES relève appel le 3 février 2009, le TA rejette sa demande. La SOCIETE a également présenté un référé-suspension, rejeté pour défaut d’urgence par le TA.
La SOCIETE PASQUIER DESVIGNES soulève, comme elle l’avait déjà fait devant les premiers juges, un grand nombre de moyens de légalité externe et de légalité interne.
L’un de ces moyens est tiré de l’irrégularité de la procédure suivie, la Commission nationale des experts, selon la requérante, ne présentant aucune garantie d’impartialité. Plus précisément, la requérante soutient qu’aucun texte ne précise ni ne réglemente le fonctionnement de cette commission.
Cette commission, nous l’avons évoqué, est intervenue le 21 août 2006 pour donner un avis au ministre de l’économie saisi d’un recours hiérarchique par la SOCIETE QUINSON. L’avis de la commission, en vertu du décret du 12 juin 2001, est un avis obligatoire.
L’article 5 de ce décret prévoit simplement que les membres de cette commission sont désignés par arrêté conjoint des ministres chargés respectivement de l’économie et de l’agriculture sur proposition de l’INAO (Institut national des appellations d’origine). L’arrêté prévu est intervenu le 7 février 2005, il comporte 135 noms de producteurs, négociants ou personnalités qualifiées.
Pour le reste, nous ne savons rien des conditions d’organisation de cette commission nationale, nous ne savons pas, puisque le ministre est d’une absolue discrétion sur ce point, comment elle fonctionne. Pourtant, les enjeux sont en l’espèce importants tant pour les négociants que pour les producteurs de vins.
Dans son arrêt du 28 juillet 2000, INAO, req. 196323, A cité par la requérante, le CE reconnaît que votre Cour a pu estimer, à bon droit, qu’en l’absence de règlement intérieur fixant les modalités de leur fonctionnement, les délibérations des commissions de dégustation concernées (pour chaque appellation et chaque région viticole) n’avaient pas de base légale alors même que ces délibérations auraient été rendues dans le respect des principes généraux du droit. Etait alors applicable l’arrêté du 20 novembre 1974 renvoyant à un règlement intérieur le soin de préciser pour chaque région viticole ou chaque appellation ses modalités d’application et celles du décret du 19 octobre 1974.
Nous ne sommes pas exactement dans la même situation que dans l’arrêt du CE cité puisque le décret de 2001 ne renvoie pas à un arrêté ni à un règlement intérieur fixant la procédure à suivre devant la commission nationale. Mais, tout de même, nous avons du mal à imaginer qu’une commission de cette ampleur (135 membres) et de cette importance (par les conséquences de ses avis) se réunisse en plénière chaque fois que se pose un problème de ce type. Il existe certainement des sous-commissions dont la composition varie selon le vin à expertiser, mais dont nous ne connaissons pas plus les modalités de fonctionnement.
Soit un texte organisant le fonctionnement de cette commission existe, nous ne savons pas lequel puisque le ministre élude le problème alors que la requérante insiste sur ces aspects, et nous n’avons rien nous permettant de vérifier si la procédure a été suivie.
Soit, plus vraisemblablement, il n’y a pas de texte spécial sur la commission nationale, ce qui n’est en soi guère concevable compte tenu de sa composition.
Mais alors, la procédure à suivre doit au moins respecter les principes issus du décret du 28 novembre 1983 encore applicable à la commission en question créée avant la publication du décret du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif (art. 16 du D.) Et, parmi ces règles, celle du quorum.
Vous ne pouvez-vous satisfaire des vagues explications du ministre. L’arrêt qu’il cite, CE 15 novembre 2006, Société BMJ Limited req. 284714, dont il résulte « qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni principe général n‘impose que les décisions de la commission paritaire des publications et agences de presse, qui n’est pas une juridiction, portent mention de la composition de la commission ni du quorum » ne lui est pas d’un grand secours en l’espèce. Il est vrai qu’il le cite uniquement pour répondre au moyen tiré de l’absence de transparence de la commission.
De toute façon, ce n’est pas une décision de la commission qu’attaque la SOCIETE PASQUIER DESVIGNES, mais la décision du ministre prise après avis obligatoire de la commission.
Nous vous proposons en l’espèce de retenir le moyen tiré du vice de procédure : soit parce que les modalités selon lesquelles la commission nationale doit donner son avis n’ont été définies par aucun texte ; soit parce que le ministre n’établit en rien que le minimum de règles qui devrait ici s’appliquer, a été respecté. Cette seconde façon de procéder est peut-être moins heureuse dans la mesure où il appartient en principe au requérant d’apporter des éléments tendant à prouver que la procédure n’a pas été respectée. Mais, après tout, vous pourriez le déduire du silence ou du quasi mutisme ministériel sur ce point.
Vous pouvez également avoir un doute sur le moyen tiré du défaut de motivation.
La décision du 7 septembre 2006 reprend les avis de la commission nationale qui, pour chaque cuve de vin, comporte un certain nombre d’adjectifs qui sont certainement évocateurs pour producteurs, négociants et œnologues : « vieilli, oxydé, creux, maigre » « forte oxydation, amertume, croupi », « oxydé, cuit », « phéniqué, tuilé, oxydé, acide »…
La requérante estime que la décision est insuffisamment motivée puisqu’elle ne rappelle pas les critères organoleptiques de référence des appellations Beaujolais, Beaujolais Village et Fleurie, auxquels les vins contrôlés n’auraient pas satisfait, ni ne précise les causes de l’altération des vins contrôlés.
D’abord, contrairement à ce qu’elle soutient, l’art. 56 § 3 du règlement CE du 17 mai 1999 ne permet pas de prononcer le déclassement d’un vin AOC que lorsqu’il ne réunit plus les critères organoleptiques à raison des conditions du stockage ou du transport. Elle oublie le notamment ; le déclassement est notamment prononcé lorsque l’instance nationale constate que le vin a subi au cours du stockage ou du transport une altération…
Ensuite, on peut s’interroger sur le moyen. Après tout il y a bien une motivation, qu’elle soit bonne ou mauvaise, le ministre énonce les raisons pour lesquelles les vins doivent être déclassés.
Mais les motifs avancés sont-ils de ceux que le ministre peut retenir pour déclasser des vins ? L’examen organoleptique concerne normalement la couleur, la limpidité, l’odeur et la saveur et les critères analytiques renvoient à la composition chimique. Les adjectifs utilisés correspondent indéniablement à des critères organoleptiques ou chimiques. Mais nous ne parvenons pas à connaître les critères de référence.
Les autres moyens ne nous semblent pas susceptibles de prospérer.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement attaqué et à l’annulation de la décision ministérielle contestée en ce qu’elle déclasse 21 crus entreposés dans les cuves du chai de St-Lager.
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