La Cour administrative d’appel de Lyon annule une délibération portant décision de préempter un bien sur le fondement d’une déclaration d’intention d’aliéner entachée d’une irrégularité substantielle.
L’exercice par une commune de son droit de préemption urbain mécontente plus souvent l’acquéreur évincé que le vendeur du bien concerné. Il en va différemment en cas de désaccord sur le prix nécessitant l’intervention du juge de l’expropriation ou lorsque l’exercice du droit de préemption affecte non seulement la personne de l’acquéreur mais aussi l’objet de la vente.
C’est une telle situation pour le moins inhabituelle qu’avait à connaître la Cour administrative d’appel de Lyon. Après avoir conclu un compromis de vente, Monsieur et Madame A. ont adressé à la Commune de Beynost une déclaration d’intention d’aliéner destinée à purger son droit de préemption. Rédigée à la fin du mois d’août 2006, son auteur, l’esprit sans doute ailleurs, s’est trompé dans la désignation du bien à céder. Alors que le compromis de vente concernait un tènement immobilier comprenant une grange à détacher d’une propriété de 1782 m2, c’est la propriété dans son intégralité qui a été désignée dans la déclaration d’intention d’aliéner comme constituant l’objet de la vente. Se rendant compte de l’erreur commise, le notaire a fait parvenir à la commune une déclaration d’intention d’aliéner rectificative le 24 octobre 2006. En vain cependant, la commune ayant déjà décidé d’exercer son droit de préemption urbain par une délibération du 19 octobre 2006.
Face à la mauvaise volonté apparente de la commune qui a refusé de tenir compte de la rectification de la déclaration d’intention d’aliéner pour retirer sa décision de préemption, Monsieur et Madame A. ont saisi le Tribunal administratif de Lyon d’un recours visant à obtenir, d’une part, l’annulation de la délibération du 19 octobre 2006 et, d’autre part, le versement d’une indemnité réparatrice. Le Tribunal leur a en partie donné satisfaction par un jugement du 26 mai 2009 dont il a été interjeté appel par la commune et, à titre incident, par Monsieur et Madame A. qui ont demandé le relèvement de la somme de 3000 euros leur ayant été allouée à la suite de l’annulation de la décision de préempter.
Le 21 décembre 2010, par l’arrêt commenté, la Cour administrative d’appel a rejeté le recours de la commune et les conclusions incidentes de Monsieur et Madame A.
L’arrêt est intéressant en ce qui concerne l’appréciation de la légalité de la délibération du 19 octobre 2006. La Cour a considéré que l’irrégularité substantielle entachant la déclaration d’intention d’aliéner entraînait l’illégalité de la décision de préemption. Cette solution de bon sens est parfaitement justifiée en droit dans les deux branches concernées par le droit de préemption, en droit civil comme en droit administratif.
En droit civil, la déclaration d’intention d’aliéner est analysée, en cas de vente de gré à gré sans contrepartie, comme une offre de contracter, une pollicitation. Jusqu'à son éventuelle acceptation, l’offre peut être rétractée unilatéralement par le propriétaire (C.E., 22 février 1995, Commune de Veyrier-du-Lac, n° 123421) . Mais une fois que le titulaire du droit de préemption fait connaître sa décision de préempter aux conditions de la déclaration d’intention d’aliéner, l’accord sur la chose et sur le prix est réalisé. La vente entre les parties est alors considérée comme parfaite en application de l'article 1583 du Code civil (Cass. 3e civ., 30 mai 1996, Dr. adm., 1996, comm. 510) . Une erreur de la déclaration d’intention d’aliéner sur l’objet de la vente ou le prix affecte ainsi la validité de la formation de la vente. Par conséquent, l’exercice du droit de préemption ne peut avoir lieu faute de correspondance entre les conditions réelles de la vente et celles qui ont été déclarées.
Au-delà de l’analyse du droit de préemption par le droit civil, en droit administratif la déclaration d’intention d’aliéner se présente comme un élément de la procédure d’élaboration d’une décision administrative. Elle rend possible l’édiction de la décision de préemption en fournissant un certain nombre d'informations à l'auteur de cette dernière. Les irrégularités de la déclaration entachent par conséquent l’acte administratif jusqu’à le rendre illégal en cas d’irrégularité substantielle. Inspiré de la jurisprudence sur les formalités substantielles, il paraît opportun de conditionner l’illégalité de la décision de préempter à l’exigence d’une erreur substantielle affectant la déclaration d’intention d’aliéner. Cela laisse au juge un pouvoir d’appréciation qui préserve les requérants de chercher à saisir l’aubaine de la moindre erreur. Est indiscutablement substantielle une erreur qui, comme en l’espèce, affecte le consentement à la vente de l’auteur de la déclaration d’intention d’aliéner. Pourrait-il y a avoir d’autres erreurs substantielles ? Le Tribunal administratif de Lyon a pu considérer dans un jugement du 29 septembre 1999, L. c/ Cne Bourg-en-Bresse (B.J.D.U., 6/1999, p. 445, concl. D. Josserand-Jaillet) que le défaut de validité de la DIA tenant au fait que le notaire qui avait souscrit cet acte n'avait pas été régulièrement mandaté par la vendeuse avait entaché d'illégalité la décision de préemption.
Sur la question de l’indemnisation du préjudice subi par Monsieur et Madame A., l’arrêt n’appelle pas en revanche d’observation particulière. Reprenant une jurisprudence classique, la Cour considère que l’illégalité de la délibération litigieuse constitue une faute (C.E., Sect., n° 84768, 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ D. , Rec. C.E., p. 77) . Elle ajoute que cette faute est de nature à engager la responsabilité de la Commune de Beynost. Il est admis depuis l’arrêt de Section du 19 juin 1981, C. (Rec. C.E., p. 274 ; AJDA 1982, p. 103, concl. B. Genevois) que si toute illégalité est fautive, toute faute n’est pas susceptible d’engager la responsabilité de l’administration l’ayant commise. Dans le contentieux des préemptions, cette jurisprudence revient le plus souvent à rechercher si une décision de préemption illégale à raison d’un vice externe, le plus souvent une insuffisance de motivation, peut être justifiée par un but d’intérêt général (C.E. 30 juillet 1997, Commune de Montreuil-sous-Bois, B.J.D.U., 1997, p. 436, concl. Ch. Mauguë) . En l’espèce, une telle recherche n’était pas nécessaire car l’illégalité de la délibération était la cause du préjudice. L’évaluation du préjudice est ensuite affaire d’appréciation.