La société Oxygène, dont le siège social est situé à Lyon, appartient à la holding Voyages adaptés développement (VADEV) laquelle détient plusieurs sociétés sur l’ensemble du territoire national. Elle exerce, depuis 2017, une activité d’agence de voyages, de prestations de services et de restauration ainsi que d’hébergement et transport.
L’opérateur a obtenu, sous le nom Oxygène vacances adaptées, l’agrément « vacances adaptées organisées » sur le fondement de l’article L. 412-2 du code du tourisme. Cet agrément a été délivré par la préfecture du Rhône le 24 avril 2018 pour une durée de cinq ans.
Pour rappel, ce dispositif, issu de l’article 48 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, permet chaque année à de nombreux adultes en situation de handicap de partir en vacances. Il tend ainsi à concilier l’inclusion des personnes handicapées, le droit à des vacances de qualité garantissant sécurité et bien-être, le droit au répit pour leurs aidants familiaux et un nécessaire encadrement administratif pour garantir des conditions de sécurité adaptées ainsi qu’une qualité d’accueil et d’accompagnement.
S’il avait initialement pour objectif de prévoir une réglementation souple les expériences, sur le terrain, ont montré la nécessité d’en renforcer l’encadrement et a donc été actualisé et renforcé par le décret n° 2015-267 du 10 mars 2015 relatif à l’agrément « vacances adaptées organisées ».
Le 25 avril 2023, la société Oxygène a demandé le renouvellement de son agrément auprès des services de la préfecture. Compte tenu du dépôt tardif de la demande et du caractère incomplet du dossier, la préfète de région lui a délivré, par un arrêté du 7 juillet 2023, un agrément provisoire au titre de la période du 8 juillet au 31 août 2023 « dans le but exclusif de ne pas pénaliser les vacanciers en situation de handicap ainsi que leurs familles ».
Au cours de cette période, le 9 août 2023, un drame est survenu dans un gîte loué par l’association requérante à Wintzenheim en Alsace. Un incendie a entièrement détruit les deux gîtes logés dans un même bâtiment, provoquant la mort de onze personnes, dix vacanciers et un accompagnant professionnel.
En parallèle de l’instruction judiciaire ouverte au tribunal judiciaire de Paris pour « homicides involontaires » afin de déterminer les circonstances et responsabilités exactes dans le déroulement de la tragédie, il a été demandé à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de conduire une mission d’enquête administrative sur la situation des deux organismes de voyages adaptés concernés par l’incendie. Cette mission a été effectuée dans un délai très court avec un rapport publié le 26 septembre 2023.
Par une décision du 28 août 2023, les services de l’État en région Auvergne-Rhône-Alpes ont décidé de ne pas renouveler l’agrément de la société Oxygène à compter du 1er septembre suivant en avançant des motifs tenant à la prise en charge des vacanciers handicapés indépendants des circonstances de l’incendie.
Par la présente requête, la société Oxygène demande au tribunal administratif d’annuler pour excès de pouvoir cette décision. Rappelons, à cet égard, qu’un tel recours relève de votre entier contrôle (voir CAA de Nancy, 25 février 2020, n° 19NC00093, SARL K2 ).
Pour refuser le renouvellement de l’agrément, l’autorité administrative s’est fondée sur plusieurs motifs :
- d’une part, sur le dépôt tardif et le caractère incomplet du dossier de demande de renouvellement de l’agrément mais également sur l’absence de sincérité et le manque de transparence de la société dans la présentation de son dossier ;
- il a été, d’autre part, relevé que la société ne disposait pas de moyens organisationnels et humains suffisants pour remplir sa mission d’accueil compte tenu des manquements relevés lors des contrôles effectués au cours de l’été 2023 par les DREETS du Rhône, de la Somme, de la Seine-et-Marne de la Haute-Marne ou encore de l’Indre sur différents séjours organisés par la société requérante.
S’agissant des conditions de renouvellement de l’agrément
Dans son mémoire en défense, l’autorité administrative fait valoir qu’elle « n’avait pas d’autre possibilité que de refuser le renouvellement de l’agrément » compte tenu du caractère incomplet du dossier et se trouvait donc, de fait, dans une situation de compétence liée.
Rappelons que l’appréciation de l’opportunité d’une décision administrative peut échapper à l’administration et le pouvoir du juge se trouver, par voie de conséquence, lui-même limité. L’hypothèse se rencontre lorsque l’administration est tenue, en présence de circonstances de fait, de prendre une décision sans avoir à apprécier les faits : elle a alors compétence liée.
Dans ce cas, les illégalités dont l’acte pourrait être entaché à d’autres égards sont sans portée : les moyens s’y rapportant sont inopérants. C’est ce qu’a jugé le Conseil d’État notamment dans son arrêt du 3 février 1999, n° 149722, à propos d’un arrêté par lequel le maire d’une commune avait mis en demeure une personne de retirer un panneau publicitaire établi à moins de 100 mètres d’un autre. Dans ce cas, le juge vérifie l’exactitude des faits sur lesquels s’est fondé l’auteur de l’acte ; mais, dès lors que ces faits sont exacts, l’obligation dans laquelle les textes applicables mettent l’administration de prendre l’acte, conduit le juge à ne pas examiner les autres aspects de la légalité.
Comme le rappelle Alexandre Lallet dans ses conclusions sur la décision du 22 octobre 2014, n°364000, le raisonnement de la compétence liée se décompose en trois temps :
- dans un premier temps, il convient d’identifier l’existence d’une obligation de faire. L’administration pouvait et même devait prendre la décision qu’elle a prise pour un motif donné.
- dans un 2ème temps, l’administration se trouvait en situation de compétence liée dès lors que ce motif n’impliquait l’appréciation d’aucune circonstance de fait, mais seulement, le cas échéant, de simples constatations ;
- enfin, dans un 3ème temps, il convient de tirer les conséquences de la compétence liée, à savoir que tous les moyens qui ne consistent pas à en critiquer l’existence ou le bien-fondé sont inopérants.
En l’espèce, le législateur a prévu, à l’article R. 412-13 du code du tourisme que le bénéficiaire de l’agrément « est tenu de transmettre au préfet, par tous moyens, y compris par télécopie ou par courrier électronique, un bilan circonstancié (…) des activités de vacances adaptées mises en œuvre dans le courant de l’année écoulée. Le bilan précise les moyens mis en œuvre pour remédier aux dysfonctionnements éventuellement constatés lors des contrôles. / Il est tenu compte des bilans des quatre dernières années lors de l’examen de la demande de renouvellement de l’agrément ».
La société Oxygène n’a produit aucun bilan pour les quatre années écoulées alors qu’elle était, ainsi qu’il vient d’être dit, obligée de transmettre de document chaque année. Or, pour instruire le dossier de demande de renouvellement d’agrément, l’administration doit prendre en compte ces bilans. Elle n’avait ainsi aucune marge de manœuvre et ne pouvait que rejeter la demande pour ce motif. Compte tenu de l’absence de transmission depuis quatre ans de tout bilan, il n’était pas possible d’instruire la demande en appréciant la gravité des éventuels dysfonctionnements relevés et les mesures prises pour y remédier et évaluer ainsi la capacité de la société à poursuivre son activité à organiser des séjours pour des personnes handicapées pendant cinq années supplémentaires.
Vous pourrez, à cet égard, relever que la société ne conteste pas sérieusement ce manquement. Elle se borne à faire référence aux déclarations effectuées par son représentant le 13 septembre 2023 dans le cadre de l’enquête menée par l’IGAS selon lesquelles un agent de la préfecture lui aurait confirmé « au moment de la date butoir de dépôt du dossier final » que le dossier de la société « était désormais recevable complet ».
La société n’apporte toutefois aucun élément permettant d’établir la transmission des bilans et elle ne produit pas d’avantage ces documents devant vous.
Vous pourrez donc, à ce stade votre raisonnement, tirer les conséquences de la compétence liée en constatant que les moyens de la requête sont inopérants.
Si vous hésitez à retenir cette solution compte tenu de ses effets radicaux, vous devrez alors examiner les moyens de légalité externe et interne.
S’agissant du bien-fondé de la décision de refus de renouvellement
A l’appui de ses conclusions la société fait tout d’abord valoir que l’autorité administrative a méconnu le principe général du droit de l’UE des droits de la défense qui inclut le droit d’être entendu. Elle se réfère devant vous à la décision du Conseil d’État du 9 août 2023, n° 455146 en B.
Ce droit, qui vise à permettre à la personne intéressée d’être mise à même de présenter ses observations avant l’édiction d’une décision la concernant, est une déclinaison des droits de la défense consacré en tant que principe général du droit de l’UE qui découle directement de l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
C’est également le droit de l’UE qui a conduit à considérer qu’il devait être respecté dans les procédures de retour et le CE a été ainsi amené à le mettre en œuvre dans le contentieux des étrangers, préalablement à l’édiction d’une décision d’éloignement ou de placement en rétention.
En cas de méconnaissance de ce droit le juge doit, avant d’en tirer les conséquences sur la légalité de la mesure en cause, vérifier in concreto si cette méconnaissance a eu une influence sur la mesure contestée selon une méthodologie qui diffère quelque peu de la jurisprudence Danthony dès lors que le droit d’être entendu n’est pas considéré dans le droit de l’UE comme un garantie au sens de la jurisprudence du Conseil d’État. La décision précitée du 9 août 2023 précise la dialectique de la charge de la preuve : « il revient à l’intéressé d’établir devant le juge chargé d’apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu’il n’a pas pu présenter à l’administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d’une telle demande de vérifier, lorsqu’il estime être en présence d’une irrégularité affectant le droit d’être entendu, si, eu égard à l’ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l’invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent ».
Nous n’avons toutefois pas trouvé d’exemple de jurisprudence concernant la mise en œuvre du droit d’être entendu en cas de refus d’exercice d’une activité de service au sens l’article 9 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.
Toutefois, et alors même qu’il n’est pas établi qu’elle était tenue de le faire, l’administration a spontanément mis en œuvre une procédure contradictoire. Vous pourrez donc faire jouer la célèbre jurisprudence Danthony (CE, 23 décembre 2011, n° 335477) selon laquelle un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable suivie à titre obligatoire ou facultative n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.
En l’espèce, la société Oxygène a pu régulièrement présenter ses observations à l’administration et ce, à plusieurs reprises :
- par un courriel du 16 juin 2023, la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Auvergne-Rhône-Alpes a informé le dirigeant de la société Oxygène que sa demande ne pouvait aboutir au renouvellement de l’agrément sollicité compte tenu du caractère insuffisant des éléments transmis à l’appui de la demande ;
- en réponse à la demande écrite du représentant de la société, un entretien téléphonique a eu lieu le 27 juin 2023 à 10 heures à la suite duquel un entretien a lieu dans les locaux de la DREETS le 12 juillet à 14h30 puis divers échanges ont eu lieu par courriels et par l’envoi d’une fiche navette le 5 juillet 2023 (la préfecture a d’ailleurs produit les fiches navettes 1 à 4 correspondent à ces échanges).
Par ailleurs, la société requérante ne peut utilement soutenir qu’elle aurait été privée d’une garantie dès lors que l’administration n’aurait pas tenu compte de ses observations formulées auprès de l’IGAS et qui étaient, selon elle, « susceptibles d’avoir une incidence sur le sens de la décision de refus ». Il s’agit, e
n effet, de deux procédures distinctes et la décision administrative est a été prise à une date antérieure à celle de la publication du rapport de l’IGAS n’est, en tout état de cause, pas fondée sur les conclusions de ce rapport.
La société a donc été régulièrement mise en mesure de présenter ses observations et la procédure contradictoire mise en œuvre par l’administration n’est entachée d’aucune irrégularité.
La société requérante conteste les différents griefs reprochés par l’administration.
Elle se prévaut des conclusions du rapport de l’IGAS qui atteste selon elle de la qualité de son fonctionnement et des séjours proposés au cours des cinq dernières années. Elle relève, à cet égard, avoir organisé 200 séjours durant cette période et seules quatre injonctions ont été prononcées à son encontre. Par ailleurs, au cours de l’été 2023, les incidents et dysfonctionnements relevés lors des contrôles n’ont donné lieu à aucune fermeture et les appréciations portées ont été globalement positives. Elle fait enfin état de la délivrance d’un agrément provisoire qui lui permis de poursuivre son activité au cours de l’été 2023 et de sa bonne volonté compte tenu de ses « engagements clairs et détaillés sur les nouvelles mesures organisationnelles et d’encadrement » détaillées dans le rapport de l’IGAS.
Vous pourrez tout d’abord écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 412-13 du code du tourisme compte tenu de ce qui a été précédemment sur l’absence de transmission des bilans.
L’administration pouvait donc selon nous, pour ce seul motif, rejeter la demande de renouvellement d’agrément.
La société soutient, en premier lieu, que c’est à tort que l’administration lui a reproché un manque de transparence au motif que l’existence de son établissement secondaire « Occitanie Vacances Adaptées » n’aurait pas été porté à la connaissance de l’administration alors même que cet établissement s’est prévalu de son agrément.
Il résulte en effet de l’article R. 412-13-1 du code du tourisme que « tout changement substantiel affectant les éléments matériels au vu desquels l’agrément est délivré » doit être signalé dans un délai de deux mois au préfet de région.
Or, en l’espèce, l’existence de l’établissement secondaire n’a été constaté par l’administration qu’au cours de l’été 2023 et la société, alors qu’elle est la seule en mesure de le faire, n’apporte, en tout état de cause, aucun élément permettant d’établir qu’elle en avait préalablement informé l’administration alors qu’il est constant que cet établissement se prévalait de son agrément.
En deuxième lieu, la société ne conteste pas sérieusement avoir organisé deux séjours, à la fin du mois de juin 2023, alors qu’elle ne disposait plus d’un agrément valide en violation de l’article L. 412-2 du code du tourisme en se bornant à faire valoir avoir « jusqu’au bout espéré que le renouvellement serait fait dans les temps » et avoir « mis en place toutes les mesures nécessaires pour garantir leur bon déroulement ».
S’agissant, en troisième lieu, d’un incident survenu au cours d’un séjour au Crotoy du 8 au 22 juillet 2023, la société soutient que la modification non déclarée du gîte serait de la responsabilité du propriétaire qui a « par erreur » réservé le mauvais gîte et que l’absence de déclaration de la situation auprès de la préfecture est indépendante de cette volonté.
Ces explications sont toutefois sans rapport avec le manquement à l’obligation de déclarer au préfet du département de séjour tout incident grave ou situation présentant des risques graves pour la santé prévue par l’article R. 412-14-1 du code du tourisme.
Il ressort, en effet, du rapport d’inspection du séjour établi par les services préfectoraux de la Somme le 12 juillet 2023 que deux événements graves, à savoir des violences physiques de la part d’un vacancier à l’égard de deux animatrices et le contact du SAMU à la suite d’une erreur d’administration d’un médicament n’ont pas été signalés.
La société fait valoir, en quatrième lieu, qu’elle n’a pu présenter ses observations à l’IGAS concernant les deux faits relevés lors des contrôles des séjours organisés à Beaujeu et à Eclairon-Braucourt.
Ces allégations ne suffisent pas à remettre en cause les faits relevés par les services des préfectures de Côte-d’Or, du Rhône et de la Marne concernant l’absence de déclarations de trois séjours organisés en juillet 2023 dans chacun de ces départements et ce, en violation des prescriptions de l’article R. 412-14 du code du tourisme.
En cinquième lieu, s’agissant des contrôles effectués en juillet et août 2023 en application de l’article R. 412-15 du code du tourisme à l’issue desquels de graves dysfonctionnements ont été relevés de nature à compromettre la sécurité, la santé et le bien-être physique et moral des vacanciers, les explications données par la société sont une fois encore sans incidence sur la matérialité des manquements constatés.
Vous pourrez donc, si vous nous suivez, estimer que les faits reprochés à la société Oxygène sont établis et que, par suite, compte tenu de leur gravité et de leur caractère répété, l’autorité administrative n’a pas commis d’erreur d’appréciation en refusant de renouveler l’agrément de la société Oxygène.
Par ailleurs, la décision administrative, qui revêt le caractère d’une mesure de police voyez en ce sens pour un cas proche la décision du CE du 29 décembre 1995, n° 147685 en B pour l’arrêté du président du conseil général prescrivant la fermeture d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées ; ou, par analogie, la décision de suspension de l’agrément d’une assistante maternelle CE, 31 mars 2017, n° 395624 en B ou pour un refus de renouvellement d’agrément d’assistante maternelle l’arrêt de votre cour n° 18LY01918), ne revêt pas un caractère disproportionné compte tenu de la vulnérabilité des personnes concernées par les activités de la société dans le cadre de l’agrément litigieux et de son caractère ainsi approprié au regard du but d’intérêt général tendant à assurer la sécurité et à préserver la santé et le bien-être de ces personnes.
Vous pourrez, enfin, écarter le dernier moyen tiré de la méconnaissance de l’article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors, d’une part, que cette atteinte est justifiée par l’objectif d’IG susmentionné et, d’autre part, proportionné à cet objectif. Ce refus revêt ainsi un caractère nécessaire et ne porte pas une atteinte excessive au droit de propriété garanti par ces stipulations.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête, en toutes ses conclusions.