Question sur le report d’heures non effectuées par un agent hospitalier sur un cycle de travail lorsque son employeur lui a fixé des horaires ne lui permettant pas de remplir ses obligations horaires

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Décision de justice

TA Lyon – N° 2206526 – 16 février 2024 – C+

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 2206526

Date de la décision : 16 février 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Fonction publique hospitalière, Décret n°2002-9 du 4 janvier 2002, Cycle de travail, Temps de travail, Obligations horaires de travail, Heures négatives

Rubriques

Fonction publique

Résumé

Modalités de décompte obligations horaires de travail s’appliquant à un agent public de la fonction publique hospitalière, dans le cas où il n’est pas soumis à horaires variables et dans le cas où l’établissement n’a pas mis en œuvre une annualisation de son temps de travail - Détermination des obligations horaires dans le cadre du cycle de travail – Possibilité de report d’heures non effectuées sur les cycles suivants, lorsque l’employeur n’a pas fixé à l’agent des horaires lui permettant de remplir ses obligations horaires : absence, sauf circonstances exceptionnelles

Il ressort des dispositions n°2002-9 du décret du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements publics de santé, qu’en dehors des agents soumis à des horaires variables et sauf le cas où l’établissement a mis en œuvre un régime d’annualisation du temps de travail, comme le permettent désormais les dispositions du décret susvisé, dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er décembre 2021, l’agent doit accomplir ses obligations de travail dans le cadre de cycles de travail, périodes de référence d’une à douze semaines au sein desquelles sont décomptées les heures supplémentaires et déterminés les repos compensateurs. Le chef d’établissement, qui arrête les horaires de travail s’imposant aux agents dans un tableau de service, ne peut, lorsqu’il fixe des horaires ne leur permettant pas de remplir leurs obligations horaires dans le cycle de travail, leur imposer de récupérer les heures ainsi perdues lors du cycle suivant, sauf circonstances exceptionnelles.

Dans ces conditions, un centre hospitalier ne peut obliger un agent qui, tout en se conformant au tableau de service qui lui était imparti, a eu un temps de travail inférieur à la durée légale, à récupérer au cours des cycles de travail suivants, ou sur l’année suivante, sans le rémunérer au titre d’heures supplémentaires.

Solution partiellement contraire à CAA Douai, 22 mars 2022, EHPAD Résidence du parc de Nesle, n°21DA00033, C+, qui admet la possibilité de reporter les heures non effectuées, mais seulement sur l’année suivante ; TA Lyon, 15 mai 2019, n°1801893, qui admettait un report d’un cycle de travail à un autre, mais seulement sur la même année civile.

36-07, Fonctionnaires et agents publics, Statuts, droits, obligations et garanties

Conclusions du rapporteur public

Hadi Habchi

rapporteur public au tribunal administratif de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.9463

Vous voilà saisis d’une affaire de fonction publique hospitalière impliquant la survenance d’heures dites « négatives » dans le décompte du travail des agents hospitaliers.

Elle pose l’intéressante question du point de savoir comment doivent être appréhendées les reliquats non pas d’heures supplémentaires, mais d’heures restant à réaliser pour atteindre le seuil des 1 607 heures annuelles en vigueur dans la fonction publique.

Mme M. est aide-soignante au sein du centre hospitalier (CH) de Bourg-en-Bresse dans l’Ain, et ce depuis plusieurs années.

Au cours de l’année 2021, elle a travaillé moins d’heures que ce qu’elle était censée effectuer, c’est à dire moins que les 1 607 heures annuelles, vraisemblablement non pas de son fait, et ce point est important, mais en raison de contraintes et de questions d’organisation du service, liées à la fermeture ou à l’ouverture de lits, dans le contexte de la crise sanitaire post covid-19.

En effet, le centre hospitalier vous fait état dans ses écritures de « restrictions médicales » ayant conduit à ce que l’agent soit redevable, ou débitrice, de 13 heures et 16 minutes.

C’est dans ce contexte que début 2022 l’intéressée est informée de ce qu’elle « doit » 13 heures à son employeur, et il lui est demandé de rattraper « son retard » en quelque sorte, de combler ses heures « négatives » sur l’année 2022, en faisant une demi-heure supplémentaire pendant plusieurs semaines, au mois de mars notamment.

Le 21 avril 2022, Mme M. demande alors au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse de remettre à zéro son compteur d’heures et relève déjà, mue par son syndicat, la CFDT santé-sociaux, que rien ne permet au centre hospitalier employeur de l’obliger à rattraper les heures débitrices, c’est-à-dire celles non effectuées.

Mais en vain, par une décision du 28 juin 2022, la directrice du centre hospitalier rejette sa demande et aucun compteur n’est remis à zéro au 1er janvier 2022. La directrice considère que c’est à juste titre qu’elle est redevable de 13 heures et quelques minutes au titre de l’année passée, 2021.

Mme M. vous a saisis afin que vous annuliez cette décision de refus, que vous la rétablissiez dans ses droits, en quelque sorte, et que vous enjoignez au centre hospitalier de régulariser sa situation administrative au regard de son compte d’heures.

Compte tenu de la mission du syndicat qui entend défendre les intérêts des agents titulaires travaillant en centre hospitalier, au sens large, vous pourrez tout d’abord admettre, par mémoire distinct, l’intervention du syndicat CFDT santé-sociaux, impliquant ici le temps de travail, voyez par exemple un de vos jugement historiques relatifs au temps de travail en fonction publique hospitalière, TA de Lyon, n°8839872 du 22 juin 1995.

Dans ses écritures, la requérante, qui se défend seule, articule des moyens de pure forme, notamment l’absence de la mention des voies et délais de recours, ou l’insuffisance de motivation, mais ces moyens ne sont pas sérieux.

Plus central est en revanche le moyen tiré de l’erreur de droit.

Mme M. soutient à cet égard qu’aucune disposition textuelle, législative ou règlementaire n’oblige un agent à rattraper les heures non réalisées de son fait, pendant une année N, sur l’année suivante N+1.

L’agent relève à cet égard que le décret du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail dans la FPH n’autorise pas le directeur d’un centre hospitalier à opérer un tel rattrapage, en imposant notamment que soient réalisées ici sur l’année 2022 les 13 heures non effectuées en 2021. Vous le savez, le calcul du temps de travail s’apprécie au sein de chaque cycle de travail, et en dehors des cas où il est régi par un système d’annualisation du temps de travail (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), le cycle équivaut en général, à la semaine, ou bien à une période où se répètent les services de l’agent, d’une durée maximale de douze semaines, c’est-à-dire trois mois.

C’est donc au niveau du cycle de travail que se calculent les congés, ou bien encore les heures supplémentaires : l’article 15 du décret précité ne dit pas autre chose. Curieusement, le décret est silencieux sur le cas où les heures ne sont pas réalisées dans leur totalité : tout au plus savez-vous, par l’article 14 du décret du 4 janvier 2002, que je cite « tout agent soumis à un décompte horaire qui ne peut effectuer l’intégralité de son temps de travail quotidien en raison d’une absence autorisée, ou justifiée, est considéré avoir accompli le 5ème de ses obligations hebdomadaires de service prévues en moyenne sur la durée du cycle de travail ».

Il est vrai que le silence du texte sur ce point pourrait vous laisser dubitatifs, d’ailleurs les juges du fond n’ont pas réellement réglé la question.

Le tribunal administratif (TA) de Lyon dans un jugement non fiché n°1801893 du 15 mai 2019 vous indique qu’aucun report n’est possible et que le temps de travail doit être appréhendé par année civile, et rien de plus.

D’autres juridictions du fond admettent en revanche qu’un report sur l’année suivante puisse être réalisé et demandé par l’employeur, voyez par exemple un jugement du TA de Besançon, n°1901594 du 24 septembre 2020. Dans ce jugement, qui semble faire appel « au bon sens », il est jugé, « dès lors qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’en dispose autrement et, en particulier, imposerait le règlement définitif, à la fin de chaque année civile, de la situation d’un agent au regard de son temps de travail, le personnel d’encadrement, auquel il appartient seulement de respecter les exigences réglementaires (…) pour l’organisation du service de l’agent, peut régulièrement comptabiliser le nombre d’heures de travail non accomplies l’année civile précédente et les reporter sur l’année civile suivante ».

Votre Haute-juridiction n’a jamais tranché cette question, en dehors de cas particuliers de fonctionnaires soumis à des régimes de temps de travail spécifiques. Seule la cour administrative d’appel (CAA) de Douai a jugé que le report d’heures « négatives » était autorisé uniquement sur l’année suivante N+1. Voyez son arrêt récent, fiché en C+, EHPAD du Val de Nesle, n°21DA00033 du 22 mars 2022 rendu aux conclusions de Bertrand Baillard, reprenant ici le raisonnement du Conseil d’Etat à propos des agents pénitentiaires et le report maximal d’un an, d’heures « négatives » de travail.

La situation qui vous est présentement soumise n’a rien d’évident. En effet, le décret précité du 2 janvier 2002 n’a pas d’autre objet que de régler la situation des agents au regard des 35 heures, et des éventuelles heures supplémentaires, puis des jours de réduction du temps de travail, conférés aux agents, qui dépasseraient l’horizon règlementaire des 1 607 heures annuelles. Il n’entrevoit pas réellement le cas d’agents qui sous-réalisent leurs heures, quel qu’en soit le motif. Or, le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse raisonne comme si le décompte du temps de travail se faisait en rythme annuel, ce qui n’est pas le cas ici, Mme M. n’étant pas soumis à un régime d’annualisation du temps de travail, en tous cas, cela ne résulte pas des pièces qui vous sont soumises. L’intéressée est régie par un décompte d’heures de travail par cycle de travail, ici la semaine ou au moins au trimestre. Or, peut-on demander à Mme M. de réaliser 13 heures supplémentaires en 2022 après avoir constaté qu’en 2021, il lui manquait 13 heures ? Nous ne le croyons pas.

Nous pensons que si l’agent effectue moins d’heures dans le cycle déterminé, il doit être constaté une absence de service fait, et l’employeur doit en tirer les conséquences en opérant une réfaction de la paie, même si ce système a surement un effet « couperet », autrement dit, il est assez rigide. Mais surtout, dans notre affaire, vous devrez relever que l’absence de service fait ne résulte pas du fait de l’agent : pour le dire autrement, il ne s’agit pas d’absences injustifiées, mais d’un déficit d’heures « négatives » résultant de l’organisation même du service. La CAA de Lyon juge à cet égard de manière formelle « le droit de tout agent à percevoir un traitement ne peut cesser que si l’absence d’accomplissement de son service fait résulte de son propre fait » ; voyez son arrêt, n°20LY01588 du 12 janvier 2022 aux conclusions de Samuel Deliancourt.

De ces constats, devez-vous tirer la conclusion qu’un employeur hospitalier, en présence d’un système dénué d’annualisation du temps de travail, ne peut légalement demander à un agent de récupérer les heures non faites au cours d’une année N, sur l’année suivante, si leur non-réalisation résulte d’une organisation du service, ou du fait de l’employeur lui-même ?

En d’autres termes, si le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse a fixé, en l’absence d’un temps de travail annualisé, tel ou tel cycle de travail, en sorte que ce cycle conduit à l’agent à une légère sous-réalisation du temps de travail habituel, il doit en tirer lui-même les conséquences et ne saurait légalement demander au salarié de réaliser ses heures « négatives » sur l’année suivante. La moindre réalisation d’heures résultant de la seule action de l’employeur, c’est à dire résultant des seules contraintes d’organisation du service, nous pensons que Mme M. a raison de relever que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit.

Nous vous proposons de juger qu’en dehors des agents soumis à un régime d’annualisation du temps de travail, ou à des horaires variables, l’agent doit accomplir ses obligations de travail dans le cadre de cycles de travail, qui constituent ici la période de référence d’une ou plusieurs semaines, et que, partant, le chef d’établissement public de santé qui organise le service en imposant la réalisation d’un planning d’heures, ne peut légalement, lorsqu’il fixe un planning conduisant - dans les faits - à une sous-réalisation d’heures de travail du cycle, imposer aux agents de récupérer les heures ainsi perdues lors du cycle, sur le cycle suivant, sauf à justifier de circonstances exceptionnelles (liés à une crise sanitaire par exemple), et hors les cas où le solde négatif résulterait d’absences de l’agent injustifiées.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation de la décision en litige du 28 juin 2022 et à ce qu’il soit enjoint au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse de procéder à la régularisation de la situation de Mme M.. Ce qui conduira concrètement à supprimer le compte d’heures négatif de l’agent.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Note

Alissende Bijon

Etudiante en Master 2 Droit public fondamental, Université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.9676

Le tribunal administratif de Lyon refuse le report des « heures négatives » sur l'année suivante en l'absence d'un régime d'annualisation, responsabilisant l'encadrement dans la gestion du temps de travail.

Réforme centrale du gouvernement de Lionel Jospin, entrée en vigueur en 2000, la réduction du temps de travail hebdomadaire n’a pas trouvé de soutien franc et actif dans les corps de direction de la fonction publique hospitalière (FPH). L’opposition à cette législation s’est notamment exprimée par le ton de la Fédération hospitalière de France (FHF) qui estimait, après plus de 10 ans de recul, que la logique des 35 heures n’était que très difficilement conciliable avec une activité nécessitant des besoins croissants et une continuité du service maximale. L’ancien président de la FHF devenu ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention, Frédéric Valletoux exprimait alors les choses en ces termes : « la question du temps de travail ne peut plus être taboue. Le nombre de jours travaillés ayant diminué et l'ensemble des postes n'étant pas pourvu, les agents peuvent être rappelés pendant leurs congés, changent de planning régulièrement... In fine, la mise en place de la réduction du temps de travail ne s'est pas traduite par une baisse significative de la pénibilité, et encore moins de l'absentéisme »1.

En vertu de l’article L. 611-3 du code de la fonction publique, tel que précisé par l’article 1 du décret 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, la durée du travail des agents hospitaliers est fixée par référence à celle applicable aux agents de la fonction publique d’Etat et territoriale. La durée annuelle du travail effectif est de 1607 heures pour 35 heures par semaine avec des journées de 7 heures. Cependant en raison de la spécificité des missions des agents de la fonction publique hospitalière et face aux difficultés de s’adapter aux 35 heures, les établissements publics de santé disposent d’une certaine liberté en matière d’organisation du temps de travail. Toutefois, cette organisation doit répondre à un cadrage déterminé par la législation : les agents en repos variable ont, par exemple, interdiction de dépasser 48 heures de travail sur 7 jours glissants, et les heures effectuées entre la 44ème et la 48ème heure doivent être payées en heure supplémentaire.

Cette autonomie, bien que limitée en matière de gestion du temps de travail, et le silence des textes sur certains points de pratique ont pu entraîner des erreurs de la part des autorités responsables de son organisation, qui sont souvent amenées à modifier leurs positions.

Il est donc revenu au juge, saisi de litiges relatifs au temps de travail dans les hôpitaux, de proposer des solutions claires et précises pour combler les vides juridiques et rompre avec l’insécurité juridique qu’ils entraînent, sans pour autant créer des règles trop contraignantes pour le personnel d’encadrement.

Dans le cas d'espèce, le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse a sollicité d'une aide-soignante un dépassement horaire de 13 heures et 16 minutes pour l'année N, fondé sur le non-accomplissement intégral de son temps de travail durant l'année N-1.

La requérante demande l’annulation du refus de sa demande tendant à ce que son compte d’heures soit remis à zéro pour l’année N, ses conclusions sont soutenues par un mémoire en intervention du syndicat départemental CFDT.

La requérante comme le syndicat avancent que cette exigence de récupération des « heures négatives » (selon la formule du rapporteur public Hadi Habchi) contrevient à la législation. Et ce, pour deux motifs majeurs : tout d’abord, la requérante affirme que le non-accomplissement de son temps de travail ne résulte pas de son propre fait, mais découle de choix organisationnels émanant de la hiérarchie ; en second lieu, elle soutient que dans les établissements où le schéma de temps de travail n'est pas structuré selon un modèle d'annualisation, la reprise du temps non effectué est illégale à ce titre.

Le tribunal administratif de Lyon, après avoir apprécié favorablement l’intérêt à agir du syndicat, a examiné la question soulevée quant à la possibilité de requérir la récupération du temps de travail non accompli au cours de l'année N-1, pour des motifs ne dépendant pas de la volonté de l’agent, durant l'année N.

Il juge que, du fait de l'absence de mise en œuvre du mécanisme d'annualisation du temps de travail au sein de l'établissement, l'injonction émise par la direction du centre hospitalier de Bourg à l'encontre de la demanderesse est entachée d'illégalité. Par conséquent, avec l'avènement de la nouvelle période, le compteur horaire est remis à zéro et la décision de la direction de l'établissement se trouve, dès lors, sujette à annulation pure et simple.

Aussi, il convient de s’interroger sur la manière dont la décision rendue par le tribunal administratif démontre un renforcement de la régulation de l'organisation du temps de travail au sein des établissements publics de santé et les implications que cela entraîne pour la gestion du temps de travail des agents.

Si le verdict prononcé témoigne d'une approche exégétique du tribunal concernant la réglementation du temps de travail, cette interprétation stricte de la législation marque une divergence fondamentale des juges lyonnais par rapport à la jurisprudence dominante (I). En privilégiant la responsabilisation du personnel encadrant et les droits du personnel paramédical sur l’obligation de continuité du service public, le juge lyonnais risque de renforcer les contraintes déjà inhérentes aux activités hospitalières (II).

I. Une interprétation hétérodoxe de la gestion du temps de travail par le tribunal administratif de lyon

Le juge, qui ne se prononce pas sur les moyens tirés du défaut de motivation et de mention des voies et délais de recours (un tel manquement n’entache pas la régularité de la décision et a seulement une incidence sur le délai de recours contentieux), examine en revanche en détail la gestion du temps de travail au sein des établissements hospitaliers et met en évidence les spécificités strictes qui la caractérisent (A). Partant, il rappelle la marge de manœuvre laissée à l'encadrement hospitalier dans la gestion du temps de travail des agents, ayant le choix de mettre en œuvre un système d’annualisation du temps de travail. Le fait de ne pas avoir opté pour un tel système, justifie que l’établissement ne puisse pas bénéficier de la souplesse inhérente à ce régime pour le juge lyonnais. Cette solution diverge pourtant d’autres interprétations jurisprudentielles (B).

A. Les règles strictes de la gestion du temps de travail hospitalier

Si la définition du temps de travail (durée légale annuelle et hebdomadaire) est en principe partagée par les trois fonctions publiques, son organisation dans la fonction publique hospitalière est plus flexible en raison des impératifs de continuité du service public dans les établissements de santé. Cela se traduit par des cycles plus longs et variables, avec une répartition des heures souvent irrégulière d'une semaine à l'autre. Les règles concernant les temps de repos et les astreintes des agents diffèrent également. Le juge lyonnais examine d’abord les dispositions légales et réglementaires encadrant ce domaine, ainsi que les contraintes opérationnelles particulières, telles que la continuité des soins et la fluctuation de la charge de travail en fonction des besoins médicaux. Face à ces contraintes, la législation accorde une certaine souplesse aux directeurs d’établissements pour organiser le temps de travail des agents, qui est toutefois assortie de nombreuses règles, afin notamment de contraindre les établissements au respect des 35h hebdomadaires. Le considérant 3 du jugement résume les principales règles régissant le temps de travail des professionnels du soin de la FPH : « La durée du travail est fixée à 35 heures par semaine dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée », toutefois le découpage de ces 35h peut prendre plusieurs formes. Ainsi, comme le juge le rappelle : « La durée hebdomadaire de travail effectif, heures supplémentaires comprises, ne peut excéder 48 heures au cours d'une période de 7 jours (glissants) », « Les agents bénéficient d'un repos quotidien de 12 heures consécutives minimum et d'un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives minimum. / (...) Le nombre de jours de repos est fixé à 4 jours pour 2 semaines, deux d'entre eux, au moins, devant être consécutifs, dont un dimanche. ». Comme le souligne le jugement, les règles en vigueur pour les agents en repos variable de la FPH sont particulièrement nombreuses. Par exemple, les spécificités concernant les repos des week-ends (un dimanche non travaillé devant intervenir une semaine sur deux) illustrent la complexité des plannings. Le Tribunal administratif précise dans son considérant 3 la définition du cycle du travail : « une période de référence dont la durée se répète à l'identique d'un cycle à l'autre et ne peut être inférieure à la semaine ni supérieure à douze semaines ; le nombre d'heures de travail effectué au cours des semaines composant le cycle peut être irrégulier ». Ainsi, à travers la constitution du planning, l’encadrant a donc la capacité d’organiser le cycle horaire des agents d’une manière à ce que celui-ci puisse permettre à l’agent de réaliser sa durée légale de travail pour les professionnels travaillant en journée.

Malgré un encadrement législatif strict, l'obligation faite aux établissements de garantir la continuité des soins a conduit à introduire une certaine souplesse dans l'organisation du temps de travail des agents au sein de la fonction publique hospitalière. Ainsi, depuis 2021, ces établissements peuvent opter pour plus de flexibilité en adoptant un système d’annualisation du temps de travail. Or, le juge lyonnais se montre davantage sévère que ses homologues à l’encontre des établissements n’ayant pas mis en œuvre un tel régime.

B. La sévérité des juges lyonnais dans l’application des assouplissements instaurés pour la gestion du temps de travail hospitalier

Dans le contexte de la crise sanitaire, l'État français s'est engagé dans une politique de flexibilité du temps de travail des agents de santé, favorisant l'émergence de cycles de travail en 12 heures et la mise en place du processus d'annualisation du temps de travail depuis un décret n° 2021-1544 du 30 novembre 2021 modifiant le décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière2. Ce dernier permet d’accroître la souplesse dans la gestion des horaires de travail du personnel hospitalier. En effet, alors que l’organisation en cycle impose une reconduction systématique du cycle sur des périodes de 1 à 12 semaines, l’annualisation du temps de travail permet de s'adapter aux fluctuations de l'activité tout au long de l'année civile. Selon le nouvel article 9-1 du décret du 4 janvier 2002, cette annualisation doit respecter une durée hebdomadaire moyenne de travail comprise entre 32 et 40 heures sur la période considérée. Cette souplesse accordée à la direction des établissements est cependant étroitement encadrée, comme le souligne le considérant 3 du jugement. Bien que la consultation des instances représentatives du personnel soit obligatoire, leur avis demeure facultatif, la décision finale revenant au chef d'établissement. Face à cette marge de manœuvre laissée à la direction des établissements de santé, justifiée par le maintien de la continuité des soins, le tribunal administratif de Lyon a souligné, dans ce jugement, que cette souplesse doit s'inscrire dans un cadre législatif, particulièrement strict.

Les textes applicables cependant sont silencieux sur la question du report des heures non réalisées dans leurs totalités l’année N-1 sur l’année suivante. Comme le souligne le rapporteur public M. Hadi Habchi dans ses conclusions suivies, le tribunal doit en l’espèce combler un vide juridique. Il relève deux choses : d’une part, les heures manquantes en l’espèce ne résultaient pas du fait de l’agent mais de l’organisation même du service ce qui ne permet donc pas de lui appliquer les règles relatives à l’absence de service fait et, d’autre part, l’établissement n’a pas fait le choix en l’espèce de mettre en œuvre l’annualisation du temps de travail (considérant 5). Il en déduit que « le chef d'établissement (…) ne peut, lorsqu'il fixe des horaires ne (…) permettant pas » aux agents « de remplir leurs obligations horaires dans le cycle de travail, leur imposer de récupérer les heures ainsi perdues lors du cycle suivant, sauf circonstances exceptionnelles ». Il relève ainsi de la responsabilité de l’encadrement de réaliser des plannings de qualité afin que ces derniers puissent permettre à l’agent de réaliser l’entièreté de ses obligations. L’agent n’a pas à récupérer sur l’année suivante les heures manquantes sur l’année N-1, du fait d’une erreur dans la mise en œuvre des plannings.

Cette solution, qui responsabilise le personnel encadrant, est contraire à celle qu’avait adopté la cour administrative d'appel de Douai3 , qui, dans une affaire similaire concernant un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), avait reconnu au contraire la possibilité de reporter les heures non effectuées indépendamment de la volonté d’agent, sur l'année suivante. Ce même raisonnement avait été opéré antérieurement par le tribunal administratif de Besançon4, le tribunal administratif de Caen5 comme le tribunal administratif de Nice6 pour des faits similaires. Aussi, si chacune des décisions précitées se réfère au « principe d’annualisation du temps de travail », cela ne semblait pas signifier que les établissements avaient opté pour une telle annualisation au sens organisationnel, ces établissements fonctionnant bien par cycles de travail ; l’expression désignait en réalité le principe du décompte annuel du temps de travail.

Le tribunal administratif de Lyon opère même une forme de revirement de sa jurisprudence de 2019 (TA Lyon, 15 mai 2019, n°1801893) qui admettait un report d’un cycle de travail à un autre, mais seulement sur la même année civile. Il s’inscrit donc clairement dans une pratique plus stricte au regard de la gestion du temps de travail des établissements de santé que celles des autres tribunaux et restreint de facto l’autonomie et la flexibilité des établissements de santé dans la gestion du temps de travail de leurs agents.

II. une décision susceptible de fragiliser l’obligation de continuité du service public de santé

S’il convient d’examiner les raisons ayant conduit au rejet par le juge des circonstances exceptionnelles pouvant pourtant justifier plus de flexibilité avec un report des heures non travaillées sur l'année suivante (A), les implications de cette décision sur les contraintes inhérentes aux activités hospitalières doivent être identifiées (B).

A. Le rejet de l’exception des circonstances exceptionnelles

Le considérant 4 du jugement souligne que « les horaires de travail fixés par les chefs d'établissement doivent permettre aux agents de remplir leurs obligations horaires dans le cycle de travail, sans imposer la récupération des heures perdues sauf en cas de circonstances exceptionnelles ». Cette prescription vise à concilier la gestion flexible du temps de travail au sein de la fonction publique hospitalière avec le respect des normes légales. Cette flexibilité est nécessaire, car elle permet à la direction d’adapter le temps de travail des agents en fonction de la fluctuation de l’activité des soins. Elle ne saurait toutefois servir d'excuse pour outrepasser les dispositions légales encadrant le temps de travail des agents hospitaliers. Ainsi, en réaffirmant dans plusieurs considérant (3, 4 et 5) la primauté de la réglementation en la matière, le tribunal met en lumière la nécessité de concilier souplesse organisationnelle et respect des normes juridiques dans le domaine du temps de travail au sein de la fonction publique hospitalière.

Dans le considérant 4 du jugement, le juge lyonnais évoque une exception bien établie aux principes juridiques fondamentaux : celle des « circonstances exceptionnelles ». En droit, les circonstances exceptionnelles désignent des situations ou des événements extraordinaires et imprévisibles qui peuvent justifier des dérogations aux règles ordinaires ou des mesures spéciales. Ce concept dans le domaine du droit de la fonction publique et du temps de travail en particulier, permet d'adapter les pratiques en fonction de circonstances inhabituelles ou inattendues. Ainsi, le juge Lyonnais malgré sa sévérité, semble réintroduire de la souplesse au travers de cette exception pour tenir compte des problématiques spécifiques aux établissements de santé.

Dans le cas présent, le tribunal administratif de Lyon a rejeté l'existence de circonstances exceptionnelles sans toutefois fournir d'explication claire à ce refus. Si la complexité inhérente à la gestion des établissements hospitaliers, notamment en termes de fluctuation de l'activité et de saturation des services, est une réalité bien connue et souvent anticipée qui pourrait justifier que le tribunal de Lyon considère que les difficultés invoquées, hors crise, ne sont pas exceptionnelles au sens juridique du terme, mais plutôt inhérentes à l'activité hospitalière, ici, il semble plus simplement que le rejet de ce moyen s’explique par le fait que la direction ne l’ait pas soulevé. En effet, cette dernière s’est contentée de soutenir qu’aucun moyen n’était fondé.

Il est primordial de parvenir à un équilibre entre le besoin de flexibilité des établissements de santé pour répondre aux impératifs opérationnels et la protection des droits des agents. Aussi convient-il d’examiner les répercussions éventuelles de cette jurisprudence sur les contraintes pesant sur ces établissements.

B. L’incidence de cette décision sur les contraintes inhérentes aux activités hospitalières

La décision rendue par le tribunal administratif de Lyon représente un revirement notable par rapport à la tendance jurisprudentielle prévalant jusqu'à la fin de l'année 2022 dans le domaine de l'organisation du temps de travail dans les établissements de santé.

Traditionnellement, les juridictions administratives avaient adopté une approche plutôt favorable à l'égard des établissements de santé en matière d'aménagement des horaires de travail notamment en ce qui concerne les horaires étendus, comme les 12 heures, réglementés par le décret n°2002-9 du 4 janvier 2002 pour protéger les droits des agents publics et la sécurité des patients. Bien que les établissements médico-sociaux aient historiquement été exclus de cette pratique, certains, ont quand même adopté ce dispositif comme le souligne l’Agence régionale de santé île de France dans un rapport de performance de janvier 20157 et l’Humanité8. Or, malgré les recours de syndicats, les juridictions administratives ont soutenu ces adaptations pour répondre aux besoins opérationnels et à la qualité des services9.

La décision du tribunal administratif de Lyon semble ainsi rompre avec cette tradition de clémence. En refusant de reconnaître le report des heures non travaillées sur l'année suivante, le tribunal adopte une position rigide qui semble responsabiliser le personnel de l’encadrement et l’inciter à adopter pour plus de flexibilité un système d’annualisation. Ce faisant, le tribunal pourrait rendre plus difficile l’activité de ces autorités qui sont confrontées à des réalités pratiques et à des contraintes spécifiques. En effet, la gestion du temps de travail dans les établissements de santé est un exercice complexe et délicat, étant donné la nature imprévisible et souvent intense de l'activité médicale. Les établissements doivent constamment jongler avec des impératifs opérationnels, tels que la continuité des soins, les défis financiers et de recrutement, la disponibilité du personnel et la gestion des urgences, ce qui rend parfois difficile le respect strict des règles régissant les horaires de travail. En outre, si le recours à l'annualisation permet techniquement le report des heures non effectuées à l'année suivante, il constitue souvent un obstacle à la fidélisation des agents dans la mesure où des plannings plus flexibles mais moins stables compliquent leur capacité à organiser leurs périodes de repos à l'avance.

Dans un contexte où les établissements publics de santé font face à une concurrence accrue pour le recrutement et la stabilisation des équipes, le recours à l'annualisation est perçu par de nombreux directeurs comme une prise de risque importante.

L’incidence de cette jurisprudence sur les pratiques et les politiques de gestion du temps de travail dans ce secteur reste ainsi à évaluer, mais soulève des questions importantes. Les divergences entre jurisprudences font le lit de l’insécurité juridique et complexifient l’application de la législation par le personnel encadrant. Il reste toutefois que la décision du tribunal administratif de Lyon apparaît comme respectueuse des textes et des droits du personnel paramédical et qu’à ce titre, elle doit être saluée.

Notes

1 Marie, Bartnik. « Comment les 35 heures ont désorganisé l’hôpital », Le Figaro, 21 mars 2015. Retour au texte

2 En surmajorant les heures supplémentaires, l’Etat pousse à la flexibilisation du temps de travail. En effet, dans la fonction publique hospitalière, les heures supplémentaires s’appliquent entre la 44ème et la 48ème heure sur sept jours glissants, pour pouvoir faire un tel volume horaire, il est nécessaire de travailler en 12 heures ou 10 heures, ce qui dépasse les normes antérieures de 8 ou 9 heures. En outre avant ce décret il était obligatoire pour les agents de bénéficier de 12 heures de repos consécutives, mais désormais, le chef d'établissement peut réduire ce repos à 11 heures. Retour au texte

3 CAA Douai, 22 mars 2022, n°21DA00033 Retour au texte

4 TA Besançon, 24 septembre 2020, n°1901594 Retour au texte

5 TA Caen, 22 juillet 2022, n°2100490 Retour au texte

6 TA Nice, 24 mai 2023, n°2001355 Retour au texte

7 Pépin, Michel. « Avantages / inconvénients des postes d’amplitude 12 heures Éléments d’appréciation de l’organisation paramédicale ». Agence Régional de la Santé île de France, janvier 2021, page 3, « ce mouvement (qui rappelons-le exploite une dérogation à la réglementation) » https://www.aios.fr/Telechargements/Temps_soignants_-_Postes_12h.pdf. Retour au texte

8 « Les faux espoirs et vrais dangers des douze heures à l’hôpital ». L’Humanité, 1 septembre 2014. Retour au texte

9 TA Caen, n° 1500884,24 février 2017 et CAA Nantes, 8 mars 2019, n°17NT01301, cassé par le CE,19 février 2021, n° 430606 ; CAA Nantes, 1 octobre 2021, 21NT00638 ; TA Caen, 27 octobre 2023, n° 2200457 Retour au texte

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0

Le cycle de travail, référence du contrôle des obligations de service du fonctionnaire hospitalier

Benjamin Michel

Avocat au barreau de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.9689

Par un jugement du 16 février 2024, le tribunal administratif de Lyon a considéré que l’employeur ne pouvait pas reporter sur le cycle suivant un débit d’heures non réalisées par un agent en raison des modalités d’organisation du service (TA Lyon, 16 février 2024, n°2206526).

Avant même la crise sanitaire liée à la Covid-19, le secteur hospitalier était toujours présenté, à juste titre, comme un secteur en tension (recours important aux heures supplémentaires, difficultés de recrutement, personnel non remplacé, désert médical, etc.), ayant notamment conduit à l’organisation d’un Segur de la santé, dont les conclusions ont été rendues publiques en juillet 2020.

Toutefois, la décision commentée n’oppose pas un fonctionnaire hospitalier ayant dépassé les limites de son cycle horaire mais, à l’inverse, un fonctionnaire auquel l’administration demande de rattraper des heures non réalisées en 2021 sur l’année suivante. Il est important de préciser dès à présent que la non-réalisation de ces heures n’est pas causée par un manquement de l’agent à ses obligations mais par des raisons tenant à l’organisation même du service, « liées au respect de restrictions médicales » (point n°5 du jugement commenté).

Pour bien comprendre la solution adoptée par le tribunal administratif de Lyon (II), un rappel préalable des principales notions relatives au temps de travail des agents publics s’impose (I).

I.Gestion et organisation du temps de travail des agents publics

La question de la détermination du temps de travail des agents publics hospitaliers est un sujet à la fois sensible et complexe.

Cette problématique est en effet directement impactée par les règles fixées au niveau de l’Union européenne, en premier lieu par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, et par la jurisprudence, souvent protectrice, de la Cour de justice de l’Union européenne.

En outre, si le principe fixé à l’article 1er du décret n°2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, apparaît particulièrement simple (« La durée du travail est fixée à 35 heures par semaine dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée. Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d'une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d'être effectuées »), les nécessités d’assurer la continuité du service public d’accès aux soins génèrent de fortes tensions sur l’organisation du travail (gardes, permanences, travail de nuit ou le week-end, heures supplémentaires, plan blanc, etc).

La durée hebdomadaire de 35 heures est ainsi souvent aménagée et peut être amenée à fluctuer.

Aux termes des dispositions de l’article 9 du décret du 4 janvier 2002 précité :

« Le travail est organisé selon des périodes de référence dénommées cycles de travail définis par service ou par fonctions et arrêtés par le chef d'établissement après avis du comité social d'établissement ou du comité social.

Le cycle de travail est une période de référence dont la durée se répète à l'identique d'un cycle à l'autre et ne peut être inférieure à la semaine ni supérieure à douze semaines ; le nombre d'heures de travail effectué au cours des semaines composant le cycle peut être irrégulier ».

La définition d’un cycle de travail récurrent permet à l’employeur d’adapter les horaires des services aux contraintes organisationnelles de son activité, par exemple la nécessite de travailler le samedi ou le dimanche une semaine sur deux.

L’article 9-1 du décret du 4 janvier 2002 est venu étendre en 2021 cette flexibilité, jusqu’alors limitée à un cycle de douze semaines maximum, avec la possibilité de procéder à l’annualisation du temps de travail « pour s'ajuster aux variations de l'activité tout au long de l'année civile ».

Un agent dont le temps de travail est annualisé peut ainsi être amené à dépasser la durée légale du travail (35 heures hebdomadaires) dès lors qu’il compensera ce dépassement par des périodes de travail moins importantes. La logique est la même que la réduction du temps de travail (RTT), c’est-à-dire respecter in fine la durée annuelle de 1607 heures, laquelle constitue, sauf exception, à la fois un plancher et un plafond (CAA Bordeaux, 21 juin 2022, n°20BX00694). Toutefois, alors que les jours de RTT sont attribués de manière régulière et prévisible lorsque le cycle de travail prévoit une durée hebdomadaire supérieure à 35 heures, l’annualisation du temps de travail permet davantage de souplesse puisque les éventuels dépassements ne sont pas nécessairement prévus et que les plannings peuvent être adaptés en cours d’année pour tenir compte des variations d’activité.

Il est naturellement rappelé que l’aménagement du temps de travail doit en tout état de cause respecter les normes minimales issues du droit de l’Union européenne tenant à la durée minimale du repos quotidien et hebdomadaire, même si, une nouvelle fois, la fonction publique connaît un certain nombre d’aménagements eu égard à la nécessité d’assurer la continuité des soins tous les jours de l’année.

L’agent peut enfin parfois disposer, au sein de son cycle de travail, d’une certaine flexibilité dans la détermination de ses horaires, en choisissant, à l’intérieur d’une plage autorisée, son heure d’arrivée et son heure de départ. On parle alors d’horaires variables ou d’horaires flexibles. La durée du cycle de travail doit cependant toujours être respectée.

Le décret n°2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’État et dans la magistrature, prévoit pour les agents de l’État en horaires variables, la possibilité d’instaurer un « dispositif dit de crédit-débit » permettant le report d’un nombre limité d’heures de travail d’une période sur l’autre (article 6). Ce dispositif n’a cependant pas été repris pour les fonctionnaires hospitaliers, alors que les dispositions applicables à la fonction publique territoriale renvoient à celles de l’État (article 6 du décret n°2001-623 du 12 juillet 2001).

II.Apport de la décision face à la situation d’un agent n’ayant pas accompli la durée annuelle du travail

Le tribunal administratif de Lyon a eu à connaître de la situation d’un agent qui n’a pas été mis à même d’effectuer le nombre d’heures qu’il aurait dû travailler en raison d’une défaillance dans l’organisation du service (ouvertures et fermetures de lits dans un contexte post Covid-19).

Cette situation a conduit son employeur, le centre hospitalier, à lui notifier un décompte d’heures négatif à la fin de l’année 2021, devant être rattrapées au cours de l’année 2022, ce que l’agent a contesté devant les juridictions administratives.

Comme l’expose le rapporteur public, dans ses conclusions, la situation soumise au juge « n’a rien d’évident ».

Plusieurs juridictions se sont prononcées sur des situations similaires mais dans un sens différent.

Le tribunal administratif de Lyon a ainsi refusé le principe d’un report (TA Lyon, 15 mai 2019, n°1801893) alors que le tribunal administratif de Besançon (TA Besançon, 24 septembre 2020, n°1901594) et la cour administrative d’appel de Douai ont estimé qu’un report pouvait être effectué mais uniquement sur une période d’un an :

« Il résulte de ces dispositions que le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d'une durée annuelle de 1 607 heures au maximum et que le principe d'annualisation du temps de travail exclut la possibilité de reporter les heures non effectuées au sein de cycles de travail au-delà de l'année suivante, de manière illimitée dans le temps » (CAA Douai, 22 mars 2022, n°21DA00033).

Poursuivant son raisonnement, le rapporteur public a estimé au contraire que la réalisation des heures de travail s’apprécie à l’échelle du cycle de travail et non sur l’année. Selon cette logique, un crédit d’heures devrait se régler par le bénéfice de temps de repos compensateur alors qu’un déficit d’heures se traduirait par la mesure comptable de retenue sur traitement.

Dans le cas soumis à la juridiction il a estimé que la jurisprudence s’opposant à une retenue sur traitement d’un agent n’ayant pu accomplir l’intégralité de son service du fait de son employeur (CAA Lyon, 12 janvier 2022, n°20LY01588), était parfaitement transposable et que le requérant ne pouvait donc être tenu de rattraper les heures non réalisées du fait d’un défaut d’organisation du service.

Ce raisonnement a été suivi par le tribunal administratif qui a jugé, dans la décision commentée qu’ :

« Il ressort des dispositions précitées, qu’en dehors des agents soumis à des horaires variables et sauf le cas où l’établissement a mis en œuvre un régime d’annualisation du temps de travail, comme le permettent désormais les dispositions du décret susvisé, dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er décembre 2021, l’agent doit accomplir ses obligations de travail dans le cadre de cycles de travail, périodes de référence d’une à douze semaines au sein desquelles sont décomptées les heures supplémentaires et déterminés les repos compensateurs. Le chef d’établissement, qui arrête les horaires de travail s’imposant aux agents dans un tableau de service, ne peut, lorsqu’il fixe des horaires ne leur permettant pas de remplir leurs obligations horaires dans le cycle de travail, leur imposer de récupérer les heures ainsi perdues lors du cycle suivant, sauf circonstances exceptionnelles » (TA Lyon, 16 février 2024, n°2206526).

Il résulte de ce qui précède que le tribunal retient le principe selon lequel un agent ne peut pas être contraint de compenser un solde d’heures négatif sur le cycle suivant.

Plusieurs exceptions semblent cependant prévues.

La première tient à l’existence d’horaires variables ou d’une annualisation du temps de travail, dérogeant au principe selon lequel l’agent doit accomplir ses obligations de travail dans le cadre d’un cycle de travail d’une durée comprise entre une et douze semaines.

La seconde tient dans l’existence de circonstances exceptionnelles qui permettraient de déroger temporairement aux limites de droit commun du temps de travail. Il peut sembler cependant difficile d’imaginer une circonstance exceptionnelle conduisant un agent à ne pas effectuer ses obligations horaires (fermeture de l’intégralité d’un service ou d’un établissement en raison d’une attaque informatique ?) puisque la plupart des circonstances exceptionnelles conduisent au contraire à une plus forte sollicitation du système de santé et de ses agents (plan blanc, crise sanitaire, etc.).

Ainsi, la position du juge apparaît logique au regard de l’absence de toute disposition permettant à l’employeur de reporter des heures non réalisées sur un cycle de travail ultérieur mais peut apparaître contradictoire en prévoyant des exceptions à la règle énoncée : un agent en horaires variables reste tenu d’effectuer ses obligations horaires avant le terme de son cycle de travail (sans mécanisme de crédit-débit pour les fonctionnaires hospitaliers), un agent annualisé est également tenu aux mêmes obligations appréciées non plus sur une période de douze semaines mais sur une période d’un an, et l’on voit mal pourquoi une circonstance exceptionnelle créant un déficit de temps de travail justifierait une demande de l’employeur de report des heures non travaillées, cette circonstance étant par définition indépendante de la volonté de l’agent.

Elle apparaît également rigide en ce qu’elle cristallise à l’issue de chaque cycle de travail le temps travaillé par un agent, sans possibilité de régularisation ultérieure.

Si cette solution devait être confirmée par le Conseil d’État, cela pourrait inciter les employeurs publics à définir artificiellement un cycle de travail plus long que le cycle hebdomadaire habituellement utilisé, afin de lui permettre davantage de souplesse dans la gestion des imprévus de calendrier et éviter de « perdre » des heures de travail qui devront néanmoins être payés aux agents.

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