En 2009, le centre hospitalier de Boën-sur-Lignon a décidé de lancer une opération de reconstruction de ses bâtiments, d’une capacité de 155 lits.
La société Axima Seitha, aux droits de laquelle est venue la société Axima Concept, s’est vue confier le lot n° 15 « chauffage-ventilation-rafraichissement » et le lot °16 « plomberie-sanitaire ». Les travaux ont été réceptionnés le 7 octobre avec des réserves levées par la suite.
Divers désordres sont apparus en lien avec ces deux lots.
À la demande du centre hospitalier, une expertise a été diligentée. L’expert a déposé son rapport le 18 mai 2018. À la suite de ce rapport, qui mettait en cause la responsabilité de la société Axima, le centre hospitalier a mis en demeure cette dernière, par courrier du 29 juin 2018, d’y remédier, ce que cette dernière a refusé. Le centre hospitalier a décidé d’exécuter les prestations à ses frais et risques.
Le centre hospitalier a alors actionné la garantie à première demande contractée par Axima auprès de la société générale à concurrence de 2 160 euros et de la société Atradius à concurrence de 64 582,72 euros.
Après avoir versé la somme au centre hospitalier, cette dernière s’est faite rembourser par la société Axima.
Estimant que cette somme avait été versée à tort au centre hospitalier, la société Axima Concept a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier à lui reverser la somme qu’il a reçue de son garant.
Par un jugement du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande comme irrecevable au motif que la requérante n’avait pas formulé de réclamation. La société Axima concept interjette appel de ce jugement.
Rappelons que l’article 50.1 du CCAG travaux, dans sa version issue de l’arrêté du 8 septembre 2009, stipule que si un différend survient entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants.
L’article 50.3. ajoute que le titulaire ne peut porter devant le tribunal que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation.
La configuration de l’espèce est toutefois inhabituelle puisque le différend porte sur une somme versée par le garant de la société Axima, dans le cadre d’une garantie à première demande ou garantie autonome. Celle-ci est définie par l’article 2321 du code civil comme « l’engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues. Le garant n'est pas tenu en cas d'abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d'ordre. / Le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l'obligation garantie. / Sauf convention contraire, cette sûreté ne suit pas l'obligation garantie. »
Les titulaires de marchés sont le plus souvent tenus, par le contrat lui-même, de souscrire une retenue de garantie de 5% du montant initial du marché, comme le prévoyait l’article 101 du code des marchés publics 2006 applicable au litige. Mais l’article 102 du même code prévoyait que la retenue de garantie pouvait être remplacée au gré du titulaire par une garantie à première demande.
Comme l’a relevé le Conseil d’Etat, il résulte de la nature même de la garantie à première demande que celle-ci constitue une obligation autonome, indépendante du marché et qui incombe à un tiers à l'égard du marché, alors que la retenue de garantie instituée par le code des marchés publics est au contraire étroitement liée au marché, notamment à son montant et à ses modalités de règlement (CE 10 mai 1996, Fédération des travaux publics, n° 159980).
La haute juridiction en tire notamment comme conséquence que la mise en œuvre de la garantie à première demande, qui n'a pas pour objet l'exécution d'un service public ni ne comporte de clauses exorbitantes du droit commun, ne ressortit pas de la compétence de la juridiction administrative (CE 3 novembre 2004, n° 263934).
Précisons néanmoins, comme l’a relevé le tribunal, que notre litige ne porte pas directement sur la mise en œuvre de la garantie à première demande mais le remboursement par le bénéficiaire au donneur d’ordre de la somme versée. La garantie à première demande est un contrat tripartite de droit privé mais c’est en quelque sorte le garant qui est le pivot.
Ce dernier a l’obligation en principe de verser la somme si on la lui demande et si un litige judiciaire devait survenir pour l’application de ce contrat, il ne pourrait porter que sur un refus par ce dernier de la verser ou sur une opposition du donneur d’ordre à ce que le garant verse la somme.
Mais dès lors que la somme a bien été versée et que les conditions étaient réunies, il revient alors au donneur d’ordre qui estime que la garantie a été actionnée indument de demander le remboursement de la somme et cette demande n’est pas fondée sur le contrat de garantie à première demande puisque celui-ci a été correctement exécuté.
La Cour de cassation a ainsi jugé que : « si, après la mise en œuvre d'une garantie à première demande, le donneur d'ordre réclame au bénéficiaire de celle-ci le montant versé par le garant qu'il estime ne pas être dû, ce litige, eu égard à l'autonomie de la garantie à première demande, ne porte que sur l'exécution ou l'inexécution des obligations nées du contrat de base, de sorte qu'il incombe à chaque partie à ce contrat de prouver cette exécution ou inexécution conformément aux règles de preuve du droit commun » (Cass. Com., 31 mai 2016, n°13-25.509, Bull. IV) »
Le litige, qui oppose une personne publique et une personne privée en lien avec l’exécution d’un marché public et pour l’exécution de travaux publics, relève sans difficulté du juge administratif.
Quel est le fondement de cette action ?
On pourrait envisager un fondement délictuel ou quasi-délictuel, en considérant qu’avoir indument actionné cette garantie contractuelle est constitutif d’une faute mais nous écartons d’emblée ce fondement car s’il y avait faute à actionner la garantie contractuelle, ce serait seulement dans l’hypothèse, prévue au code civil, d'abus ou de fraude manifeste du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d'ordre. Mais on se situerait alors dans le cadre contractuel de la garantie à première demande, relevant du juge judicaire.
On pourrait envisager un fondement quasi-contractuel de répétition de l’indu ou d’enrichissement sans cause, désormais appelé par l’article 1303 du code civil enrichissement injustifié, puisqu’il est allégué qu’une somme a été indument versée au bénéficiaire au détriment du donneur d’ordre.
Mais comme l’indique l’article 1303-2 du code civil, l’enrichissement est injustifié lorsqu'il ne procède ni de l'accomplissement d'une obligation par l'appauvri ni de son intention libérale. Or en l’espèce, l’enrichissement du centre hospitalier résulte bien de l’accomplissement par l’appauvri, la société Axima, de son obligation de rembourser au garant la somme versée au centre hospitalier par le garant. Il ne s’agit pas non plus d’une hypothèse de restitution de l’indu, qui concerne, selon l’article 1302-2 du code civil, « celui qui par erreur ou sous la contrainte a acquitté la dette d'autrui ». En effet, la société Axima a réglé sa dette auprès du garant et ce n’est ni par erreur ni par contrainte, mais là encore en exécution de son obligation.
En définitive, le seul fondement cohérent qui puisse être retenir pour qualifier l’action d’Axima est bien le fondement contractuel et c’est d’ailleurs ce qu’il faut a priori déduire de la rédaction de l’arrêt précité de la Cour de cassation. Le centre hospitalier a fait usage d’une sureté, particulièrement efficace, en vue de recouvrer une créance qu’elle estimait lui être due en application du contrat. Le cocontractant qui estime que cette sûreté a été abusivement actionnée doit donc saisir le juge du contrat en vue de déterminer si l’obligation en vertu de laquelle la sûreté a été actionnée l’instituait bien créancière et si le juge estime que non, il peut alors condamner celui qui s’est cru à tort créancier à la rembourser, toujours sur le fondement contractuel
Comme l’a indiqué M. Henrard dans ses conclusions sur CE, 12 octobre 2018, Communauté de communes du Pays de Montereau, n°409515, C : « Le litige indemnitaire qui s’élève, une fois la garantie mise en œuvre, entre le donneur d’ordre et la personne publique, au sujet de la restitution de cette somme, relève également du juge administratif qui le règle au vu du respect, par les parties au marché, de leurs obligations contractuelles respectives. Si les litiges relatifs à la récupération d’une garantie à première demande par le constructeur, donneur d’ordre, sont rares, la solution n’en est pas moins certaine. Elle est d’ailleurs engagée en ce sens devant les cours administratives d'appel. »
Dès lors que c’est sur le fondement contractuel que vous êtes saisis, il faut appliquer tout le contrat et en particulier ses clauses limitant, réglementant l’accès au juge, ce qui inclut l’article 50 du CCAG.
Or en l’espèce, les critères prévus par l’article 50 du CCAG ne sont pas remplis. Le courrier non daté produit par la société Axima adressé au centre hospitalier n’est pas chiffré. Le mémoire du 23 avril 2014 se borne à demander différents paiements au titre de prestations supplémentaires, mais ne porte pas précisément sur les 3 désordres en litige.
Nous vous proposons donc de confirmer le jugement.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.