Compétence administrative : réparation des dommages causés par des activités minières en cas de disparition du responsable

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Décision de justice

CAA Lyon, 6ème chambre – N° 22LY01430 – 10 novembre 2023 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 22LY01430

Numéro Légifrance : CETATEXT000048392352

Date de la décision : 10 novembre 2023

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Activités minières, Réparation des dommages, L. 155-3 du code minier, Compétence administrative, Juridiction administrative

Rubriques

Procédure

Résumé

Si les actions qui tendent à mettre en œuvre la responsabilité civile de l’explorateur ou de l’exploitant ou, à défaut, du titulaire du titre minier, sur le fondement des dispositions du premier alinéa de l’article L. 155 3 du code minier, pour les dommages causés par l’activité minière relèvent en principe de la compétence du juge judiciaire, l’action relative au refus par l’Etat d’assurer la garantie prévue par le dernier alinéa du même article, en cas de disparition ou de défaillance du responsable, repose sur un régime spécifique de solidarité et relève ainsi de la juridiction administrative.

Il en résulte qu'un litige portant sur le refus de l’Etat de garantir les requérants de dommages qui auraient été causés à leur habitation par une activité minière conduite par Charbonnages de France, établissement dont la liquidation a été définitivement clôturée, relève de la juridiction administrative1.

17-03-02-05-01-01, Compétence, Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel, Responsabilité, Responsabilité extra-contractuelle, Compétence administrative
40-01, Mines et carrières, Mines

Notes

1 Cf. sol. contr. n°13DA00381 communauté d'agglomération de Lens-Liévin, avant la clôture de la liquidation

Indemnisation des dommages miniers : compétence judiciaire en-deçà de la clôture de liquidation, compétence administrative au-delà

Maryne Cervero

Étudiante en Master 2, Droit public fondamental, Université Jean Moulin Lyon 3

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.9498

Lorsqu’une société d’exploitation minière est dissoute par décret, elle ne « disparaît » au sens de l’article L. 155-3 du Code minier qu’après l’acte de clôture de liquidation. C’est donc cet acte de clôture qui subroge l’État dans les droits des victimes à l’encontre de l’exploitant disparu, et qui entraîne la compétence du juge administratif en vertu du « régime spécifique de solidarité » mis en place par le législateur. Avant cette clôture, les victimes d’un dommage minier doivent engager la responsabilité civile de l’exploitant devant le juge judiciaire.

Si la solidarité nationale est de longue date considérée comme un substitut de la responsabilité1, le régime de solidarité propre aux dommages miniers fait figure d’objet mal identifié. Encore peu invoqué au soutien d’une demande d’indemnisation, il est aussi rarement admis par le juge en raison du caractère subsidiaire de la garantie de l’État. Plus rarement encore a été soulevée la question de la compétence juridictionnelle qui lui est rattachée, et c’est de cela dont la CAA de Lyon a eu à connaître dans son arrêt du 13 novembre 2023.

M. F. et Mme D. ont acquis, en 2009, une maison d’habitation implantée sur un terrain où s’était tenue une activité minière par le passé. En 2019, ils font réaliser une expertise dans laquelle est établie l’existence de fissures et affaissements imputés à cette activité. L’établissement qui exploitait le sous-sol, Charbonnages de France, ayant été dissous en 2008, les propriétaires ont sollicité l’indemnisation de leur préjudice auprès du préfet de la Loire en se fondant sur le 4e alinéa de l’article L. 155-3 du Code minier, qui prévoit que l’État est garant de la réparation des dommages miniers en cas de disparition ou défaillance de l’exploitant. À la suite d’un refus implicite, ils ont saisi le tribunal administratif de Lyon qui, par un jugement du 24 mars 2022, a admis la responsabilité sans faute de l’État mais a rejeté leur demande indemnitaire. Saisie du recours contre ce jugement, la CAA de Lyon devait notamment répondre au moyen tiré de l’incompétence du juge administratif.

Le juge commence par rappeler, dans un considérant qu’il emprunte à un arrêt n° 13DA00381 du 28 mai 2014 de la CAA de Douai, que les actions tendant à mettre en œuvre la responsabilité civile de l'exploitant minier sur le fondement du 1er alinéa de l’article L. 155-3 du Code minier, pour les dommages causés par l’activité minière, relèvent de la compétence du juge judiciaire. Cette attribution concerne les exploitants personnes privées, mais aussi les personnes publiques dont l’activité présente un caractère industriel ou commercial, en vertu de la jurisprudence bien établie du Tribunal des conflits (TC, 22 janvier 1921, Sté commerciale de l’Ouest africain, n° 00706 ; TC, 29 décembre 2004, Voies navigables de France, n° C3416).

En revanche, le juge précise que : […]si l'action procède du refus par l'État d'assurer la garantie prévue par le dernier alinéa du même article, en cas de disparition ou de défaillance du responsable, un tel litige repose sur un régime spécifique de solidarité et relève ainsi de la juridiction administrative.

Ce régime prévoit que l’État est subrogé dans les droits des victimes à l’encontre du responsable disparu ou défaillant (Code minier, art. L. 155-3, al. 5). Or, dans le cas d’espèce, les dommages étaient imputés à l’ancienne activité minière de l’établissement public industriel et commercial (EPIC) Charbonnages de France. Ce dernier a été dissous en 2007 par un décret qui confiait à l’État, au 1er janvier 2008, ses biens, droits et obligations non concernés par les opérations de liquidation. En novembre 2018, un arrêté interministériel a approuvé le compte de clôture de liquidation de l’établissement. La CAA de Lyon se fonde sur ces éléments pour constater la disparition effective de Charbonnages de France, et en déduire que le litige porte bien sur un refus de l’État d’assurer sa garantie légale. Par conséquent, en application de la répartition rappelée précédemment, ce litige « repose sur un régime spécifique de solidarité » et relève de la juridiction administrative.

Cette solution vient compléter celle de la CAA de Douai dans l’arrêt du 28 mai 2014 précité, portant sur un litige similaire dans lequel des requérants demandaient réparation à l’État pour des dommages causés par l’ancienne activité minière de Charbonnages de France, déjà dissous à cette époque mais toujours en phase de liquidation, la clôture n’ayant eu lieu qu’en 2018. Après avoir exposé la répartition des compétences judiciaire et administrative, le juge s’est penché sur le décret de dissolution, qui mentionnait que le liquidateur était chargé, durant la liquidation, de pourvoir au traitement des litiges et au règlement des indemnités dues à l’issue de ces litiges. Le juge douaisien en a déduit que le décret n’avait pas fait disparaître l’entité, mais simplement transféré une partie de ses droits et obligations à l’État. Suivant le raisonnement de son rapporteur public qui estimait que la qualité d’EPIC fait obstacle à une situation de cessation de paiement (et donc de défaillance)2, la CAA de Douai en a conclu que le litige ne relevait pas du régime de solidarité propre aux dommages miniers – et devait donc être porté devant le juge judiciaire.

Cet arrêt de la CAA de Lyon vient donc affiner les contours de la notion d’exploitant disparu, en jugeant que c’est la clôture de la liquidation qui fait disparaître l’entité au sens de l’article L. 155-3 du Code minier, et qui fait donc basculer la compétence du juge judiciaire vers le juge administratif.

Notes

1 HECQUARD-THÉRON M. (dir)., Solidarité(s) : Perspectives juridiques, 22 juillet 2009, LGDJ.

2 LELEU, T. « Les dommages miniers : démêler l'écheveau », AJDA, 19 janvier 2015, n° 01, p. 55-58.

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