Les métiers de la justice administrative de demain

DOI : 10.35562/alyoda.9223

Plan

Texte

M.Hermitte, président de la cour administrative d’appel de Lyon et moi-même adressons nos remerciements à la Clinique juridique de la faculté de droit de l’université Jean Moulin Lyon 3 pour avoir organisé en partenariat avec la cour, cette conférence sur la justice administrative, enjeux et perspectives et particulièrement à M. Pailler, directeur de la Clinique et à Mmes Clerc et Le Helloco, étudiantes du master Droit public fondamental, promotion 2021-2023.

La juridiction administrative offre une expérience unique, riche et variée tant pour les magistrats que pour les personnels qui œuvrent quotidiennement à leurs côtés.

Le statut des personnels de greffe des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel (TA et CAA)

Comme pour tous les métiers de la fonction publique, les métiers des agents de greffe sont répertoriés dans un référentiel commun à tous les employeurs publics : le RMFP (ex RIME) qui est intégré à la plateforme Place de l’Emploi Public (PEP), équivalent de Pôle Emploi pour le secteur privé. Toute offre d’emploi publiée sur la PEP doit être rattachée à un des 29 domaines fonctionnels et à un métier de référence (obligation réglementaire).

Dans le domaine de la Justice, sont présentés les métiers de chef de juridiction, magistrat, greffier, responsable de greffe…

Pour les personnels de greffe dans les tribunaux administratifs (TA) et cours administratives d’appel (CAA), le ministère recruteur est le ministère de l’Intérieur. L’explication provient de notre histoire.

À la création des tribunaux administratifs en 1953 (70 ans cette année) et des cours administratives d’appel en 1989 (loi du 31 décembre 1987), les agents de greffe, étaient issus du cadre national des préfectures. À partir de 2007, ils ont rejoint le périmètre élargi du ministère de l’intérieur. (On parle de périmètre « élargi », car ce ministère comprend 4 périmètres : Préfecture, police, gendarmerie et juridiction administrative).

Ainsi, les personnels de greffe ne relèvent pas d’un statut particulier. Contrairement aux greffiers judiciaires, ils ne disposent pas d’une école spécifique de formation, mais relèvent du ministère de l’Intérieur. Ce dernier intervient pour leur recrutement et durant leur carrière, en double gestion avec le Conseil d’Etat. Cependant, les agents de greffe sont placés sous l’autorité exclusive du chef de juridiction et rémunérés sur le budget du Conseil d’État, afin de garantir leur stricte indépendance vis-à-vis de l’administration (R. 226-1 à R. 226-14 du code de justice administrative).

Voir la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800 au Recueil Duvergier p.88) prévoyait la désignation d’’un secrétaire greffier, choisi parmi les employés de la préfecture, afin d’assurer les tâches de greffe. Son rôle sera mis en lumière pour la première fois, et de fort belle manière, dans le grand arrêt du Conseil d’État Terrier du 6 février 1903 où il est fait mention d’une « note rédigée en chambre du conseil par laquelle le secrétaire‐greffier fait connaître au sieur Terrier que la requête adressée par lui au conseil de préfecture de Saône‐et‐Loire (…) aurait été soumise à ce conseil qui se serait déclaré incompétent. ». Le décret du 6 septembre 1926 portant création de conseils de préfecture interdépartementaux (suppression de conseils de préfecture) prévoyaient que ce secrétaire greffier appartenait aux personnels des préfectures…

Les typologies de métiers de greffe d’aujourd’hui

Aux côtés des 1248 magistrats des TA et des CAA, 1426 agents de greffe, dont 76% femmes, assurent le bon fonctionnement du service public de la justice des TA et des CAA.

La CAA de Lyon compte dans ses rangs 86 personnes: 36 magistrats, 45 agents de greffe et 5 assistants de justice.

D’une manière générale, les agents de greffe sont les personnes qui assistent les magistrats dans toutes leurs fonctions de juge. Ils sont chargés d'accomplir toutes les tâches relatives à la gestion des dossiers contentieux, de l’enregistrement de la requête sur le portail Télérecours à la notification de la décision, puis de toutes les procédures de versement et d’enrichissement des bases de données pour un bon suivi de la jurisprudence.

Dans les juridictions, on distingue les métiers qui relèvent du domaine « contentieux », emplois relatifs à la procédure juridictionnelle et à l’aide à la décision, et représentant 78%° du total des emplois, des métiers qui relèvent des fonctions « support », également indispensables à l’accueil et au bon fonctionnement de la juridiction.

Le greffe de chaque TA et de chaque CAA comprend ainsi un greffier en chef, des greffiers et d'autres personnels de greffe qui assument des missions transversales.

Les agents de greffe des TA et CAA de catégorie A appartiennent au corps interministériel des attachés d'administration de l'Etat, le plus souvent issus du concours des instituts régionaux d’administration (IRA). Ils sont chargés de fonctions de conception, d'expertise, de gestion, ou de pilotage d'unités. Ils exercent les métiers de greffier en chef, d’assistants du contentieux, de responsable de documentation et de communication.

Le greffier en chef est un manager et un gestionnaire aux côtés du chef de juridiction. Il encadre les services du greffe (DRH) et veille au bon déroulement de la procédure juridictionnelle. Il assiste le chef de juridiction dans la gestion des personnels et dans la gestion des locaux du palais de justice, de tous les matériels et des crédits de la juridiction.

Le chargé de communication intervient dans toutes les actions de communication interne et externe, ainsi que dans le développement des sites internet institutionnels et de la diffusion de la jurisprudence.

Le chargé de documentation gère les collections papier et numériques de la bibliothèque et toutes les ressources documentaires nécessaires au travail des magistrats.

Les métiers d’aide à la décision sont occupés soit par l’assistant du contentieux soit par l’assistant de justice.

L’assistant du contentieux, fonctionnaire de catégorie A, agit aux côtés des magistrats, en appui de missions comme l’aide à la décision au contentieux, l’expertise, la médiation, la communication ou la documentation.

L’assistant de justice, relève d’un statut particulier. Il est un agent contractuel, titulaire d’un diplôme BAC + 4 au minimum. Ses missions d’aide à la décision aux côtés des magistrats constituent pour lui un véritable tremplin vers d’autres métiers du droit, et particulièrement celui de conseiller de TA et de CAA.

Les agents de greffe des TA et CAA de catégorie B occupent les fonctions de greffier de chambre ou de fonctions « support ».

Aux côtés des magistrats et du greffier en chef, le greffier est un encadrant intermédiaire, animateur du travail dématérialisé des affaires spécialisées de sa chambre (la CAA de Lyon dispose de 7 chambres qui sont compétentes selon une répartition par matières). Il est co-responsable de la sécurité juridique de la procédure juridictionnelle, de l’enregistrement de la requête sur Télérecours jusqu’à la notification de la décision, qu’il signe au même titre que le rapporteur et le président de la formation de jugement.
Il propose et met en œuvre toute mesure utile pour la mise en état des dossiers. Il signe tous les courriers aux parties et organise les audiences. Il joue un rôle capital de tour de contrôle.

Les autres métiers « support » regroupent : le correspondant informatique, le régisseur d’avances et de recettes, le gestionnaire RH, l’agent chargé de prévision budgétaire et de l’exécution budgétaire, le secrétaire de direction, l’archiviste, l’agent chargé de l’aide juridictionnelle, l’agent chargé de l’exécution des décisions de justice, l’agent chargé des expertises, l’agent chargé de commissaires enquêteurs, l’agent d’accueil, l’assistant de prévention…

Les compétences clés des personnels de greffe

Tous les métiers de greffe nécessitent des savoirs contentieux et numériques que la juridiction encourage à développer. Ces compétences pointues de juriste généraliste sont facilement transférables et réutilisables dans les univers professionnels où une aide juridique est recherchée : services de l’Etat, collectivités territoriales, associations…

Sur les savoirs académiques, sont remarquées les connaissances juridiques, des institutions et de la procédure contentieuse, des connaissances comptables et budgétaires, des connaissances informatiques et en outils collaboratifs web…

Sur les savoirs faire, sont maîtrisées l’organisation rigoureuse du travail, les conduites de projet, les animations d’équipe, la gestion des bases de données, les veilles législative, règlementaire et jurisprudentielle, l’adaptation aux outils de pratiques juridiques.

Sur les savoirs être sont appréciés, le sens de l’accueil et des relations humaines, la discrétion, la disponibilité, l’esprit d’initiative et de responsabilité.

La proximité fonctionnelle avec les magistrats, dont le niveau de réflexion et d’analyse est optimal, aiguise la réflexion juridique, stimule la curiosité intellectuelle, améliore la clarté du propos et la qualité rédactionnelle, valorise les actions et résultats, et ouvre les personnels à de nouvelles problématiques.

Depuis les vingt dernières années, la juridiction administrative a connu et connaît encore de profondes mutations. Ces changements sont de différentes natures :

  • la croissance continue de l’activité des TA et CAA notamment la part toujours plus importante des contentieux de masse (cx « étrangers);

  • le développement de la culture de l’urgence, avec l’introduction de procédures nouvelles permettant au juge de se prononcer dans les meilleurs délais ;

  • la révolution numérique dans laquelle s’est engagée la juridiction administrative, avec Télérecours, Sagace, le portail contentieux ;

  • l’émergence des modes alternatifs de règlement des litiges, comme la médiation.

Les organisations de travail dématérialisé ont dans ce contexte profondément évolué, en s’appuyant sur des compétences combinant pratique contentieuse et adaptation aux outils numériques. Ils ont permis aux personnels de greffe de démontrer leur adaptabilité aux nouvelles technologies au service du droit, et de s’imposer comme une structure essentielle pour le bon fonctionnement de la juridiction. Les agents de greffe ont de ce fait créé une identité forte au sein même de la juridiction administrative.

Les outils d’aide au travail collaboratif

Depuis 2013, tout le travail juridictionnel est dématérialisé. Des outils interconnectés de travail contentieux améliorent le travail collaboratif au sein même de la juridiction, mais également avec les parties à un litige.

L’outil emblématique, dénommé Portail contentieux, se déploie par briques dans les juridictions. Il fusionne trois applications métiers déjà très performantes ;

  • Télérecours, la plateforme internet sécurisée, mise en place en 2013 et obligatoire depuis 2017. Celle-ci permet aux juridictions administratives d’échanger tous les documents d’un dossier contentieux (requête, mémoires, productions, mesures d’instruction, correspondances) avec les avocats et les justiciables ;

  • Skipper, l’outil interne de gestion des dossiers contentieux ;

  • Sagace, l’interface ouverte au justiciable lui permettant de consulter l’état d’avancement de son dossier.

De nouveaux outils numériques sont à l’étude, afin de mieux détecter les séries d’affaires de requêtes qui présentent à juger les mêmes questions sur le plan national.

Les outils d’aide à la diffusion de la jurisprudence

Nos organisations se sont logiquement adaptées aux concepts d’open data et d’open access.

Dans le cadre de l’open data, les décisions des juridictions administratives – Conseil d’Etat, CAA et TA - sont disponibles gratuitement sur une plateforme dédiée. Celle-ci obéit à des règles de confidentialité et d’interopérabilité propres, pour permettre la réutilisation et le partage de ces données par le plus grand nombre.

Le respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD) impose en effet l’anonymisation des décisions avant la diffusion en ligne. Ainsi, les données personnelles (noms des personnes physiques) font l’objet d’une anonymisation automatique. En outre, il est procédé à une anonymisation complémentaire si des éléments dont la divulgation serait de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée d’une personne, sont identifiés.

Dans le cadre de l’open access, l’exemple de la revue de jurisprudence ALYODA.EU, hébergée sur une plateforme de revues scientifiques en accès ouvert, est significatif. À travers un partenariat conclu en 2011 entre la cour administrative d’appel de Lyon, l’université Jean Moulin Lyon 3 et le barreau de Lyon, est facilité l’accès gratuit à des analyses de jurisprudence, des conclusions de rapporteur public et des commentaires d’universitaires et d’avocats.

Toutes ces évolutions font naître en juridiction administrative de nouveaux métiers, de nouvelles compétences et des connaissances qui mêlent droit, numérique et engagement.

L’avenir des métiers de greffe

Selon des études, 80% des métiers de 2030 n’existent pas aujourd’hui.

De nouveaux process, outils numériques, logiciels d’automatisation comme de nouveaux modes de managements apparaîtront pour simplifier et valoriser les tâches et la qualité des fonctions juridiques.

Nous aurons besoin de grandes capacités de stockage, d’archivage pérenne et sécurisé, d’accès libres à des bases de données fiables et structurées, associées à des métadonnées que la juridiction rendra encore davantage accessibles.

Les robots et les logiciels prédictifs seront devenus nos amis.

Les pistes de régulation des réseaux sociaux au service d’une meilleure information de nos publics auront été identifiées.

Un nouveau référentiel de métiers apparaîtra avec des doubles, voire triples cultures : juriste développeur, juristes codeur, juriste data, gestionnaire de risques technologiques et financiers, manager de process, communicant web 3.0, déontologue, greffier intentant et analyste de données…

La révolution par l’IA et le big data dans la juridiction administrative 

En réduisant le temps passé aux recherches fines fondées sur des éléments de fait et de droit comparables, l’utilisation des algorithmes permettra aux juges et aux greffiers de se décharger des tâches les plus chronophages au profit de l’examen des questions nouvelles ou complexes.

Le recours à des algorithmes pour le traitement des dossiers les plus répétitifs et les plus simples, ceux par exemple qui ne nécessitent que l’évaluation d’un dommage, l’application d’un barème ou d’une trame prédéterminée, encouragerait aussi le règlement de nombreux litiges en amont même du recours au juge, par le développement des modes alternatifs de règlement automatisé.

L’intelligence artificielle pourrait également nous aider à mieux détecter les séries d’affaires présentant les mêmes questions à juger lors du dépôt de dossiers dans Télérecours, en générant des alertes de détection automatique sur le plan national.

Ces évolutions pourraient comporter des risques, comme la ré-identification des personnes, la discrimination par le croisement des données personnelles, ainsi que le profilage des magistrats, juridictions, avocats, administrations ou entreprises. De plus, des décisions présentant un intérêt pourraient être effacées car noyées dans un magma de données. Enfin, les juridictions pourraient être davantage vulnérables à la cybercriminalité.

Conclusions

In fine, je pense que l’on recherchera y compris dans les juridictions, en sus des compétences juridiques traditionnelles, des connaissances techniques pointues en outils numériques et des aptitudes comportementales, humaines (soft skills) que les robots ne pourront pas gérer, qui transformeront les personnels en collaborateurs efficaces, agréables et inspirants pour le reste des équipes.

« L’intelligence artificielle et l’intelligence humaine doivent se combiner et se renforcer mutuellement, la première ne pouvant prétendre remplacer l’autre, » comme le souligne à juste titre M. Cédric Villani.

Restera aussi à imaginer le magistrat administratif en « robe des gens de justice » accompagné de son greffier agissant à ses côtés dans le Métavers ou le justiciable dialoguant avec un agent de greffe conversationnel.

Je souhaite à tous les étudiants de trouver leur place dans ce nouveau monde.

Je les invite à saisir toutes les opportunités, de garder l’esprit ouvert, curieux sur le reste du monde, de rechercher toutes les forces dans des doubles formations majeures, mineures mais également dans vos activités extrascolaires hors cursus : sportives, associatives, d’engagement volontaire.

Faîtes la différence ! you have to be the first, the only or the best selon la célèbre maxime de Harvard.

Citer cet article

Référence électronique

Nathalie Berthelier, « Les métiers de la justice administrative de demain », revue Alyoda [En ligne], HS 2 | 2023, mis en ligne le 22 avril 2024, consulté le 17 juillet 2025. URL : https://alyoda.eu/index.php?id=9223

Auteur

Nathalie Berthelier

Juriste, Greffière en chef adjointe, responsable de la documentation et de la communication à la cour administrative d’appel de Lyon

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0