Il n’est certainement plus à démontrer que l’individu-requérant occupe aujourd’hui une place centrale en droit public, la croissante prise en compte de l'individu étant à l'origine d'une bonne part de ses mutations. À cette aune, c’est donc tout naturellement que la thématique de « la place de l’individu-requérant à la recherche de droits nouveaux » a été retenue par le comité de rédaction de notre revue initiée par Antoine de Griève.
Sujet éculé, traité en long et en large diront certains, mais, l’ambition de cette revue qui a fait l’objet d’une collaboration entre des étudiants du Master I et II de Droit public fondamental de Lyon II, Lyon III et Saint-Étienne n'est rien d'autre que de présenter un certain regard sur cette thématique au cœur du droit public. Il n'est peut-être pas inintéressant de lire, à ce sujet, l'œuvre d'une génération que l'on dit aisément baignée de subjectivisme, d'individualisme…
Du requérant contribuable à la requérante prostituée, les étudiants ont ainsi tenté, à travers ces huit contributions, d’offrir une approche originale en épousant divers horizons.
La revue et les contributions qui suivent sont écrites avec l'encouragement (par l'exemple) de Claude Danthony, qui préférait, à la formule qui le désignait de manière peut-être quelque peu réductrice de « requérant d'habitude », renverser la perspective, pour évoquer plutôt l'administration « déconnante d'habitude »1 – trahissant par-là, s'il le fallait, la finalité objective de ses recours.
Il serait donc injuste de réduire Claude Danthony à sa qualité de requérant, tant son œuvre nous apparaît s'élever à l'universalité de celle du citoyen. En vérité, l'action contentieuse de Claude Danthony est celle du démocrate telle qu'exaltée par Saint-Just ; elle est ainsi glorieusement politique, elle est fidèle à l'âme de la République, conçue comme l'espace où le peuple se doit d'être moins le spectateur de l'administration que son juge. Dans cette perspective, l'administration est bien la seule figure qui mérite le nom d'administré – l'État est administré par le peuple. L'œuvre de Claude Danthony, qui n'est probablement pas moins pertinente à l'étude dans les facultés de droit que des œuvres plus conventionnelles, nous aide à retrouver le sens des institutions et confirme avec le philosophe Alain que « la démocratie est dans le contrôle ».
La figure de Claude Danthony, pour détourner positivement l'antonomase désormais autorisée, danthonyse cette revue, dont les réflexions dépassent l'analyse contentieuse. Si l'individu ne pèse rien face à l'État et la structure sociale qu'il préserve – notre revue ne relativise pas cette idée –, si les droits et libertés ne sont rien tant que l'État n'est pas contrôlé ni contrôlable, du moins faut-il saisir toute poussière de liberté pour refuser, redresser, tirer sur la manche de l'administration : voilà un droit de l'individu, peut-être le premier de tous en République, en ce qu'il correspond à une obligation citoyenne.
Fruit d’un travail collectif où chacun a pu conserver sa liberté d’esprit, où la divergence des points de vue n’a pas entravé la démarche mais l’a au contraire enrichie, cette revue s’articule en quatre rubriques qu’il convient d’exposer.
La première est essentiellement consacrée aux fondements et aux évolutions de la place de l’individu-requérant en droit public. Pour ce faire, Félix Miguel et Paul da Fonsesca ont d’abord tenté de retracer le récit de la place attribuée à l’individu-requérant en droit public. Ils relèvent que cette place fût immanquablement raffermie au tournant du XXe siècle avec le phénomène de juridictionnalisation du droit, mais également assurée par l’influence des cours extranationales. Ils se demandent toutefois si le requérant, situé « au cœur d’un réseau de normes bien complexe » ne se trouve pas bien souvent « désarmé » face à un nouvel enjeu, « l’illibéralisme ».
Dans une certaine continuité, Émilien Vinot choisit quant à lui de se pencher sur l’effectivité de l’accroissement des droits des individus dans le prétoire, en entourant minutieusement d'un soupçon l'un des instruments incontournables de la protection des droits : la Question Prioritaire de Constitutionnalité. L'auteur donne à voir finalement combien la QPC prévaut moins pour l’intérêt des droits et libertés que pour les intérêts économiques, tant d’un point de vue conceptuel que procédural.
Pour finir, Amélie Gaudel s’intéresse au régime de responsabilité en droit administratif, soulignant le passage d’une logique de protection de la puissance publique à une logique de réparation tournée vers l’individu-requérant.
Dans une deuxième rubrique consacrée à l’actualité, le lecteur pourra, à travers l’examen des transformations récentes, mesurer la réelle portée de ces dernières quant à la place conférée au requérant en droit public.
Sofia Le Helloco, dans son article consacré aux référés urgents, tente de décrire les écueils auxquels peuvent se heurter les individus requérants face à ces outils dédiés principalement à la protection de leurs droits. Elle considère ainsi que de nombreux facteurs et confusions inhérents aux procédures d’urgence ébrèchent in fine leur efficacité.
Dans le même sens, Jocelyn Bonjour et Léana Clerc ont démontré que si l’oralité dans les prétoires est historiquement indispensable à la garantie des droits et libertés des individus, elle n’a fait l’objet que d’une avancée toute relative, notamment en contentieux administratif avec le développement de ces procédures d’urgence.
Les étudiants ont, dans une troisième rubrique, brossé un portrait de l’individu-requérant en différentes teintes.
En offrant un regard féministe et abolitionniste, Mélis Demir cherche à comprendre la place singulière qu’occupe une requérante peu évoquée en droit public : la requérante prostituée. Illustrant toute la tension entre la protection de la dignité humaine – composante de l’ordre public – et celle de la liberté individuelle et de commerce, Mélis Demir relate une évolution patente de la place de la prostituée requérante. Elle propose en outre de percevoir dans le traitement de la requérante prostituée une certaine forme de schizophrénie juridique à laquelle il conviendrait de remédier. Par une heureuse formule, elle admet que si cette dernière est « passée de la pestiférée à la victime, cette transformation ne s’est pas effectuée au niveau du microscope de l’administration et des juridictions ».
Mathilde Grolet s’intéresse quant à elle, dans Le contribuable et l’intérêt à agir, une amitié renouvelée aux contours précisés, à l’histoire de la reconnaissance d’un intérêt à agir pour le contribuable et son élargissement progressif. Elle rappelle alors les conditions particulières de recevabilité d’action contentieuse de ce requérant dont les contours ont été récemment redessinés par le juge administratif.
Il nous est également apparu indispensable de doter la revue d’une approche comparative dans une dernière rubrique.
Grâce à l’aide précieuse de la professeure Caroline Chamard-Heim, nous avons pu effectuer un bref détour au Liban - cet État pluriconfessionnel où la religion et le droit entretiennent des rapports singuliers. Antoine de Griève a ainsi relaté les échanges passionnants avec les étudiantes Rita Rached Salameh, Jihane Azizi, Amany Hokayem et Eliane Lahoud du Master II Droit public de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. L’individu-requérant au Liban est en effet aussi compris dans sa dimension religieuse, dans la mesure où les requérants de confession musulmane ou chrétienne disposent d’une capacité d’ester en justice tant devant les tribunaux religieux que les tribunaux non-musulmans.
Le dernier article de la revue ouvre enfin la voie aux interrogations. Que reste-t-il de l'État avec la place de plus en plus prégnante de l’individu dans la recherche de droits nouveaux ? Cette place n’est-elle qu’illusoire ? L’équilibre entre les intérêts individuels et l’intérêt général est-il assuré ? Un tel équilibre est-il finalement envisageable ? Le lecteur verra à travers les quelques pages rédigées sous la plume de Swann Vidal que rien n’est moins certain. Ce dernier, se livrant à une réflexion prospective, admet que le mouvement de subjectivisation du droit – entendu comme l’accroissement des droits dont les individus peuvent se prévaloir dans le prétoire – ne serait qu’un moyen détourné de l’État « bourgeois » pour asseoir encore sa prédominance.
Ces différentes contributions n’auraient pu voir le jour sans le soutien et l’engagement de la professeure Caroline Chamard-Heim que nous remercions chaleureusement.
Nos remerciements s’adressent également bien vivement aux membres de l’Équipe de Droit Public de Lyon pour la relecture des articles et les corrections qu’ils ont apportées.
Nous tenions à remercier enfin l’Association des Doctorants en Droit Public de l'Université de Lyon et plus particulièrement Éva Radé et Florian Berger pour leurs conseils.
Du reste, nous espérons susciter chez les futurs étudiants de master en droit public des trois universités, l’envie de poursuivre cette entreprise commune.