Les procédures de nomination des chefs de services au sein des établissements sanitaires font intervenir le représentant des médecins et le directeur. Le code de la santé publique prévoit des mécanismes pour éviter tout blocage, mais des difficultés légistiques liées à l’enchaînement des réformes et conduisant à la survivance de dispositions obsolètes rendent parfois les situations bien complexes. La prise en compte de la volonté du législateur et l’appréciation de l’applicabilité immédiate des nouvelles dispositions permettent alors de déterminer les dispositions applicables.
Les décisions de nomination des personnels encadrants ont toujours une importance majeure dans les organisations, mais elles présentent une sensibilité particulière dans les établissements hospitaliers où coexistent des personnels administratifs, gestionnaires indispensables de ces structures, et des personnels soignants, rouage consubstantiel au service public hospitalier, échappant pour une très large part au droit commun de la fonction publique. Cet antagonisme des fonctions et des statuts est en grande partie responsable des difficultés de gestion auxquelles sont parfois confrontés les établissements sanitaires, les médecins ayant du mal à composer avec des décisions prises par des non-soignants éloignés de leur réalité quotidienne, et inversement. Cette situation potentiellement conflictuelle a pu être comprise comme une « crise de confiance hospitalière » (V. J.-M. Clément, La crise de confiance hospitalière, LEH, 2003), voire comme la manifestation d’une véritable déconnexion entre l’administratif et le médical (C. Chevandier, « Travailler à l'hôpital : un siècle et demi de reconfigurations des métiers », RFAP 2020, p. 317 et s.). Aussi, afin d’apporter des réponses à la communauté des soignants, les réformes successives se sont attachées à renforcer la proximité dans la prise des décisions en santé (B. Apollis, « Le renouveau de la proximité en droit de la santé », RDSS 2021, p. 133) pour garantir une meilleure prise en compte des problématiques de terrain.
S’agissant de la nomination des chefs de pôle, la parole des médecins doit ainsi être mieux prise en compte. C’est ce qu’a bien compris la cour administrative d’appel de Lyon confrontée à l’application de l’article L. 6146-1 du code de la santé publique (CSP) précisant les modalités de nomination des chefs de pôles qui, pour mémoire, chapeautent un ensemble de services, de départements et d'unités fonctionnelles. En l’espèce, il était question d’une décision d’un directeur de centre hospitalier du 24 juin 2019 nommant une cheffe de pôle ADIS (Autisme et déficients intellectuels sévères) à compter du 1er juillet 2019. Cependant, la personne nommée n’était pas celle proposée par le président de la commission médicale d’établissement (la structure permettant de faire une place aux médecins dans la gouvernance de l'établissement hospitalier), conduisant ce dernier à contester la décision de nomination devant le tribunal administratif de Lyon. Par un jugement du 22 mars 2021, le tribunal a annulé la décision litigieuse et l’appel a été interjeté par le centre hospitalier.
La cour administrative d’appel de Lyon a ainsi eu l’occasion de se pencher sur la procédure de nomination des chefs de pôles sensiblement modifiée par l'article 195 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
La plus grande prise en compte de la volonté des médecins
Avant l’intervention de cette loi, l’article L. 6146-1 CSP prévoyait que les chefs de pôle étaient nommés par le directeur, sur présentation d'une liste élaborée par le président de la commission médicale d'établissement (CME) pour les pôles d'activité clinique ou médico-technique, et qu’en cas de désaccord, le directeur pouvait demander une nouvelle liste. En cas de nouveau désaccord, le directeur pouvait nommer directement les chefs de pôle de son choix. Les modalités de mise œuvre de cette procédure étaient définies par l’article R. 6146-2 CSP, reprenant le cadre défini par le législateur : une liste d’au moins trois noms était proposée par le président de la commission médicale d'établissement dans les trente jours suivant sa demande. En cas d'absence de proposition dans le délai requis, le directeur pouvait nommer la personne de son choix. En cas de désaccord du directeur sur les noms portés sur la liste ou si cette dernière était incomplète, le directeur pouvait demander qu'une nouvelle liste lui soit présentée dans les quinze jours. En cas de nouveau désaccord, il nommait le chef de pôle de son choix. On comprend que ce schéma donnait en définitive le dernier mot au directeur. Les médecins ne disposant d’aucun moyen d’être entendu, si ce n’était en proposant un nom dont ils pouvaient être certains qu’il recueillerait l’assentiment du directeur.
La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a modifié l’article L. 6146-1 du code de la santé publique pour donner plus de poids à la volonté des médecins. L’exposé des motifs de la loi soulignait une volonté de rééquilibrer la gouvernance en renforçant la place du président de la CME et en simplifiant la procédure de désignation des chefs de pôle. Par conséquent, si c’est toujours le directeur qui nomme ces derniers, c’est uniquement sur proposition du président de la CME pour les pôles d'activité clinique ou médico-technique. Notons que cette procédure a encore évolué à compter du 28 avril 2021 avec la loi n° 2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification qui a instauré une procédure conjointe de nomination (directeur et président de la CME), mais à la date de la décision querellée, c’était la version de l’article L. 6146-1 du code de la santé publique résultant de la loi de 2016 qui était applicable.
La dévitalisation des dispositions réglementaires contraires
La difficulté juridique tenait ici à la possibilité d’appliquer directement à la décision querellée du 24 juin 2019 l’article L. 6146-1 CSP dans sa version de 2016, alors que l’article R. 6146-2 CSP dans sa version résultant du décret n° 2010-656 du 11 juin 2010, appliquant ladite disposition dans sa version antérieure, était encore en vigueur (l’article R. 6146-2 CSP ne sera abrogé qu’au 1er janvier 2022, en vertu de l’ article 5 du décret n° 2021-675 du 27 mai 2021 relatif aux groupements hospitaliers de territoire et à la médicalisation des décisions à l'hôpital).
Sans ambages, la cour écarte la disposition réglementaire et se réfère directement à la nouvelle mouture de l’article L. 6146-1 CSP. Elle comprend de l’évolution de la formulation de cette disposition que la volonté du législateur d’établir le principe selon lequel un responsable de pôle clinique ou médico-technique ne peut être nommé par le directeur du centre hospitalier que sur proposition du président de la commission médicale d'établissement. Il en résulte que le régime antérieur prévoyant la présentation d'une liste et la possibilité pour le directeur de nommer la personne de son choix en cas de désaccord n’est plus en vigueur. En d’autres termes, la cour constate la caducité du règlement d’application de la disposition législative abrogée (ancienne version de l’article L. 6146-1 CSP), se conformant à une jurisprudence désormais établie qui évoque plus précisément l’impossibilité de se référer à des dispositions réglementaires qui ont « cessé de plein droit d’être applicables » (CE, sect., 13 juillet 2007, Chopinaud, n° 280775 ; v. encore, à propos d’une circulaire devenue caduque : CE, 12 novembre 2014, Fédération de l’hospitalisation privée, n° 360264, au Lebon). Cette hypothèse de caducité doit être distinguée de celle de l’abrogation tacite du règlement qui ne peut intervenir qu’à la suite de l’adoption d’un nouvel acte réglementaire, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, aucun texte n’étant venu remettre en cause l’article R. 6146-2 CSP (CE, 4 mai 2011, Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, n° 338944, au Lebon T. ; v. encore B. Seiller, « Acte administratif : régime – Disparition », Répertoire de contentieux administratif, Dalloz, n° 544 et s.).
L’application immédiate de l’article L. 6146-1 CSP issu de la loi du 26 janvier 2016
La neutralisation de l’article R. 6146-2 CSP n’était pas suffisante pour régler le litige au fond. Encore fallait-il apprécier l’applicabilité immédiate de l’article L 6146-1 CSP. Une telle question n’est pas nouvelle, notamment s’agissant du code de la santé publique ou du droit de la fonction publique hospitalière dont les problèmes légistiques sont notoires, le pouvoir réglementaire tardant souvent à adopter les règlements d’application des réformes législatives. L’avis du Conseil d’État n° 450102 du 15 octobre 2021 relatif à l’applicabilité du CITIS à la fonction publique hospitalière en est un exemple criant : pendant plus de 3 ans, l'application des dispositions législatives résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 relatives au CITIS était manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant les conditions de procédure applicables à l'octroi de ce nouveau congé, jusqu’à l’adoption du décret n° 2020-566 du 13 mai 2020. Dans notre décision, la cour vérifie de manière quelque peu performative que l’article L. 6146-1 CSP ne nécessite aucun décret d’application. Elle estime ainsi :« qu’il comporte toutes les indications utiles pour permettre son application immédiate, sans qu'il soit nécessaire que les modalités en soient précisées par voie réglementaire ». Elle constate également que, faute de prévision d’un report transitoire d'application, la nouvelle version du texte était devenue applicable à la date de la décision litigieuse.
La compétence liée du directeur de l’établissement pour la nomination des chefs de pôle
Enfin, restait à savoir comment interpréter l’article L. 6146-1 CSP prévoyant la nomination du chef de pôle par le directeur, sur proposition du président de la CME. La lecture littérale de la disposition impose de considérer que le directeur ne peut nommer que la personne proposée par le président de la CME. Une telle interprétation a été plusieurs fois confirmée par le Conseil d’Etat dans d’autres champs de l’action administrative. Le ministre de l’agriculture ne peut ainsi librement transférer le siège à l'école nationale de Montpellier de l'emploi occupé par le titulaire de la chaire d'arboriculture de l'école nationale supérieure d'horticulture de Versailles en l’absence de proposition en ce sens de la part du conseil général de l'établissement (CE, 2 avril 1997, n° 160732, au Lebon T.). Le Garde des Sceaux ne peut pas davantage prendre légalement une mesure de détermination du siège et du ressort d’un centre régional de formation professionnelle des avocats qui ne lui a pas été proposée par le Conseil national des barreaux (CE, ord., 28 décembre 2004, n° 275606, au Lebon T.).
En l’espèce, la personne nommée cheffe du pôle ADIS l’a été sans que son nom ait été proposé par la présidente de la CME qui avait proposé, au contraire, une autre candidature sans jamais la modifier. Cette décision de nomination contre la volonté de la présidente de la CME était donc, à l’évidence, illégale et son annulation permet de redonner aux médecins, à travers la CME, toute leur place dans la gouvernance de l’établissement hospitalier.