Transport sanitaire d’urgence durant la covid-19 : indemnisation des surcoûts liés aux sujétions exceptionnelles

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Décision de justice

TA Lyon – N° 2009120 – société Médicales ambulances et autres – 06 octobre 2022 – C+

Requêtes jointes : n° 2100888 - 2100889 - 2100890 - 2100891 - 2100892 - 2100893 – 2100894
Jugement confirmé en appel sous n° 22LY03553 et 22LY03558 en lien avec 22LY03559 et 22LY03560

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 2009120

Date de la décision : 06 octobre 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Transport sanitaire, Aide médicale urgente, Covid-19, Indemnisation des surcoûts, sujétions exceptionnelles, L. 6311-1 et L. 6311-2 du code de la santé publique, Article D. 162-17 du code de la sécurité sociale

Rubriques

Santé publique

Résumé

Plusieurs sociétés de transports sanitaires privés soumises à un protocole de désinfection durant la phase épidémique initiale de la COVID-19 en 2020A, ont sollicité le paiement de sommes correspondant au temps de déplacement de leur véhicule vers la structure mobile d’urgence et de réanimation de l’hôpital Édouard Herriot de Lyon, puis au temps d’attente durant l’immobilisation du véhicule pour sa décontamination et son reconditionnement et enfin au temps de déplacement de cette structure vers le domicile d’un nouveau patient.

La participation des transporteurs sanitaires privés au service de l’aide médicale urgente, consistant à fournir à la demande du centre de régulation du SAMU des prestations de transport et de déplacement d’un véhicule et d’un équipage afin d’analyser la situation du patient, résulte d’une obligation réglementaire qui s’impose à eux en application des dispositions précitées de l’article R. 6311-2 du code de la santé publique.

Si, en vertu du 2° du II de l’article D. 162-17 du code de la sécurité sociale, cette mission est en principe rémunérée par l’organisme de sécurité sociale dans le cadre d’un forfait global, celui-ci n’exclut pas nécessairement le versement d’un complément sur le fondement d’une convention de droit public conclu entre les établissements de soins et les associations de transporteurs sanitaires privés en application de la circulaire DGS/SQ 2 n° 98-483 du 29 juillet 1998 prise par le ministre en charge de la santé dans le cadre de son pouvoir d’organisation du service.

Les transporteurs sanitaires du Rhône, qui sont intervenus à la demande du centre de régulation du SAMU du Rhône pour transporter des patients atteints ou suspectés d’être atteints par le virus de la Covid-19 puis ont été soumis au protocole de désinfection, ont exercé leur mission dans le cadre de l’aide médicale urgente telle qu’elle est définie par l’article L. 6311-1 du code de la santé publique1.

Par conséquent, ils peuvent se prévaloir de la convention conclue le 28 août 2001 entre les hospices civils de Lyon et l’association des transports sanitaires urgents du département du Rhône dont l’annexe 5, qui contient des clauses financières ayant valeur réglementaire, définit les missions non remboursables par la sécurité sociale pouvant faire l’objet d’un complément de facturation. Toutefois, s’agissant de dispositions dérogeant à la prise en charge globale par le forfait de la sécurité sociale, elles doivent être interprétées strictement. Les demandes des transporteurs ne rentrant pas dans les cas prévus par la convention, le tribunal rejette les requêtes.

61-01-02, Santé publique, Protection générale de la santé publique, Transports sanitaires
54-01-07-05, Procédure, Introduction de l’instance, Délais, Expiration des délais

Notes

1 rapp. CE, 8 février 2017, société polyclinique Saint-Jean, n°393311, B, Recueil Tables Lebon p. 808 Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Romain Reymond-Kellal

rapporteur public au tribunal administratif de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.8843

Comme l’a relevé le rapport d’information de la mission parlementaire d’évaluation et de contrôle sur le transport de patients du 27 novembre 2014, le financement des transports urgents pré-hospitaliers, est différencié selon les intervenants et le type de missions effectuées. S’agissant des transporteurs sanitaires privés, la tarification est schématiquement composée d’un forfait complété d’un tarif kilométrique et d’une indemnité de garde. Cette structuration du financement induit des stratégies d’optimisation de la rentabilité par les transporteurs et peut conduire à des frictions, notamment vis-à-vis des taxis conventionnés qui, contrairement aux ambulances et VSL soumis à une convention nationale, peuvent « facturer les temps d’immobilisation du véhicule ainsi que des retours à vide » sur la base d’accords locaux.

La Cour des comptes a quant à elle relevé, dès 2012 dans son rapport annuel (chap. XI : les transports de patients à la charge de l’assurance maladie), que, nonobstant la prise en charge par l’assurance maladie, certains transports restent à la charge des hôpitaux, sur leur budget propre, notamment lorsqu’il s’agit de transferts intra-hospitaliers. Le montant des dépenses correspondantes n’est pas connu au niveau national mais elle l’estime à environ 6 % du montant total des remboursements par l’assurance maladie.

C’est dans ce cadre « tarifaire » brossé à traits grossiers que les transporteurs sanitaires privés se sont vus imposer des contraintes particulières en raison de l’épidémie de COVID-19 qui a nécessité – ne l’oublions pas - une organisation exceptionnelle de nos moyens de santé dans un contexte totalement incertain au début de l’année 2020.

Le guide méthodologique établi au mois de février 2020 par les services du ministère de la santé avait ainsi prévu, en phase épidémique de SARS-COV-2, une orientation systématique vers un établissement habilité des personnes classées comme « cas possibles ». Sous la responsabilité du SAMU-centre 15, une procédure de transport de ces patients a été arrêtée et, suivant la gravité, il pouvait être fait appel aux transporteurs sanitaires « sous réserve [qu’il dispose] d’un protocole de désinfection du véhicule conforme aux recommandations professionnelles » impliquant, notamment, la préparation et le « bio nettoyage » (point 7.5). Bien évidemment, la même procédure était applicable pour les cas confirmés. Un protocole local a été établi par les hospices civils de Lyon (HCL) le 28 février 2020 en application de ces lignes directrices. Il prévoyait un premier trajet du transporteur pour notamment récupérer le kit de protection avant la prise en charge du patient, puis un second trajet pour reconditionner le véhicule après sa dépose au service receveur.

Plusieurs sociétés de transports ayant été soumises à ce protocole ont sollicité le paiement de sommes correspondant au temps de déplacement du véhicule vers la structure mobile d’urgence et de réanimation de l’hôpital Édouard Herriot de Lyon, puis au temps d’attente durant l’immobilisation du véhicule pour sa décontamination et son reconditionnement et enfin au temps de déplacement de l’hôpital Édouard Herriot vers le domicile d’un nouveau patient.

Leurs prétentions ont été d’abord implicitement rejetées par le silence gardé sur les demandes préalables reçues entre les 31 juillet et 10 août 2020 puis explicitement par des décisions prises le 13 octobre 2020 et notifiées quelques jours après. Après l’échec d’une première procédure en référé provision au motif que leurs demandes soulevaient des questions de droit présentant une difficulté sérieuse, les sociétés de transports sanitaires vous saisissent au fond de conclusions tendant à l’indemnisation ou au paiement des prestations ainsi réalisées par les HCL, sur son budget propre.

Sur la tardiveté

A titre liminaire, il y a lieu d’indiquer rapidement que la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté et opposée par les HCL dans 7 des 8 instances appelées ne nous semble pas fondée. En effet, il résulte de l’instruction que la notification des décisions expresses de rejet, comportant la mention des voies et délais de recours, est intervenue au cours de la procédure de référé provision.

Par application combinée des jurisprudences CE, 13 mars 2009, n°317567, au Recueil et CE, 17 juillet 2013, n°368260, aux Tables, mais également plus directement des articles 2241 et 2242 du code civil , le délai de recours de deux mois a commencé à courir à compter de la notification de l’ordonnance rejetant leur référé provision. Il nous paraîtrait, au surplus, quelque peu paradoxal, lorsqu’une décision est ainsi notifiée au cours de cette procédure, d’exiger des requérants la saisine du juge du fond alors, d’une part, que la demande de provision n’est plus légalement conditionnée par l’existence d’une demande au fond depuis l’entrée en vigueur du code de justice administrative, et d’autre part, que des conclusions tendant au versement d’une provision peuvent être regardées dans certains cas comme la saisine du tribunal administratif compétent (Voir en matière contractuelle : CE, 27 janvier 2017, n°396404, société Tahitienne de construction, aux Tables.

Dès lors, toutes les requêtes dont la recevabilité est contestée sur ce point ayant été enregistrées dans le délai prorogé, aucune tardiveté ne peut être retenue.

Sur le bien-fondé des prétentions

Au fond, nous n’avons guère d’hésitation à estimer que les transports réalisés par les ambulanciers privés dans le cadre particulier décrit au début de notre propos relèvent, compte tenu notamment de la régulation effectuée par le SAMU-Centre 15, de l’exécution du service public de l’aide médicale urgente, comme le précise explicitement les lignes directrices du guide méthodologique adaptant l’organisation du service aux circonstances exceptionnelles et comme le confirment au demeurant les dispositions du IV de l’article R. 6312-17-1 du code de la santé publique aujourd’hui en vigueur (rapp. CE, 8 février 2017, société Polyclinique Saint-Jean, n°393311, aux Tables).

Ainsi que nous l’avons très rapidement indiqué précédemment, la rémunération des transports sanitaires effectués relève en principe de la prise en charge par l’assurance maladie prévue par le c) du 1° de l’article R. 322-10 du code de la sécurité sociale en vertu du 2° du II de l’article D. 162-17 du même code. Celle-ci est encadrée par la convention nationale des transporteurs sanitaires privés publiée au JORF le 23 mars 2003 (NOR : SANS0320919X) qui, prise en application de l’article L. 322-5-2 du code précité, constitue un contrat de droit public (TC, 8 décembre 2014, n°3980, au Recueil).

Elle fixe les tarifs des transports sanitaires privés servant de base au remboursement par l’assurance maladie mais n’exclue pas nécessairement des rémunérations autres pour autant qu’elles n’entrent pas dans le champ des forfaits fixés. En effet, son fondement légal prévoit qu’elle ne règle que les rapports entre les organismes d’assurance maladie et les entreprises de transports sanitaires. De plus, les dispositions de l’article L. 6312-1 du code de la santé publique définissent le transport sanitaire comme incluant celui d’une personne et ne porte donc pas sur les trajets sans patient, blessé ou parturiente.

Au demeurant, si le premier alinéa de l’article 9 de cette convention prévoit que les tarifs comprennent l’ensemble des prestations de service obligatoirement assurées et qu’ils sont exclusifs de toute majoration ou de tout supplément autre que ceux prévus par son annexe, c’est « au regard du remboursement » pris en charge par l’assurance maladie. Le deuxième alinéa distingue en outre les prestations complémentaires « non couvertes par ces tarifs et ne donnant pas lieu à remboursement par l’organisme d’assurance maladie » qui doivent être consignées sur la facture, de sorte que la convention – comme les dispositions légales ou réglementaires - ne peuvent être interprétées comme ayant par elles-mêmes exclues par principe tout forme de paiement de prestation supplémentaire non remboursée.

Ainsi que l’a jugé la CAA de Marseille le 3 juin 2019, n°18MA01449, centre hospitalier intercommunal de Toulon-la-Seyne, inédit) dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d’Etat (cf. s’agissant d’établissement recevant certains bénéficiaires de l’aide sociale sur agrément CE, 28 mai 1965, n°55519, au Recueil), les rapports entre les transporteurs et les prescripteurs dans le cadre de l’exécution du service public administratif d’aide médicale urgente ne relèvent pas d’une logique purement contractuelle ou quasi-contractuelle mais d’obligations légales et réglementaires : les transporteurs sanitaires privés ne sont, en effet, pas des collaborateurs occasionnels ou choisis intuitu personnae puisque leur intervention, rendue possible sur agrément d’ailleurs, est prévue et encadrée par les dispositions légales et règlementaires, tout comme ils ne sont pas appelés à contractualiser individuellement avec les organismes de sécurité sociale mais via leur organisation représentative et leur adhésion à celle-ci.

Ce schéma est celui en vigueur au niveau national mais également au niveau local. La circulaire n° 98-483 du 29 juillet 1998 complétée par celle n° 99-471 du 12 août 1999 – par lesquelles le ministre en charge de la santé prescrit la conclusion de convention dans chaque département entre les autorités locales et les associations de transporteurs sanitaires en vue d’assurer la coordination de leurs adhérents et d’adapter leurs interventions aux spécificités locales – constituent en effet l’expression du pouvoir réglementaire d’organisation du service reconnu par la fameuse décision Jamart CE, 7 février 1936, au Recueil GAJA n° 45. Et les modalités selon lesquelles sont fixées les règles applicables localement en matière de tarifs de certaines prestations constituent des dispositions réglementaires puisqu’elles portent sur l’organisation du service (en ce sens : TC, 9 juin 1986, 02418, au Recueil.

Par suite, et contrairement à ce que soutiennent les HCL, les clauses réglementaires de la convention conclue le 28 août 2001 avec l’association ATSU 69 peuvent être invoquées par les sociétés requérantes (comp. CE, 31 mars 2014, 360904, Union syndicale du Charvet, aux Tables).

L’article 15 de cette convention stipule que « toute mission demandée par le centre de régulation non remboursable par l’assurance maladie ou accident fera l’objet d’une facturation définie en annexe 5 ». Il va donc vous falloir, à ce stade et si vous nous suivez jusque-là, procéder, dans la lignée de la CAA de Marseille, à une appréciation des prestations couvertes par le forfait prévu par la convention nationale afin de déterminer s’il comprend les sujétions en cause et exclu donc l’application de l’article 15 précité ou non.

Le A du complément III de l’annexe 1 de la convention nationale mentionne que le forfait départemental couvre la prise en charge du patient du lieu où il se trouve jusqu’au lieu de destination ainsi que la mise à disposition du véhicule et la « désinfection du véhicule éventuellement ». Il ne comprend pas formellement, tout comme le B et le C dudit complément prévoyant un tarif kilométrique départemental ou d’agglomération « en charge » de patient, les trajets en un point déterminé autre, sans patient et pour procéder à la récupération de matériel particuliers tel que des kits ou aux opérations de désinfection, ni le temps d’immobilisation.

Contrairement à la garde ambulancière qui est rémunérée par un forfait réputé couvrir toutes les sujétions – hypothèse jugé par l’arrêté de la CAA de Marseille précité - le mécanisme de prise en charge subsidiaire instauré par la convention locale nous semble, dès lors, susceptible de s’appliquer mais celles dont il est question ne correspondent pas aux cas limitativement fixées par l’annexe 5. En effet, il ne s’agit pas d’une double intervention, ou d’un déplacement inutile en raison d’une erreur d’adressage ou d’un refus d’hospitalisation. S’agissant d’une dérogation à un principe (celui de la possibilité d’être indemnisé pour certaines prestations non-couvertes mais listées), elle est en principe d’interprétation stricte, d’autant qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une relation empreinte d’une certaine unilatéralité. Par suite, il ne nous semble pas que ces dispositions puissent servir de fondement aux prétentions des sociétés requérantes, sauf à donner une lecture extensive des dispositions en cause.

En tout état de cause, il résulte de l’instruction que l’Etat, via l’ARS, a octroyé à l’ATSU 69 une subvention de 429 600 euros ayant pour objet, par son reversement aux transporteurs sanitaires désignés et dont font partie les sociétés requérantes, de couvrir, à hauteur de 100 euros par transport, les frais exceptionnels engendrés par ces sujétions particulières. Cette aide ne nous semble pas restreinte à l’acquisition d’équipements de protection individuelle, qui d’ailleurs ont été fournis gratuitement par les HCL aux transporteurs privés, mais couvre tous les « frais exceptionnels » donc à priori ceux liés aux trajets et immobilisations pour la désinfection et récupération des kits.

Les seules factures et allégations des requérantes selon lesquelles cette indemnité ne serait pas suffisante pour couvrir leur charge réelle sont insuffisantes pour établir que le préjudice dont elle demande l’indemnisation n’aurait pas été intégralement compensé, étant rappelé qu’il ne peut s’agir de somme due en exécution d’un contrat ou d’un quasi-contrat.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de toutes ces requêtes.

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