L’association Etape Roanne, dont le siège est à Riorges (Loire), qui a pour objet l’emploi de personnes en situation de handicap dans le cadre d’un statut d’entreprise adaptée, est affiliée au groupe associatif AREPSHA (Association pour la rééducation et la promotion professionnelles et sociale des handicapés), dans le cadre d’une unité économique et sociale constituée entre I’AREPSHA et les trois associations Etape Auvergne, Etape Roanne et Etape Saint-Etienne à la suite d’un accord conclu le 12 mars 2009.
L’association Etape Roanne, qui connaissait des difficultés économiques depuis plusieurs années et qui avait déjà procédé à un premier licenciement collectif de neuf salariés à la fin de l’année 2012, a été placée par un jugement du tribunal de grande instance de Roanne du 17 juillet 2013 en procédure de sauvegarde de justice, période de sauvegarde renouvelée jusqu’au 15 janvier 2015, puis, compte tenu de ces difficultés, l’association Etape Roanne a engagé une procédure de licenciement économique collectif de cinquante salariés.
Elle a sollicité, par courrier du 28 mars 2014, l’homologation du document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l’emploi et, par une décision du 10 avril 2014, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) de Rhône-Alpes a homologué ce document unilatéral.
Toutefois, par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 septembre 2014, confirmé par un arrêt de la cour du 5 février 2015, cette décision d’homologation a été annulée au motif que l’administration n’avait à tort apprécié le caractère adapté des mesures sociales d’accompagnement qu’au regard des seuls moyens de l’entreprise, sans prendre en compte les moyens de l’unité économique et sociale et ceux du groupe associatif auxquels appartient l’association « Etape Roanne ».
Par des jugements rendus par le conseil des prud’hommes de Roanne le 5 janvier 2017, confirmés par des arrêts de la cour d’appel de Lyon du 29 juin 2018, ont été fixées au passif de l’association Etape Roanne, dont la liquidation judiciaire avait entretemps été prononcée par un jugement du tribunal de grande instance de Roanne du 10 novembre 2015, les indemnités dues à chacun des salariés licenciés, sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail, en raison de l’annulation de la décision d’homologation du PSE et le CGEA (centre de gestion et d’étude AGS) de Chalon-sur-Saône a été condamné au paiement de ces sommes conformément aux dispositions de l’article L. 3253-8 du code du travail, relatif à l’assurance contre le non-paiement des sommes dues en exécution du contrat de travail, outre des sommes au titre des frais liés au litige.
La Selarl MJ Synergie, agissant en qualité de liquidateur de l’association Etape Roanne, a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l’Etat à lui verser la somme totale de 414 878 euros, outre intérêts et leur capitalisation, en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis en conséquence de l’illégalité fautive de la décision du 10 avril 2014 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) de Rhône-Alpes a homologué le document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l’emploi. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Elle soutient que le régime de responsabilité résultant de l’activité de contrôle définie à l’article L. 1233-57-3 du code du travail relève du régime de responsabilité pour faute simple et non de faute lourde, comme l’a retenu le tribunal, et qu’en tout état de cause, la faute commise par l’Etat présente les caractéristiques d’une faute lourde, et aucune cause exonératoire ne peut faire obstacle à la condamnation de l’Etat.
Pour retenir un régime de faute lourde, les premiers juges se sont manifestement inspirés, de décisions rendues par le Conseil d’Etat et, en particulier de la décision d’Assemblée CE 2 juillet 1982 n° 32186, recueil p. 265, conclusions J. Biancarelli) selon laquelle une décision illégale autorisant ou refusant d’autoriser un licenciement pour cause économique ne peut engager la responsabilité de l’administration qu’en cas de faute lourde. Selon les termes de cette décision, qui concernait alors le cas de licenciement des salariés non protégés, l’exercice par l’autorité administrative, dans les conditions où il était organisé, des pouvoirs de contrôle de l’emploi qu’elle tenait de l’article L. 321-1 du code du travail en matière de licenciement du personnel pour cause économique, ne pouvait engager la responsabilité de l’Etat soit à l’égard du salarié licencié par son employeur en cas d’autorisation administrative illégale, soit à l’égard de l’employeur en cas de refus illégal d’autorisation que si cet exercice révélait l’existence d’une faute lourde commise par l’administration. Voir aussi CE, 29 juin 1990, ministre des affaires sociales et de l'emploi c/ société Groupe C.E.R.P., n° 78088, au recueil.
Et comme le rappelaient les conclusions de G. Bachelier sous une décision CE, 9 juillet 1997, n° 179047, société Simecsol, aux tables sur un autre point, les difficultés d’exécution du service public en cas de licenciement de salariés non protégés tenaient au fait que le service devait prendre sa décision dans des délais très brefs prévus par l’article L. 321-9 du code du travail alors en vigueur (délai de 30 jours ou délai de 7 jours renouvelable une fois suivant le nombre de licenciements dans une même période de 30 jours dans les entreprises occupant un effectif minimal) alors que, pendant ce délai, l’administration devait s’interroger sur sa compétence territoriale, ce qui posait des questions complexes compte tenu de la structure des sociétés, se livrer à des appréciations très délicates sur la réalité des motifs économiques conjoncturels ou structurels invoqués, appréciations d’autant plus difficiles que le juge exigeait qu’elles aient lieu, le cas échéant, au niveau du groupe. Et le silence de l’administration faisait naître une décision d’autorisation implicite.
A notre connaissance cette jurisprudence n’a pas été remise en cause, mais le juge administratif ne contrôle plus d’autorisation de licenciement de salariés non protégés, alors que, s’agissant des salariés protégés, comme le rappellent les mêmes conclusions de G. Bachelier, la jurisprudence retient pour les salariés protégés licenciés pour motifs économiques un régime de faute simple (CE, Section, 9 juin 1995 n° 90504, ministre des affaires sociales, rec. p. 239). Pour une application par votre cour : CAA Lyon, 22 octobre 2018, n° 17LY01307, SAS Grand Casino de Lyon)
Mais les contraintes spécifiques et la nature du contrôle de l’administration du travail en cas d’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi paraissent de la même nature que celles qu’elle rencontrait lorsqu’elle devait examiner une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié non protégé, et qui sont celles qu’ont rappelées les premiers juges dans le jugement attaqué : l’exercice de ce pouvoir d’homologation s’inscrit dans le cadre d’un contrôle complexe soumis à des délais brefs aux termes desquels le silence gardé par l’administration fait naître une décision implicite d’acceptation de l’homologation.
A défaut de décision jurisprudentielle du Conseil d’Etat sur ce point, auquel il appartiendra le cas échéant de revenir sur les règles qu’il avait posées (et maintenues en 1997) s’agissant de l’autorisation de licenciement de salariés non protégés, nous vous proposons de confirmer sur ce point la solution du tribunal. A ce jour, en effet, comme le rappellent les parties, seuls des jugements de tribunaux administratifs ont pris position, majoritairement en faveur du régime de la faute lourde.
Sommes-nous en l’espèce en présence d’une faute lourde ?
Il résulte de l’instruction qu’à la date à laquelle cette décision a été prise, l’administration a entaché d’une illégalité fautive la décision du 10 avril 2014 homologuant le document fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi de l’association « Etape Roanne » en appréciant le caractère adapté des mesures adoptées par ledit plan au regard des seuls moyens dont dispose l’entreprise, sans prendre en compte les moyens de l’unité économique et sociale et ceux du groupe associatif auxquels appartient l’association « Etape Roanne ».
L’erreur ainsi commise par le Direccte de Rhône-Alpes n’a pas constitué, dans les circonstances de l’espèce, caractérisées par la nécessité d’opérer dans un bref délai le contrôle d’un document qu’il revenait à l’employeur d’élaborer et qui ne comportait lui-même aucune mesure adaptée à l’unité économique et sociale au sein de laquelle était l’association « Etape Roanne », alors qu’il lui incombait de prévoir de telles mesures conformément aux dispositions précitées de l’article L. 1233-57-3 du code du travail, une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l’Etat alors, au demeurant, qu’il résulte des dispositions législatives en vigueur à ce jour que l’autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l’emploi d’une entreprise, lorsqu’elle est placée en redressement ou en liquidation judiciaire, après s’être assurée du respect des articles L. 1233 61 à L. 1233 63 au regard des seuls moyens dont dispose l’entreprise.
Ainsi, la Selarl MJ Synergie, agissant en qualité de liquidateur de l’association Etape Roanne, n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête de la Selarl MJ Synergie.