Contrat d’abonnement à l’eau : recours possible contre les clauses réglementaires

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 21LY02840 – 20 octobre 2022 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 21LY02840

Numéro Légifrance : CETATEXT000046492496

Date de la décision : 20 octobre 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Droit économique, Service de l’eau, Contrat d’abonnement, Service public de distribution d’eau, Activités soumises à réglementation, Réglementation de la protection et de l'information des consommateurs, L. 132-1 du code de la consommation, Fuite d’eau, Absence de compteur d’eau

Rubriques

Aides publiques et économie

Résumé

Eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d'abonnement liant le distributeur d'eau et l'usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l'occasion de la fourniture de l'eau, exercer d'autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d'entretien ou de fonctionnement de l'ouvrage public qui assure ladite fourniture.

Il appartient, en conséquence, à l'abonné qui, à l'occasion d'un litige né du contrat d'abonnement, invoque le droit que lui confère sa qualité de consommateur, d'opposer le caractère abusif d'une clause du contrat devant le juge judiciaire qui saisira la juridiction administrative par la voie préjudicielle, s'il s'agit d'une clause réglementaire.

Toutefois, cette voie de droit ne fait pas obstacle à ce que l'usager saisisse le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir contre les clauses qui, comme les clauses litigieuses, ont une portée réglementaire, la conformité aux articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation conditionnant, non plus l'opposabilité contractuelle de ces clauses, mais leur légalité. Le requérant ayant choisi d'exercer un recours pour excès de pouvoir dont la tardiveté ne ressort pas pièces du dossier, il y a lieu d'examiner ses conclusions sur ce fondement.

Les dispositions 1.2 et 18 du règlement annexé au contrat d’abonnement au service de distribution d’eau potable, qui doivent être combinées aux dispositions de l’article 21, n’aménagent un régime de responsabilité limitée au premier mètre linéaire sur fonds privé que subsidiairement au principe de responsabilité jusqu’au compteur.

Ce régime subsidiaire auquel tout abonné peut d’ailleurs se soustraire en demandant l’installation d’un compteur, loin de réduire la responsabilité du service, l’encadre en lui donnant un critère objectif tandis que l’absence de critère aurait pour effet de l’étendre arbitrairement. Il suit de là que lesdites clauses ne méconnaissent pas les articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation qui présument de manière irréfragable le caractère abusif des clauses par lesquelles un professionnel limite sa responsabilité à l’égard d’un consommateur et les frappe d’inopposabilité.

14-02-01-03, Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique, Réglementation des activités économiques, Activités soumises à réglementation, Réglementation de la protection et de l'information des consommateurs.

39-01-02-01, Marchés et contrats administratifs, Notion de contrat administratif, Nature du contrat, Contrats ayant un caractère administratif.

54-02-01 Procédure, Diverses sortes de recours, Recours pour excès de pouvoir.

Conclusions du rapporteur public

Bertrand Savouré

rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.8755

M.X. est propriétaire d’une maison située à Y., commune appartenant à la communauté d’agglomération du pays voironnais laquelle gère en régie directe le réseau d’eau et d’assainissement.

Le 10 mars 2016, le service « eau et assainissement » a localisé une fuite importante au niveau de la propriété privée de M.X..

Le 15 mars 2016, ce dernier a signé une demande de travaux pour un montant approximatif hors taxes de 800 euros.

La communauté d’agglomération du pays voironnais a procédé à la réparation du branchement en amont de son compteur et a émis à son encontre une facture de 819,25 euros, que le requérant a payée le 31 mai 2016. Par un courrier du 23 avril 2019, l’intéressé a contesté cette facture en faisant valoir que cette fuite avait eu lieu en amont de son compteur. Dans ce courrier, le requérant convenait qu’en application de l’article 1. 2 du règlement du service public d’alimentation en eau potable de la communauté d’agglomération, le service de l’eau est propriétaire des installations de distribution jusqu’au point de fourniture, constitué par le compteur individuel pour les constructions individuelles ou le compteur général dans le cas des constructions collectives.

En l’absence d’un de ces compteurs, le règlement prévoit que le point de fourniture est situé au terme du premier mètre linéaire de la canalisation du branchement situé en domaine privé

En l’espèce, la propriété de M.X. s’implante au sein d’un lotissement dont la voie d’accès est privée, sous laquelle passent les réseaux de distribution d’eau. Il est constant que le dommage s’est produit sur une partie de la canalisation située dans le lotissement, en amont de son compteur individuel.

M.X. estime qu’il s’agit d’une clause abusive, de même que l’article 18 qui prévoit notamment que dans le cas de constructions collectives verticales ou horizontales non équipées de compteurs généraux ou de contrôle, les colonnes montantes et les conduites intérieures, reliant le branchement de la construction collective aux installations intérieures des occupants, ne sont pas des ouvrages publics et ne font pas partie des branchements.

L’intéressé considère donc qu’il revient à la collectivité d’abroger ces clauses et de prendre en charge les travaux.

En l’absence de réponse de la communauté d’agglomération, M.X. a saisi le tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté sa demande par jugement du 24 juin 2021.

Les premiers juges ont estimé que le juge administratif était incompétent pour examiner les conclusions indemnitaires et, s’agissant des clauses elles-mêmes, qu’elles n’étaient pas abusives.

M.X. interjette appel de ce jugement.

Vous pourrez confirmer le tribunal en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour statuer sur la partie indemnitaire du litige. En effet, eu égard aux rapports de droit privé qui lient le service public industriel et commercial de distribution d’eau potable à l’usager, il n’appartient qu’à la juridiction judiciaire de connaître des dommages causés à ce dernier à l’occasion de la fourniture de la prestation due par le service, alors même que ces dommages trouvent leur origine dans un incident survenu en amont du branchement particulier. (TC 18 juin 2007, société SNVB et compagnie d'assurances GAN, n° C3525, A).

En ce qui concerne les clauses du contrat en revanche, l’hésitation est permise quant à la compétence du juge administratif pour y statuer dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir classique.

La seule argumentation soulevée à l’encontre de ces clauses est la législation sur les clauses abusives.

Il a été jugé que les clauses d’un contrat d’abonnement relatives à l’entretien et la propriété des branchements sont des clauses réglementaires qui peuvent faire l’objet d’un REP en application de la jurisprudence du CE, Assemblée, 10 juillet 1996, n° 138536, A et que de telles clauses sont soumises à la législation des clauses abusives telle qu'elle résulte de l'article L. 132-1 du code de la consommation (CE 11 juillet 2011, société des eaux du Nord, n° 221458, A avec les conclusions éclairantes de Mme Bergeal). Cette même décision a précisé que le caractère abusif d'une clause s'apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l'ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l'exécution d'un service public, des caractéristiques particulières de ce service.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat avait à connaître d’une clause prévoyant que le service des eaux prendrait à sa charge les seuls frais de réparation directe du branchement. Le client abonné avait quant à lui à sa charge toutes les conséquences dommageables pouvant résulter de l'existence et du fonctionnement de ces parties du branchement, sauf s'il apparaissait une faute du service des eaux.

Le Conseil d’Etat a estimé que cette clause était abusive en tant qu’elle pouvait conduire à faire supporter par un usager les conséquences de dommages qui ne lui seraient pas imputables sans pour autant qu'il lui soit possible d'établir une faute de l'exploitant. En lisant les conclusions de la commissaire du gouvernement, on constate que ce qui a amené le Conseil d’Etat à juger cela tenait à ce que, dans l’hypothèse où il était allégué par le service des eaux que le dommage provenait d’un cas fortuit, le contrat prévoyait par ailleurs que l’abonné ne pouvait, en aucun cas, toucher à son branchement et qu’il n’était donc pas à même de vérifier la qualité des travaux faits par le concessionnaire et encore moins la faute qu’aurait pu commettre celui-ci dans cet entretien, faute que pourtant la clause attaquée lui demande de prouver.

Dans un arrêt plus récent CE, Section, 30 décembre 2015, n° 387666, société des eaux de Marseille, B, la haute juridiction a estimé qu’un règlement des abonnements du service de l'eau prévoyant que « l'abonné n'est jamais fondé à solliciter une réduction de consommation en raison de fuites dans ses installations intérieures car il a toujours la possibilité de contrôler lui-même la consommation indiquée par son compteur. » était abusif en ce qu’il avait pour effet d’exonérer de toute responsabilité le service des eaux dans le cas où une fuite dans les installations intérieures de l'abonné résulterait d'une faute commise par ce service.

On voit donc, en résumé, que la circonstance que la responsabilité des désordres affectant le réseau dans sa partie privative soit à la charge du particulier n’est pas, par elle-même, abusive. Une telle clause ne devient abusive que si le contrat fait, dans son ensemble, obstacle à ce que le particulier soit en mesure d’opposer utilement une faute du gestionnaire du réseau.

Dans ces deux espèces, le Conseil d’Etat statuait sur renvoi préjudiciel d’une juridiction judiciaire.

On pourrait se demander s’il est vraiment possible d’invoquer un moyen tiré du caractère abusif d’une clause dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir classique.

En effet, l’invocation d’une clause abusive n’a réellement de sens que dans le cadre d’un procès impliquant l’application de ces clauses et en outre, votre office est en principe de les déclarer non écrite, ce qui est une notion propre au droit de la consommation.

Dans cette optique, on pourrait considérer qu’il convient de vous déclarer entièrement incompétent pour laisser le soin au juge judiciaire de vous saisir, le cas échéant, d’une question préjudicielle

Néanmoins, cette solution, qui aurait le mérite d’une certaine orthodoxie, ne nous paraît pas la meilleure en terme de bonne administration de la justice. Il nous parait en effet peu opportun de se déclarer incompétent, ce qui aura pour effet de relancer une nouvelle saisine du tribunal administratif sur la même question lorsque celui-ci sera saisi d’une question préjudicielle.

De plus, même si la notion de clause réputée non écrite est étrangère au régime classique de l’excès de pouvoir, sa conséquence est concrètement similaire à celle de l’annulation partielle, voire « en tant que » d’une clause réglementaire. Après réflexion, le fait de déclarer une clause abusive in abstracto ne paraît pas poser de problème et c’est d’ailleurs bien ce qu’a fait le Conseil d’Etat dans les décisions précitées même si elles étaient rendues, comme nous l’avons dit, dans le cadre de questions préjudicielles.

Notons que notre cas de figure n’a vocation à s’appliquer que dans le cas où, comme en l’espèce, la tardiveté n’est pas invoquée et ne ressort pas des pièces du dossier. On peut supposer que la majorité des recours pour excès de pouvoir de ce type ont vocation à être rejetés pour tardiveté, la contestation par voie d’exception dans le cadre d’un contentieux indemnitaire paraissant à tous points de vue une voie plus naturelle d’application de la législation des clauses abusives aux clauses réglementaires d’un contrat de distribution d’eau.

Examinons donc maintenant le fonds du litige, qui ne vous retiendra pas longtemps.

Dans notre espèce, le requérant paraît se borner à contester que la responsabilité repose en principe sur lui pour la partie privative située en amont de son compteur.

Il se prévaut de la décision de section sieur Gladieu du 22 janvier 1960, recueil CE 19630 P.52 qui a qualifié d’ouvrage public le raccordement particulier à un réseau d’eau. Mais, comme l’illustrent les décisions précitées, cela ne fait pas obstacle à ce qu’un règlement mette à la charge du particulier la réparation des désordres en affectant la partie privative.

Une telle clause n’est pas par elle-même abusive. Il nous paraît en effet nécessaire, lorsque l’intéressé n’a pas installé de compteur, de prévoir un critère de délimitation entre la partie publique et la partie privative et le critère employé en l’espèce ne nous paraît pas désavantager excessivement le particulier.

Notons que l’intéressé ne conteste pas le régime de responsabilité contractuel, qui est fixé par l’article 21, et qui dispose que : « Le Service de l’Eau du Pays Voironnais est responsable des dommages pouvant résulter du fonctionnement des éléments des branchements dont il est propriétaire dans les cas suivants:

- lorsque le dommage a été produit par la partie du branchement située dans le domaine public;

- lorsque le Service de l’Eau du Pays Voironnais a été informé d’une fuite ou d’une autre anomalie de fonctionnement concernant la partie du branchement située dans les propriétés privées et qu’il n’est pas intervenu dans un délai raisonnable. Dans ce cas, l’abonné doit mettre tous les moyens en œuvre pour permettre au Service de l’Eau du Pays Voironnais d’accéder et d’intervenir sans danger pour interrompre la fuite. »

On pourrait s’interroger sur la question de savoir si les cas dans lesquels la communauté de commune admet sa responsabilité sont suffisamment larges au regard des règles relatives aux clauses abusives. Mais comme nous l’avons dit, cet article n’est pas directement contesté et, au demeurant, sans trop empiéter sur ce qui relève de la compétence du juge judiciaire, on peut constater que l’intéressé n’invoque pas de faute du gestionnaire dans l’entretien du réseau.

Par ailleurs, s’agissant de la régularité du jugement, la circonstance qu’il n’ait pas été lu en audience publique est conforme à la nouvelle rédaction de l’article R. 741-1 du code de justice administrative, issue du décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020. Cette réglementation n’est pas incompatible avec l’article 6 § 1 de la CESDH, la Cour européenne des droits de l’homme n’ayant pas opté pour une interprétation littérale des mots « rendu publiquement », et jugeant que l’inscription du jugement au greffe du tribunal et sa publication dans les recueils officiels est suffisante (Sutter c. Suisse, 1984, § 33 et § 34)

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Le contrôle de légalité des clauses règlementaires prétendument abusives

Romain Micalef

Docteur en droit public, postdoctorant à la Chaire de droit des contrats publics de l’Université Jean Moulin Lyon 3, qualifié aux fonctions de Maître de conférences en droit public.

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.8844

Un usager du service public de distribution d’eau est recevable à former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre des clauses règlementaires, prétendument abusives, d’un contrat d’abonnement d’alimentation en eau potable.

La cour administrative d’appel de Lyon rend un arrêt pédagogique en matière de contestation de clauses règlementaires d’un contrat d’abonnement de distribution d’eau1, en combinant habilement les solutions des jurisprudences du Conseil d’Etat, Assemblée du 10 juillet 1996 n° 1385362 et société des eaux du Nord3, pour écarter la qualification de « clauses abusives » au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation.

En l’espèce, le requérant usager du service public de distribution d’eau, relève appel du jugement du 24 juin 20214 du tribunal administratif de Grenoble qui n’a pas fait droit à ses demandes. En premier lieu, il estime que les clauses 1.2 et 18 du règlement de service des eaux de la communauté d'agglomération du pays voironnais présentent un caractère abusif et sont illégales en ce qu'elles excluent la responsabilité du service sur des canalisations situées en amont du compteur individuel ou, en l'absence de compteur individuel, au-delà du point de fourniture défini à l'article 1.2 du même règlement. En second lieu, il soutient que le tribunal est compétent pour se prononcer sur ses conclusions indemnitaires en application du principe d'une bonne administration de la justice, car les préjudices invoqués seraient, selon lui, en lien direct avec l'illégalité fautive des clauses en litige et sont fondés. Enfin, il soutient que le jugement serait irrégulier du fait qu’il n’aurait pas été lu en audience publique en méconnaissance des articles L. 10 et R. 741-1 du code de justice administrative et de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La cour insiste sur le fait qu’en cas de dommage subi par l’abonné, cocontractant du distributeur d'eau, la seule action qui procède du contrat lui est ouverte. Ainsi, en sa qualité de consommateur, l’abonné peut opposer le caractère abusif d'une clause du contrat devant le juge judiciaire qui saisira la juridiction administrative par la voie préjudicielle, s'il s'agit d'une clause réglementaire. En outre, le requérant est bien fondé à former un recours contre excès de pouvoir contre les clauses règlementaires afin d’en contester la légalité. In fine, la cour administrative d’appel de Lyon juge que « les dispositions 1.2 et 18 du règlement, qui doivent être combinées aux dispositions de l'article 21, n'aménagent un régime de responsabilité limitée au premier mètre linéaire sur fonds privé que subsidiairement au principe de responsabilité jusqu'au compteur. Ce régime subsidiaire auquel tout abonné peut d'ailleurs se soustraire en demandant l'installation d'un compteur, loin de réduire la responsabilité du service, l'encadre en lui donnant un critère objectif tandis que l'absence de critère aurait pour effet de l'étendre arbitrairement. Il suit de là que lesdites clauses ne méconnaissent pas les articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation et que les conclusions à fin d'annulation de la requête doivent être rejetées »5. La cour a ainsi répondu à la question de savoir si les clauses réglementaires d’un contrat d’abonnement d’alimentation en eau potable qui n’aménagent jusqu’au compteur qu’un régime de responsabilité limitée au premier mètre linéaire sur fonds privé, pouvaient être qualifiées par le juge de « clauses abusives » au sens des articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation.

Tout en réaffirmant l’effectivité du contrôle de légalité des clauses réglementaires d’un contrat d’abonnement d’alimentation en eau potable (I), la cour constate l’absence de caractère abusif des telles clauses (II).

I. L’effectivité du contrôle de légalité des clauses réglementaires du contrat d’abonnement d’alimentation en eau potable

La cour administrative d’appel de Lyon rappelle qu’« eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d'abonnement liant le distributeur d'eau et l'usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l'occasion de la fourniture de l'eau, exercer d'autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d'entretien ou de fonctionnement de l'ouvrage public qui assure ladite fourniture. Il appartient, en conséquence, à l'abonné qui, à l'occasion d'un litige né du contrat d'abonnement, invoque le droit que lui confère sa qualité de consommateur, d'opposer le caractère abusif d'une clause du contrat devant le juge judiciaire qui saisira la juridiction administrative par la voie préjudicielle, s'il s'agit d'une clause réglementaire »6. Cette hypothèse de la saisine de la juridiction administrative par la voie préjudicielle n’est pas celle de l’espèce, puisque le requérant avait préalablement formé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Grenoble7. Cependant, cette affaire donne l’occasion à la cour de rappeler que, par principe, les éventuels litiges qui naissent du contrat d'abonnement liant le distributeur d'eau et l'usager doivent être soumis en principe, au juge judiciaire qui saisira, éventuellement, le juge administratif d’une question préjudicielle, comme cela avait été le cas dans l’arrêt société des eaux du Nord8 sur lequel il conviendra d’insister plus loin. À ce titre, la cour souligne que par courrier du 19 septembre 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu’elle est susceptible de relever d'office son incompétence au profit de la juridiction judiciaire, car il s’agit d’une demande en déclaration d'inopposabilité de clauses contractuelles qui concerne un litige né d'une facturation de prestations et qui relève des rapports contractuels entre un usager et un service public industriel et commercial. Elle précise ainsi que « la juridiction administrative ne pouvant être saisie que dans le cadre d'une question préjudicielle à l'occasion du litige porté devant le juge judiciaire »9, faisant écho aux inquiétudes livrées par le rapporteur public. Ce dernier soulignait en effet qu’« en ce qui concerne les clauses du contrat en revanche, l’hésitation est permise quant à la compétence du juge administratif pour y statuer dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir classique »10. Ainsi, la cour souligne, avec une certaine insistance, que c’est - par principe - le juge judiciaire qui est compétent en matière de clause abusive d’un contrat d’abonnement de distribution en eau potable, alors même que « la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d'entretien ou de fonctionnement de l'ouvrage public qui assure ladite fourniture »11.

Cependant, la cour réaffirme la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat de droit privé en précisant que «  cette voie de droit ne fait pas obstacle à ce que l'usager saisisse le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir contre les clauses qui, comme les clauses litigieuses, ont une portée réglementaire, la conformité aux articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation conditionnant, non plus l'opposabilité contractuelle de ces clauses, mais leur légalité. M. B. ayant choisi d'exercer un recours pour excès de pouvoir dont la tardiveté ne ressort pas pièces du dossier, il y a lieu d'examiner ses conclusions sur ce fondement »12. La cour s’inscrit donc dans la droite ligne de la jurisprudence du CE d’Assemblée du 10 juillet 1996 13en rappelant que les clauses du contrat d’abonnement relatives à l’entretien et la propriété des branchements sont des clauses réglementaires qui peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Dans l’arrêt 14, il s’agissait d’un contrat relatif à la collecte et l'évacuation des ordures ménagère, mais la règle de droit dégagée selon laquelle « les dispositions dont M. X. a demandé l'annulation ont un caractère réglementaire ; qu'elles peuvent, par suite, être contestées devant le juge de l'excès de pouvoir »15, s’applique sans difficulté au contrat litigieux, comme le fait remarquer à juste titre le rapporteur public16, réaffirmant ainsi l’intérêt pour la formation du recours pour excès de pouvoir à l’encontre des clauses règlementaires17, récemment définies par le Conseil d’État18. Ainsi, en l’espèce, la première clause réglementaire dont la légalité est contestée par le recours pour excès de pouvoir est l’article 1. 2 du règlement du service public d’alimentation en eau potable de la communauté d’agglomération, qui précise que le service de l’eau est propriétaire des installations de distribution jusqu’au point de fourniture, constitué par le compteur individuel pour les constructions individuelles ou le compteur général dans le cas des constructions collectives. La seconde clause réglementaire dont la légalité est contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir est l’article 18, qui prévoit notamment que dans le cas de constructions collectives verticales ou horizontales non équipées de compteurs généraux ou de contrôle, les colonnes montantes et les conduites intérieures, reliant le branchement de la construction collective aux installations intérieures des occupants, ne sont pas des ouvrages publics et ne font pas partie des branchements. C’est par le biais de ce recours pour excès de pouvoir, que le requérant demande au juge administratif de reconnaitre le caractère abusif de ces deux clauses, ce qui ne va pas sans interpeler le rapport public précisant qu’« on pourrait se demander s’il est vraiment possible d’invoquer un moyen tiré du caractère abusif d’une clause dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir classique »19.

II. L’absence de caractère abusif des clauses réglementaires du contrat d’abonnement d’alimentation en eau potable

La Communauté d’agglomération du pays voironnais gère en régie directe le réseau d’eau et d’assainissement approvisionnant, entre autres, la maison du requérant et y a localisé une fuite importante qu’elle a réparée en procédant au branchement en amont de son compteur. La défenderesse a émis une facture de 819,25 euros, dont le requérant s’est acquitté, mais qu’il a finalement contestée en faisant valoir que cette fuite avait eu lieu en amont de son compteur. Selon le requérant, le service de l’eau est propriétaire des installations de distribution jusqu’au point de fourniture, constitué par le compteur individuel pour les constructions individuelles ou le compteur général dans le cas des constructions collectives, en application de l’article 1. 2 du règlement du service public d’alimentation en eau potable de la communauté d’agglomération,

Le règlement prévoit que le point de fourniture est situé au terme du premier mètre linéaire de la canalisation du branchement situé en domaine privé. En l’espèce, le dommage s’est produit sur une partie de la canalisation située dans le lotissement, en amont de son compteur individuel et le requérant estime qu’il s’agit d’une clause abusive, de même que l’article 18 qui prévoit notamment que dans le cas de constructions collectives verticales ou horizontales non équipées de compteurs généraux ou de contrôle, les colonnes montantes et les conduites intérieures, reliant le branchement de la construction collective aux installations intérieures des occupants, ne sont pas des ouvrages publics et ne font pas partie des branchements. Selon le requérant, il revient à la collectivité d’abroger ces clauses et de prendre à sa charge les travaux.

Si ces clauses réglementaires peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir sur le fondement de la jurisprudence d’Assemblée du 10 juillet 1996 20, elles peuvent également être qualifiées de clauses abusives sur le fondement de l’article L. 132-1 du code de la consommation, comme l’a consacré la jurisprudence société des eaux du Nord21. Dans cet arrêt, le Conseil d’État précise que le caractère abusif d'une clause s'apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l'ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l'exécution d'un service public, des caractéristiques particulières de ce service22. Le Conseil d’État a estimé que cette clause était abusive en tant qu’elle pouvait conduire à faire supporter par un usager les conséquences de dommages qui ne lui seraient pas imputables sans pour autant qu'il lui soit possible d'établir une faute de l'exploitant23. Le rapporteur public souligne24 que dans un arrêt plus récent25, le Conseil d’État a estimé qu’un règlement des abonnements du service de l'eau prévoyant que « l'abonné n'est jamais fondé à solliciter une réduction de consommation en raison de fuites dans ses installations intérieures car il a toujours la possibilité de contrôler lui-même la consommation indiquée par son compteur »26 était abusif en ce qu’il avait pour effet d’exonérer de toute responsabilité le service des eaux dans le cas où une fuite dans les installations intérieures de l'abonné résulterait d'une faute commise par ce service. Ainsi, selon le rapporteur public dans l’affaire commentée ici, « on voit donc, en résumé, que la circonstance que la responsabilité des désordres affectant le réseau dans sa partie privative soit à la charge du particulier n’est pas, par elle-même, abusive. Une telle clause ne devient abusive que si le contrat fait, dans son ensemble, obstacle à ce que le particulier soit en mesure d’opposer utilement une faute du gestionnaire du réseau »27.

Dans le cas d’espèce, le requérant conteste que la responsabilité repose en principe sur lui pour la partie privative située en amont de son compteur et il tente alors de mobiliser la jurisprudence du 22 janvier 196028 qui a qualifié́ d’ouvrage public le raccordement particulier à un réseau d’eau. Pour autant, une telle jurisprudence ne semble pas faire obstacle à ce qu’un règlement mette à la charge du particulier la réparation des désordres en affectant la partie privative. In fine, le rapporteur public conclut qu’« une telle clause n’est pas par elle-même abusive. Il nous paraît en effet nécessaire, lorsque l’intéressé n’a pas installé de compteur, de prévoir un critère de délimitation entre la partie publique et la partie privative et le critère employé en l’espèce ne nous paraît pas désavantager excessivement le particulier »29. Il sera suivi par la cour, qui juge que « les dispositions 1.2 et 18 du règlement, qui doivent être combinées aux dispositions de l'article 21, n'aménagent un régime de responsabilité limitée au premier mètre linéaire sur fonds privé que subsidiairement au principe de responsabilité jusqu'au compteur. Ce régime subsidiaire auquel tout abonné peut d'ailleurs se soustraire en demandant l'installation d'un compteur, loin de réduire la responsabilité du service, l'encadre en lui donnant un critère objectif tandis que l'absence de critère aurait pour effet de l'étendre arbitrairement. Il suit de là que lesdites clauses ne méconnaissent pas les articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation et que les conclusions à fin d'annulation de la requête doivent être rejetées »30. En ne retenant pas le caractère abusif des clauses réglementaires du contrat d’abonnement d’alimentation en eau potable, la cour les interprète comme proposant un régime de responsabilité subsidiaire au principe de « responsabilité jusqu'au compteur » qui est selon elle plus objectif. Enfin, la cour refuse, fort logiquement, d’indemniser le requérant qui a formé un recours pour excès de pourvoir devant le juge administratif, en ce qu’il « ne saurait permettre de remettre en cause l'attribution de compétence à la juridiction judiciaire des litiges nés de créance trouvant leur cause dans un contrat d'abonnement conclu avec un service public industriel et commercial, le principe dont se prévaut le requérant tiré d'une bonne administration de la justice »31.

Notes

1 CAA Lyon, 20 oct. 2022, n° 21LY02840. Retour au texte

2 CE, Assemblée, 10 juillet 1996,, n° 138536. Retour au texte

3 CE, 11 juillet 2001, Société des eaux du Nord, n° 221458. Retour au texte

4 TA Grenoble., 24 juin 2021, n° 1905708. Retour au texte

5 Point 9., CAA Lyon, 20 oct. 2022, op. cit. Retour au texte

6 Point 7., CAA Lyon, 20 oct. 2022, op. cit. Retour au texte

7 TA Grenoble., 24 juin 2021, op.cit. Retour au texte

8 CE, 11 juillet 2001, société des eaux du Nord, n° 221458. Retour au texte

9 Voir visas., CAA Lyon, 20 octobre 2022, op. cit. Retour au texte

10 B. Savouré., concl. sur CAA Lyon 20 octobre 2022, n° 21LY02840, publiées dans Alyoda. Retour au texte

11 Point 7., CAA Lyon, 20 octobre 2022, op. cit. Retour au texte

12 Point 8., CAA Lyon, 20 octobre 2022, op.cit. Retour au texte

13 CE., Assemblée, 10 juillet 1996, n° 138536. Retour au texte

14 Ibid. Retour au texte

15 Ibid. Retour au texte

16 B. Savouré, concl. préc. Retour au texte

17 Le Conseil d’État avait également eu l’occasion de réaffirmer son intérêt pour le recours pour excès de pouvoir à l’encontre des clauses règlementaires d’un contrat, postérieurement à l’arrêt Tarn-et-Garonne (CE, 2 février 2015, commune d’Aix-en-Provence, n° 373520). Retour au texte

18 V. « Considérant, d’une part, que revêtent un caractère réglementaire les clauses d’un contrat qui ont, par elles-mêmes, pour objet l’organisation ou le fonctionnement d’un service public » (CE, 9 février 2018, Communauté d’Agglomération Val d’Europe, n° 404982). Retour au texte

19 Ibid. Retour au texte

20 CE., Assemblée, 10 juillet 1996, op. cit. Retour au texte

21 CE, 11 juillet 2001, société des eaux du Nord, op. cit. Retour au texte

22 Dans cet arrêt, le Conseil d’État avait à connaitre d’une clause prévoyant que le service des eaux prendrait à sa charge les seuls frais de réparation directe du branchement. Le client abonné avait quant à lui à sa charge toutes les conséquences dommageables pouvant résulter de l'existence et du fonctionnement de ces parties du branchement, sauf s'il apparaissait une faute du service des eaux (CE, 11 juillet 2001, société des eaux du Nord, Ibid.). Retour au texte

23 Ibid. Retour au texte

24 Concl. Rapp. Pub. Bertrand Savouré., CAA Lyon 20 octobre 2022, op.cit. Retour au texte

25 CE, Section, 30 décembre 2015, société des eaux de Marseille, n° 387666. Retour au texte

26 Ibid. Retour au texte

27 Concl. Rapp. Pub. Bertrand Savouré., CAA Lyon 20 octobre 2022, op.cit. Retour au texte

28 CE., 22 janvier 1960, recueil CE 1960 P.52. Retour au texte

29 B. Savouré., concl. préc. Retour au texte

30 Point 9., CAA Lyon, 20 octobre 2022, op.cit. Retour au texte

31 Point 10., CAA Lyon, 20 octobre 2022, op.cit. Retour au texte

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