La cour lyonnaise confirme qu'une décision administrative "spontanée" - c’est-à-dire prise à l'initiative de l'administration, en l'absence de demande de l'administré - peut être contestée, notamment dans le cadre du droit au séjour d'un étranger sur le territoire français et n’entache pas d’illégalité une décision d’OQTF prise sur un autre fondement.
Dans un arrêt de rejet, la 6ème chambre de la cour administrative d’appel de Lyon examine la requête d'un ressortissant de nationalité algérienne, entré sur le territoire français en septembre 2016 sous couvert d’un visa court séjour et qui s’y est maintenu au-delà de son délai de validité. Au vu de cette situation, par arrêté du 2 avril 2021, le préfet du Cantal lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé le bénéfice d’un délai de départ volontaire, a fixé son pays de renvoi et l’a assigné à résidence. Plus curieusement, le préfet a également constaté son absence de droit au séjour alors que l’intéressé n’a pas sollicité de titre à cet effet.
Cette dernière constatation n'est pas sans effet, étant donné qu'elle donne lieu à une décision administrative, acte par lequel l'administration modifie l'ordonnancement juridique et crée des droits et des obligations envers son destinataire. Sans ces caractéristiques, un acte administratif ne peut être considéré comme revêtant un caractère décisoire, et ne peut donc être contesté devant une juridiction. Ne seront, de ce fait, pas considérées comme des décisions administratives les mesures préparatoires1, les actes se bornant à confirmer une décision antérieure, ainsi que les mesures appartenant à la catégorie du droit dit "souple"2. Outre la contestation, la qualification de décision administrative emporte des conséquences sur la forme exigée de l’acte, c'est-à-dire sa motivation, et la procédure de son édiction, selon que l’acte est une mesure prise en considération de la personne, comme l’examen du droit au séjour, ou une mesure de police, en outre une OQTF.
Le requérant soutient que ces décisions méconnaissent son droit d'être entendu – au sens de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne -, dès lors qu’aucune audition préalable n’a été organisée et qu’il n’a pas pu formuler une demande de séjour. Il soutient donc que cette irrégularité entraine l’illégalité de la décision d’OQTF.
La question se pose de savoir si le préfet peut d'autorité examiner le droit au séjour d'un étranger, sans que ce dernier n'en ait fait la demande - le refus étant dit « spontané ».3 - et dans quelle mesure emporte-t-il des conséquences sur la décision d’OQTF.
Dans cet arrêt, le juge administratif se livre donc à un examen de la légalité de deux décisions qu’il distingue soigneusement : l’une portant sur le séjour de l’étranger (I), l’autre sur son éloignement (II).
La décision relative au séjour de l’étranger : la contestation admise d’un acte administratif pris en dehors de toute demande
Tout étranger âgé de plus de dix-huit ans et souhaitant séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire soit d’un visa long séjour, soit d’un titre ou document de séjour (L. 411-1 CESEDA). Ce document est délivré par l’autorité préfectorale dès lors que l’étranger fait la demande, dans un délai de deux mois (article D 431-7 CESEDA) - qui précèdent notamment la fin du visa long séjour - d’un titre de séjour parmi les différentes catégories de titres existantes (articles L. 420-1 à L. 426-23 CESEDA).
L’autorité compétente s’assure que l’ensemble des conditions requises sont satisfaites. La procédure n’est pas contradictoire : l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration qui prévoit que les décisions individuelles défavorables devant être motivées, et plus largement prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable ne s’applique pas lorsqu’il est statué sur une demande de l’intéressé.
Sont considérées comme des demandes, au sens de l’article L. 110-1 du CRPA, les réclamations, recours gracieux ou hiérarchiques, adressés à l’administration. Certains auteurs souligneront le caractère tautologique de la définition apportée par l’article 18 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations4. Non seulement, la notion de "réclamation" peut apporter une certaine confusion en raison de sa grande proximité avec le terme "demande", mais également elle ne fait pas l'objet d'une définition précise.
Or, dans cette espèce, le requérant n’a pas eu de contact avec l’administration, étant donné qu’il n’a pas suivi la procédure administrative d’enregistrement et de délivrance de titre de séjour codifiée aux articles R. 430-1 et suivants du CESEDA.
D'aucuns considèrent que le préfet ne peut, a priori, refuser le séjour sans être saisi d'une demande5. Or, en pratique6, il est courant qu'un ressortissant étranger en situation irrégulière fasse, après un contrôle d'identité7 ou en prison8, l'objet d'un refus de titre de séjour et d'une obligation de quitter le territoire français. Cette OQTF sera prononcée sur le fondement d'une absence de droit au séjour. Parallèlement à ce qu'il avait fait dans l'affaire N'Sonde9, décision par laquelle le Conseil d'État avait jugé que le placement en rétention administrative fondé sur un ancien arrêté préfectoral de reconduite à la frontière révélait l'existence d'une nouvelle mesure d'éloignement susceptible de recours, le juge administratif a admis que le préfet avait pris une décision distincte « portant refus de séjour, que le requérant est recevable à contester » (§1 de l’arrêt commenté).
L'existence ou non d'une décision distincte portant refus de délivrance de titre de séjour a donc plusieurs conséquences. D’abord, un tel refus, étant une mesure de police au sens de l’article L. 211-2 du CRPA, doit être nécessairement motivé. À défaut, la décision est entachée d'illégalité. En outre, si le magistrat désigné par le président du tribunal administratif est compétent pour statuer sur les conclusions dirigées contre une obligation de quitter le territoire français, soit en cas de placement en rétention ou d'assignation à résidence, soit dans le cas où une OQTF est prise sur les 1°, 2°, 4° de l'article L. 611-1 du CESEDA, il ne l'est pas en ce qui concerne le refus de séjour, sauf si la décision est prise après le rejet d'une demande d'asile10.
Par ailleurs, le requérant peut légitimement se demander s’il n’a pas été lésé du fait de l’absence de la procédure contradictoire prévue au CRPA, étant donné que la décision de l’administration ne fait à l’évidence pas suite à une demande. Reste que cette question fait l’objet d’une jurisprudence constante11 qui considère que si la procédure d’édiction de l’OQTF prévue par le CESEDA (aux articles R. 613-1 et suivants) est respectée, il n’y a pas lieu de respecter la procédure de droit commun pour un refus de titre de séjour.
Ce moyen n’a pas été soulevé par les parties, et non relevé d’office par le juge – qui a néanmoins relevé d’office une hypothèse d’irrecevabilité pour défaut d’objet des conclusions – un tel moyen ne figurant pas dans le répertoire des moyens d’ordre public du juge administratif de l’excès de pouvoir.
En l’espèce, et à l’instar de la procédure contradictoire à la française, sera invoqué par le requérant le droit d’être entendu, au sens du droit de l’Union, et spécialement de l’article 47, 2° de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais qui sera rejeté par la cour lyonnaise au motif que le droit au séjour des ressortissants algériens n’est pas régi par le droit de l’Union (§2 de l’arrêt commenté).
Ainsi, le juge administratif se livre-t-il à un examen circonstancié de la légalité des décisions administratives en cause. En effet, un examen plus approfondi de la légalité du refus au séjour serait sans incidence sur la mesure d’éloignement, qui se fonde sur l'expiration du visa du ressortissant étranger.
La décision relative à l’éloignement de l’étranger : l’examen classique de la légalité de l’acte
La mesure d’éloignement en question est une obligation de quitter le territoire français, c'est-à-dire un acte administratif par lequel les autorités préfectorales imposent à une personne étrangère de quitter le territoire français. Créée par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, l’OQTF vise à simplifier la procédure d’éloignement des étrangers en situation irrégulière qui s’opérait jusque-là̀ sur la base d’arrêtés de reconduite à la frontière (APRF). Le régime de l’OQTF a été profondément modifié par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 et par les lois subséquentes. La mesure d’OQTF est désormais prévue à l’article L. 611-1 du CESEDA, disposant les six cas possibles pour son recours.
Parmi ces cas, le préfet du Cantal, dans la présente espèce, invoquera le principe selon lequel "L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) / 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa (...) sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré (...) " (§1 de l’arrêt commenté).
La 6ème chambre de la cour lyonnaise se livrera donc à un examen classique de la légalité de cette mesure, prise indépendamment du refus de séjour, en examinant tout particulièrement un ensemble de moyens invoqués par le requérant.
Le premier moyen concerne une éventuelle violation « des droits de la défense ou du droit à une bonne administration, en particulier du droit d’être entendu » (§5 de l’arrêt commenté), avancé par le requérant, qui demeure assujetti à la jurisprudence Danthony12. La cour lyonnaise rappelle donc que le requérant n’est pas fondé à soutenir que ce droit aurait été méconnu au motif qu’une nouvelle audition n’aurait pas été spécialement organisée pour lui permettre d’exposer un projet de mariage, dont le préfet avait en réalité déjà connaissance, suite à une saisine du Parquet pour suspicion de mariage blanc avec une ressortissante française, et sur lequel le requérant avait lui-même été mis en mesure de s’exprimer. Plus précisément, il est fait application des jurisprudences X13, ayant été les premières à tirer des conséquences des dispositions de la charte, applicables aux étrangers et demandeurs d’asile. Selon le Conseil d’État, validant le raisonnement de la cour lyonnaise, il est loisible pour un demandeur de titre de séjour de faire valoir auprès de l’administration toute observation complémentaire utile durant l’instruction de son dossier. L’édiction d’une OQTF prise concomitamment et en conséquence du refus de séjour, dépourvue de procédure contradictoire, ne saurait engendrer la méconnaissance par l’administration du droit d’être entendu car « l’étranger, en raison même de l’accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire (…), ne saurait ignorer qu’en cas de refus, il pourra faire l’objet d’une mesure d’éloignement ».
En d’autres termes, l’étranger ayant déjà fait usage de son droit d’être entendu, même dans une procédure distincte – en l’espèce, la présentation d’un projet de mariage à la mairie d’Aurillac en décembre 2020 – de l’arrêté portant OQTF, ne peut en faire usage une seconde fois, au motif que cela n’aboutirait pas à un résultat différent.
Le deuxième moyen tient à une exception d’illégalité de la décision portant refus de séjour, qui sera rejeté par le juge administratif, rappelant la distinction entre les deux décisions.
Enfin, le requérant, en troisième lieu, avance que la décision prise compromet l’exercice de ses droits fondamentaux, en l’espèce le droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Comme le souligne le Conseil d’État, l’office du juge statuant sur le droit des étrangers est d’autant plus délicat que « rares sont les jugements administratifs qui emportent des conséquences aussi décisives sur la vie des demandeurs »14.
Cela n’empêchera pas la cour lyonnaise de rejeter ce moyen, après un contrôle de proportionnalité pour lequel le juge administratif est habilité en présence de la méconnaissance du principe de droit au respect de la vie privée et familiale15, au motif que le requérant ne produit pas d’éléments de nature à établir l’existence, à la date de la décision, d’une relation ancienne, réelle et sincère nouée avec la ressortissante française avec laquelle il a établi un projet de mariage (§4 de l’arrêt commenté).
Classiquement, le juge administratif se livre donc à un examen de la légalité de la mesure d’obligation de quitter le territoire français, distinctement de l’examen de la légalité du refus de séjour « spontané ». Ces possibilités de contestation, favorables au requérant car lui permettant de multiplier ses axes contentieux, n’entacheront tout de même pas d’illégalité les décisions administratives en cause.