Lors de l’élaboration ou de la révision du plan local d’urbanisme (PLU), la collectivité compétente peut opposer un sursis à statuer à une autorisation d’urbanisme aux termes de l’article L. 153-11 du code de l’urbanisme. Le cadre législatif impose ainsi un certain nombre de critères cumulatifs parmi lesquels deux sont fondamentaux : l’état d’avancement de PLU et que le projet présente un risque de compromettre l’exécution du futur plan. Dans le cadre d’un recours contre une décision de sursis à statuer, les juges du Palais Royal ont admis, depuis une décision du 22 juillet 2020 (commune de la Queue-les-Yvelines), la possibilité d’invoquer l’illégalité du futur plan local d’urbanisme qui fonde la décision d’un sursis à statuer. Le présent jugement s’insère dans la continuité de cette jurisprudence, tout en statuant sur l’articulation des documents constituant le corpus du PLU.
Lors de la présentation du projet loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains dite « Loi SRU » (Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000), Jean-Claude Gayssort, alors ministre de l’Équipement, des transports et du logement a annoncé que : « le plan local d'urbanisme remplacerait le plan d'occupation des sols. Plus souple et plus simple, il traduira le projet urbain local, les principales actions d'aménagement, les actions relatives au traitement de l'espace public ou à l'environnement. En matière d'élaboration des documents d'urbanisme, les règles de procédure seront simplifiées, tout en renforçant la nécessaire concertation publique ». (Assemblée Nationale, commission de la production et des échanges, compte rendu n° 31, mercredi 2 février 2000). En lien avec la décentralisation, et afin de répondre à un souci de simplification et de cohérence des politiques urbaines, la création des plans locaux d’urbanisme marque l’essor d’un renouvellement « des manières de faire de l’urbanisme et du développement économique » (G. Pinson, Gouverner la ville par projet, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 10.). Le basculement du Plan d’occupation des sols (POS), décentralisés depuis 1983, vers les plans locaux d’urbanisme (PLU), s’est accompagné ainsi du remplacement de schémas directeurs par celui de schémas de cohérence territoriale (SCoT). L’évolution de la législation les concernant allait marquer le renforcement de leur contenu. Désormais, les PLU comprennent des mécanismes et des outils mieux adaptés aux spécificités locales, aux opérations d’aménagement jugées pour le moins « très complexes », et cantonnés à la fonction de définir un projet global d’urbanisme et d’aménagement au niveau local et intercommunal.
À la différence des POS, les PLU sont composés d’un projet d’aménagement et de développement durable (PADD) qui représente de fait le projet communal, ainsi il « définit les orientations générales des politiques d’aménagement, d’équipement, d’urbanisme, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers, et de préservation ou de remise en bon état des continuités écologiques ». (article L. 123-1-3, al. 1, du code de l’urbanisme). Ce projet doit justifier les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) – introduites par la loi SRU – et le règlement du PLU. Les nouveaux PLU se composent dès lors d’un rapport de présentation, d’un PADD, des orientations d’aménagement et de programmation, d’un règlement et des annexes (art. L. 151-2 CU). Cette évolution visait à remettre la notion de projet à sa juste place dans le processus de planification territoriale, en permettant de la sorte le passage de l’urbanisme réglementaire à l’urbanisme de projet.
Considéré comme « le droit des atteintes légales à la propriété foncière », (N. Tiger, L’intérêt général et le juge administratif, En ligne.) le droit de l’urbanisme est un droit évolutif, tant par les circonstances de faits, que par les exigences de l’adaptabilité de la règle de droit. Impacté par les modifications successives, le PLU, document prospectif, est ainsi considéré comme un document générateur de recours contentieux. La norme locale d’urbanisme, affectée par son instabilité, constitue le fondement légal sur lequel sont délivrées les différentes autorisations d’urbanisme.
Les faits de l’espèce concernent le sursis à statuer opposé à une déclaration préalable de changement de destination d’un hôtel. Initialement, par une délibération du 09 avril 2013, le conseil municipal de Valloire a approuvé son nouveau PLU. Par un jugement du 15 décembre 2015, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la délibération, ce qui a conduit au maintien de l’ancien POS. Par une autre délibération du 29 décembre 2015, le conseil municipal prescrivait la révision du POS pour l’élaboration du PLU. À la date du 17 mars 2017, le POS est devenu caduc, le 28 mars 2018, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble rétablissant ainsi le PLU de 2013. Ce faisant, le conseil municipal a été mené à réviser son PLU et non pas à son élaboration. Tout au long de ce long processus, la commune se trouvait confrontée à la gestion de cette période transitoire et amenée ainsi à instruire les différentes demandes d’occupation du sol, tout en opérant une conciliation entre la règle existante et la règle prospective. C’est dans ce cadre que le maire de la commune de Valloire, par un arrêté du 12 décembre 2019, a opposé un sursis à statuer à la déclaration préalable, déposée le 15 octobre 2019 par la SARL Resideco, visant le changement de destination d’un hôtel et sa transformation en logements locatifs.
Jusqu’en 2020, il avait été impossible de statuer sur la légalité du futur PLU, qui fonde la décision d’un sursis à statuer (CE, 17 mars 1982, SCI Le Bas Chevincourt, n° 24962, au Recueil Lebon). Par un revirement jurisprudentiel, la haute juridiction administrative a accepté d’examiner la légalité du futur PLU fondant une décision de sursis à statuer (CE, 22 juillet 2020, commune de Queue-les-Yvelines, n° 427163, au Recueil Lebon). Le cas d’espèce s’insère dans la continuité de cette jurisprudence.
Le juge administratif va procéder dans un premier temps à l’identification des conditions d’application de la décision de sursis à statuer (I.). Dans un second temps, en s’appuyant sur la jurisprudence précédente du Conseil d’État, le juge administratif a examiné avec affinité l’applicabilité temporelle des documents constituant le futur PLU, les conditions de conformité, de compatibilité et de cohérence, afin de statuer sur le moyen tiré de son illégalité (II.).
Le sursis à statuer sur une déclaration préalable de changement de destination : une logique conservatrice à travers l’application anticipée du futur PLU
Dans le cadre de l’élaboration ou de la révision d’un PLU, l’autorité compétente peut opposer un sursis à statuer à une demande autorisation d’urbanisme afin d’éviter qu’elle compromette l’exécution du futur PLU. Les conditions d’application de ce mécanisme trouvent un fondement dans deux articles du Code de l’urbanisme (art. L. 153-11 et art. 424-1) (A.). Cette faculté de sursis à statuer est certes limitée, elle doit être motivée (B.).
L’encadrement législatif des conditions et domaines d’application
Le sursis à statuer est un procédé de sauvegarde, un outil de gel provisoire, qui permet à l’administration compétente de s’abstenir à se prononcer, temporairement, sur les demandes d’autorisation d’urbanisme en attendant l’adoption d’un nouveau PLU, ou la réalisation d’une opération d’aménagement. Il s’agit d’une faculté reconnue à l’administration, bien que ce caractère « facultatif » ait fait l’objet d’une jurisprudence plus au moins constante (CE, 14 octobre 1977, n° 01646, au Recueil Lebon), CAA Paris, 26 décembre 1995, n° 94PA01696, au Lebon, CAA Lyon, 13 juin 2019, n° 18LY02937, CE, 20 octobre, 2020, n° 430729, au Recueil Lebon).
L’article L. 424-1 prévoit qu’il est possible de surseoir à statuer sur toute demande d’autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus aux articles L. 102-13, L. 153-11 et L. 311-2 du code de l’urbanisme, et l’article L. 331-6 du code de l’environnement, ainsi qu’il énumère de manière exhaustive les hypothèses dans lesquelles l’autorité compétente peut décider un sursis à statuer : lorsque le terrain fait partie du périmètre d’une ZAC ; dès l’ouverture de la date de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique (DUP) en ce qui concerne les demandes d’autorisations des travaux, constructions ou installations à réaliser sur les terrains concernés par cette opération ; lorsque ces travaux sont susceptibles de compromettre ou rendre plus onéreuses l’exécution de travaux publics , dès lors que la mise à l’étude d’un projet de travaux publics a été prise en considération par l’autorité compétente et que les terrains sont bien délimités ; lorsque les travaux…sont susceptibles de compromettre ou de rendre onéreuse la réalisation d’une opération d’aménagement, dès lors que le projet d’aménagement a été pris en considération par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale sur les terrains affectés par ce projet. De même, depuis la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, relative à la lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, une nouvelle possibilité a été rajoutée ; lorsque les constructions projetées se situent au sein de la carte de préfiguration des zones d’exposition au recul du trait de côte et qui sont de nature à compromettre ou à rendre onéreuse l’exécution du futur PLU (art. L. 121-22-3 CU) ou la future carte communale (art. L. 121-22-7 CU). Néanmoins, ce procédé n’est pas applicable en matière de modification de PLU (CE, 28 janvier, 2021, n° 433619, au Recueil Lebon). De plus, plusieurs autres exceptions existent en matière environnementale (CE, avis contentieux, 9 juill. 2021, société les Pâtis Longs, n° 450859), ou en ce qui concerne le lotissement (CE, 31 janvier, 2022, n° 449496, au Recueil Lebon).
L’article 153-11, qui régit ainsi ce procédé, dans sa version antérieure (avant l’adoption de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté), prévoyait qu'à compter de la publication de la délibération prescrivant l'élaboration d'un plan local d'urbanisme, l'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délais prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan. La loi Égalité-citoyenneté du 27 janvier 2017 a ajouté une nouvelle condition, à travers son article 109, en modifiant le dernier alinéa : « l'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délais prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durables ». Deux arguments ont justifié cette modification : premièrement, il s’agit d’assurer un encadrement plus rigoureux à l’utilisation abusive de procédé de sursis à statuer par les autorités compétentes, sans interdire d’y recourir si cela paraît nécessaire ; secondement, s’agissant d’un procédé qui limite les constructions, cette faculté n’est possible qu’à un stade plus avancé du PLU, cela est de nature à empêcher les collectivités de surseoir à statuer dès la publication de la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision de son PLU « aboutissant ainsi à un gel des autorisations et partant une réduction de l’offre de logements ».
Dès lors, deux conditions cumulatives doivent être prises en considération : l’état d’avancement du projet, et le risque de compromettre l’exécution du futur PLU. En l’espèce, la SARL Resideco, a déposé une demande de déclaration préalable visant le changement de destination de l’hôtel de Gentianes, dont elle est la propriétaire, et sa transformation en logements locatifs. Le maire de Valloire a décidé d’opposer un sursis à statuer à sa demande. Au visa de l’article L. 153-11 du code de l’urbanisme, le juge administratif relève que la décision de sursis à statuer n’est pas entachée d’une erreur d’appréciation en ce qui concerne l’application dudit article. Reste alors à vérifier les éléments de motivation.
La motivation de la décision de sursis à statuer : un encadrement plutôt prétorien
Sur l’appréciation de la notion « à compromettre ou à rendre onéreuse l’exécution du futur plan » : l’appréciation de la notion « à compromettre ou à rendre onéreuse l’exécution du futur plan », est sans doute incontournable. La décision de sursis à statuer doit être suffisamment motivée. Cette motivation ne doit pas être succincte dans la mesure où elle devra apporter des justifications circonstanciées. Cette obligation de motivation a été renforcée par la loi n° 2015-990 du 6 aout 2015 relative à la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (art. 108) en imposant à la motivation du recours au sursis à statuer d’indiquer « l’intégralité des motifs justifiant la décision » (art L. 424-3 et R. 424-5 de CU). Sur le fond, la décision de sursis à statuer doit indiquer dans quelle mesure la demande de l’autorisation d’urbanisme est de nature à compromettre l’exécution du futur plan, ou qu’elle porte une atteinte significative. Cela veut dire, le degré d’importance des travaux justifie le recours à un tel procédé, ce faisant, eu égard de cette importance, le juge porte une appréciation souveraine sur ce point (CE, 10 octobre, 1990, n° 96805/ CE, 25 avril, 2003, n° 208398 / CE, 30 avril 2014, n° 356730). À titre d’exemple, il a été considéré comme de nature à compromettre l’exécution du futur PLU, une demande de permis de construire sur un terrain dont le futur PLU envisageait son classement en zone naturelle excluant tout projet de construction (CAA Bordeaux, 29 août 2019, n° 17BX02588), ou encore une demande de permis de construire sur un terrain situé sur l’emplacement de la future zone d’aménagement concerté, réservée à la circulation, dès lors que l’édification à cet emplacement aurait par la suite nécessité la démolition de la construction pour l’exécution du futur plan (CE, 13 avril, 2005, n° 259805…Quant à l’application au cas de l’espèce, en procédant à l’appréciation de ladite notion, le juge arrive à la conclusion que la décision de sursis à statuer visait le plan local d’urbanisme dont l’élaboration a été prescrite le 29 décembre 2015. Cette décision rappelle la nature du projet, qui consiste en un changement de destination de l’hôtel et sa transformation en cinq logements locatifs. Ensuite, le maire a bien précisé que le projet est situé dans le périmètre graphique identifié par la carte annexée au PADD où doivent se développer de préférence les lits professionnels, de type hôtelier ou touristique. La décision mentionne ainsi de manière précise les prescriptions du plan local d'urbanisme susceptibles d'être méconnues par le projet, et ainsi les raisons pour lesquelles les travaux seraient de nature à compromettre ou rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan. Par conséquent, le juge affirme que la décision du maire doit donc être regardée comme « suffisamment motivée ».
Sur le caractère suffisamment avancé du futur plan : depuis 2017, une nouvelle condition temporelle a été rajoutée conditionnant ainsi la décision de sursis à statuer : le projet doit être dans un état d’avancement suffisant (TA Versailles 26 février 1981, assosiation des habitants de Chesnay, au Recueil Lebon, p. 518.). Dans un arrêt rendu par la haute juridiction administrative le 26 décembre 2012, le juge a considéré que lorsque le PLU est suffisamment avancé et qu’un projet est contraire à ses futures dispositions, le projet doit faire obligatoirement l’objet d’un sursis à statuer (CE, 26 décembre 2012, n° 347458, au Recueil Lebon). En l'espèce, le débat sur les orientations du PADD s'est tenu le 13 février 2018. Une réunion consacrée aux OAP, dont l'OAP n° 2 consacrée à l'hébergement touristique, a eu lieu le 10 août 2018. Un projet de règlement a été adopté le 30 août 2018, lequel renvoie au projet d'OAP n° 2 s'agissant de la zone UA, au sein de laquelle est situé l'hôtel des Gentianes. Ces éléments traduisent ainsi un état suffisamment avancé du projet de plan local d'urbanisme, permettant d'apprécier les incidences du projet de changement de destination de l'hôtel des Gentianes sur celui-ci.
Sur le moyen tiré de l’illégalité du futur PLU : la complémentarité des documents constitutifs du PLU
La possibilité de contester l’illégalité du futur PLU – servant comme fondement de la décision de sursis à statuer – étant consacrée, le juge procédera à l’examen des dispositions litigieuses. Les OAP et le règlement constituent une déclination du projet d’aménagement, leur champ d’application respectif doit être délimité (A.). De même, leur cohérence avec le PADD sera vérifiée (B.).
Les orientations d’aménagement et de programmation : un outil souple bien adapté à la temporalité du projet
Depuis la loi SRU, les évolutions législatives visaient principalement le renforcement du contenu de PLU et l’assouplissement de ses règles, constituent ainsi l’épine dorsale d’une vision plus au moins opérationnelle des documents de l’urbanisme. Les orientations d’aménagement – introduites par la loi SRU – sont devenues depuis la loi Grenelle II « les orientations d’aménagement et de programmation », assurant de la sorte une complémentarité entre les différents documents de PLU. Les OAP, faisant partie des « stars du droit de l’urbanisme contemporain », sont considérées comme un outil souple de planification, traduisant – de manière anticipée – les orientations générales du PADD, et constituant ainsi « le chaînon manquant » (F. Zitouni, J. Dubois, Les OAP, interface entre l’urbanisme de planification et l’urbanisme de projet, Actes de colloque…p. 22.) entre l’urbanisme réglementaire et l’urbanisme du projet.
En plus de l’obligation de les intégrer dans les PLU, le code de l’urbanisme prévoit certaines hypothèses les rendent incontournables afin de traduire certaines politiques sectorielles (les OAP sectorielles). C’est notamment le cas lorsque le PLUi tient lieu de programme local de l’habitat ou de plan de déplacement urbain ; ou si le PLUi n’est pas couvert par un SCOT applicable. Dans ce dernier cas, il devra nécessairement intégrer un volet relatif à l’aménagement commercial sous forme d’OAP. De même, la réforme relative à la modernisation du contenu de PLU, du 1er janvier 2016 a rendu obligatoires les OAP pour ouvrir une zone à urbaniser (AU) (art. 151-20 du code de l’urbanisme), alors que le règlement devient facultatif. Dès lors, leur évolution et leur normativité ont posé des interrogations quant à leur contenu potentiel.
Il est important de noter ici, qu’avant la création des OAP, « il n’existait aucun moyen permettant, dans le document de planification urbaine, de poser les principes de l’aménagement futur d’un quartier ou d’un secteur et d’en imposer le respect ». (Ibid., p 23.). Deux manifestations du pouvoir normatif conféré au PLU – leur caractère normatif est dû à leur opposabilité aux autorisations d’utilisation du sol – le règlement et les OAP relèvent « d’une matrice commune » puisqu’ils poursuivent le même objectif : mettre en œuvre le PADD. Cette complémentarité est prévue aux termes de l’article R. 151-2 du code de l’urbanisme. Ce qui est innovant d’ailleurs, est que pendant longtemps, il s’avérait impossible d’opposer un sursis à statuer en se fondant sur une application anticipée d’un projet d’aménagement. C’est là où le jugement de l’espèce trouve toute son ampleur. En se ralliant à une position antérieurement définie par la jurisprudence issue de la décision Commune de La Queue-les-Yvelines (CE, 22 juillet 2022, n° 427163, au Recueil Lebon), le tribunal administratif rappelle dans un premier temps « qu’un sursis à statuer ne peut être opposé à une autorisation d’urbanisme qu’en vertu d’orientations ou de règles que le futur plan local d’urbanisme pourrait légalement prévoir ». Dans ce sens, la société requérante est tenue « d’invoquer l’illégalité du futur PLU à la date de sursis à statuer et non celle du plan ultérieurement approuvé ». Précisant ainsi le cadre temporel d’invoquer l’illégalité du PLU, le juge considère, dans un second temps, que « l’article 1.2 du projet de règlement du plan local d'urbanisme élaboré à la date de la décision attaquée, applicable à la zone UA, rappelle que " tout projet doit être compatible avec les orientations d'aménagement et de programmation ". L'OAP n° 2 élaborée à la même date interdisait le changement de destination des hôtels ». Sur ce fondement, le tribunal estime que « compte tenu du degré d'élaboration du plan local d'urbanisme, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que cette OAP empièterait sur le domaine du règlement du plan local d'urbanisme et serait illégalement prescriptive ». De ce considérant, on est conduit à tirer deux constats : d’abord, le tribunal a écarté le moyen tiré de l’illégalité de l’interdiction du changement de destination en se fondant sur l’état d’avancement de l’élaboration de futur PLU. Une OAP qui n’est pas inscrite dans le règlement n’est pas, dès lors, opposable. Contrairement à la solution audacieuse de la haute juridiction administrative, le tribunal paraît réticent sur la question de l’opposabilité d’une « future » OAP. Ensuite, et sur le fondement du premier constat, en adoptant une telle position, le juge rappelle la hiérarchie normative en ce qui concerne les documents d’urbanisme. Cette forme de hiérarchie, exige une supériorité du règlement par rapport aux OAP, et ce malgré leur rapprochement (R. 151-12- R. 151-13 du code de l’urbanisme ». C’est d’ailleurs le maintien de ce rapport hiérarchique qui fournit autant de moyens juridiques aux requérants afin d’intenter les recours.
L’imbrication des outils souples de l’urbanisme et l’exigence de leur cohérence avec le PADD
René Cristini avait noté qu’« en même temps que se multiplient les normes (…), leur articulation devient plus floue, et le contrôle du juge n’en sera pas facilité ». (R. Cristini, Droit et urbanisme, Economica, 1985.). La loi SRU, a prévu que « les orientations d’aménagement doivent être établies en cohérence avec le PADD, au sein duquel elles trouvent leur fondement ». Cette exigence, a été renforcée par la suite avec la loi ENE du 12 juillet 2010 qui prévoit que les OAP « doivent respecter les orientations du PADD ». À préciser de manière liminaire ici, ce rapport de cohérence – prévu ainsi par le code de l’urbanisme en vertu de ses articles L. 151-6 et R. 151-8 – ne signifie ni « conformité » ni « compatibilité », il s’agit tout simplement d’un « lien de subordination intermédiaire ». De plus, si les OAP sont considérées comme des « règles souples », leur souplesse s’apprécie par rapport aux modalités de leur application et non pas à travers leurs modalités d’énonciation (pour plus détails voir, G. Godfrin, « Le plan local d’urbanisme entre droit souple et droit dur », Cahiers du GRIDAUH, 2015/2, pp. 119-131.).
Bien que leur contenu soit précisé aux termes de l’article L. 151-7 du code de l’urbanisme, la portée et l’imprécision des OAP ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante, mais qui demeure jusqu’à présent peu fixée. Sur ce point, le juge a procédé dans un dernier temps à la vérification de l’exigence de la cohérence entre OAP et PADD. Le troisième axe du PADD consiste en la pérennisation du modèle économique de la station de Valloire. Deux orientations d’aménagement et de programmation ont été prises afin de traduire ce projet. La première orientation porte sur « le renforcement de l'attractivité touristique par une montée en gamme de l'offre. Il s'agit notamment, dans un périmètre défini, au sein duquel se trouve l'hôtel des Gentianes, de développer de préférence des lits professionnels de type hôteliers ou touristiques pour les opérations nouvelles ». Cette orientation a été elle aussi traduite et précisée par une seconde OAP. Celle-ci prévoit une pérennisation de l'offre hôtelière actuelle, et une diversification des hébergements touristiques par une montée en gamme. En interdisant le changement de destination, elle tend à garantir des lits marchands. Sur ce fondement, le changement de destination, estime le juge, « n’aurait pas été suceptible de pourvoir au développement d’une offre de nature touristique », et par conséquent, il est contradictoire avec l’axe 3 du PADD et ses OAP. Le raisonnement développé par le juge met en avant la plasticité de l’outil OAP qui permet de traduire de manière « qualitative » le PADD. Néanmoins, leur objet et leur portée demeurent jusqu’à présent frappés par l’imprécision, faisant ainsi l’objet d’une jurisprudence casuistique en la matière.